La Lutte des classes moyennes
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La Lutte des classes moyennes

  1. 224 pages
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La Lutte des classes moyennes

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À propos de ce livre

«Les classes moyennes, aspirĂ©es vers le bas de l'Ă©chelle sociale, luttent pour leur survie, trop souvent dans l'indiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale. Elles restent invisibles, inaudibles, sans vĂ©ritable relais politique dans le dĂ©bat public. Pour la premiĂšre fois depuis longtemps, elles ont l'impression que leurs enfants auront une vie plus difficile que la leur. Alors qu'elles sont le rouage essentiel de notre sociĂ©tĂ©, elles doutent et se sentent oubliĂ©es, entre l'attention lĂ©gitime portĂ©e aux plus pauvres et la lumiĂšre qu'attirent les plus riches.J'ai voulu Ă©crire ce livre pour redonner la parole Ă  ces sans-voix du dĂ©bat politique. Car j'en ai la conviction: bien des rĂ©ponses aux difficultĂ©s de la sociĂ©tĂ© française sont Ă  chercher du cĂŽtĂ© des classes moyennes. C'est Ă  ces anonymes que je m'adresse, Ă  ceux qui, par leur travail, font tourner la RĂ©publique et sont prĂȘts Ă  assumer ce rĂŽle avec gĂ©nĂ©rositĂ©, mais Ă  une condition: ne pas ĂȘtre les seuls Ă  porter le fardeau, avoir la certitude que la charge est Ă©quitablement rĂ©partie.»L.W. Benjamin de l'AssemblĂ©e nationale lors de son Ă©lection comme dĂ©putĂ© de Haute-Loire en 2004, ancien secrĂ©taire d'État chargĂ© de l'Emploi (2008-2010) et ministre chargĂ© des Affaires europĂ©ennes (2010-2011), Laurent Wauquiez, 36 ans, a Ă©tĂ© nommĂ© en juillet 2011 ministre de l'Enseignement supĂ©rieur et de la Recherche. Il a fondĂ© la Droite sociale, groupe qui rassemble des parlementaires et des Ă©lus locaux dĂ©terminĂ©s Ă  remettre les classes moyennes au cƓur des politiques publiques. Il est maire du Puy-en-Velay depuis 2008.

Foire aux questions

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Chapitre 1
ArrĂȘt sur images :
la crainte du déclassement
Joyeuse cohue sur un quai de gare : des voyageurs coiffĂ©s de canotiers se pressent, valises Ă  la main. Tant bien que mal, parents et enfants tentent d’attraper un train en partance vers la plage, guidĂ©s par les indications inaudibles crachotĂ©es par un haut-parleur. Bienvenue dans Les Vacances de Monsieur Hulot. J’aime beaucoup cette entrĂ©e en matiĂšre, pleine de l’humour propre Ă  Jacques Tati. Le film incarne Ă  merveille la dynamique de l’aprĂšs-guerre. La France, gonflĂ©e d’espoir, Ă©tait alors tirĂ©e par la locomotive du progrĂšs. Comment oublier que ces Trente Glorieuses furent prĂ©cisĂ©ment l’ñge d’or des classes moyennes ? En Allemagne, aux États-Unis, en France, dans tous les pays occidentaux, ce sont elles qui, par leur travail, ont portĂ© cette extraordinaire dynamique de croissance. C’est un fait que nous devrions toujours garder Ă  l’esprit : les phases de prospĂ©ritĂ© de notre pays correspondent Ă  des pĂ©riodes oĂč les classes moyennes ont Ă©tĂ© placĂ©es au cƓur de la sociĂ©tĂ©. Sans les classes moyennes, pas de rĂ©ussite durable.
