L' Audace de Sapiens
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L' Audace de Sapiens

Comment l'humanité s'est constituée

  1. 272 pages
  2. French
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L' Audace de Sapiens

Comment l'humanité s'est constituée

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À propos de ce livre

On ne peut expliquer la fulgurante expansion d'Homo sapiens sur toute la Terre que par la puissance totale accordée à son audace, à son imagination et à sa quête d'autonomie. Par l'action de sa pensée, l'homme a en effet combattu les lois biologiques et a défié toutes les contraintes environnementales, sans jamais s'y réduire. Cette succession de défis surmontés se trouve, par exemple, illustrée dans l'acquisition de la bipédie, le façonnement d'outils, la construction d'abris élaborés, le contrôle du feu, les pratiques rituelles, l'élaboration de récits mythiques, les créations artistiques… Pour le préhistorien Marcel Otte, il est temps de réinjecter intelligence, responsabilité et lucidité dans la lecture de la prodigieuse aventure humaine, celle qui nous a apporté tant d'émerveillements, de fascinations, de rêves. Ces populations ont tout inventé, du plus beau au plus utile, mais aussi au plus fatal, guidées par leur seule audace! La grande aventure d'Homo sapiens, richement illustrée, avec ses contraintes, ses défis et ses conquêtes! Marcel Otte est professeur de préhistoire à l'Université de Liège. Auteur de nombreux ouvrages de référence, il est spécialiste des échanges culturels durant le paléolithique et dirige de nombreuses fouilles en Europe et en Asie. Il a notamment publié À l'aube spirituelle de l'humanité. Une nouvelle approche de la préhistoire.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2018
ISBN
9782738143655

1.

