Manifeste pour une Europe souveraine

Jérôme Monod, Ali Magoudi

• Éditeur: Odile Jacob
• Année: 1999
• ISBN:
  9782738167675
• Sujet: Politique et relations internationales
• Sous-sujet: Constitutions

Pour une France libre dans une Europe souveraine. Pour une Europe respectueuse des individus et des nations. Pour une Europe démocratique et forte. Pour une Europe dotée d'une véritable constitution. Pour une Europe de cinq cents millions d'habitants. Pour une Europe contrepoids à la puissance américaine. Entre repli national et intégration fédéraliste, une voie originale. Jérôme Monod a été le directeur de cabinet de Jacques Chirac, lorsque celui-ci était Premier Ministre de 1975 à 1976. Il a été le premier secrétaire général du RPR. Ancien PDG de la Lyonnaise des Eaux, il est aujourd'hui président du conseil de surveillance de Suez Lyonnaise des Eaux. Ali Magoudi est psychanalyste. Essayiste, réalisateur de films, il est notamment l'auteur de Quand l'homme civilise le temps et de La Lettre fantôme.

VIII

Une morale pour l’Europe

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L’identité commune des Européens doit s’affirmer sans ambiguïté. Elle laissera leur place aux particularismes nationaux. Elle compensera les atteintes à la souveraineté des nations dont nous avons parlé. Elle sera la pierre angulaire de l’Europe en tant qu’Union souveraine de républiques et de monarchies.

Les éléments constitutifs de cette identité prennent toute leur valeur s’ils s’établissent simultanément : citoyenneté, état civil, légitimité de la monnaie unique, frontières stables, Constitution, Président élu au suffrage universel, exécutif responsable devant deux Chambres : Chambre des nations et Assemblée européenne. Ces structures politiques cohérentes donnent ensemble son sens à l’Europe de demain. Nous formulons ces propositions après la réunion exceptionnelle à Berlin, en mars 1999, du Conseil dont les résultats décevants ont gelé l’agenda de l’Union pour les six ans à venir. Nous les formulons aussi après les bombardements de la Serbie de Milosevic par l’OTAN, où le leadership américain a souligné la carence morale, politique et militaire de l’Europe.

Tous les chefs d’État et de gouvernement en exercice combattront la suppression pure et simple du Conseil européen et son remplacement par une présidence et une Chambre des nations. Pas un seul responsable en place n’acceptera un projet qui le sortirait du jeu de l’Europe des gouvernants. Nous avons montré que l’organisation actuelle menait à la régression : les chefs de gouvernement n’en continueront pas moins à gérer l’Europe de façon inadaptée à son avenir. La réaction négative des dirigeants à nos propositions sera aussi durable qu’elle aura été immédiate.

Nous ne souhaitons pas une Europe des nations, concept dépassé parce que sans perspective. Nous ne désirons pas une Europe des peuples, idée inachevée qui maintient la division au cœur de l’unité européenne. Nous voulons encore moins d’une Europe fédérale, réalité qui est contraire à l’histoire des Français, et n’apporte rien de neuf à celle des Allemands.

Nous voulons une Europe du peuple souverain. Un peuple, un seul, un peuple européen. Une Europe, une seule, une Europe souveraine. À travers les citoyens de chaque nation, nous nous adressons directement aux Européens qu’ils sont déjà. Grâce au suffrage universel, ils sont à même de changer le cap, de mandater des responsables nouveaux pour une Europe inédite. Aujourd’hui, l’Europe des hommes politiques et des juristes fait perdre aux citoyens de tous les États membres l’exercice de leur souveraineté de façon irrémédiable, sans qu’ils récupèrent une once de souveraineté européenne. Ils ne retrouveront leur liberté, ils n’échapperont au repliement sur soi, ils ne garderont ce qu’il y a de meilleur dans leurs traditions qu’en accédant à une nouvelle souveraineté, élargie à d’autres.

C’est dans l’Europe que chaque nation, par l’Union de républiques et de monarchies, trouvera les moyens et les raisons d’affirmer son existence dans le monde.

Nos propositions auront à recueillir l’assentiment de la majorité de la nation française et des autres nations européennes. Cette tâche de longue haleine sera celle de partis de rassemblement tournés vers l’avenir : en France, ce sera un Rassemblement pour une France libre dans une Europe souveraine. Ce Rassemblement reste à créer. Il se fondra dans les mouvements qui naîtront avec les mêmes ambitions dans les autres nations européennes.

