Un ethnologue au pays du luxe
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Un ethnologue au pays du luxe

  1. 156 pages
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Un ethnologue au pays du luxe

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À propos de ce livre

Le commerce du luxe connaît une expansion sans précédent. La concentration des grandes marques au sein de quelques firmes et l'enrichissement accéléré de pays comme la Chine ont profondément modifié le marché du luxe. Après Un ethnologue à l'Assemblée, voici Un ethnologue au pays du luxe. Marc Abélès nous invite dans ce livre à explorer le monde du luxe, ses produits, son économie mais aussi sa symbolique. Car le luxe est une quête, celle de l'exceptionnel, de ce qui n'a pas de prix. Il porte la marque de l'excès et de la «folle exubérance». En suivant les routes du luxe, Marc Abélès cherche ici à comprendre cette emprise quasi magique de l'objet de luxe, la fascination qu'il exerce, les échanges entre les cultures qu'il instaure, ses modes de circulation et d'appropriation. Mais la croissance industrielle fait peser sur ce marché la menace de l'uniformisation et de la banalisation. Le luxe doit sans cesse se réinventer. Comment le fera-t-il? En nouant une alliance inédite avec le marché de l'art contemporain. Une exploration inédite du luxe, entre fascination et finance, créativité et industrie. Marc Abélès est anthropologue, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. Il est l'auteur de Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d'un département français, des Nouveaux Riches.Un ethnologue dans la Silicon Valley, ainsi que d'Un ethnologue à l'Assemblée, qui a été un grand succès.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2018
ISBN
9782738143921

CHAPITRE 1

Luxe et sciences sociales


Le luxe est un sujet qui a jusqu’ici peu mobilisé les recherches en sciences sociales, alors que ces dernières ont privilégié des thèmes comme l’éducation, les migrations, la pauvreté, la marginalité, la violence. Certes, dans les années 1960, dans le prolongement des discussions sur la société de consommation, on trouve des réflexions sur le luxe, qui s’inscrivent dans le sillage des travaux de Veblen sur la consommation ostentatoire. Mais par la suite, avec l’introduction du concept de distinction par Bourdieu, l’orientation qui prévaut, axée sur les modalités de la domination, prend surtout en compte des éléments qui relèvent de la culture de masse. Il n’y a pas réellement place pour une thématisation du luxe dans des approches sociologiques focalisées sur les classes moyennes et populaires. Si la misère du monde apparaît comme un objet « légitime » pour les sciences sociales, étudier ce qui a trait à la richesse semble aujourd’hui encore plutôt problématique. Lorsqu’on présente un programme sur la question du luxe, force est de constater la réticence à peine dissimulée de nos collègues. Il y a indubitablement une axiologie sous-jacente qui conditionne le choix de sujets considérés comme plus ou moins pertinents. S’intéresser au luxe, n’est-ce pas être déjà peu ou prou complice des nantis ? Bien entendu cette axiologie n’est jamais assumée explicitement par les sociologues et les anthropologues, mais elle détermine implicitement la manière dont des phénomènes sociaux sont relégués à un statut marginal, au mépris de leur importance et de leur impact.
Le luxe en tant qu’objet d’étude peut sembler un domaine qui relève dans une certaine mesure de la futilité et qui concerne l’inessentiel. Et cependant il a suscité l’intérêt des chercheurs durant ce que Patrice Maniglier (2011) a appelé « Le moment philosophique des années 1960 », moment marqué notamment par l’influence de la sémiologie. Leur attention s’est polarisée sur la mode, et ce n’est sans doute pas un hasard, puisque la mode peut apparaître doublement comme un discours. Discours qui se déploie à travers la matière (choix du tissu, jeu des couleurs, découpe du vêtement) et dans les commentaires qui ponctuent l’exhibition périodique de nouvelles collections dans les journaux et les médias spécialisés. C’est cette discursivité riche et complexe de la mode dont Roland Barthes s’est fait l’analyste tant dans son ouvrage savant Système de la mode que dans des articles destinés au grand public. Il était conscient que pour les universitaires le sujet pouvait être considéré comme trop superficiel, ainsi que le montre la manière dont il s’exprimait à propos de Système de la mode, répondant à une question concernant le choix d’objets « insignifiants, futiles, ou modestes » :
On peut aussi concevoir Système de la mode comme un projet poétique, qui consiste précisément à constituer un objet intellectuel avec rien, ou avec très peu de chose, à fabriquer sous les yeux du lecteur au fur et à mesure, un objet intellectuel qui sorte peu à peu dans sa complexité, dans l’ensemble de ses relations. De sorte qu’on puisse se dire (ç’aurait été l’idéal, si le livre était réussi) : au début il n’y a rien, le vêtement de mode n’existe pas, c’est une chose extrêmement futile et sans importance, et à la fin il y a un objet nouveau qui existe, et c’est l’analyse qui l’a constitué. C’est en cela qu’on peut parler de projet proprement poétique, c’est-à-dire qui fabrique un objet (Barthes, 1994, p. 472-473).
