Voici lâhistoire au dĂ©part assez banale de Victor, ĂągĂ© de 9 ans.
Victor joue au ballon au bord de la piscine durant les vacances dâĂ©tĂ©. Le climat est agrĂ©able, tout le monde est dĂ©tendu. Son pĂšre et sa mĂšre dĂ©gustent une glace tout en surveillant discrĂštement leur prĂ©cieuse progĂ©niture. Soudain, en essayant dâattraper la balle, Victor tombe Ă lâeau alors quâil ne sait pas encore trĂšs bien nager. Câest un petit bassin oĂč il a pied, il devrait donc y avoir « plus de peur que de mal ! ». Mais Victor se met Ă hurler en sortant du bassin et court se rĂ©fugier dans les bras de sa mĂšre. Il pleure et sâagite, il est pĂąle et crie « quâil a failli mourir, que lâeau est dangereuse, que plus jamais il nâira dans une piscine ! ».
Lâincident est clos, les jours et les semaines passent. Par prudence, ses parents nâĂ©voquent plus lâincident et Victor continue Ă vivre normalement Ă la maison comme Ă lâĂ©cole. Un soir, dans le cahier de correspondance entre le maĂźtre et les parents figure une note dâinformation : « Lundi prochain, ne pas oublier les affaires de piscine. »
Ă la lecture de ce texte Victor devient pĂąle, tendu et il court se rĂ©fugier dans sa chambre en pleurant ! Sa mĂšre et son frĂšre jumeau, Adrien, restent mĂ©dusĂ©s. AprĂšs quelques minutes, en accord avec son mari, sa mĂšre dĂ©cide de rejoindre Victor pour tenter de le rassurer. Rien nây fait, il continue Ă sangloter cachĂ© sous les couvertures.
Finalement, aprĂšs concertation, ses parents lui annoncent quâils sont dâaccord pour demander un certificat mĂ©dical au mĂ©decin de famille et lui Ă©viter dâaller Ă la piscine lundi.
Victor se calme progressivement et tout rentre dans lâordre.
De quoi sâagit-il ?
Victor prĂ©sente les caractĂ©ristiques dâune phobie dite « spĂ©cifique », appelĂ©e il y a encore quelques annĂ©es phobie « simple ».
En voici les principales manifestations :
âą une peur persistante, intense, dĂ©clenchĂ©e par la prĂ©sence (ou la simple anticipation de pensĂ©e) dâun objet ou dâune situation : dans notre exemple, le lieu « piscine » ;
âą si lâenfant est malgrĂ© lui confrontĂ© Ă cette situation, se dĂ©clenche une rĂ©action anxieuse qui peut prendre la forme dâune vĂ©ritable attaque de panique ;
âą parfois, lâenfant exprimera son anxiĂ©tĂ© par des pleurs, des accĂšs de colĂšre, des rĂ©actions de figement ou dâagrippement : Victor a ce type de comportement Ă la simple Ă©vocation dâĂȘtre obligĂ© dâaller Ă la piscine le lundi suivant sur la demande de son maĂźtre ;
âą il Ă©vitera de façon systĂ©matique la situation phobique (la piscine dans cet exemple) : il essaiera par exemple dâobtenir Ă tout prix un certificat mĂ©dical pour Ă©viter dâaller Ă la piscine ;
âą sâil ne peut le faire, cette situation sera vĂ©cue avec une anxiĂ©tĂ© intense.
Comme vous le voyez, cette phobie nâest pas aussi « simple » pour Victor et câest la raison pour laquelle les professionnels parlent actuellement de phobie « spĂ©cifique » car, lorsque la peur et les phobies de lâenfant dĂ©passent une durĂ©e de quelques mois, il y a urgence Ă les traiter pour Ă©viter de graves complications et la gĂ©nĂ©ralisation de la peur Ă dâautres situations.
Je vous en reparlerai plus loin.
Peurs « normales »
Chez le petit enfant :
â peur des personnes dĂ©guisĂ©es,
â peur du noir,
â peur des bruits,
â peur des inconnus.