AprĂšs guerre, le progrĂšs semblait irrĂ©versible, et les vacances apparaissaient comme un acquis social dĂ©finitif pour les classes moyennes. Qu’en est-il aujourd’hui de cette belle mythologie des sĂ©jours Ă  la mer immortalisĂ©e par Jacques Tati ? La question n’a rien de futile. Car les classes moyennes ce sont ceux qui, une fois payĂ©es toutes les factures, ont thĂ©oriquement une petite marge, encore un peu d’argent pour des extras. Rien de luxueux, juste quelques petits « plus » : aller au cinĂ©ma, acheter un livre ou un objet pour la maison, se faire un resto ou une sortie avec des amis, s’évader une ou deux semaines par an
 Un Ă©quilibre qui est mis Ă  mal par la faible progression de leur pouvoir d’achat. On pourrait balayer le phĂ©nomĂšne d’un revers de main. AprĂšs tout, ces classes moyennes, de quoi se plaignent-elles ? D’autres rencontrent des problĂšmes bien plus fondamentaux.
Certes, mais cette inquiĂ©tude est loin d’ĂȘtre anecdotique. Les classes moyennes ont des difficultĂ©s Ă  boucler leur budget en fin de mois, elles ont le sentiment de vivre moins bien que la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente et se demandent de quoi demain sera fait, surtout pour leurs enfants.
Elles sont la pierre angulaire de notre pays et leur crainte du dĂ©classement dĂ©stabilise l’équilibre de la sociĂ©tĂ©. Car pouvoir s’offrir un petit luxe de temps Ă  autre, Ă©pargner un peu chaque mois sont des ressorts de confiance essentiels : cela permet de vivre sans avoir le couteau sous la gorge et d’aborder l’avenir avec sĂ©rĂ©nitĂ©. Or ce qui apparaissait comme certain et stable devient aujourd’hui incertain et prĂ©caire. Pourquoi ?
Combien de fois les bons esprits statistiques m’ont-ils expliquĂ© que tout cela Ă©tait illusoire, que ce n’était qu’un sentiment de dĂ©classement, qu’en rĂ©alitĂ© les classes moyennes continuaient Ă  prospĂ©rer. Joli et sympathique discours, mais si Ă©loignĂ© de la rĂ©alitĂ© que je cĂŽtoie au quotidien. Je voudrais m’y arrĂȘter un instant, avant de revenir ensuite sur les principaux ressorts des difficultĂ©s auxquelles se heurtent nos classes moyennes : logement, travail, fiscalitĂ©, Ă©tudes des enfants
 ArrĂȘt sur images.
Le paradoxe du pouvoir d’achat
Nous sommes face Ă  un paradoxe. Le pouvoir d’achat des Français, ce qui reste aprĂšs les prĂ©lĂšvements sociaux et fiscaux, a doublĂ© en l’espace de quarante ans. Mieux encore : si l’on regarde les derniĂšres annĂ©es, et plus particuliĂšrement les mois de crise, ce pouvoir d’achat a continuĂ© Ă  progresser autour de 1 % par an. Cette performance mĂ©rite d’ĂȘtre soulignĂ©e parce que la France s’en sort incontestablement mieux par rapport Ă  des pays comme l’Espagne, l’Italie et mĂȘme l’Allemagne.
Circulez, il n’y a rien à voir ? Pas si simple.
Les premiers intĂ©ressĂ©s ne voient pas cela du mĂȘme Ɠil. Chaque fois qu’ils sont interrogĂ©s sur leur situation, ils expliquent avoir le sentiment que leur pouvoir d’achat se rĂ©duit. Difficile de ne pas entendre cette crainte. Une enquĂȘte trĂšs dĂ©taillĂ©e, rĂ©alisĂ©e en 2010 en Auvergne auprĂšs de 10 000 foyers, donne un coup de projecteur particuliĂšrement Ă©clairant1. Ces 10 000 familles, de tous milieux, pas seulement des classes moyennes, ont Ă©tĂ© questionnĂ©es sur la maniĂšre dont elles percevaient l’évolution de leurs dĂ©penses.
