Les Femmes et la Discrimination
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Les Femmes et la Discrimination

Dépression, religion, société

  1. 256 pages
  2. French
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Les Femmes et la Discrimination

Dépression, religion, société

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À propos de ce livre

Quel est le lien entre le statut des femmes et leur santé mentale? L'intérêt porté par les chercheurs sur les relations entre les conditions de vie des femmes et leur santé n'est que fort récent. Les troubles dépressifs et anxieux sont deux fois plus fréquents chez les femmes et en partie imputables aux discriminations qu'elles subissent. Car, en dépit des changements survenus au cours de l'histoire, la hiérarchie sexuelle se maintient dans le monde, y compris dans les sociétés occidentales. Pis encore, des menaces de régression assombrissent l'horizon féminin dans bien des contrées.Saïda Douki Dedieu analyse l'étendue des situations sociales pathogènes en s'intéressant tout particulièrement à la condition des femmes musulmanes. Pourquoi les résistances au changement sont-elles encore si fortes? Quels sont les freins à l'émancipation? La promotion du statut des femmes est pourtant une voie potentielle de prévention pour leur santé. Elle est aussi et peut-être surtout la condition indépassable de la démocratie et de la fin du «choc des civilisations». Saïda Douki Dedieu est professeur émérite de psychiatrie à la faculté de médecine de Tunis, professeur associée à la faculté de médecine de Lyon. Elle a occupé d'importantes fonctions dans le secteur de la psychiatrie en Tunisie. Elle est auteur et coauteur de très nombreuses publications scientifiques.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2011
ISBN
9782738185877
Première partie
L’angoisse au présent,
ailleurs plus qu’ici
Chapitre I
L’inégalité des genres
face à la maladie mentale
Le lourd tribut payé par les femmes aux troubles mentaux
De nombreuses études épidémiologiques à grande échelle attestent que les femmes paient un lourd tribut aux troubles mentaux. En effet, outre les pathologies qui leur sont spécifiques et qui sont liées à leur vie sexuelle et reproductive (trouble dysphorique prémenstruel, dépression du post-partum, psychose puerpérale), les femmes sont plus exposées que les hommes au risque de développer certaines affections mentales. Le tableau I montre que si les deux sexes sont également touchés par les maladies psychiatriques sévères mais relativement rares (trouble bipolaire, schizophrénie), et les hommes surreprésentés dans les catégories des toxicomanies et de la personnalité anti-sociale, en revanche, les femmes sont les principales victimes des pathologies les plus fréquentes comme les troubles dépressifs et anxieux. Le risque sur la vie de ces deux pathologies, souvent associées d’ailleurs, s’élève pratiquement à plus d’une femme sur deux et à « seulement » un homme sur trois.
tableau
Les études sont plus rares dans les pays arabes et musulmans, mais leurs résultats concordent avec les données internationales. Ainsi, une étude iranienne de 2005 rapporte des taux de troubles mentaux deux fois plus élevés chez la femme (14,34 %) que chez l’homme (7,34 %7). Ce sont surtout les troubles dépressifs, considérés comme le principal risque pour la santé mentale chez la femme, qui ont donné lieu à de très nombreuses recherches pour tenter de comprendre les facteurs qui sous-tendent cette différence.
