40 ans d'égarements économiques

Quelques idées pour en sortir

Jacques de Larosière

• Éditeur: Odile Jacob
• Année: 2021
• ISBN:
  9782738152596
• Sujet: Negocios y empresa
• Sous-sujet: Negocios en general

Jacques de Larosière a fait toute sa carrière au sommet des institutions financières: il a d'abord dirigé le Fonds monétaire international (1978-1987), avant de devenir gouverneur de la Banque de France (1987-1993), puis président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (1993-1998). Il est membre de l'Académie des sciences morales et politiques. Il est notamment l'auteur de: Les 10 préjugés qui nous mènent au désastre économique et financier, 50 ans de crises financières et Les lames de fond se rapprochent. «Cet essai a pour ambition de comprendre comment notre pays s'est laissé glisser, depuis une quarantaine d'années, au bas des classements internationaux pour ce qui est des performances économiques. Nous nous sommes profondément désindustrialisés tout en augmentant massivement l'appareil d'État, la dépense et les prélèvements publics. Cet essai entend montrer l'ampleur de nos retards et suggérer la manière de les combler afin de mettre à profit notre avantage démographique qui, à condition que l'on n'y mette pas de nouveaux obstacles, pourrait bien être à l'origine d'un "miracle" français.» J.deL.

CHAPITRE VI

Le marché du travail en France :
« Quand les meilleures intentions provoquent parfois l’effet inverse de celui recherché »

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Pour bien comprendre la question complexe, et débattue, du marché du travail en France, il convient d’adopter une approche comparative et historique.

Distinguons successivement trois sujets :

• • Le chômage.
• • L’importance croissante des contrats à durée très courte.
• • Notre structure salariale comparée à celle de l’Allemagne.

Le chômage

Les évolutions

Les deux graphiques ci-dessous (graphiques 10 et 11) illustrent les évolutions observées en matière de chômage tant en France qu’en Allemagne.

Il est, en effet, utile de nous comparer à l’Allemagne tant nos deux pays sont à la fois proches et concurrents et tant sont différents nos deux modèles de marchés de l’emploi.

Pendant les Trente Glorieuses (1945-1974), la France avait enregistré une forte croissance économique et démographique avec très peu de chômage.

De fait, le taux de chômage en France par rapport à la population active s’élevait à 2,5 % seulement pendant les années 1960-1968. Plus tard, il s’est élevé à 5 % dans les années 1980 à la suite des deux chocs pétroliers. Il a ensuite progressé jusqu’à 8 % au cours des années 1984-1990.

Après une légère accalmie en 1990-1992 (7,5 %), notre taux de chômage est remonté à 10 % environ entre 1994 et 2000. Puis, après une modération à 7,5 % entre 2001 et 2012, on observe la remontée du chômage français à 10 % de 2013 à 2017. Depuis 2018, le taux est revenu à 8,1 %.

Deux phénomènes ressortent de cette évolution.

1. Pendant les années 1990, le taux de chômage en France a été comparable à celui de l’Allemagne et en consonance avec lui, étant observé, cependant, que le ratio français était généralement plus élevé de 2 à 3 points que celui d’outre-Rhin pour des raisons en partie démographiques (davantage de jeunes entrants sur le marché du travail en France) (graphique 10).

Puis, ce fut la poussée du chômage allemand consécutive à la réunification des deux Allemagnes (de 2002 à 2005, le taux de chômage allemand atteignit 11 %). Mais, depuis la grande crise financière de 2008, le chômage a bondi en France (de 7 à plus de 10 % en 2013) alors qu’en Allemagne il tombait spectaculairement à 5,6 % en 2012, taux descendu par la suite à moins de 4 % en 2017-2018 (graphique 11).

Graphique 10. De 1991 à 2000, les taux de chômage sont, en gros, couplés en France et en Allemagne, mais,
depuis 2008, les deux courbes s’écartent

Graphique 11. Depuis 2008, le taux de chômage allemand chute par rapport au taux français

2. En revanche, pendant les vingt dernières années, le chômage des jeunes de moins de 25 ans a été constamment beaucoup plus élevé en France qu’en Allemagne (graphique 12).

Graphique 12. L’Allemagne connaît de bien meilleures performances pour l’emploi des jeunes que la France

Le tableau ci-dessous donne une idée de l’ampleur de ce phénomène.

Chômage des jeunes de moins de 25 ans (en % de la population active) en France et en Allemagne
	2000	2005	2017	Nov. 2019
France	18,5 %	21 %	23 %	(18,9 %)
Allemagne	9 %	16 %	6,8 %	(5,9 %)

Source : Eurostat, novembre 2019 : estimations.

Les chiffres ci-dessus doivent, certes, être interprétés avec prudence pour des raisons tenant à la démographie : le nombre de jeunes Allemands de 15 à 24 ans a diminué de 600 000 depuis 2005, alors que la France doit fournir du travail à une population active croissante.

