La Pomme et l'Atome
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La Pomme et l'Atome

Douze histoires de physique contemporaine

  1. 256 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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La Pomme et l'Atome

Douze histoires de physique contemporaine

Détails du livre
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Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Où est l'Homme dans l'Univers? Que se passe-t-il à l'intérieur des atomes? Einstein avait-il toujours raison? Comment apparaissent les formes dans la nature? Peut-on démêler l'ordre du chaos dans l'écheveau du monde? Où allons-nous? À ces questions, et à d'autres encore, les réponses de Sébastien Balibar, physicien mondialement connu pour ses travaux sur les liquides et les cristaux, surprendront. Car la physique qu'il nous invite à partager commence en regardant le ciel, l'écoulement d'un liquide, la couleur d'une flamme, la forme d'un cristal ou celle d'une fleur, en soupesant une table, en écoutant le vent, le son d'une flûte ou le tintement d'un verre, en faisant de la bicyclette ou en jouant du piano. Et pourtant, c'est bien des plus grandes questions qu'il traite, avec humour et passion, portant le regard d'un chercheur sur la vie quotidienne. Sébastien Balibar, physicien, est directeur de recherche CNRS au laboratoire de physique statistique de l'école normale supérieure.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2005
ISBN
9782738183088
1
Nuit noire
J’avais neuf ans. Mon père enseignait les mathématiques et ma mère les lettres classiques, chacun dans un lycée de Tours. Juste après la guerre, ils avaient trouvé ce double poste dans une ville qui était calme mais leur plaisait peu. Ils avaient donc décidé de s’en échapper aussi souvent que possible et cherché une maison où ils pourraient emmener leurs quatre enfants en vacances. Comme ils n’avaient pas la moindre fortune personnelle, ils avaient déniché une vieille ferme en ruines, quatorze pièces autour d’un puits et d’une cour intérieure, le tout sur cinq hectares de terre a blé caillouteuse au pied d’un très joli village de Provence. À l’époque, cette région n’avait pas l’eau courante, le rendement à l’hectare était dérisoire et le tourisme inexistant. Mes parents avaient donc acheté cette merveille pour 450 000 anciens francs, à peine quelques mois de leur salaire de prof.
Le premier hiver passé dans les quelques pièces habitables fut glacial mais plein d’espoirs. Dès l’automne suivant, je décidai de mon futur métier. Je voulais être ingénieur des Eaux et Forêts.
Il faut dire que le service public des Eaux et Forêts encourageait le reboisement. C’est donc avec son aide que nous avions fait planter plusieurs milliers de cèdres, cyprès étalés et cyprès bleus de l’Arizona, pins d’Alep et pins noirs d’Autriche, quelques tilleuls, acacias et peupliers, un micocoulier et un catalpa, un sorbier des oiseaux, cent quarante amandiers, treize rangs de vignes dont un d’angevine et de cardinal, un de chasselas, un de muscat, un de gros vert et de dattier… Et je dis bien « nous » parce que, malgré mes dix ans, j’avais pris l’entretien de nos plantations en main avec mon père. Entre cailloux et chardons, je sarclais avec acharnement des espérances d’arbres que la sécheresse, hiver comme été, décimait chaque année. Ainsi encouragés, la moitié environ d’entre eux survécurent, réussirent à atteindre la nappe phréatique en une dizaine d’années et décuplèrent soudain leur vitesse de croissance. La végétation au sol se transforma, les chardons disparurent et les cailloux furent bientôt recouverts d’une mousse parsemée d’aiguilles, propice aux cèpes à l’automne. Un jour on trouva même quelques morilles, on rencontra des lièvres, des huppes, de nombreux papillons que je collectionnais. Je traçai des chemins et décidai fièrement que la nature aménagée était plus agréable que la nature sauvage.
Mais, grâce au plan d’aménagement Durance-Ventoux, l’eau était arrivée dans toute la région, le château Renaissance du village se mit à exposer de vilaines peintures géométriques, madame Francine Cœurdacier céda son épicerie à Hédiard, les touristes affluèrent et couvrirent tout le canton de piscines, les ruelles furent éclairées en jaune… Heureusement, notre forêt faisait écran à toute cette agitation et nos nuits restaient noires, pures et parfumées ; seuls les grillons et les crapauds en rompaient le silence.