Le lourd fardeau de la dépression
La dépression est une des affections les plus fréquentes et les plus invalidantes dans les deux sexes. Sa prévalence sur la vie est estimée, en moyenne, selon les études, entre 10 % et 20 %. Elle se situe, par ailleurs, d’après la dernière analyse de la CMM8 (2004), au premier rang des causes de handicap, exprimées en termes d’AVI (années vécues en incapacité) et au troisième rang des causes de morbidité définies en termes d’AVCI9 (années vécues corrigées de l’incapacité), tous âges confondus. Elle se hisse au premier rang chez les femmes de 15 à 44 ans. De plus, la charge de morbidité imputable à la dépression devrait encore s’accroître à l’avenir. En 2030, si la transition démographique et épidémiologique observée actuellement se poursuit, elle deviendra la première cause d’incapacité dans le monde, avant les maladies cardio-vasculaires ischémiques. Pour résumer, la dépression est un trouble mental courant, responsable d’une lourde charge de morbidité et d’incapacité, et qui devrait progresser au cours des vingt prochaines années. Or la dépression est, en moyenne, deux fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme, avec une prévalence ponctuelle de 3,2 % versus 1,9 % et une prévalence annuelle de 9,5 % et 5,8 %. Ce constat vaut pour les pays industrialisés comme pour un certain nombre de pays en développement. Aux États-Unis, l’ECA (Epidemiological Catchment Area) qui est la plus vaste étude épidémiologique réalisée en Amérique du Nord, a retrouvé un sexe ratio de 1,96 :110. Dans une étude internationale réalisée par l’OMS dans quatorze pays pour évaluer les différences entre les genres au niveau des soins de santé primaire, le sexe ratio pour la dépression majeure était de 2,111. Le même ratio a été retrouvé par l’enquête Anadep12 en France qui a montré que 23,5 % des femmes interrogées ont connu un tel épisode au cours de leur vie, contre 12,0 % des hommes. C’est pourquoi l’OMS considère la dépression comme « le plus lourd fardeau pathologique pour les femmes ». De fait, la seule dépression rend compte de 30 % du handicap lié à des troubles neuropsychiatriques chez les femmes contre 12,6 % chez les hommes13. La gravité de la dépression est liée à son potentiel de récurrence (35 % dans les deux premières années, 60 % dans les douze ans), de chronicité (20 %) et surtout de suicide (15 à 20 %).
Les conduites suicidaires : un problème de santé publique majeur pour les filles et les femmes dans le monde
En matière de suicide, trois données épidémiologiques semblaient solidement établies : le risque de passage à l’acte fatal est nettement moins élevé chez la femme, les sujets jeunes et dans les populations de confession musulmane. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à tenter de se suicider mais moins nombreuses à en mourir. Le taux de suicide est en moyenne 3,3 fois plus élevé chez l’homme (24 pour 100 000) que chez la femme (6,8 pour 100 000). Les tentatives de suicide, quatre fois plus fréquentes chez la femme, sont vingt fois plus nombreuses que les suicides. L’OMS14 estime aujourd’hui que les comportements suicidaires représentent un problème de santé publique majeur pour les filles et les femmes à travers le monde. Le suicide représente, en effet, la septième cause de mortalité chez les femmes de 20 à 59 ans à l’échelle planétaire et la cinquième au sein du groupe des 25-44 ans, devant les accidents de la route. Plus grave encore, il apparaît que le sexe ratio tend à s’équilibrer, voire à s’inverser. De fait, le suicide se hisse au deuxième rang des causes de décès féminins dans certains pays de la région du Pacifique occidental. En Chine, dans les zones rurales, le suicide est la première cause de décès chez les femmes adultes qui sont deux fois plus nombreuses que les hommes à se donner la mort. De même, les études commencent à indiquer une montée en fréquence des conduites suicidaires létales parmi les jeunes femmes dans des pays islamiques (Arabie Saoudite, Iran, Pakistan, Turquie) comme le rapporte une revue récente de la littérature15 (Razaien, 2010). Nous avions déjà observé ce phénomène en Tunisie, dès les années 199016. Toutes les études consultées par Razaien montrent en effet un taux plus élevé de suicides et de tentatives chez les femmes. À titre d’exemple, l’incidence des suicides par ignition à Ispahan (Iran) était trois fois plus élevée chez les femmes (4,7 pour 100 000) que chez les hommes (1,2 pour 100 000). De même, à Batman (Turquie), le taux de suicides féminins atteignait 9,3 pour 100 000 et ces suicides concernaient surtout des femmes jeunes âgées en moyenne de 20,7 ans. La gravité de la dépression maternelle est aussi liée à son retentissement sur la santé de l’enfant, surtout lorsqu’elle survient dans les premières années de sa vie.