Les rĂ©sultats pour le dĂ©partement de Haute-Loire ont confirmĂ© ce que j’entends rĂ©guliĂšrement. Une large majoritĂ© des familles interrogĂ©es (92 %) ressent une hausse des prix au cours des derniers mois. Mais surtout, 62 % estiment que leurs ressources seraient insuffisantes si la hausse des prix devait se maintenir. 60 % considĂšrent n’avoir plus vraiment de marge de manƓuvre dans leur budget. 84 % disent avoir rĂ©duit leurs dĂ©penses de loisirs, d’habillement et d’épargne, 48 % leur budget transports et alimentation. Et 30 % iraient jusqu’à diminuer les dĂ©penses destinĂ©es aux enfants, comme l’habillement ou les sorties, l’arbitrage de loin le plus douloureux.
En fait, la hausse des prix est venue grignoter les marges de manƓuvre dont disposent les mĂ©nages pour boucler leur budget. DĂ©jĂ , en 2008 (les derniers chiffres disponibles), parmi les personnes dont le budget est environ de 1 500 euros nets mensuels aprĂšs impĂŽts, c’est-Ă -dire le budget mĂ©dian des Français, prĂšs d’une sur deux n’était pas partie en vacances dans l’annĂ©e, un tiers n’était pas allĂ© au cinĂ©ma, la moitiĂ© n’avait pas Internet Ă  la maison et 40 % ne possĂ©daient pas de livret d’épargne2.
Que se passe-t-il ? D’abord, les hausses de coĂ»ts sont concentrĂ©es sur les produits les plus frĂ©quemment consommĂ©s, et plus particuliĂšrement sur l’alimentation, l’essence, le gaz et l’électricitĂ©. C’est surtout vrai pour les familles qui doivent se dĂ©placer pour aller travailler : elles sont les premiĂšres Ă  ressentir durement les moindres hausses du coĂ»t de l’essence. Cette augmentation des prix est souvent plus forte que celle des salaires. Je pense Ă  un Ă©change que j’ai eu rĂ©cemment avec des salariĂ©es d’une entreprise du textile, chez moi, Ă  Yssingeaux. Je m’étais battu pour cette entreprise et j’avais rĂ©ussi Ă  la sauver de la fermeture. Alors qu’elle Ă©tait encore fragile, les salariĂ©es avaient dĂ©cidĂ© de faire grĂšve pour obtenir une petite augmentation de salaire. Je les avais reçues pour comprendre ce qui se passait, car je craignais pour l’avenir de cette sociĂ©tĂ©. L’une d’elles m’avait rĂ©pondu : « On comprend bien ce que vous dites, mais vous savez, c’est de plus en plus dur de boucler le budget chaque mois. Cela fait des annĂ©es qu’on n’a pas Ă©tĂ© augmentĂ©es, on n’arrive plus Ă  tenir. » Comment ne pas comprendre leurs arguments ?
Depuis une vingtaine d’annĂ©es, les classes moyennes sont les grandes oubliĂ©es de la croissance française. Tous les ans, notre pays crĂ©e de la richesse. La seule vĂ©ritable question est : Ă  qui profite cette richesse ? Vers qui vont les revenus ainsi crĂ©Ă©s ? Mais ce sujet est interdit, un scandale soigneusement camouflĂ© que bien peu dĂ©noncent. La rĂ©alitĂ©, c’est que les classes moyennes, celles qui font tourner la machine Ă©conomique et assurent la cohĂ©sion de la sociĂ©tĂ©, sont aussi celles qui sont les plus mises de cĂŽtĂ©. Vous trouverez sans mal des personnes pour s’indigner de la poussĂ©e de la pauvretĂ©, mais bien peu pour porter l’étendard des classes moyennes qui souffrent en silence, sans faire de bruit. Cela m’a frappĂ© lorsque j’ai lancĂ© le dĂ©bat sur le RSA. Les esprits bien-pensants y sont allĂ©s de leurs exemples sur les difficultĂ©s de telle personne au RSA depuis des annĂ©es. Mais qui a pensĂ© Ă  tendre le micro Ă  un ouvrier qualifiĂ© ou Ă  un employĂ© de bureau, pour savoir comment lui s’en sortait, et si lui considĂ©rait que son travail payait ? La rĂ©alitĂ©, c’est que son travail paie peu et de moins en moins.
