Du bout des lèvres
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Du bout des lèvres

  1. 128 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Citations

À propos de ce livre

« Du bout des lèvres, on fait des confidences. Sans appuyer, sans même argumenter, en se laissant tout simplement aller. On dit alors ce qu'on ne dit jamais, les paroles vagabondent, les mots s'amusent (pour une fois, ils en ont le droit). Peu de vies – je peux en témoigner – ont été aussi riches et actives que celle de Peter Brook. Passent ici, comme en se jouant, un souffle puissant, des murmures rares, porteurs de rires et aussi d'émotions nécessaires. Ce sont les confidences de nulle part ailleurs. Peter est, comme son nom l'indique, un ruisseau, une source d'eau toujours fraîche et claire qui fertilise toutes les terres qu'elle traverse. On boirait cette eau, à la régalade, car c'est une eau qui donne soif. J'ai travaillé à ses côtés pendant près de quarante ans. Et pourtant, en le traduisant, j'avais l'impression, à chaque page, de l'écouter pour la première fois. » J.-C. C. Peter Brook est l'un des plus grands dramaturges contemporains. Il a mis en scène de nombreuses pièces pour la Royal Shakespeare Company et pour le théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Ses productions, comme Timon d'Athènes, Mesure pour mesure, La Conférence des oiseaux, ont marqué l'histoire du théâtre. Il a également mis en scène des opéras et réalisé plusieurs films, dont Moderato cantabile, Le Roi Lear et Le Mahabharata en collaboration avec Jean-Claude Carrière. Jean-Claude Carrière est scénariste, dramaturge, écrivain, traducteur. Il est l'auteur de grands succès comme Einstein, s'il vous plaît, Fragilité, Tous en scène et, plus récemment, Croyance ainsi que La Paix.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2018
ISBN
9782738139931
Sujet
Art