Mères déprimées, enfants en danger
Environ 73 millions de femmes adultes à travers le monde souffrent d’un épisode dépressif majeur (EDM), c’est-à-dire caractérisé, chaque année. Or les troubles mentaux puerpéraux, dont la dépression du post-partum, touchent pratiquement 1 femme sur 10 (13 %) dans l’année qui suit la naissance. Et la dépression maternelle peut affecter sévèrement les interactions entre la mère et le nourrisson et perturber le développement psycho-affectif de l’enfant. La recherche dans le domaine a montré que la dépression de la mère exposait ses enfants à un risque élevé de pathologie psychiatrique. Ainsi, dans l’étude de Pilowsky17, le tiers (34 %) des enfants de mères dépressives souffraient, au moment de l’évaluation, d’un trouble mental (troubles des conduites, troubles anxieux et dépressifs) et près de la moitié (45 %) étaient exposés au risque de développer au cours de leur vie des troubles psychiatriques de même nature. La même équipe a aussi démontré que la prise en charge des mères suffisait à soulager l’enfant, dont le comportement s’améliore quand la mère est traitée avec succès. Quand elle survient plus tard dans la vie de l’enfant, la dépression de la mère peut le mettre dans la situation particulièrement douloureuse de « soignant », comme l’illustre de façon poignante ce poème de D. W. Winnicott (1963), intitulé « L’arbre » :
Mère en dessous pleure, pleure, pleure.
Ainsi l’ai-je connue.
Autrefois, allongé sur ses genoux,
Comme maintenant sur l’arbre mort,
J’ai appris à la faire sourire,
À endiguer ses larmes,
À réparer sa culpabilité,
À soigner sa mort intérieure.
La rendre vivante était ma vie.
Pourquoi les femmes sont-elles plus vulnérables à la dépression ? De la différence des sexes à l’inégalité des genres
La recherche a longtemps négligé les facteurs sociaux en faveur des hypothèses hormonales pour expliquer la plus grande fréquence de la dépression et d’autres troubles psychiques chez la femme. C’est seulement durant les dernières décennies que l’intérêt des chercheurs s’est porté sur la relation entre les conditions de vie des femmes et leur santé. Il apparaît aujourd’hui que, par-delà les facteurs génétiques, hormonaux ou psychologiques de vulnérabilité, des facteurs socioculturels sont également à l’œuvre, dans toutes les sociétés et surtout les plus traditionnelles, qui constituent des situations spécifiques de stress et d’exposition au risque morbide. Ainsi, les arguments avancés pour expliquer l’inégalité entre hommes et femmes au regard de la pathologie mentale associent des facteurs biologiques liés au sexe et des facteurs psychosociaux liés au genre.
Les concepts de sexe et de genre18
La distinction entre sexe et genre émerge à la fin des années soixante chez les féministes anglo-saxonnes et traduit une évolution majeure de la pensée. Le concept de « sexe » recouvre les caractéristiques strictement biologiques qui distinguent les femmes des hommes. Par opposition, celui de « genre » renverrait à la dimension culturelle de la sexuation du monde telle que définie par les notions de « masculin » et « féminin ». Cette distinction visait à mettre en question la réalité de la puissance explicative du sexe biologique et du lien, jusque-là considéré comme évident et inéluctable, entre les différences biologiques et les différences psychologiques et sociales. On voit donc l’enjeu tant scientifique que politique de la distinction entre sexe et genre. Il s’agit de montrer que la notion de sexe n’est pas aussi explicative qu’on l’avait prétendu et de démontrer la validité d’une approche de la réalité en termes de rapports sociaux de sexe plutôt qu’en termes d’une présumée « nature ». Autrement dit, il n’est plus concevable de réduire les différences entre hommes et femmes à la seule nature sans tenir compte de l’œuvre de culture. Ainsi, aujourd’hui, le terme de sexe est utilisé pour faire référence aux différences physiques innées (anatomiques, biologiques, génétiques, physiologiques) distinguant les femmes des hommes et celui de genre aux différences acquises (psychologiques, mentales, sociales, économiques, démographiques, politiques). Le terme « genre » renverrait donc plus directement à cet « ensemble de règles implicites