Depuis vingt ans, la crĂ©ation de richesses en France a profitĂ© Ă  deux catĂ©gories sociales. D’abord aux plus riches, qui ont su surfer sur la mondialisation dans un climat de course aux talents et se positionner aux premiĂšres places du banquet mondial. Les 0,01 % les plus aisĂ©s ont augmentĂ© de 40 % leurs revenus dĂ©clarĂ©s sur quatre ans, notamment dans le monde de la finance. J’ai du mal Ă  comprendre ce qui peut justifier qu’en pleine crise, un patron de banque augmente son salaire de plus de 30 % d’une annĂ©e sur l’autre. Je ne suis pas non plus convaincu par les arguments consistant Ă  dire que, de toute façon, nos patrons sont moins bien payĂ©s que leurs voisins outre-Manche. Avec de tels arguments d’échelle de perroquet, la course Ă  la hausse est sans fin. Un peu de retenue, que diable ! Surtout quand, Ă  l’arrivĂ©e, les rĂ©sultats de l’entreprise ne sont pas Ă  la hauteur.
À l’autre bout de l’échelle sociale, de grands efforts ont Ă©tĂ© faits. On le relĂšve trop peu. Les 10 % des plus pauvres ont aussi bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une part croissante de la richesse nationale depuis vingt ans. Les trĂšs nombreux mĂ©canismes d’assistance ont transfĂ©rĂ© des sommes croissantes en direction des plus pauvres.
Et les autres ? Ceux qui sont entre les deux ? Les fameuses classes moyennes. Eh bien elles sont la seule catĂ©gorie sociale, je pĂšse mes mots, la seule catĂ©gorie sociale, Ă  ne pas avoir vu augmenter leur part dans la richesse nationale. Pire que cela : elles l’ont vue baisser de 1,4 %3. Sur 100 euros de revenu de rĂ©fĂ©rence, les classes les plus modestes disposent in fine de 10 euros de plus en 2008 qu’en 1995, les catĂ©gories aisĂ©es de 6 euros de plus. Et les classes moyennes ? Pour elles, le gain n’est que de 2,5 Ă  3 euros4.
RattrapĂ©es par le bas, distancĂ©es par le haut, les classes moyennes sont les seules Ă  faire les frais depuis vingt ans des Ă©volutions de la sociĂ©tĂ© française. Ce qui me choque le plus, c’est que ce scandale se dĂ©roule Ă  bas bruit, sans que cela semble troubler qui que ce soit.
Que reste-t-il quand il ne reste plus grand-chose ?
Les classes moyennes n’ont jamais Ă©tĂ©, et ne seront jamais, un groupe homogĂšne. Mais s’il y a bien un point commun qui les rassemble, c’est le fait de gagner un peu plus que le strict nĂ©cessaire. Or la crise Ă©conomique et financiĂšre, conjuguĂ©e Ă  une hausse des prix plus rapide que celle des salaires, a modifiĂ© la donne.
Les salaires Ă  la peine
Claire et JĂ©rĂŽme, 35 et 38 ans, gagnent chacun environ 1 650 euros nets par mois. Rappelons-le, cela correspond au salaire mĂ©dian : la moitiĂ© des Français gagne plus et la moitiĂ© gagne moins. Leurs deux enfants vont Ă  l’école primaire. Lui est technicien informatique dans une PME, elle Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e au sein d’une association de rĂ©insertion. Je les ai rencontrĂ©s Ă  l’occasion d’une visite dans l’entreprise de JĂ©rĂŽme. Depuis, nous sommes restĂ©s en contact.