Quinze ans plus tard, nos parents nous avaient laissé la jouissance de ce paradis. C’est alors que Jean-Pierre Maury nous apporta un télescope. Jean-Pierre aimait le bois, l’astronomie, les gros cigares cubains et la vulgarisation scientifique. Dans les poubelles du campus de Jussieu, à l’Université de Paris où il enseignait la physique, il avait récupéré un cadre en ferraille, un gros tube de PVC de 25 cm de diamètre, un vieux moteur électrique, un grand disque d’aluminium et trois roulettes. Grâce à quelques planches de chêne clair et un objectif de microscope qu’il avait ajoutés à tout ce bric-à-brac, et surtout grâce à un grand miroir parabolique qu’il avait poli lui-même dans sa cuisine puis fait argenter dans un atelier du Marais, Jean-Pierre avait monté un instrument d’observation du ciel très respectable et nous en avait fait cadeau.
Nous avons donc commencé à nous prendre pour Galilée.
Nous sortions ce télescope sur l’ancienne aire à blé de notre ferme, bien abrités des lumières voisines par nos pins et nos cèdres, nous en orientions l’axe de rotation parallèlement à celui de la Terre et commencions d’interminables observations.
Mes premières émotions furent simples : lorsqu’elle était pleine, la Lune, éblouissante, remplissait tout le champ de vision de notre appareil. Mais je préférais les premiers quartiers, lorsque l’ombre des cratères s’allongeait à la limite de la zone éclairée et qu’on distinguait la pénombre voisine.
Puis je compris comment trouver Jupiter. Il suffisait de regarder vers le sud, d’imaginer l’endroit où passe le Soleil le jour, une sorte de grande trajectoire circulaire qui commence à l’est, monte au sud et redescend à l’ouest ; les planètes suivent le même chemin puisque nous sommes tous, les autres planètes, notre Terre et le Soleil, dans un même plan. La trajectoire du Soleil et des planètes dans le ciel est l’intersection du plan de l’écliptique et de la voûte céleste. Si je trouvais un objet très brillant dans cette région du ciel, j’avais de grandes chances que ce soit Jupiter, à moins que ce ne soit Vénus.
Jupiter était facile à reconnaître puisque, comme Galilée en 1610, je lui voyais bien quatre satellites alignés. J’appris leurs noms : Io, Europe, Ganymède et Callisto, puis je m’aperçus que ces quatre points brillants changeaient de place d’un jour (d’une nuit) à l’autre. Oui, bien sûr, ils tournaient autour de Jupiter et j’en voyais parfois deux d’un côté et deux de l’autre, puis trois de l’un et un seul de l’autre, et ainsi de suite. Si le ciel était vraiment pur, je pouvais même distinguer les bandes sombres que forme l’atmosphère de Jupiter, déchirée par des vents abominables. Les bandes sont parallèles à l’équateur et à la ligne des satellites : l’ensemble tourne dans un même plan ! Quant à Vénus, que je trouvais près du Soleil, c’est-à-dire vers l’ouest en début de soirée ou vers l’est au petit matin, elle était facile à reconnaître aussi : un objet très lumineux mais sans satellite. Et je découvris que Vénus avait parfois une forme de croissant, comme la Lune en plus petit. Un croissant de Vénus…
Je pus me moquer de mes amis : mais non, cette grosse « étoile » n’en était pas une, c’était une planète ! On voyait bien qu’elle n’émettait pas de lumière par elle-même, qu’elle ne faisait que nous renvoyer celle qu’elle recevait du Soleil, sans compter qu’il s’agissait bien d’un objet proche puisqu’on en voyait distinctement le diamètre. Et je me sentais petit, pris de vertige dans ce grand manège. Et puis, à force d’ajuster sans cesse l’orientation de notre télescope dont le moteur n’avait jamais accepté de tourner, je continuais de penser à Galilée, condamné pour avoir défendu la science contre l’Église catholique. À l’époque, je ne savais pas encore qu’il n’a sans doute pas dit « et pourtant elle tourne »1, qu’il n’avait plus la force nécessaire à la fin de son procès, mais je comprenais que ce que je sentais dans mon viseur, c’était la rotation de la Terre sur elle-même, bien sûr, pas celle de la Terre autour du Soleil ; celle-là fait que Jupiter change de place dans le ciel tout au long de l’année, contrairement aux étoiles. Je me mis à réfléchir aux saisons, à l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre par rapport au plan de l’écliptique, aux périodes glaciaires et aux périodes interglaciaires que la Terre a connues…
Dans mes rêveries sur le mouvement relatif, évidemment, Galilée me tenait toujours compagnie. En effet, quelle différence y a-t-il entre « la Terre tourne autour du Soleil » et « le Soleil tourne autour de la Terre » ? S’il n’y avait que deux objets, la Terre et le Soleil, ces deux propositions seraient strictement équivalentes. Par exemple, est-ce la Lune qui tourne autour de la Terre ou la Terre qui tourne autour de la Lune ? Preuve de notre égocentrisme général, nous avons bien sûr tendance à penser que c’est la Lune qui tourne ; « nous, la Terre, détenons la force majeure qui fait tourner ce petit satellite ». En fait chacune tourne autour de l’autre, et d’ailleurs la Lune n’est pas petite par rapport à la Terre.