L’approche du luxe chez Barthes est d’ailleurs relativement composite, d’un côté une application stricte des théories sémiologiques, de l’autre une vision ethnographique telle qu’on la trouve dans les Mythologiques et qui fait le bonheur d’écriture du texte publié dans Marie-Claire (1967) consacré au match Chanel-Courrèges. Ce qui intéresse Barthes, ce n’est pas seulement l’opposition entre le tailleur et le short, mais, au-delà, le « chic », une notion clé pour tous ceux qui s’intéressent à la mode et qu’il définit comme du « temps sublimé » (p. 157). Deux grammaires du temps s’affrontent, l’une qui privilégie l’inaltérable, l’autre qui est obsédée par le renouvellement. « Le temps donc qui est style pour l’une, et mode pour l’autre, sépare Chanel et Courrèges » (p. 157).
Cette plaidoirie pour une démarche poétique en ce qu’elle façonne son propre objet est évidemment aux antipodes du positivisme qui, à la même époque, constituait l’idéal des sciences sociales. C’est sans doute la raison pour laquelle Pierre Bourdieu s’est à son tour saisi de la question de la mode. Il en fait même la substance d’un long article publié (en collaboration avec Yvette Delsaut) dans le premier numéro de la revue qu’il venait de créer, Actes de la recherche en sciences sociales (1975). Le choix de ce thème peut paraître paradoxal, là où on l’aurait attendu sur des thèmes comme l’éducation ou la politique. Bourdieu et Delsaut nous parlent ici de la haute couture de ses grands démiurges, des griffes nouvelles qui émergent. C’est bien sûr l’occasion d’appliquer la théorie du champ, et à travers elle son analyse des modes de domination, que Bourdieu ne cessera d’affiner par la suite. Plus profondément, on discerne une sorte de fascination des sociologues pour ces personnages hors norme qu’ils tentent de mieux cerner à travers des extraits de presse qui concernent non seulement leurs conceptions de la mode, mais aussi les styles de vie qu’ils prétendent incarner. D’où par exemple la présentation de photographies des intérieurs des couturiers accompagnées des commentaires des journalistes : le goût de l’ancien chez Balmain, le côté « classique dans le moderne » de Givenchy, le modernisme de Courrèges sont traités comme des révélateurs de leurs stratégies dans le champ de la mode. En s’attardant sur les détails (chez Givenchy, le lit à baldaquin et en toile de lin blanche et les meubles Knoll agrémentés de tableaux de Vasarely), il s’agit de faire parler les objets, et Bourdieu se révèle un excellent sémiologue, jusque dans l’exigence éditoriale qui l’amène à composer son article comme un montage entre le texte savant et les autres matériaux (interviews, photos, etc.).