Avant, ils habitaient Saint-Étienne, mais ils ont choisi de construire leur maison en Haute-Loire, Ă  Monistrol-sur-Loire, sur un terrain appartenant Ă  leurs parents. Chaque mois, ils remboursent environ 1 000 euros pour leur emprunt immobilier. Jusque-lĂ , ils arrivaient Ă  mettre de cĂŽtĂ© une petite centaine d’euros. Cela leur permettait de partir en vacances et de constituer une Ă©pargne de prĂ©vision pour leurs enfants.
La derniĂšre fois que je les ai vus, leur inquiĂ©tude Ă©tait palpable. Pour eux, les choses Ă©taient devenues clairement plus difficiles. Nous avons Ă©changĂ© sur leur budget. Ils m’ont dit Ă  quel point les prix avaient augmentĂ©. De façon un peu automatique, je leur ai rĂ©pondu que l’inflation Ă©tait pourtant trĂšs basse. Ils ont souri : « Tu sais, ça baisse peut-ĂȘtre pour les Ă©crans plats ou les ordinateurs, mais ce n’est pas ce qui remplit le caddie. » Ce qui pĂ©nalise Claire et JĂ©rĂŽme, c’est l’évolution des prix alimentaires, le coĂ»t de l’essence, les surprimes en assurance, les impĂŽts locaux qui n’ont cessĂ© de grimper ou encore les frais de transport en commun ou de cantine. Et lĂ , l’inflation modĂ©rĂ©e, on ne la voit pas trop.
Au supermarchĂ©, Ă  chaque passage en caisse, Claire et JĂ©rĂŽme constatent avec effarement que leurs courses leur coĂ»tent plus cher qu’avant. Quand ils se sont installĂ©s ensemble, en 1998, ils arrivaient Ă  bien se nourrir pour 250 francs par semaine. Aujourd’hui, ils dĂ©pensent rarement moins de 80 euros, soit un peu plus de 500 francs. Et pourtant ils font attention et ne prennent quasiment que des marques d’enseigne.
J’aime bien Ă©changer de temps en temps avec les responsables de magasin, parce qu’ils sont un trĂšs bon baromĂštre. Tous, ils sont formels. Les familles ont changĂ© leur mode de consommation, avec une attention aux prix plus forte que jamais : on change de marque, on arrĂȘte les produits les plus chers comme les plats cuisinĂ©s, on privilĂ©gie le hard discount. De nouvelles formes de consommation Ă©mergent, comme ces stands de picking oĂč, au lieu d’acheter un paquet, vous prenez exactement la quantitĂ© de produits dont vous avez besoin : les 150 grammes de cĂ©rĂ©ales pour la semaine au lieu du paquet de 750 grammes.
Pour continuer Ă  bien vivre sans trop se priver, les familles sont devenues expertes en systĂšme D. Elles sont obligĂ©es de ruser : faire du covoiturage ; revendre et acheter d’occasion sur Internet les vĂȘtements et les jouets des enfants ; faire les brocantes – jamais les vide-greniers n’ont eu autant de succĂšs ! ; attendre les soldes pour acheter les vĂȘtements dont on a besoin ; emprunter livres, CD et DVD Ă  la bibliothĂšque ; payer dans les grandes surfaces avec des tickets restaurants, subventionnĂ©s pour moitiĂ© par l’entreprise ; utiliser les chĂšques vacances pour rĂ©gler les pĂ©ages ; se faire rĂ©munĂ©rer les jours accumulĂ©s sur le compte Ă©pargne-temps au lieu de prendre des congĂ©s ; mettre sa maison en location pendant les vacances et partir en camping. Certes, dans plusieurs cas, il s’agit de modes de consommation plus Ă©cologiques et plus responsables. C’est une vraie avancĂ©e pour l’environnement. Sauf que quand il ne s’agit pas d’un choix raisonnĂ©, mais d’une contrainte subie, ces actions sont un symptĂŽme frappant de l’appauvrissement des classes moyennes.