Chez lâenfant plus ĂągĂ© :
â peur de la sĂ©paration,
â peur des transports,
â peur des animaux,
â peur des phĂ©nomĂšnes naturels.
OĂč commence lâexcĂšs de peur ?
Les peurs non seulement font partie du dĂ©veloppement normal de lâenfant, mais sont aussi utiles pour lui apprendre Ă maĂźtriser les difficultĂ©s du monde extĂ©rieur.
Vous gardez certainement le souvenir, par exemple, dâavoir Ă©tĂ© appelĂ© plusieurs fois par votre enfant qui avait « peur du noir » avant de sâendormir :
â « Il y a des fantĂŽmes dans ma chambre, jâai peur. »
â « Il y a des animaux cachĂ©s sous mon lit. »
Ce sont des peurs « normales » qui :
â sont transitoires,
â apparaissent Ă un certain Ăąge,
â nâinterfĂšrent pas sur les activitĂ©s de lâenfant (notamment au niveau de la scolaritĂ©).
Souvent, la simple rĂ©assurance des parents et quelques gestes Ă©ducatifs simples permettent Ă lâenfant de vaincre ces peurs.
Dans le cas contraire, les conseils dâun professionnel peuvent vous ĂȘtre utiles.
Votre inquiĂ©tude se justifie seulement lorsque les peurs sont durables et empĂȘchent le bon fonctionnement social de lâenfant, notamment dans sa scolaritĂ©.
VOUS NE DEVEZ PAS VOUS INQUIĂTER | VOUS DEVEZ AGIR |
Peurs « normales » | Peurs « exagérées » |
â Transitoires. â Apparaissent Ă un certain Ăąge. â NâinterfĂšrent pas dans les activitĂ©s de lâenfant (notamment au niveau scolaire). â Disparaissent rapidement par une attitude Ă©ducative cohĂ©rente, Ă©vitant la surprotection. | â DurĂ©e anormalement longue, plus de quelques mois. â Apparaissent Ă tout Ăąge. â InterfĂšrent sur les activitĂ©s (crises de colĂšre, isolementâŠ). â Ne disparaissent pas rapidement mĂȘme si lâattitude Ă©ducative est cohĂ©rente. |
Quelles sont les principales manifestations du trouble ?
LâanxiĂ©tĂ© qui rĂ©sulte dâun incident comme celui de la « piscine » chez Victor a trois composantes :
âą Victor prĂ©sente un comportement particulier : agitation, figement, fuiteâŠ
âą Victor y associe un aspect « cognitif » particulier : idĂ©es erronĂ©es, impression de danger imminent, attente craintiveâŠ
âą Victor prĂ©sente des troubles physiologiques : le cĆur qui sâemballe, des bouffĂ©es de chaleur, des difficultĂ©s Ă respirer normalementâŠ
Pour ces raisons, quel que soit le trouble, je vous apprendrai Ă Ă©valuer et Ă faire un travail avec lâenfant :
â sur ce quâil fait dans cette situation,
â sur ce quâil craint (quâun nouvel accident puisse arriver par exemple),
â sur ses rĂ©actions physiologiques.
En dehors des phobies spĂ©cifiques comme dans lâexemple de Victor, il existe dâautres formes de peurs et phobies de lâenfant :
â la peur excessive du regard et du jugement des autres,
â la peur excessive de subir un malaise et de perdre le contrĂŽle,
â les phobies scolaires.
Référez-vous au tableau page 25.
Voici un tableau de tous les exemples de phobies traitées dans ce livre.
Victor (9 ans) | Phobie de la piscine |
Marine (13 ans) | Phobie du car scolaire |
GĂ©raldine (8 ans) | Phobie dâutiliser les toilettes de lâĂ©cole |
Sophie (7 ans) | Peur de lâendormissement |
Agathe (10 ans) | Peur des chiens |
Laura (10 ans) | Peur des piqûres et du docteur |
Théo (13 ans) | A le trac en classe |
Jules (12 ans) | Timidité en groupe |
Manon (14 ans) | Phobie sociale |
Lola (10 ans) | Peur de subir un malaise et de perdre le contrĂŽle (angoisse panique, trouble panique, agoraphobie) |
Aymeric (12 ans) | Phobie scolaire par refus anxieux de lâĂ©cole |
Jonathan (12 ans) | Phobie scolaire par anxiété de séparation |
Commençons par des exemples de phobies spécifiques.