Cependant il ne s’agit en aucune façon de cautionner les modèles sémiologiques, et la démarche de Barthes apparaît comme la cible théorique de l’article. Car Barthes ne s’intéresse pas aux conditions de production de la mode ni aux rapports de production qui les déterminent. Ou plutôt, pour Barthes, c’est une évidence que la mode s’inscrit dans une logique capitaliste : « L’origine commerciale de notre imaginaire collectif (soumis partout à la mode, bien au-delà du vêtement) ne peut donc faire de mystère pour personne » (1994, p. 9). Ce qui compte avant tout pour lui c’est la discursivité qui articule le système de la mode. Cette perspective théorique qui privilégie le système par rapport à son inscription économique et sociologique vaut à Barthes une critique virulente qui vise tout à la fois le formalisme des modèles linguistiques et le type d’analyse qu’il propose. « Les “raisons” de l’analyse immanente conduisent ainsi à liquider d’emblée la question même de la “raison” spécifique du système de production des biens de mode, qui contient la vérité du “système de la mode”, c’est-à-dire du discours de mode » (1994, p. 23). Bourdieu semble ici conjurer sa propre fascination pour le discours de la mode en revenant aux fondamentaux de la critique matérialiste. Mais il n’en reste pas moins sous le charme des grands prêtres de la mode, leur attribuant des qualités charismatiques et analysant la manière dont ils opèrent une « transsubstantiation symbolique » (1994, p. 21), transformant un bien matériel en un bien symbolique. L’imposition de la griffe, c’est cette opération mystérieuse qui sépare un parfum Chanel d’un parfum de Monoprix, comme la signature de Duchamp transfigure l’urinoir en une œuvre majeure du XXe siècle. À travers ces pratiques, c’est l’imposition d’une légitimité qui est en jeu, le départage entre la distinction et la vulgarité. La magie de la mode n’est rien d’autre qu’une forme de violence symbolique contribuant à la reproduction de l’ordre social et des positions de dominants et de dominés. Même si le professeur Bourdieu reprend ici ses droits en nous révélant la logique implacable qui soutient ce monde futile, la question de la mode comme objet théorico-sémiologique est au cœur d’une controverse qui aurait pu inciter les sciences sociales à approfondir la problématisation du luxe en tant qu’objet théorique. Ce qui est sûr, c’est que la fenêtre s’est par la suite refermée, avec la disparition de Barthes et l’orientation ultérieure de la sociologie critique. Ce n’est que récemment que le thème a été reconsidéré (avec beaucoup de précautions) par des sociologues « légitimes » (Boltanski et Esquerre, 2017). À vrai dire, cette indifférence assez générale s’inscrit dans une tradition déjà ancienne. C’est que le luxe a toujours suscité la controverse et la critique, plutôt que la réflexion et l’analyse. Il faudra s’interroger de plus près sur les enjeux épistémologiques propres à cette question.
Quand on tente de dresser un panorama des études et recherches sur le luxe depuis un demi-siècle, on constate qu’elles se sont surtout développées dans deux domaines académiques, l’histoire (Perrot, 1995 ; Pomeranz, 2000) et l’esthétique (pour une critique de cette dimension esthétique, voir Assouly, 2004, 2008). Il existe aussi toute une littérature sur le thème, qui ressortit du marketing et concerne les produits, les clientèles et les stratégies de communication. Enfin, plus récemment, certains économistes (Allérès, 2004) ont commencé à s’intéresser sérieusement au luxe, en raison de la place qu’occupe aujourd’hui ce secteur. Par ailleurs, des établissements comme l’Institut de la mode délivrent des enseignements qui combinent ces différentes perspectives. On ne saurait, en outre, passer sous silence la part que les médias accordent au luxe, aussi bien dans les quotidiens, les magazines et les revues spécialisées qu’à la télévision et sur Internet.