et explicites régissant les relations femmes/hommes et leur attribuant des valeurs, des responsabilités et des obligations distinctes ». Le genre ou « sexe social » est l’identité construite par l’environnement social des individus, c’est-à-dire la « virilité » ou la « féminité », que l’on peut considérer non pas comme des données « naturelles », mais comme le résultat de mécanismes extrêmement forts de construction et de reproduction sociale, au travers de l’éducation. Elle a trait aux comportements, pratiques, rôles attribués aux personnes selon leur sexe, à une époque et dans une culture donnée. Cette construction sociale a, entre autres, un impact déterminant sur la santé. Par exemple, la prestation de soins, travail auquel sont attribués des problèmes de santé potentiels considérables, est généralement associée à un rôle féminin. Par ailleurs, dans certaines sociétés, on encourage les hommes à prendre des risques et à éviter de chercher de l’aide et du soutien, au détriment de leur santé. Le fait de tenir compte du genre et de toutes ses variantes est essentiel si l’on veut générer des connaissances pouvant améliorer la santé de tous. Cette distinction est particulièrement pertinente dans le champ de la santé mentale.
Différence des sexes et dépression
Des facteurs biologiques, notamment hormonaux, sous-tendent incontestablement les différences entre hommes et femmes, comme tend à le prouver l’incidence élevée des troubles dépressifs durant la vie reproductive de la femme. La labilité de l’humeur associée aux changements hormonaux au cours du cycle menstruel et après l’accouchement est un phénomène bien connu. Et, de fait, la différence du risque dépressif entre hommes et femmes dépend de l’âge : l’écart est maximal chez les adultes, absent pendant l’enfance et peu marqué chez les personnes âgées. Les taux plus élevés chez la femme s’observent à partir de la puberté, persistent durant la vie reproductive puis déclinent progressivement. Il paraît évident que les différences de prévalence sont associées à des facteurs hormonaux. Toutefois, les facteurs psychologiques et sociaux n’y sont pas non plus étrangers. En effet, le sexe ratio varie aussi selon les pays, allant de 1,6/1 à Beyrouth et Taiwan à 3,5/1 à Munich19, donnant à penser que la vulnérabilité accrue des femmes à cette pathologie pourrait également résulter de facteurs d’environnement. En d’autres termes, les différences entre hommes et femmes au regard de la dépression seraient autant l’effet du sexe que du genre.
Inégalité des genres et dépression
Les auteurs sont unanimes à incriminer le statut social des femmes dans leur exposition au risque dépressif ou suicidaire. L’OMS20 estime ainsi que « le rôle traditionnellement dévolu aux femmes dans les sociétés les expose davantage au stress et ne leur permet guère de changer leurs conditions d’existence ». Parmi les facteurs de stress, l’organisation cite la multiplicité des rôles et la charge de travail, le chômage, les emplois peu qualifiés, la pauvreté, la discrimination et la violence domestique. De même, « la différence entre les rôles sociaux des hommes et des femmes pourrait également expliquer en partie les comportements suicidaires. Dans certaines cultures, les inégalités sociales et l’appartenance à des unités sociales fortement structurées, en particulier des familles patriarcales, sont des facteurs de risque du comportement suicidaire féminin ». C’est exactement ce que montre Razaïen qui impute l’augmentation des conduites suicidaires féminines dans les pays musulmans à la conjugaison de facteurs qu’il appelle les quatre « M » pour Méthode (de suicide), Mental (trouble), Mariage (forcé) et Masculine (supériorité). Et de conclure que « ce que révèlent ces conduites, accomplies par des femmes jeunes, mariées, analphabètes et pauvres, c’est la souffrance de ces femmes dans des sociétés patriarcales, conservatrices ». Nous allons illustrer le déterminisme psychosocial de la vulnérabilité des femmes et notamment le rôle de leur statut social en comparant la prévalence de la dépression dans deux pays arabo-musulmans. Cette comparaison invite fortement à penser que l’égalité entre les genres contribue indéniablement à réduire le risque dépressif.