Dans ce budget, le transport pĂšse particuliĂšrement lourd. Claire et JĂ©rĂŽme vivent loin du bourg. Ils sont obligĂ©s d’avoir deux voitures. Emmener les enfants Ă  l’école ou au club de sport, aller chez le mĂ©decin, se dĂ©placer pour les formalitĂ©s administratives : pour eux, la hausse du prix de l’essence est une trĂšs mauvaise nouvelle. 10 euros de plus sur un plein de sans-plomb, cela pĂšse rapidement sur le budget. Et autant vous dire que, chez moi, les gentils discours politiques incitant Ă  prendre les transports en commun laissent les gens de marbre. En Haute-Loire, le TER n’est pas franchement une option. Et les hausses du coĂ»t de l’essence viennent pĂ©naliser ceux qui n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture pour aller travailler. RĂ©sultat : on perd rapidement en frais de dĂ©placement ce que l’on gagne par son travail.
Enfin, il y a le prix de l’énergie. Profitant du dispositif d’éco-prĂȘt Ă  taux zĂ©ro, Claire et JĂ©rĂŽme ont amĂ©liorĂ© l’isolation de leur maison. MalgrĂ© tout, la facture reste importante. Ils ont accueilli avec soulagement l’annonce faite par François Fillon de geler cette annĂ©e le tarif du gaz et de contenir la hausse de l’électricitĂ©.
L’euro n’a pas le profil du bouc Ă©missaire
Je voudrais m’arrĂȘter un court instant sur l’euro. Oui, en 2002, au moment de son introduction, l’euro s’est sĂ»rement accompagnĂ© de hausses de prix rĂ©alisĂ©es en profitant de la confusion des esprits. Oui, l’euro n’empĂȘche pas les prix d’augmenter. Pour autant, est-il responsable de tous les maux ? Le remĂšde miracle serait-il de remiser la monnaie commune au placard, comme le propose Mme Le Pen ?
L’EuropĂ©en convaincu que je suis ne peut pas laisser raconter n’importe quoi en prospĂ©rant sur l’inquiĂ©tude des classes moyennes. D’abord, l’euro est-il responsable des hausses de prix ? De l’autre cĂŽtĂ© de la Manche, pas d’euro : les prix ont augmentĂ© de 4 % par an, soit deux fois plus qu’en France. Chez nous, depuis l’introduction de l’euro, le prix de la baguette de pain a doublĂ© en dix ans, c’est vrai. Mais avec le franc, entre 1980 et 1990, il avait triplĂ© !
Et, surtout, sortir de l’euro pour revenir au franc reviendrait Ă  faire payer une facture encore plus lourde aux classes moyennes. L’euro est une monnaie considĂ©rĂ©e comme forte, mĂȘme dans les turbulences actuelles – c’est d’ailleurs tout le paradoxe. La prĂ©sence de l’Allemagne et sa trĂšs grande attention Ă  la stabilitĂ© de la monnaie jouent incontestablement un rĂŽle positif. Revenir au franc et nous lancer seuls sur les grandes eaux de la spĂ©culation monĂ©taire est bien hasardeux, encore plus avec les avis de tempĂȘte actuels. Revenir au franc pourrait nous coĂ»ter 20 % ou plus de valeur par rapport au niveau actuel de l’euro. Pour faire simple, le franc serait moins crĂ©dible que l’euro. Mais 20 % en moins, ce n’est pas juste un chiffre de technocrate. Cela a un impact trĂšs clair sur la vie quotidienne des classes moyennes. Vous avez un peu d’argent sur un compte Ă©pargne : quand Mme L...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. Chapitre 1 - ArrĂȘt sur images : la crainte du dĂ©classement
  6. Chapitre 2 - Mon si cher logement
  7. Chapitre 3 - Redonner sa valeur au travail : plaidoyer contre les dĂ©rives de l’assistanat
  8. Chapitre 4 - Pour un partage plus juste de la solidarité nationale
  9. Chapitre 5 - Relancer l’ascenseur social pour les jeunes des classes moyennes
  10. Chapitre 6 - Droits et devoirs : le nouveau contrat social
  11. Conclusion