Notre propos n’est pas de fournir le programme complet ni pour l’Europe souveraine ni pour l’architecture nouvelle de la France qui s’en dégagera. Les détails du pacte européen se négocieront le moment venu avec les intellectuels, les artistes, les syndicats, les associations, les partis politiques, le monde des affaires. Le pacte s’élaborera en tout état de cause devant l’opinion publique. Les fondements de ce pacte seront le suffrage universel européen et la Constitution. Cette dernière garantira une claire et véritable subsidiarité avec un strict partage des responsabilités et des missions entre niveau européen et national.

L’énergie libérée en France, comme dans chaque nation débridera l’imagination des groupes de citoyens que nous avons évoqués. Elle organisera une France décentralisée, moderne et dynamique aux structures renouvelées. Par exemple : association et fusion de communes ; création de communauté de villes ; disparition des départements ; limitation du nombre des régions ; administrations centrales modernisées et concentrées sur leurs fonctions essentielles ; ouverture des filières qui font accéder aux postes de responsabilité ; égalité effective des hommes et des femmes dans la vie publique comme dans la vie civile, réforme fondamentale de notre justice pour que les jugements qu’elle prononce au nom du peuple français soient la conséquence et le reflet de son indépendance, et que le respect des droits individuels et de la liberté de chacun soit complètement assuré.

Allons à l’essentiel. Voyons le contenu de la morale qui constituera l’épine dorsale de l’Europe, morale qui fédérera ses singularités irréductibles, exigence éthique qui mettra l’universel au service de la pluralité des convictions afin que se crée et s’exerce partout, et pour tous, un nouvel état de droit. Nul n’insufflera à l’Europe une vie digne de ce nom avec les seuls moyens que sont l’euro, l’organisation du commerce et la nouvelle architecture financière mondiales. La création d’un statut de « société européenne » qui permette à ceux qui l’ont adopté de nouer les alliances, les accords, les fusions d’entreprises européennes entre elles-mêmes ou avec les sociétés non européennes, l’adoption de règles de comptabilité internationale ouvrant aux entreprises qui le souhaitent l’accès aux marchés financiers du monde et notamment aux marchés américains constituent autant d’outils pour créer de la richesse que la Communauté européenne n’a pas utilisés. Outils indispensables mais insuffisants.

Dans sa vocation mondiale, l’Europe a une seule responsabilité et un seul devoir : garantir, dans la paix, le maintien et le devenir de la dignité humaine.

Dignité mise à mal par le hors-jeu économique de millions de personnes, avec son cortège de chômage, de fractures sociales et de souffrance. Dignité bafouée par la prolifération de groupes humains exclus de la communauté nationale, avec leurs détresses et leurs misères d’un autre temps. Dignité bafouée des nations historiques sans État où les combats de libération dévient les énergies créatrices vers la destruction et la mort. Dignité standardisée par une société où l’homme est soit totalement adapté, soit totalement rejeté. Dignité malmenée par les biogénéticiens qui se placent en dehors du champ des lois humaines et imaginent cloner l’homme à l’image de Dolly la brebis. Dignité détruite par la folie des dictatures, des purifications ethniques et des crimes contre l’humanité. Dignité annihilée par la gangrène des fléaux modernes, tels que la drogue ou les mafias qui se répandent aux quatre coins de la planète. Dignité limitée enfin par la banalisation des capacités culturelles des nations (dans l’éducation, la littérature, la musique, le cinéma, la télévision, le multimédia) au profit de l’hégémonie américaine. N’ayons pas peur des mots : la morale de l’Europe se mettra au service du monde pour un progrès de civilisation.

L’Europe sera ouverte et solidaire. Elle s’appuiera sur les principes énoncés plus haut pour créer plus de justice, lutter contre les hégémonies économiques et politiques, et établir des équilibres neufs entre les différentes parties du monde. Comment imaginer que nous saurions créer pour nous, Européens, un espace géopolitique qui assure bien-être, éducation d’excellence, ordre et sécurité ; une Europe qui contienne l’immigration, garantisse à chacun un système de santé, une retraite. Comment croire à cette félicité dans un monde qui irait s’appauvrissant, si nous ignorons les intérêts du reste de la planète ou les exigences de la justice universelle ! L’Europe trouvera dans son passé comme dans sa nouvelle puissance la façon de parler et d’agir avec les pays les plus pauvres de la planète, parfois si proches d’elle géographiquement, pour ne pas être la cible de chantages ou d’invasions en masse par les populations qui désespèrent de leur pays.