Afin que plus personne ne dise aujourd’hui que le Soleil tourne autour de la Terre, je réalisai alors qu’il avait fallu que des générations d’astronomes observent non seulement le mouvement relatif de la Terre et du Soleil, mais aussi celui des étoiles et des autres planètes. Or les étoiles sont toujours au même endroit dans le ciel d’une année sur l’autre alors que ce n’est pas vrai des planètes : même d’une semaine à l’autre on voit les planètes se déplacer par rapport aux étoiles. Lorsque Copernic considéra que toutes les planètes, y compris la Terre, tournaient autour du Soleil, on disposa enfin d’un modèle simple permettant de prévoir la position de tous les objets dans le ciel. Les rôles de la Terre et du Soleil n’étaient plus symétriques. En 1915, après avoir remarqué quelques petites anomalies dans le mouvement d’Uranus et de Neptune, on prédit même qu’il devait exister une planète supplémentaire qui influençait les deux précédentes ; or, en 1930, on découvrit Pluton. Il semblerait donc ridicule de prétendre aujourd’hui que c’est le Soleil qui tourne autour de la Terre, laquelle serait le centre fixe, immuable de l’Univers, et à l’issue de cette mise au point personnelle je me sentais de plus en plus petit, non seulement dans l’Univers physique mais aussi dans l’univers des idées scientifiques, je veux dire plein de respect pour l’histoire de l’astronomie et de ses grands hommes.
Sans me laisser aller à trop de sentiments, je me relançais à la conquête du ciel. J’apercevais un autre point brillant, un peu rougeâtre, sur ce qui devait bien être le chemin des planètes. Mars ? Un coup d’œil me suffisait pour voir que cet objet rougeâtre avait lui aussi un diamètre apparent, que c’était bien une autre planète. Mars tient sa couleur rouge de la forte concentration en oxydes de fer de son sol granuleux, et l’on se demande de plus en plus sérieusement s’il y a eu de la vie là-bas, puisqu’on y a découvert de l’eau souterraine (je ne crois pas qu’on devrait dire « sous-martienne »).
Aujourd’hui, combinant mon amour de la nature et une forte dose de rationalisme héritée de mon père, je suis devenu chercheur en physique. J’ai envie de m’acheter un très beau télescope, de retourner en Provence, loin des lumières de la ville et de leur atmosphère trouble, afin de voir moi-même que Mars a une calotte blanche, qui passe de son pôle Nord à son pôle Sud selon les saisons martiennes, parce qu’il y neige du CO2 et que la neige carbonique est blanche, comme la neige d’eau sur Terre, juste un peu plus froide. Et comme je sais où trouver les éphémérides dans mon journal, ou mieux sur Internet2, je peux savoir si Saturne est visible à une heure décente et dans quelle direction. Je me souviens des célèbres anneaux, que j’essayais de compter, dont l’inclinaison variait d’une année sur l’autre, et de mon impression, un jour, que Saturne, inséré dans ses anneaux vus de biais, ressemblait à un œil, un œil qui me regardait…
C’est vrai, il n’y a qu’un pas de la science au rêve.
Récemment, je suis tombé sur cette question qui, au premier abord, m’avait paru désarmante de naïveté :
« Pourquoi fait-il noir, la nuit ? »
Comment pouvait-on poser une question pareille ? En fait, il y a peu de questions stupides, et les plus naïves sont souvent même les plus fondamentales. C’est bien le cas de celle-ci, puisqu’elle est liée aux origines de l’Univers, à la théorie du Big Bang et aux frontières actuelles de la cosmologie.