Il reste, cependant, que deux autres facteurs aident à expliquer le succès allemand en matière d’emploi des jeunes :

• • La priorité constamment donnée par nos voisins d’outre-Rhin à l’apprentissage (voir Chapitre II).
• • La mise en place d’une « garantie jeunes » offerte aux « formés » qui ne trouvent pas d’emploi (au titre de la réforme Hartz IV1, les pouvoirs publics s’engagent à leur assurer une formation débouchant sur un emploi dans les trois mois suivant la sortie de l’enseignement ou la perte d’emploi).

Cette réforme a été adoptée en France en 2016. Il est trop tôt pour en mesurer les résultats concrets.

Les raisons du chômage de masse en France

Ainsi, la France se retrouve en 2020 (avant la pandémie) avec un chômage de masse : 8,1 % de la population active, soit 3 500 000 personnes. Malgré l’amélioration récente, c’est une performance plus que médiocre que nous réalisons depuis les années 1990, alors que l’Allemagne, avec moins de 4 % de chômeurs, avait retrouvé le plein-emploi.

Les gouvernements en France se sont constamment attaqués à ce problème avec un succès mitigé.

On a souvent tendance à penser que c’est notre organisation du marché du travail – trop rigide, trop prescriptive, trop centralisée, trop complexe, trop protectrice des droits des salariés… – qui est responsable en grande partie de notre chômage de masse.

De fait, la comparaison avec l’Allemagne paraît sans appel.

Taux de chômage comparés France/Allemagne, novembre 2019
	Taux de chômage	Nombre de chômeurs
Allemagne	3,1 %	2,3 millions
France	8,1 %	3,5 millions (catégorie 1 seulement)
Moyenne UE à 28	6,3 %	16 millions

Source : Eurostat.

Comment expliquer ce « décalage français » en un domaine aussi essentiel pour la collectivité nationale ?

Plusieurs facteurs doivent être distingués : leur analyse devrait aider à éclairer le problème.

« L’ÉCOSYSTÈME » ALLEMAND
EST PLUS PERFORMANT QUE LE NÔTRE

Les résultats obtenus par nos voisins d’outre-Rhin en matière de recherche, de production et d’exportations industrielles haut de gamme sont nettement supérieurs aux nôtres (voir Chapitre IV sur la perte de compétitivité et la désindustrialisation de la France). Le Mittelstand – tissu d’entreprises de taille moyenne liées aux grandes firmes allemandes – constitue l’épine dorsale de l’économie germanique. Ces entreprises sont innovantes et réalisent des gains de productivité. Nous ne disposons pas, d’une manière générale, des mêmes atouts avec nos PME le plus souvent trop petites, moins innovantes et trop séparées des grands groupes.

Par ailleurs, les salaires en France ont augmenté plus vite que la productivité de 2000 à 2012 (graphique 13) ce qui n’a pas été le cas de l’Allemagne2.

Graphique 13. Productivité et salaires réels en France.
En France, les salaires ont crû plus vite que la productivité depuis 2000

Source : Insee, calculs direction générale du Trésor.

En dix ans, de 2001 à 2011, la hausse des salaires horaires bruts de l’industrie allemande a été de 23 % en valeur nominale et de 4,1 % en valeur réelle. En France, elle a été de 38 % en valeur nominale (et de 14 % en valeur réelle).

De ce fait, la France a perdu 10 points de compétitivité-coûts par rapport à l’Allemagne pendant cette période de dix ans.

LA PRESSION EXCESSIVE EXERCÉE
PAR NOS FINANCES PUBLIQUES
SUR LES RESSOURCES DISPONIBLES EST AUSSI
UN PUISSANT FACTEUR EXPLICATIF

Les 9 points (en termes de PIB) de prélèvements obligatoires s...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Copyright
• Préface
• Avant-propos
• CHAPITRE I - Une vue en perspective
• CHAPITRE II - La démographie : une toile de fond explicative et changeante
• CHAPITRE III - L'éducation : le lancinant problème
• CHAPITRE IV - La dette publique française s'accroît inexorablement et notre insidieuse addiction à la dépense publique nous éloigne de la compétitivité
• CHAPITRE V - Le talon d'Achille de notre économie : faiblesse croissante de la compétitivité de notre industrie
• CHAPITRE VI - Le marché du travail en France : « Quand les meilleures intentions provoquent parfois l'effet inverse de celui recherché »
• CHAPITRE VII - Le problème des retraites : une exception bien française pour un problème mondial
• CHAPITRE VIII - La France est-elle inégalitaire ?
• CHAPITRE IX - Ne pas croire que tous nos problèmes seront réglés par la politique monétaire qui va être, pour longtemps, expansive
• CHAPITRE X - Quelques éclairages en guise de conclusion
• Conclusion
• Sommaire
• Du même auteur chez Odile Jacob