TROISIÈME PARTIE

LE GRATTE-CIEL


Ainsi, il y a « des mots, des mots, des mots », comme le dit Hamlet, un livre à la main, et nous avons besoin d’eux. Il n’existe aucun moyen d’y échapper, mais ils ne constituent jamais une conclusion, ils n’achèvent rien, ils sont au contraire un point de départ.
Chaque mot écrit par Shakespeare est un point de départ. À commencer par le mot « Shakespeare ». Et je m’apprête à défendre bec et ongles, même si cela peut paraître dogmatique, tout ce que ce mot renferme.
Car je le crois très fermement.
Au moment où quelqu’un, n’importe qui, n’importe où dans le monde, déclare « Shakespeare pensait » ou « Shakespeare a dit que », nous nous attaquons réellement au plus profond mystère, à la plus grande énigme de toute l’histoire littéraire.
Cette vastitude, cette immensité que nous appelons « Shakespeare », nous sommes en train d’en faire quelqu’un qui serait capable de s’asseoir là, avec nous, et qui pourrait tout aussi bien nous dire ce qu’il pense, ou ce qu’il ressent, de la politique du moment, de la religion, et des êtres humains en général, à tous les niveaux concevables.
Cependant, si nous y regardons d’un peu plus près, nous constatons qu’il n’existe pas la moindre trace du « point de vue » de Shakespeare, à l’exception d’une œuvre très particulière, Les Sonnets, où par moments, comme dans un journal, il exprime sur certains sujets précis, en relation le plus souvent avec l’amour, son expérience apparemment personnelle.
Ainsi, dans les sonnets, nous entendons par moments Shakespeare dire « j’ai pensé », « j’ai senti », « j’ai vécu ». Cependant, si nous prenons toutes ses pièces, chaque acteur, chaque metteur en scène – même s’ils l’ignorent (pour notre grand dommage et le leur) – peut déceler que chaque personnage est un être humain pleinement développé.
Impossible de trouver, dans toute son œuvre, quelqu’un de qui Shakespeare aurait pu dire, tout simplement, en quelques mots : « Oh, celui-là, c’est un petit salaud », ou « Celle-ci est un monstre fait femme », ou encore « Ah, voici enfin une bonne personne ».
Non. Chacun de ses personnages, au moment où il s’exprime, ou agit, le fait en mettant en jeu cette totalité qui constitue un être humain.
Comme pour tout être humain, cette totalité peut sembler limitée. Certains peuvent apparaître minces, timides, d’autres braillards et turbulents. Il s’agit quelquefois d’hommes et de femmes très simples, très pauvres, et même limités, étroits, mesquins.
Quelquefois, au contraire, ils nous semblent très larges, extrêmement complexes – et cette complexité est une richesse que le théâtre nous permet, nous invite même à partager.
Quand nous rencontrons quelqu’un dans la rue, ou ailleurs, et si nous n’avons qu’un bref moment pour nous entretenir avec cette personne, nous n’aurons d’elle qu’une image rapide, une connaissance superficielle. « Ah, tiens, bonjour, comment allez-vous ? D’où venez-vous ? Et que faites-vous dans le coin ? »
Mais sur ce petit espace que dessine une scène de théâtre, en deux ou trois heures, ce qui dans la vie ordinaire pourrait facilement demander – le premier psychiatre venu vous le dirait aussi bien que moi – dix ou même quinze ans pour commencer à connaître cette personne-là, nous pouvons en percevoir différents aspects en un temps très court, parfois même immédiatement, dès notre première rencontre.
C’est à cela, en particulier, que sert un monologue. Dans un monologue se trouve tout ce que cette personne a vécu, jour après jour, sentiments, sensations et pensées, et cela nous conduit à ces mots-là, que nous entendons, là, maintenant.
Et voilà qui nous ramène à ce que j’appelle le « gratte-ciel ».
J’utilise ce mot comme toutes les métaphores, ou comparaisons : un raccourci de ce qui, d’une autre façon, demanderait un temps d’explication étiré, très long – et même assez ennuyeux, à l’occasion. Une simple image, en un instant, peut présenter une large quantité de niveaux de compréhension, autrement dit de sens. Et cela vaut pour chaque mot de ces trente-cinq, trente-six pièces, si nous les considérons en un seul volume, comme un tout, que nous appelons les « œuvres de Shakespeare ».
Comme je le suggérais en commençant, cette quantité de niveaux superposés peut être immédiatement perçue si nous employons le mot « gratte-ciel ».
Que savons-nous d’un gratte-ciel ? Quel qu’il soit, où qu’il se dresse, il a ses racines, il a un sous-sol, des caves (qui se trouvent parfois inondées, qui même peuvent s’abîmer dans la terre, ou dans les entrailles du monde, pour le meilleur ou pour le pire).
Au-dessus, petit à petit, une construction s’est édifiée qui conduit, à la fin, d’étage en étage, à ce qui dans tous les temps – et pas seulement dans la chrétienté, mais aussi dans les autres religions – s’est appelé l’Église.
Mais l’Église que nous connaissons, cet édifice suprême, nous pouvons tout aussi bien dire qu’il s’agit des œuvres complètes de Shakespeare. Si nous joignons nos mains, et si nous dressons l’un de nos index, nous pouvons même y apercevoir un clocher, pointé vers le ciel.
Dans un gratte-ciel – transportons-nous dans une célèbre cité de gratte-ciel, à New York –, nous pouvons être touchés, et même souvent émus, particulièrement au soleil couchant, par la beauté de ce que nous contemplons. En même temps, dans une église, dans une cathédrale, nos yeux s’élèvent tout naturellement vers l’infini.
Bien sûr, nous oublions très facilement, très vite, ces impressions, ces sentiments, spécialement si le temps est mauvais – et même quand il fait beau nous trouvons quelquefois que la température est trop élevée, qu’il fait trop chaud, ou trop froid, et nous nous sentons incommodés.
Parfois aussi nous sommes trop préoccupés par nos soucis de tous les jours. Alors nous marchons, de rue en rue, sans oublier que, de notre point de vue, cet endroit turbulent, riche et dangereux dans lequel nous vivons, cette rue, ce marché qui est en ce moment le nôtre, est en réalité le monde tout entier.
Nous nous arrêtons et nous pouvons nous rendre compte, en un coup d’œil, que tout cela n’est en fait qu’une minuscule fourmilière dans l’univers.
Pourquoi le terme « gratte-ciel » m’est-il utile ? Parce que cette image est pratique, à la fois pour le monde où nous vivons et pour les œuvres de Shakespeare.