Bien sûr, la nuit, le Soleil éclaire l’autre côté de la Terre. Mais toutes les étoiles sont autant d’autres soleils, pourquoi ne nous éclairent-elles pas suffisamment pour y voir la nuit comme en plein jour ?
Évidemment, elles sont loin, et nous savons bien que plus nous sommes loin d’une source de lumière, moins nous sommes éclairés. D’un phare situé à 2 km, nous recevons quatre fois moins de lumière que s’il était à 1 km.
Mais des étoiles, il y en a beaucoup. Si les étoiles ne nous éclairent pas suffisamment pour y voir clair la nuit, c’est donc peut-être qu’il n’y a pas assez d’étoiles dans le ciel ? En 1823, cette excellente remarque a amené Wilhelm Olbers, astronome allemand, à une conclusion remarquable : l’Univers que nous observons n’est pas infini. La question de la finitude de l’Univers travaillait les philosophes depuis des millénaires. Elle est aujourd’hui résolue.
Combien y a-t-il donc d’étoiles dans le ciel ? Pas facile de répondre à cette question préalable. Imaginez pour simplifier que la densité d’étoiles dans l’espace intersidéral soit constante en moyenne3. Imaginez maintenant que vous comptiez le nombre d’étoiles qui se trouvent à une certaine distance de la Terre. Puis imaginez que vous recommenciez ce calcul pour une distance double : le nombre d’étoiles sera quatre fois plus grand, mais, comme elles éclairent de deux fois plus loin, nous recevons quatre fois moins de lumière de chacune d’entre elles. En somme la lumière qui vient de deux fois plus loin est exactement égale à celle qui vient de deux fois moins loin, car l’augmentation du nombre d’étoiles est exactement compensée par la diminution de la lumière reçue en fonction de la distance. Pour trouver enfin la lumière totale que nous recevons de toutes les étoiles du ciel, Olbers a fait la somme de la lumière reçue depuis les étoiles proches jusqu’aux étoiles lointaines. Si ce lointain était infiniment éloigné, on devrait trouver une quantité de lumière infinie et ce n’est pas le cas, donc on ne voit pas d’étoiles à l’infini, on ne reçoit pas de lumière venant de plus loin qu’une certaine distance. Cette limite doit, certes, être lointaine, mais elle ne peut pas être à l’infini. Olbers a donc montré que l’Univers a un horizon. Mais pourquoi ?
Continuons à réfléchir. Comme vous le savez, la lumière se propage à 300 000 km/s, c’est beaucoup mais ce n’est pas infini non plus. Pour nous arriver aujourd’hui depuis une source infiniment éloignée, la lumière aurait donc dû avoir été émise depuis un temps infini. Si nous ne recevons pas une quantité de lumière infinie, c’est donc peut-être plutôt parce que l’Univers visible n’a pas un âge infini ! Voilà qui, cette fois, est à la fois plus précis et plus juste. Il fait noir la nuit parce que les étoiles ont une date de naissance, elles n’ont pas toujours été là.
Ce fut une véritable révolution d’en arriver à une telle conclusion. Or notre conception de l’Univers s’est encore beaucoup enrichie depuis. En 1923 en effet, un siècle après Olbers, l’Américain Edwin Hubble découvrit que la nébuleuse d’Andromède est une galaxie extérieure à la nôtre4. Il découvrit ensuite d’autres galaxies et réussit à mesurer leur distance, puis, et c’est sa découverte majeure, que toutes ces galaxies s’éloignaient de nous à une vitesse proportionnelle à leur distance. Il formula donc, en 1929, une hypothèse qui est encore plus intéressante, et aussi mieux connue aujourd’hui : l’Univers devait être en expansion à partir d’une explosion initiale. Un phénomène aussi impressionnant méritait un surnom, on l’appela le « Big Bang ». Mais qu’est-ce qui fit penser à Hubble que l’Univers s’enfuyait dans toutes les directions depuis son explosion initiale ? Les progrès en ce domaine sont venus du fait qu’on a réussi à mesurer la vitesse des étoiles.
