À travers deux récits, nous allons comprendre pourquoi certaines personnes ne sont pas en accord avec leur voix. Puis nous parlerons de l’aide que l’on peut apporter pour parvenir à cet accord.
Kévin est froid dans sa voix
Quand Kévin s’entend parler spontanément, il trouve sa voix grave, un peu sèche, hésitante parfois, monocorde… À l’enregistrement, pratiqué systématiquement lors du bilan vocal, il est déçu par sa voix qu’il trouve finalement plus aiguë que ce qu’il s’imaginait, il dit qu’elle ressemble à une voix de petit garçon, il la trouve inexpressive, sourde, comme si elle taisait de l’extérieur ce qu’il est vraiment au fond de lui et qu’il ne parvient pas à exprimer autant qu’il le voudrait. Elle reflète sa timidité dont il se plaint, et son manque de confiance en lui. Il dit que souvent les gens le trouvent froid voire hautain dans sa façon d’être et de se présenter à l’autre. Cette perception le perturbe, car il aimerait pouvoir donner une autre image de lui sur le plan vocal mais également dans tout ce qui est associé à la communication orale, comme l’expression faciale, ou la statique corporelle.
Il qualifie sa voix de « coincée ». On lui en a fait la remarque : « Quand on ne te connaît pas on dirait que tu te prends pour un autre, et que tu te prends au sérieux, que tu regardes les gens de haut. » Il le regrette et tente de prouver le contraire, mais il ne sait pas comment faire pour se montrer différent. En réunion professionnelle, lorsqu’il prend la parole il sent le regard antipathique de certains collègues qui n’abondent pas dans son sens ou qui critiquent son manque de souplesse dans son discours, il semble passer pour celui qui pense qu’il a forcément raison. La relation et les échanges s’en trouvent altérés.
Kévin souhaite se remettre en question et modifier sa façon de communiquer, afin de se sentir davantage compris par son entourage, mais il n’a pas les clés pour y parvenir.
Il souhaite que sa voix puisse coïncider avec son état d’esprit plus léger au fond, même s’il reconnaît avoir des exigences assez élevées d’une manière générale, avouant vouloir passer pour quelqu’un de sérieux et respectable, professionnellement, mais au plan personnel aussi.
C’est le cas classique de quelqu’un qui a l’impression de ne pas ressembler à ce qu’il est véritablement. Ce qu’il ressent n’est pas conforme à ce qu’il veut bien montrer. Sa voix ne lui correspond pas.
La difficulté non négligeable pour Kévin est de manquer de puissance dans sa voix, de forcer sur sa voix, de redouter les prises de parole en public, à tel point que l’effort généré pour y parvenir l’épuise, et n’est pas écologique pour lui. Le but du travail vocal est de lui redonner du plaisir dans son expression vocale, une fois libéré de ses préjugés négatifs sur lui-même, et sur les autres.
Quel travail faire avec sa voix ?
Il est question de faire une analyse précise de sa façon de s’exprimer dans un premier temps, puis dans un second temps d’en prendre conscience autant que possible, puis d’offrir à Kévin la possibilité d’explorer ses capacités non encore exploitées en termes d’expression orale, avec l’objectif de se rapprocher de ce qu’il ressent intérieurement à peu près autant que de ce qu’il montre.
Des techniques vocales sont proposées. Nous les détaillerons plus amplement dans le chapitre 13 : « Prendre soin de soi à travers la voix : techniques vocales ou jeux de voix ». Celles proposées à Kévin sont variées : travail sur les tensions, sur la respiration, sur la coordination de la voix et de l’air expiré, travail sur les paramètres de la voix à ajuster, etc. Elles ont un impact, car elles permettent un nouveau comportement vocal, et la partie cognitive (les pensées qui maintiennent l’état fragile ou non affirmé de la voix) est revisitée en amont.
Ces techniques permettent de modifier l’estime de soi vocale, l’affirmation vocale et la confiance en sa voix, donc en soi.
