Ces considérations nous conduisent à soumettre au ministre douze propositions concrètes, d’inégale envergure et d’inégale portée, mais dont le cumul peut imprimer le nouvel élan souhaité.
1) Demander tout de suite, dans le cadre de leur programme de travail, aux corps d’inspection générale concernés – essentiellement histoire-géographie et lettres – un rapport d’évaluation concernant les modifications apportées aux programmes en 1996, en s’appuyant sur les corps d’inspection territoriaux. Ce premier bilan, au terme d’un processus accéléré, ferait remonter à la Desco (Direction de l’enseignement scolaire) l’expérience acquise sur le terrain : difficultés rencontrées chez les élèves, réticences ou gênes ressenties chez les enseignants, choix effectués à l’intérieur des programmes. Ainsi pourra-t-on mieux adapter instructions et orientations aux conditions réelles…
2) On gagnerait beaucoup à rétablir la cohérence en particulier des programmes d’histoire de seconde dont les six thèmes se commandent l’un l’autre1. L’enseignant a été naguère invité à pratiquer des allégements dans le programme, en rendant optionnelle l’étude de certains chapitres, alors que l’ensemble s’inscrit dans une continuité culturelle qui perd beaucoup de son sens si on la fractionne. Ce point concerne plus d’une discipline. Comment enseigner la littérature du XVIe siècle français si l’histoire de la Renaissance est méconnue ? Comment comprendre l’état de nature chez Rousseau ou l’odyssée hégélienne si on n’a jamais entendu parler d’Adam et Ève ?
3) Les nouvelles orientations sur le collège et nommément les itinéraires de découverte devraient pouvoir faciliter l’évocation, dans le cycle central (cinquième et quatrième), des questions religieuses sous une forme concrète et personnalisée, en rapport avec les programmes déjà modifiés de français et d’histoire. Sur les quatre domaines proposés, « arts et humanités » ainsi que « langues et civilisations » offrent des entrées favorables pour étudier, par exemple, les pratiques de pèlerinage, les rites de purification ou les diverses architectures religieuses. Un nouveau document d’accompagnement pourrait inciter et préciser, auprès des équipes pédagogiques, cette ouverture.
4) Au lycée, à côté des efforts disciplinaires qui restent l’essentiel, les travaux personnels encadrés (TPE) pourraient favoriser des approches sensibles, transversales et interdisciplinaires des phénomènes religieux. Il ne serait pas oiseux, prenant en compte les desiderata des élèves et les ressources régionales (musées, églises, mosquées, synagogues, fêtes religieuses, etc.), de faire étudier, par exemple, en termes comparatistes, les jeûnes (ramadan, Kippour et carême), le statut social des femmes, la figuration du divin dans le monothéisme et le polythéisme, etc. Les enseignements artistiques pourraient ici, avec l’histoire et la philosophie, jouer un rôle névralgique pour aborder ces problèmes par le biais d’œuvres majeures du patrimoine religieux, tout autant que par le cinéma, la photographie, la danse, l’éducation musicale ou le spectacle vivant.
5) Pour les enseignants en formation initiale : la création d’un module en IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres, qui ont succédé aux anciennes Écoles normales). Multiples sont les apports culturels possibles à la formation générale des enseignants stagiaires, et les modules s’accumulent ici et là, parfois à l’excès, sur les sujets les plus divers. Cependant, à la différence de l’histoire de l’art et même de l’histoire des sciences, le thème « laïcité et religions » semble directement relié au principe fondateur du métier. Aussi, si était envisagé un cadrage national des parcours de formation, et si y étaient reconnues certaines priorités, ce module aurait quelque titre à y figurer. Via le texte de cadrage national des IUFM, un module obligatoire « philosophie de la laïcité et enseignement du fait religieux » serait confié aux professeurs de philosophie, de lettres et d’histoire de l’académie concernée, ainsi qu’à des personnes-ressources, universitaires spécialisés et formés à cet effet (voir plus loin). Des co-interventions seraient systématisées selon les conditions locales. Ce module (de plus de dix heures par an) n’interviendrait qu’en deuxième année, après les concours, mais serait proposé aux futurs enseignants du primaire comme à ceux du secondaire (général, technique et professionnel). Les thèmes devraient pouvoir en être abordés dans les mémoires professionnels, à défaut de requérir une validation formelle du module. La trentaine d’IUFM, à la jointure du « supérieur » et du « scolaire » (par position, non par statut), semble toute désignée pour servir de point d’irrigation et de relais entre labos de recherche et établissements scolaires. S’il a été reconnu (Comité national d’évaluation, 2001) que « la culture est le parent pauvre des IUFM », plus portés vers l’usage des documents que vers les problématiques, l’introduction d’un tel module, ouvrant aux problèmes les plus brûlants autant qu’aux réalités du vaste monde (y compris sous ses formes pour nous les plus exotiques ou dépaysantes, bouddhisme, hindouisme, shinto), contribuerait à l’élargissement des horizons.
6) Pour la formation continue, un stage national multidisciplinaire, rendez-vous annuel à inscrire dans le calendrier, réunirait dès la rentrée prochaine, durant trois jours, d’un côté un groupe de chercheurs réputés réunis autour de la 5e section de l’EPHE, et de l’autre un groupe composé d’un inspecteur pédagogique régional par académie, fondamentalement en histoire-géographie, philosophie, lettres, langues vivantes et enseignements artistiques, doublé d’un professeur-formateur de son choix par discipline dans chaque académie2.
Pourquoi procéder ainsi par paliers et relais ? Parce qu’il y a, d’un côté, autour de quarante mille professeurs d’histoire-géo (certifiés, agrégés, PEGC, PLP2, etc.), soixante mille professeurs de lettres, six mille de philo, sans compter les milliers en langues vivantes, enseignements artistiques, etc. ; et, de l’autre, une petite centaine de formateurs virtuels de haut niveau. Ces ordres de grandeur, et leur dissymétrie, obligent, si l’on veut que les professeurs des lycées et collèges aient de solides références par-devers eux, à procéder par étapes et rebonds.
Le programm...