Dans un gratte-ciel, on trouve toujours un sous-sol obscur, humide et souvent puant, où est ourdie la pornographie, par exemple. Nous comprenons assez vite, en nous tenant toujours à l’intérieur de cette métaphore, que le mot « qualité » n’est pas statique, figé. Il recouvre, en réalité, il suppose une hiérarchie. Étage après étage, nous nous élevons jusqu’à voir le ciel s’ouvrir, et nous sentons alors que Shakespeare, sans le moindre doute, est le plus élevé de tous les gratte-ciel.
Essayons là aussi d’entrer dans le détail.
Dans les œuvres de Shakespeare, nous découvrons, à chaque instant, chacun le sent, un nombre illimité de niveaux. Et là, thème après thème, personnage après personnage, phrase après phrase et même, à la fin, mot après mot, nous pouvons ou bien passer en vitesse, ou bien sentir, subtilement, qu’à chaque étage, qu’à chaque porte, un autre niveau de sens apparaît. Ces mouvements peuvent nous conduire aux étages supérieurs, parfois aussi aux étages inférieurs (je parle des niveaux de sens), et quelquefois même à ce moment de stupéfaction, ce silence où – comme nous le disons avec une certaine facilité – les mots nous manquent.
Pour commencer, regardons notre gratte-ciel. Nous entrons par la porte principale, nous prenons un ascenseur. Il peut nous conduire, étage par étage, directement au sommet, sans que nous sortions du même édifice.
Et cela peut s’appliquer à un mot, à un simple mot. Songeons de nouveau avec quelle facilité, au lendemain de telle ou telle party, nous pouvons dire (comme je l’ai déjà remarqué) : « Oh, c’était divin ! »
De même, nous pouvons entrer dans une boutique et demander « une crème pour le visage zen ». Cela existe. La totalité de notre culture, de notre mode de vie, repose ainsi sur quelques mots qui vont au-delà du mot lui-même, qui viennent parfois de loin, qui apportent quelque chose de plus que leur sens quotidien, ordinaire, auquel nous nous étions habitués.
Même le mot « sacré » se voit rapidement désacralisé (« un sacré beau voyage », ou même « un sacré beau spectacle », entendons-nous, ou « une sacrée belle fille »), et cependant ces mots nous donnent encore quelque léger parfum, quelque indice de « quelque chose en plus ».
Ainsi, nous prenons l’ascenseur, nous sommes toujours dans le même building, nous traversons tous ces étages, et encore d’autres étages, jusqu’à notre arrivée tout en haut, au niveau le plus élevé, et là encore nous pouvons ouvrir une porte, sortir… et cette « sortie » est précisément le moment où toutes les briques, toutes les poutrelles, tout le béton, toute la machinerie, tout cela, d’un seul coup, s’évanouit.
Nous sommes dehors, nous sommes dans la lumière et dans l’air, et si nous revenons alors à notre sujet, les œuvres de Shakespeare, nous voyons qu’elles sont précisément ce moment-là, et que nous pouvons peut-être en tirer une méthode de travail.
Ce sont en effet des moments de grâce, des moments merveilleux. Après de longs et durs efforts, quiconque dirige une pièce, joue dans une pièce, ou même l’étudie, voit que ses efforts, ses durs efforts pour aller toujours de l’avant, sont comme l’ascension d’un très haut building, pas après pas, comme un long travail de répétition, et enfin… « Ouf, enfin, ça y est ! Nous sommes arrivés ! »
Et c’est alors que nous réalisons que non, que nous n’en sommes qu’au huitième étage, que nous avons encore un long chemin à parcourir.
Ah, sacré bon Dieu de bon Dieu, il nous faut tout recommencer…
Or, quand vous recommencez, le processus reste toujours le même. Vous vous élevez, encore, encore, arrive un point où vous avez accompli le dernier effort, vous avez atteint le tout dernier étage, vous pouvez pousser cette dernière porte, et soudain tout effort disparaît. Vous êtes là, dehors, vous êtes devenu ce qui vous entoure. Vous êtes dehors et dedans.
Et cela va plus loin encore : si vous regardez en bas, vous voyez toute l’agitation des hommes, l’activité de la rue, de la place du marché, vous savez même que tout cela est aussi réel que toute autre activité humaine.
Oui, voilà ce que nous sommes, et si vous regardez plus attentivement encore, vous pouvez même voir la police charger et frapper les gens sur la tête, plus fort encore aujourd’hui que jamais, mais vous-même, vous n’y perdez rien. Car ce spectacle qui ne vous échappe pas, n’enlève rien, en même temps, à ce que vous êtes, à votre personnalité.
Une simple réplique de Shakespeare suffit à le dire : « Il y a un monde ailleurs » (Coriolan, III, 3).
Revenons un instant à ces mots redoutés, car ils sont tellement secs, et théoriques, l’« ésotérique » et le « profane ». Ce sont des mots de dictionnaire, des mots que nous n’entendons pas de la bouche de Shakespeare lui-même, mais d’un personnage à qui il a donné vie, de quelqu’un qui s’écrie par exemple : « Pendez la philosophie haut et court ! » (Roméo et Juliette, III, 3).
Il se trouve sans doute des philosophes professionnels parmi vous, qui lisez ceci, et pardonnez-moi si je parais vous harceler de la sorte, mais tout cela est inséparable de tous ces pas, de tous ces mots, des mots qui conduisent à des définitions, à des analyses de telle ou telle pièce, à un apparat critique, à des notes en bas de page – toutes choses utiles, certes, pour les « chercheurs » –, mais arrive un moment où nous nous rendons compte, clairement, que ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit.
Ce qui nous ramène à ce mot tant redouté, « ésotérique ».
« Ésotérique » et, à l’opposé, « profane ». À mon sens, ils méritent d’être examinés parce que dans tout Shakespeare, pièce après pièce, phrase après phrase, nous trouvons ce mouvement sans fin de l’ésotérique au profane, quelque chose qui soudain s’ouvre vers le surnaturel, ou simplement vers l’inhabituel, l’extraordinaire, pour être aussitôt, délibérément, rejeté dans l’humus de la vie ordinaire.
Mais que veut dire, en fin de compte, « ésotérique » ? Il me semble que, de nos jours, les religions en tant que telles, aussi bien que ce qu’on appelle ordinairement « spiritualité », sont mal nommées. Ce n’est que justice si, au fil des siècles, à force de tant d’abus, leur réputation s’est ternie. Pour la r...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Quelques mots du traducteur
  6. Prologue
  7. Première partie
  8. Deuxième partie
  9. Troisième partie
  10. Table