Sa puissance économique, son influence culturelle, lui permettront d’être un partenaire de premier rang, nous l’avons vu, avec le Mercosur en Amérique latine, avec l’Organisation de l’unité africaine, avec l’Afrique australe, avec l’association des pays du Moyen-Orient, avec la zone de libre-échange du Sud-Est asiatique. L’Europe a vocation d’aider à l’équilibre du monde en luttant avec les plus petits pays contre l’égoïsme des grandes puissances. Elle a aussi vocation à maintenir les coutumes et les différences d’un monde qui doit rester hétérogène.

Énumérons les prérogatives supranationales de l’Europe et les grands axes de sa politique. La puissance militaire de l’Europe s’affirmera dans son indépendance. L’alliance atlantique sera dissoute, comme a été dissous le pacte de Varsovie, lorsque se sont écroulés les régimes communistes. Le III^e Reich n’est plus, pas plus que l’Internationale communiste. L’Amérique n’est plus le curateur légitime de l’Europe. Armons nos esprits et organisons nos institutions contre les dangers imprévisibles, voire impensables à ce jour, afin que l’Europe, par ses entrepreneurs, ses universitaires, ses artistes, réaffirme sa vocation universelle et sa solidarité avec le monde.

Le sanctuaire européen sera protégé par sa dissuasion nucléaire, convergence de la force de frappe anglaise et française, ouverte aux autres nations ; puissance nucléaire qui aura pour objectif de négocier la dénucléarisation de la planète avec les membres officiels du club atomique, comme avec ses membres clandestins. L’Europe gardera ses alliances avec l’Amérique, alliée de la liberté sur le continent européen. Elle aura à inventer en priorité un partenariat inédit avec la fédération de Russie, puissance nucléaire, véritable continent, menacée par le chaos et déjà en pleine décomposition économique.

L’Europe laissera une juste place aux autres ensembles régionaux dans les instances mondiales de décision. Dans un esprit d’équilibre, elle ne gardera qu’un seul de ses droits de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. Celui de l’Angleterre et celui de la France, hérités de la guerre 1939-1945, n’ont déjà plus lieu d’être. La paix dans le monde ne repose plus sur ce qui fut décidé par les Alliés il y a plus de cinquante ans.

La souveraineté affichée de l’Europe, la politique qu’elle exercera au nom de ses cinq cents millions de citoyens, s’appuient aussi sur une monnaie unique et une harmonisation progressive de l’impôt et du budget de chaque nation. Forte de son poids démographique, de sa force économique, scientifique et politique, l’Europe sera l’interlocutrice qui parle aux autres puissances du monde, Japon, Chine, États-Unis, Amérique latine, Afrique, Asie du Sud-Est, lorsqu’il s’agit de négocier les conséquences de la globalisation financière et commerciale et un juste équilibre des échanges.

Quant à la politique d’immigration, la frontière européenne étant celle de l’Union souveraine, c’est à ce niveau que s’exercera la lutte contre la corruption, la délinquance et les trafics qui accompagnent l’immigration clandestine.

La grande richesse de l’Europe restera sa diversité culturelle. Elle mettra en œuvre les structures politiques, économiques, techniques qui démultiplieront l’expression de ses diversités. La première de ses richesses est le nombre de ses langues qu’il faut sauvegarder. Les élites de l’Europe des « Lumières » étaient volontiers polyglottes. Que l’on songe à Voltaire traduisant Hamlet en français et interpellant toutes les nations d’Europe, en 1761, dans son « Manifeste au sujet des honneurs du pavillon entre les théâtres de Londres et de Paris », afin que Shakespeare, cet « étranger », soit joué en France. Notre défi est de constituer, par les langues qui véhiculent les cultures, des élites de « masse ». Les universités de chaque nation s’ouvriront les unes aux autres : enseignements et disciplines se confronteront. L’apprentissage obligatoire de deux ou trois langues européennes dès le plus jeune âge participera à cette ambition. Dans le même esprit, l’Europe aidera à la mise en place de quotidiens européens diffusés dans toutes les langues de l’Union, comme elle inventera des chaînes de télévisions européennes malgré l’obstacle de la mul...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Copyright
• Avant-propos
• I - Les Français sans repères
• II - Une mutation radicale
• III - Une monnaie sans légitimité
• IV - Les politiques au front !
• V - L’Europe : Union souveraine de républiques et de monarchies
• VI - Les clefs de la souveraineté
• VII - Des frontières et un état civil
• VIII - Une morale pour l’Europe
• IX - Appel
• Table