Le programme consiste à apprendre à Kévin à s’affirmer à travers sa voix. Il lui est demandé de colorer sa voix d’émotions les plus variées, dans des jeux de voix, où l’intonation va changer le sens du message, et aussi en utilisant davantage les autres paramètres de la voix qui sont sous-exploités dans son élocution, comme la fréquence, l’intensité et le débit. Il apprend ainsi à moduler sa voix.
La voix chantée est utilisée également pour le mettre face à ses peurs (du regard des autres par exemple), puis il est exposé à ses pensées négatives sur lui-même, pour finalement apprendre à les relativiser, à les modifier, et à les dépasser.
Il s’agit d’une mise en situation régulière où il doit développer des stratégies d’adaptation différentes en face de ses émotions, grâce à de nouveaux repères, non utilisés jusque-là.
Apprendre à se montrer autrement dans sa voix, c’est se découvrir, s’accepter, changer ses habitudes, et s’affirmer dans un nouveau registre, jusqu’à ce qu’il ressente un accord entre son monde intérieur et ce qu’il produit à l’extérieur.
Le thérapeute donne souvent le modèle et vérifie la cohérence entre l’intention et ce qui est marqué dans la voix.
L’objectif est atteint quand le patient est satisfait de sa façon de s’exprimer vocalement, c’est-à-dire quand sa voix produit l’effet recherché, quand il retrouve un confort vocal, en accord avec ce qu’il montre et souhaite dévoiler de sa personne.
Une voix en accord avec soi, c’est une voix libre, capable de montrer qui l’on est sans peur et sans reproche envers nous-même.
Thomas a peur que l’on devine sa vie intime dans sa voix
Analyse comportementale et cognitive détaillée et mise en place de solutions
Reprenons le cas particulier de Thomas (voir « Thomas n’aime pas sa voix »). Son discours montre qu’il n’est pas libre de sa voix, dans la mesure où, bien qu’il soit journaliste et qu’il ait à prendre la parole pour donner de l’information au plus grand nombre, il se sent limité par le regard des autres, soumis à cette pensée négative : « Quand je prends la parole tout le monde entend dans ma voix que je suis homosexuel et ça me fait perdre de la crédibilité. »
Or c’est une profession qui prône la liberté de penser, la liberté d’expression. Pourtant il reste attaché à ce que les gens peuvent dire de lui. Il prétend par ailleurs assumer complètement sa préférence sexuelle, et son entourage semble compréhensif. Il n’a pas eu à subir de discrimination particulière en tant qu’adulte, mais il se rappelle des moqueries de ses camarades de classe au collège qui se moquaient de ses intonations, certains imitaient sa voix, il a ressenti de la honte, ils le traitaient régulièrement de « fillette » ou autre insulte homophobe, avant même qu’il ne sache qui il était.
Il n’a pu se rendre compte de sa préférence sexuelle que plus tard, pendant les années de lycée. Il était attiré par les garçons qui ressemblaient à ce qu’il aurait voulu être : fort, téméraire, bricoleur, sportif, grande gueule : tout ce qu’il n’était pas. Il paraît marqué par ses souvenirs désagréables d’école. Depuis cette époque adolescente il a gardé cette gêne d’être au centre de l’attention à cause de sa différence. Il aurait préféré qu’on ne le remarque pas, être comme tout le monde. Or il se disait fragile, peu habile, peu dégourdi, peu sportif, pas courageux, trop sensible et timide. Il dit avoir grandi après les autres, et a mué tardivement, ce qui a accentué son complexe à ce moment-là. Il devait supporter les moqueries de ses camarades, et il subissait les attaques sans vraiment se défendre.