Se déplacer


L’aventure migratoire

Depuis 1 million d’années, le continent européen a été occupé par l’homme sans interruption. Les populations successives, issues d’Asie ou d’Afrique, s’y sont concentrées en se développant sans cesse. Leur relatif isolement continental a provoqué deux réactions combinées à long terme : des traits anatomiques s’y sont spécialisés et les apports extérieurs y ont été assimilés, sans trace notable.
Durant cette immense période, l’augmentation démographique du continent a créé une masse telle qu’elle est devenue homogène, puis s’est mise elle-même à diffuser vers ses marges asiatiques (Néandertaliens du Moyen-Orient). Or ces populations extrêmement bien adaptées et en constant équilibre culturel et économique ont brusquement été confrontées à des migrations d’origine externe beaucoup plus conquérantes, à la fois par la monte des animaux, par une mythologie nouvelle, par une technologie très perfectionnée et par leur simple esprit audacieux.
Cette arrivée des hommes modernes n’est pas qu’une affaire démographique, elle a ébranlé les convictions des populations anciennes ainsi confrontées à des systèmes de valeurs inédits et « sacrilèges ». En particulier l’usage de l’image incarnant un mythe a dû paraître aussi scandaleusement novateur qu’efficace, car il témoigne de pratiques métaphysiques supérieures à celles des civilisations qui n’en possèdent pas et il fut ainsi rapidement adopté. Plus simplement, les pendeloques faites de vestiges animaux montrent la dépouille utilisée comme moyen de statut social, comme un signe dont aucun peuple n’avait voulu faire usage auparavant. Les méthodes techniques, utilisant les matières animales, et les supports d’outils légers n’ont pas seulement joué comme modèles judicieux pour leur meilleure efficacité, ils ont surtout donné une ouverture séduisante à des besoins satisfaits jusque-là de tout autre manière.
L’ensemble de ces nouvelles audaces, de la monte à l’image, a fait vaciller les consciences de ceux qui, en possédant les moyens, n’en avaient pas imaginé la mise en œuvre transgressive. Les nouvelles réalisations, combinées par des peuples échappant aux règles multimillénaires, ont ébranlé les convictions admises jusque-là par les modes de vie traditionnels. Cette perte de foi dans les coutumes et cette fascination devant un monde embelli par l’image et par la mobilité ont provoqué l’effondrement de leurs systèmes sociaux, bien plus sûrement que toute extermination physique. Au contact des hommes modernes, de leur audace et de leurs manières de vivre, les sociétés néandertaliennes se sont diluées par perte de foi en elles-mêmes, comme tous les peuples exotiques actuels devant les colons européens. Il ne faut chercher ailleurs ni la disparation des Néandertaliens ni le succès définitif des hommes modernes en Europe, condamnés, eux, à toujours répondre à leurs besoins internes d’innovations perpétuelles, comme nous le sommes encore.
Souvent, la question de savoir pourquoi, après des centaines de millénaires de stabilité démographique, il y a eu de si intenses migrations vers l’Europe m’a été posée. L’hypothèse d’un accroissement démographique extérieur vient spontanément à l’esprit : les Néandertaliens, relativement peu nombreux dans cette Europe disposée en poche géographique limitée par les mers, auraient été submergés par d’autres populations au rythme démographique plus important dans leur lieu d’origine, quel qu’il ait été. Cette composante ne peut être écartée et se trouve d’ailleurs argumentée par de nombreux éléments objectifs (nombre de sites, technologie plus efficace). Mais elle ne justifie pas l’audace nécessaire pour changer de continent, s’affronter à d’autres peuples, assimiler d’autres coutumes, trouver de nouvelles explications à des mondes nouveaux, perdre ses origines millénaires, bref reconstituer un tout autre mode de vie, de systèmes de valeurs et s’adapter à une mosaïque géographique et culturelle sous des modalités complètement déstabilisées. La folie qui s’est emparée des conquistadors espagnols pourrait donner une idée du mécanisme réellement opérationnel, mais clairement de nature irrationnelle. En un siècle, toute la métaphysique multimillénaire qui a forgé les civilisations précolombiennes a été totalement anéantie, détraquée, inutilisable, oubliée par une seule poignée de soldats espagnols déboussolés, sans force et sans conviction.
Mais leur modèle existentiel n’a pas tué physiquement, il a ébranlé les fondements de la foi, sans laquelle aucune civilisation ne peut persister. Un peu comme les Eskimos sur les banquises de Thulé, séduits par la facilité d’un briquet américain, se sont mis à déconstruire toute leur mythologie, dont le feu était un élément primordial dans l’accomplissement rituel. À partir du simple briquet, toute la mythologie pouvait être remise en question, modes de vie inclus (Malaurie, 1976). Les mécanismes mis en œuvre lors de déplacements massifs réussis sont d’une extrême complexité et impliquent nécessairement des phases de prospections, de contacts préalables et de découvertes progressives d’autres termes ; les migrations procèdent d’un choix, calculé, délibéré, consenti collectivement et préparé par des phases de