Les phobies spécifiques
Comme je vous lâai dit, il y a encore quelques annĂ©es les professionnels de la santĂ© parlaient non pas de phobies spĂ©cifiques mais de phobies « simples ».
Cet adjectif qualificatif de « simple » prĂȘtait Ă confusion dans la mesure oĂč il pouvait faire croire quâil Ă©tait facile de vivre avec ce type de peur excessive et aisĂ© de sâen dĂ©faire.
En rĂ©alitĂ©, il nâen est rien comme vous le verrez plus loin.
La plupart des Ă©tudes montrent quâil y a quatre grandes catĂ©gories de phobies spĂ©cifiques aux enfants et aux adolescents :
â la peur de certaines situations,
â la peur de lâobscuritĂ©,
â la peur des animaux,
â la peur du sang et des blessures.
CLASSIFICATION DES PRINCIPALES PHOBIES DE LâENFANT
Phobies spĂ©cifiques Peur de certaines situations. Peur de lâobscuritĂ©. Peur des animaux. Peur du sang et des blessures. |
La peur du regard et du jugement des autres |
Peur de subir un malaise et de perdre le contrĂŽle |
Les phobies scolaires Par refus anxieux de lâĂ©cole. Par anxiĂ©tĂ© de sĂ©paration. |
La peur de certaines situations
Voici quelques exemples.
La peur de la piscine
Je reprends lâexemple de Victor qui, depuis sa chute dans la piscine, nâose plus y retourner et a obtenu un certificat mĂ©dical en ce sens.
La moindre allusion Ă sa participation Ă une activitĂ© aquatique le rend colĂ©rique et provoque non seulement un comportement de fuite et de pleurs, mais Ă©galement des manifestations de son corps : le cĆur qui bat vite, la transpiration des mains et une sensation dâĂ©touffement.
ConsidĂ©rant que le problĂšme de Victor est un « petit » problĂšme, ses parents ne sâinquiĂštent pas trop. « Tant quâil travaille bien Ă lâĂ©cole et quâil ramĂšne de bonnes notes, pourquoi sâinquiĂ©ter outre mesure ? »
Mais en rĂ©alitĂ© ce nâest pas ce qui se passe dans sa tĂȘte ! Câest vrai quâil continue Ă bien travailler Ă lâĂ©cole, mais Ă quel prix ! Il nâose pas vous en parler mais le jour de la piscine il frĂ©quente la salle dâĂ©tude pendant que ses camarades sont partis avec le maĂźtre et le professeur de gymnastique et la question redoutĂ©e arrive de la part du surveillant : « Pourquoi tu ne vas pas Ă la piscine ? Tu nâas pas lâair trĂšs malade. »
Ses camarades, lâaprĂšs-midi, le traitent de « poule mouillĂ©e », et cela devant les filles de la classe.
Pis encore ! Quand son pĂšre le conduit Ă lâĂ©cole et quâils passent devant la piscine municipale il devient pĂąle et son cĆur bat la chamade, mais il nâose pas lui demander de changer de parcours.
Lâautre jour, il lui est mĂȘme arrivĂ© de vomir dans la voiture, son pĂšre a Ă©tĂ© obligĂ© de le ramener et dâappeler le mĂ©decin. Celui-ci, inquiet, a conseillĂ© de le garder quelques jours au chaud. La nuit, il fait de plus en plus souvent des cauchemars affreux : il se voit couler dans la mer et entend les moqueries de ses camarades. Il Ă©vite mĂȘme dâutiliser la baignoire dans la salle de bains. Le matin du retour Ă ...