Actuellement, il est bien dans sa vie intime, il est accepté par ses collègues tel qu’il est, il est reconnu pour ses compétences et son sérieux au travail. Les gens lui font confiance d’une manière générale, il a des amis hétérosexuels et homosexuels qui l’apprécient tel qu’il se présente à eux, mais malgré cela il continue à redouter les prises de parole en public. Pour un journaliste cela est un handicap, d’autant qu’il est amené à progresser professionnellement, et cela ne va pas sans passer par l’animation radio et la télévision selon le processus classique d’évolution de carrière. Il a honte de sa voix encore aujourd’hui, alors qu’elle est parfaitement grave, et que rien ne paraît anormal quand on l’écoute. Il se dit qu’elle révèle trop son identité sexuelle au premier abord et il ne veut pas être jugé pour cela. Il le vit comme un sentiment d’infériorité. Il voudrait ne pas avoir à dévoiler son intimité si facilement, car professionnellement il veut être évalué et considéré par rapport aux projets réalisés, sans que sa vie personnelle interfère ou le pénalise d’une façon ou d’une autre.
Comment se sentir en accord avec sa voix ?
Tout d’abord il convient d’analyser objectivement sa voix, puis de revenir sur ce qu’elle évoque chez lui.
Le timbre est clair, légèrement nasal, la fréquence est normalement grave, et l’intensité est correcte. Il a de la puissance sauf lors de la prise de parole en public. Le débit est un peu rapide, mais reste correct également.
En revanche, il éprouve une gêne lorsqu’il s’entend. On lui demande de noter sa gêne avec une note de 0 à 8 selon ce qui est évalué. 0 est un niveau de gêne nul, et 8 est le niveau de gêne maximum. Il trouve sa voix désagréable à 7/8, inconfortable à 6/8, et la situation cible est fortement anxiogène : 8/8.
Il pense qu’il a une capacité de maîtrise de sa voix à 3/8. Les tensions dans la prise de parole en public sont à 7/8.
Il dit qu’il n’aime pas sa voix, il la voudrait plus masculine, moins nasale, et voudrait pouvoir contrôler ses intonations montantes.
Il pense que sa voix est un handicap face aux autres, et cela a des conséquences sur sa vie quotidienne, en ce sens que cette difficulté influe sur son état général, sur son travail, sur ses relations et sur la qualité et le contenu de la prise de parole. Sa voix ne lui donne pas confiance en lui et l’empêche de s’affirmer. Il ne s’exprime pas comme il le souhaiterait, sa timidité s’en trouve renforcée. Par ailleurs le fait qu’il ne veuille pas s’exposer aux enregistrements radio ou télé peut s’avérer défavorable pour lui, et peut lui porter préjudice professionnellement, d’autant que ses supérieurs l’ont déjà sollicité à plusieurs reprises ; il a refusé plusieurs fois.
L’analyse fonctionnelle de sa voix dans le problème cible qui est de parler en public, montre les liens qui existent entre ses pensées négatives au sujet de sa voix et les conséquences comportementales qui en découlent.
Détail de l’analyse comportementale et cognitive :
Cette analyse révèle les pensées négatives automatiques qui induisent le comportement vocal dysfonctionnel.
En effet, quand on demande à Thomas s’il a vécu dans le domaine professionnel des problèmes de discrimination ou d’injustice en lien avec son homosexualité, il répond négativement.
Il prétend assumer sa différence, il en parle facilement d’ailleurs. Mais il est à l’aise quand il décide lui-même d’en parler, dans des contextes opportuns, parce qu’il se dit pudique, et estime qu’il n’a pas à raconter sa vie sexuelle à tout le monde ni tout de suite. Certains pensent que s’il n’est pas capable de le dire tout de suite c’est qu’il est honteux, donc ils pensent qu’en fait il ne l’assume pas. Or il dit qu’il est simplement réservé, et il ne veut pas être assimilé à une « grande folle » !
Voilà le schéma de pensée de Thomas : « J’ai peur d’être pris pour une grande folle quand je parle, et d’être ridiculisé professionnellement notamment. »
À partir de là, on peut faire un travail cognitif pour remettre en question ses distorsions mentales. D’autant plus qu’à l’âge adulte, personne ne l’a jamais pris pour une « grande folle » quand il parle.
Il a tout de même ret...