Quand j’étais petit – décidément mon enfance m’a marqué –, j’avais des voitures miniatures avec lesquelles j’organisais des courses imaginaires. La passion de la vitesse automobile m’a heureusement passé mais, à l’époque, je ne me contentais pas de les pousser sur des routes dessinées à la craie, je faisais le son. Il ne manquait que la lumière. En passant devant moi, à toute allure, elles faisaient iiiiiiiiiiaaaaaaaaaa. Comme tous mes copains, je savais que les vraies voitures, en s’approchant de moi, avaient un son plus aigu qu’en s’éloignant, mais je ne savais pas que cet effet avait été prévu par le physicien autrichien Johann Doppler en 1843, puis vérifié en plaçant des trompettistes à bord d’un train. Je savais encore moins que Doppler avait aussi prévu que la lumière, étant une onde comme le son, devait présenter le même phénomène, ni a fortiori que l’astronome français Armand Fizeau en avait déduit une méthode de mesure de la vitesse des étoiles par rapport à nous.
Dans les étoiles, chaque atome suffisamment chaud émet une lumière qui a une structure particulière : elle est composée d’un ensemble de raies de couleurs différentes, véritable signature de chacun d’entre eux. On sait donc extraire la composition de chaque étoile en analysant la signature de ses atomes. Or ces raies, ces signatures colorées, sont toutes plus ou moins décalées vers les basses fréquences, c’est-à-dire vers le rouge, à cause de l’effet Doppler-Fizeau. Toutes les étoiles s’éloignent donc de nous. En mesurant ce décalage, on trouve à quelle vitesse s’éloigne chaque étoile. Certaines sont très loin et s’éloignent très vite, elles en rougissent très fort, d’autres sont plus proches et ne bougent presque pas par rapport à nous, cela ne les émeut pas beaucoup. Imaginons alors que nous remontions le temps : toutes les étoiles, toutes les galaxies d’étoiles convergent en un point qui est l’origine de l’Univers. Hubble a donc imaginé que l’Univers actuel résultait d’une explosion initiale et n’avait cessé son expansion depuis. À ce jour, c’est toujours l’hypothèse centrale de la cosmologie. Le modèle en a été développé, les mesures précisées : on pense aujourd’hui que ce Big Bang a eu lieu il y a 13,7 milliards d’années. C’est l’âge de l’Univers, l’âge maximal de toutes les étoiles, mais en fait beaucoup d’étoiles sont plus jeunes ; 13,7 milliards d’années, c’est remarquablement précis et c’est évidemment beaucoup à l’échelle humaine ; c’est aussi trois fois l’âge de la Terre et du système solaire, lequel a été mesuré par ailleurs, et par une autre méthode. J’y reviendrai, mais saviez-vous que l’Univers est trois fois plus vieux que la Terre ?
Une question incongrue nous ayant entraînés jusqu’au Big Bang, il serait dommage d’en rester là. Je vais donc en poser une autre :
« Le ciel va-t-il nous tomber sur la tête ? »
Je ne sais pas si les manuels d’histoire pour écoles primaires associent toujours cette question à la naïveté supposée des Gaulois. C’est pourtant une question d’actualité de la cosmologie moderne, tout sauf une naïveté, même si je l’ai un peu arrangée pour le plaisir de la provocation.
Le Soleil attire la Terre, laquelle, comme tout le monde le sait depuis Newton, attire la pomme qui tombe : c’est la gravitation universelle. Entre elles, les étoiles s’attirent donc aussi. La force d’attraction dépend de la distance et de la masse et c’est le moteur premier de la dynamique de l’Univers. Imaginez donc une grande concentration de masses quelque part, une sorte de nuage dense : il va s’effondrer sur lui-même et, au cours de cette implosion, s’échauffer tellement que des réactions nucléaires vont s’allumer. C’est ainsi que les étoiles naissent et brillent. Il en naît encore une ou deux par an dans notre galaxie qui n’est pas jeune.
Mais l’Univers lui-même ? S’il est très dense, il devrait s’effondrer sur lui-même de la même façon, tant chaque étoile attire chaque autre étoile. Et si cette attraction est forte, l’expansion provenant de l’explosion initiale pourrait-elle s’inverser un jour...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Quelques pommes à croquer
  5. 1 - Nuit noire
  6. 2 - Mon cousin le poireau
  7. 3 - Je suis radioactif
  8. 4 - Einstein, la flûte et la rosée quantique
  9. 5 - Quantique, ma table ?
  10. 6 - Le pouvoir des mots
  11. 7 - Cristaux et verres
  12. 8 - Dieu, l’hélium et l’universalité
  13. 9 - Cyclistes et papillons
  14. 10 - Autres pommes
  15. 11 - Des pianos au soleil
  16. 12 - I speak english
  17. Que ne sais-je pas ?
  18. Index
  19. Du même auteur