contact durant lesquelles les acculturations (transformations par contacts), même lointaines, ont pu avoir lieu. Sans connaître leurs langues, il était évident que des populations distinctes (Neandertal/Cro-Magnon) étaient en présence, par les aspects physiques, les vêtements, les activités techniques, où les matières osseuses n’étaient pas utilisées, mais les matières végétales très abondantes. Une inversion des méthodes et des valeurs opposait radicalement les populations locales aux migrants. Tuer un animal avec ses propres armes (sagaies en bois de renne) paraissait sacrilège aux yeux des Néandertaliens qui n’avaient jamais utilisé que des bois ou de la pierre. La monte du cheval par les nouveaux arrivants devait apparaître aussi extraordinaire qu’elle le fut devant les cavaliers espagnols au Mexique. Essentiellement, deux phénomènes se combinent à la source de cette migration, rapide et dense, des hommes modernes en Europe : la fascination ressentie par les autochtones et l’audace des allochtones, et seulement en parallèle avec la démographie.
Toute migration est toujours précédée par une phase à motivation totalement irrationnelle, faite d’audace, de curiosité, d’exploit. Pourquoi aller sur la Lune ? Sûrement pas sous la pression démographique terrestre. Les passages humains à partir des aires tropicales vers les zones septentrionales de l’Eurasie, en complète opposition avec nos aptitudes naturelles, ne sont dus qu’à des audaces successives et permanentes. L’occupation de la banquise par les Eskimos forme comme une insulte à la théorie du déterminisme environnemental. Tout à l’inverse, l’homme se définit par les défis qu’il surmonte, les autres « explications » cherchent à rassurer les vieilles dames lors des dîners. Les découvertes des côtes de l’Afrique, déjà entreprises par les Phéniciens (« Périple de Jason », Decret, 1977), poursuivies par les Portugais, n’ont eu pour seules motivations que de défier les limites de l’inconnu, en faisant basculer une partie des humanités sauvages (« prébibliques ») du côté d’une réalité maîtrisée, d’abord par l’intellect, ensuite par l’économie lorsqu’on perd son âme. Seul le goût du dépassement des conditions culturelles senties trop pesantes a d’abord motivé ces explorateurs du premier âge.
De toute évidence, les migrations de populations « modernes », de l’Asie vers l’Europe, furent longtemps précédées par de tels pionniers, durant des milliers d’années. Néandertaliens et Modernes connaissaient réciproquement leurs existences et leurs coutumes ; leurs rencontres ne furent pas des découvertes, mais des confrontations : les mêmes territoires devaient être partagés. Un des arguments en cause tient à la présence simultanée des deux populations au cœur du Moyen-Orient : le Zagros possède à la fois des Néandertaliens associés au moustérien (Shanidar, Irak) et des hommes modernes associés à l’aurignacien (Eshkafte Gavi, Iran ; Otte et Kozlowski, 2007). Symétriquement, les traditions récentes néandertaliennes subissent des infléchissements caractéristiques en Europe. Le châtelperronien (peuples acculturés entre Neandertal et Cro-Magnon) présente le cas le plus net, avec des restes humains clairement néandertaliens et des outils orientés vers les techniques des hommes modernes, encore pourtant très éloignés, vers 45 000 ans. Les influences se sont fait sentir par l’adaptation de nouvelles valeurs, dont les décorations corporelles, empruntées au règne animal et totalement étrangères aux pratiques néandertaliennes (Maison des Roches). Un peu partout en Europe, des réactions aux idées nouvelles, encore extérieures au continent, se font sentir, dans une évolution accélérée des techniques et des styles, comme si les différentes traditions se cristallisaient afin de mieux exister.
Inversement, on assiste à une radicalisation de la civilisation aurignacienne, toujours davantage caractérisée, à mesure de sa progression vers l’ouest. Où elle devient une caricature d’elle-même, celle qui l’a rendue si facile à percevoir dès les premières recherches, précisément limitées à l’extrême Occident (Lartet et Christy, 1875). Revenus en métropole, nos anciens colons présentent souvent cette insolite allure « démodée », car ils ont rigidifié les mœurs européennes à la rencontre de civilisations profondément différentes et auxquelles il fallait opposer un schéma comportemental intégral, « surdéfini ». Les Aurignaciens n’ont rien fait d’autre, comme toute population en exil ; les Américains n’ont plus rien d’irlandais, pas même d’anglais. Dans la péninsule européenne, les Aurignaciens ont forgé une nouvelle histoire de leur peuple, car les migrations à longue distance étaient devenues impossibles, et les innovations ultérieures ne pouvaient plus qu’être internes à leurs activités spirituelles ; Chauvet est issu de telles contraintes surmontées, comme toutes les innovations internes à l’Europe moderne, elles poussent l’humanité vers des expériences qui la dépassent, en réponse à des conquêtes extérieures, devenues désuètes.