Cela n’a pas de quoi surprendre dans un pays comme la France dont l’image est de plus en plus associée à deux secteurs : la culture et le patrimoine d’un côté, le luxe de l’autre. L’augmentation de la vente de produits de luxe dans ce pays durement touché par la crise est spectaculaire : 6,8 % en 2015, et la croissance des ventes des produits d’entreprises françaises avait plus que doublé par rapport à l’année précédente. Elle correspond aussi à l’intérêt des pays émergents pour ces produits. Le commerce du luxe est aujourd’hui celui qui engendre les profits les plus impressionnants, et il a connu ces vingt dernières années une croissance exponentielle. La dynamique qui l’anime est inséparable de la montée en puissance des pays dits émergents et reflète la transformation des rapports entre l’Ouest et les pays qui, comme la Chine et la Russie, ont pris le tournant du capitalisme à partir des années 1980. C’est qu’à la fin du XXe siècle, le luxe, comme d’autres secteurs de l’économie, a connu un double processus de concentration et de financiarisation. Le groupe LVMH, créé en 1987, et contrôlé par Bernard Arnault, rassemble aujourd’hui soixante-dix marques dans les secteurs du vin et des spiritueux, de la mode, de la distribution et des médias. Les grandes firmes ont enregistré des résultats remarquables : en 2016 les ventes de LVMH ont progressé de 6 % par rapport à l’année précédente et ont atteint 37,6 milliards d’euros. Le géant du luxe a détrôné Total et Sanofi, au sommet du CAC40. Le groupe Kering, créé par François Pinault sous le nom PPR en 1994 et dirigé aujourd’hui par son fils, a absorbé Gucci, Saint Laurent, Boucheron, Balenciaga, Stella McCartney, etc., obtenait la même année un chiffre d’affaires de 12 385 milliards d’euros, en croissance de + 6,9 % par rapport à l’exercice 2015. Deux de ses marques, Yves Saint Laurent (+ 25,5 % de croissance) et Gucci (+ 12,7 % de croissance) obtiennent des résultats exceptionnels en 2016. Le conglomérat suisse Richemont, fondé en 1988, et qui englobe désormais de nombreuses marques, notamment en bijouterie et horlogerie, entre autres Cartier, Van Cleef & Arpels, Piaget, Montblanc, Chloé, Lancel, affichait un chiffre d’affaires de 8,48 milliards d’euros en 2016.
En peu d’années, la Chine est d’ailleurs devenue le second marché mondial du luxe, derrière les États-Unis, avec une part de près du tiers du marché mondial. Elle est particulièrement friande des produits européens dans ce secteur, et c’est la raison pour laquelle, d’un point de vue économique ce type de commerce représente un enjeu stratégique pour l’Europe. Le développement accéléré du commerce du luxe illustre la manière dont la globalisation transforme profondément la société chinoise. La recherche du luxe ne reflète pas seulement une volonté d’ostentation. Le luxe porte la marque de l’excès, de la dépense. En outre, après des années d’austérité, ce qui prime c’est la recherche du plaisir et de la beauté, et la fonction hédoniste du luxe est un élément fort dans l’ouverture au monde extérieur. D’où la valorisation de produits comme le vin, des grandes marques de la mode, de la joaillerie, etc., mais aussi des œuvres d’art. Parallèlement, en quelques années, l’art contemporain chinois s’est imposé sur les grandes places occidentales. À l’intérieur du pays se créent un peu partout des lieux d’exposition, des centres d’art. Les artistes n’hésitent pas à s’associer avec le monde du luxe, comme lors de la présentation de Dior à Pékin en 2008 à laquelle les plus grands créateurs chinois apportèrent leur concours.
J’ajouterai qu’à travers le luxe, nous avons directement accès aux transformations liées au triomphe du capitalisme en Chine, avec pour conséquence l’émergence d’une élite de nouveaux riches avides d’accéder à des loisirs et des plaisirs nouveaux, et d’exhiber leur réussite. C’est à partir des objets et de la consommation que nous appréhendons ces transformations. Le second objectif est de rendre compte de la reconfiguration des rapports culturels, économiques et politiques liée à la circulation des marchandises entre l’Ouest et l’Est dans un monde global. Confrontations culturelles, réinventions identitaires, nouveaux modes de consommation, redéfinition des rapports entre le luxe et l’art : voici quelques-unes des questions que nous rencontrons à propos du luxe. Pour en apprécier la portée, il vaut la peine de préciser cette dernière notion et de prendre la mesure des débats qu’elle a suscités, où les en...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. CHAPITRE 1 - Luxe et sciences sociales
  6. CHAPITRE 2 - Qu'est-ce que le luxe ?
  7. CHAPITRE 3 - Le luxe, la Chine, la globalisation
  8. CHAPITRE 4 - Le luxe et l'art contemporain
  9. Conclusion
  10. Éléments de bibliographie
  11. Remerciements
  12. Table