Égalité des genres et dépression : un exemple éloquent
Deux études épidémiologiques ont été réalisées en Tunisie et aux EAU (Émirats arabes unis), pour évaluer la prévalence de la dépression et de la schizophrénie en population générale, en utilisant le même instrument de mesure, le CIDI (Composite International Diagnostic Interview). La première21 étude a inclus 5 000 sujets adultes et a retrouvé une prévalence de la dépression majeure de 9 % chez les femmes vs 7,4 % chez les hommes, avec une légère différence entre les genres de 1,2. La seconde étude22 effectuée aux EAU sur un échantillon de 1 394 sujets, a rapporté un sexe ratio de six femmes pour un homme. Par contre, il n’existait aucune différence concernant la schizophrénie qui est considérée comme une affection « endogène », c’est-à-dire à déterminisme principalement biologique. Par-delà les limites méthodologiques (les échantillons de population étudiée ne sont pas strictement superposables), on ne peut manquer de se demander si cet écart significatif ne témoigne pas de la différence de statut social des femmes dans les deux pays ? Razaïen avait déjà fait observer que la Tunisie était un « pays plus moderne » et les EAU, un « pays plus traditionnel ». La Tunisie est, en effet, le seul pays arabe et musulman, à avoir mis en œuvre depuis plus de cinquante ans, une politique soutenue d’émancipation des femmes. Le pays a d’emblée opté, au lendemain de l’indépendance, en 1956, pour un modèle de société qui associe hommes et femmes à son édification. Le Code du statut personnel23 promulgué le 13 août 1956 (date célébrée depuis chaque année comme la fête de la femme) abolissait la polygamie et la répudiation, établissait un âge minimal au mariage à 17 ans et imposait la condition de consentement des deux époux à l’union. Les réformes ne cessèrent plus de se succéder pour garantir le droit des fillettes à l’instruction et le droit des femmes au travail et à un salaire égal, pour abolir le devoir d’obéissance de l’épouse et promouvoir la coparentalité, pour permettre la transmission de la nationalité par la mère, pour lui garantir le droit de garde des enfants en cas de séparation et la pension alimentaire, pour sévir contre la violence conjugale, etc. Les Tunisiennes pourraient presque revendiquer aujourd’hui l’égalité en droit avec leurs compatriotes masculins que leur avait promise la Constitution dès 1959. Ne fussent quelques exceptions notables concernant l’héritage ou le mariage avec un non-musulman, que la démocratie espérée aujourd’hui ne manquera certainement pas de régulariser. Du moins, peut-on en rêver… Et la question se pose inévitablement de savoir si le statut relativement privilégié des Tunisiennes n’exerce pas un effet protecteur contre la dépression ?
L’inégalité des genres multiplie, en effet, tout au long de la vie de la femme, les facteurs et situations de risque propices au développement de troubles mentaux. Ici et surtout ailleurs, les femmes ont si peu de droits (intangibles) et tant de devoirs (imprescriptibles). Et ce, dès la naissance.
Chapitre II
Si peu de droits intangibles,
ailleurs plus qu’ici
Le droit à la vie ? Toujours pas garanti !
« Pourquoi es-tu venue au monde, ma fille, quand un garçon je voulais ? Va donc à la mer remplir ton seau, puisses-tu y tomber et t’y noyer. »
Extrait d’une chanson populaire indienne.
« L’élimination quasi systématique de la femme à venir est en marche dans une grande partie de l’Asie. »
Manon LOIZEAU.
La discrimination envers les filles commence dès la naissance voire, grâce aux progrès de l’obstétrique, dès la détermination prénatale du sexe du fœtus et est, dans une grande partie du monde, synonym...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Préface
  5. Prologue
  6. Introduction
  7. Première partie - L’angoisse au présent, ailleurs plus qu’ici
  8. Seconde partie - L’angoisse au futur, ici et ailleurs
  9. Notes