Malheureusement, ces tensions exercées en interne peuvent tout aussi bien aboutir aux conflits, véritables exutoires d’un besoin existentiel déçu par l’histoire, les contingences et la géographie. À l’inverse des mouvements d’expansion, les conflits armés transcendent les mêmes besoins, les mêmes frayeurs et la même quête d’identification, comme à l’aurignacien européen, différencié sans fin par régions continentales, essoufflé par ses migrations transcontinentales, et désormais tenu d’assumer d’autres audaces, sous peine de disparition. Incidemment, il peut paraître intéressant d’observer l’effet radicalement inverse chez les Néandertaliens ; leur extrême durée se caractérise par la rareté des migrations interrégionales durant une centaine de millénaires, d’au moins 150 000 à 50 000 ans. On en retrouve toutefois quelques traces, comme les civilisations polonaises en Belgique (Prodniciens), ou celles d’Allemagne vers l’Aquitaine (Keilmessergruppe), mais de façon épisodique et superficielle. Toutefois, la première caractéristique des traditions moustériennes, illustrées par les styles techniques, réside précisément dans leurs localisations régionales. On les distingue aisément en parcourant les régions européennes transversalement, un peu comme les sensibilités nationales actuelles. Ainsi, tout porte à penser que les innovations successives propres à notre continent durant une si longue période se sont exercées précisément dans la définition de leurs particularités, tels les modes d’habitat, de chasse, de sépultures, de décorations et de styles (Otte, 2015b).
Les « découvertes », artistiques et techniques, sont alors des formes d’aventures intérieures à l’activité sociale. Les limites territoriales étaient respectées d’un groupe à l’autre, comme le prouvent les limites entre les styles techniques, et la transmission de ces valeurs devait aussi respecter les cloisonnements régionaux et, symétriquement, exclure les valeurs étrangères. Cette rigidité perpétuelle est d’autant plus remarquable durant de telles périodes qu’elle s’accompagne de fondements techniques absolument identiques à travers toute l’Eurasie. Du premier coup d’œil, la base de fabrication de tout outil moustérien, fait sur éclat, est immédiatement reconnue, sans la moindre hésitation, la plus légère controverse ; constatation plutôt remarquable dans des milieux habitués aux âpretés dialectiques.
À l’inverse, les civilisations des populations modernes se reconnaissent clairement étendues sur des territoires continentaux : les valeurs sont alors dispersées « à l’horizontal ». Cependant, dès le moustérien, on voit apparaître les mêmes aptitudes, manifestées dans la combinaison avec les matières osseuses, déjà attestées sporadiquement, spécialement en Asie centrale, en Sibérie et en Mongolie, montrant bien que les basculements techniques définitifs n’ont été qu’une affaire de choix dans une forme culturelle globale, et non de capacités techniques ou conceptuelles. Les traditions l’emportent toujours sur les aptitudes. Celles mises en présence à la fin de l’ère néandertalienne possèdent des valeurs inversement symétriques : les premières comprennent leurs valeurs dans la permanence, la stabilité, l’aire géographique limitée ; les secondes éveillent des valeurs de défis dans lesquelles leur existence ne vaut que par confrontation aux contraintes, inhabituelles, traumatisantes mais surmontées. Ces formes de motivations, ici schématisées, travaillent toujours aujourd’hui les sociétés humaines en quête de leur destin.
L’homme moderne est arrivé en Europe de manière brutale, intense et définitive. Son origine ultime est évidemment allochtone, et probablement, asiatique. En quelques milliers d’années (45 000 à 40 000 ans), tout le territoire européen fut profondément bouleversé par l’invasion de nouveaux peuples, génétiquement apparentés, et dont nous sommes les successeurs directs.
Ainsi, une vision en recul nous fait apparaître des expériences totalement distinctes dans les destins assumés par deux peuples sur le même territoire et dans les mêmes climats. Les Néandertaliens y ont vécu durant des centaines de millénaires selon des modalités par lesquelles la perpétuité des valeurs s’était exprimée sous la forme de coutumes, d’autant plus inébranlables que le succès de cette formule avait autorisé une telle persistance, intacte et homogène. Les coutumes s’en trouvaient ainsi justifiées, dans leurs répétitions et par leur succès. L’audace propre à l’esprit humain s’y exerçai...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Audace et évolution humaine
  5. 1. - Se déplacer - L'aventure migratoire
  6. 2. - Se redresser - Vers un nouvel équilibre anatomique
  7. 3. - Changer le monde - Outils et actions
  8. 4. - Transformer la vie - Le défi alimentaire
  9. 5. - S'abriter - D'autres modes de protection
  10. 6. - Créer des contacts - L'extension des réseaux
  11. 7. - Déléguer la mise à mort - Un autre rapport à l'existence
  12. 8. - Solidariser chacun - Le renforcement des liens sociaux
  13. 9. - Bâtir un système de valeurs - À la recherche d'un idéal commun
  14. 10. - Vaincre le doute - Le perfectionnement de la pensée
  15. 11. - Rêver - La puissance des mythes
  16. 12. - Émouvoir - La création artistique
  17. Les grandes civilisations du paléolithique supérieur en Europe
  18. Références bibliographiques
  19. Remerciements
  20. Table
  21. Du même auteur chez Odile Jacob