Le Pouvoir de guérir
eBook - ePub

Le Pouvoir de guérir

Une histoire de l'idée de maladie

  1. 320 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Le Pouvoir de guérir

Une histoire de l'idée de maladie

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

À travers l'histoire de nos représentations de la maladie, de la guérison et des pratiques médicales, ce livre retrace la genèse du pouvoir de guérir auquel s'est élevée la médecine moderne. Jean-Paul Lévy, hématologiste et immunologiste, dirige l'Institut Cochin de génétique moléculaire et l'Agence nationale de recherche sur le Sida.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Le Pouvoir de guérir par Jean-Paul Lévy en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Medicine et Medical Theory, Practice & Reference. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1991
ISBN
9782738142696

II

LE LONG MOYEN AGE :
LA MALADIE IMAGINÉE



CHAPITRE III

L’échec d’Hippocrate


Hippocrate : la première rupture

On admet en général que l’histoire de la médecine occidentale commence avec Hippocrate, dans l’île de Cos, vers 400 avant J.-C. C’est en tous les cas la première rupture connue avec la « médecine » des civilisations primitives. A la magie (ou au sacré) et à l’empirisme vient brusquement se substituer une approche rationnelle de la maladie et ce bouleversement se produit dans le temple même, ou du moins chez un médecin qui a exercé dans un temple d’Asclépios.
Pour Hippocrate la maladie n’est plus l’état de malade provoqué par des causes surnaturelles des médecins archaïques, c’est un objet d’étude que l’on approche par l’observation et le raisonnement, pour en rechercher la cause naturelle. Pour la première fois il tente de comprendre ce qu’elle est, et il va commencer par essayer de définir des ensembles objectifs et reproductibles de symptômes. Ainsi savait-il identifier le tétanos et l’ictus apoplectique ou la crise d’épilepsie généralisée. L’œuvre considérable qu’on lui attribue (mais certains ouvrages sont peut-être apocryphes) ouvre l’histoire de deux mille deux cents ans de médecine humorale dont les Aphorismes, le traité Des airs, des eaux et des lieux, les Épidémies, le Traité des maladies et les Pronostics constituent les livres sacrés.
Il est probable que tout n’est pas venu du seul génie d’Hippocrate, qui a peut-être été d’abord l’aboutissement d’un courant, mais l’œuvre est décisive car elle représente en plusieurs domaines une rupture évidente avec tout ce qui a précédé. Elle inaugure d’abord l’éthique médicale dont nous reste symboliquement le serment que chaque médecin prête encore le jour de son doctorat. Elle se refuse ensuite à lier la médecine au domaine sacré, ouvrant une idée purement laïque de ce métier. Dans la foulée de cette conception, elle cherche enfin à appréhender la réalité par l’étude rigoureuse du malade, sans a priori, et c’est la naissance de la clinique : il s’agit d’identifier la maladie. Le mot n’a pas le sens que nous lui attribuons aujourd’hui, ce n’est alors qu’un groupement significatif de signes à valeur beaucoup plus pronostique que diagnostique, mais l’attitude est révolutionnaire, car on s’intéresse désormais à l’objet maladie.
Hippocrate apportait encore quelque chose de plus : une première tentative d’approche théorique de la maladie, celle de la théorie des humeurs dont il a été, semble-t-il, le créateur. Elle était certes complètement erronée mais en la proposant, puis en cherchant à la faire coïncider avec les symptômes observés et peut-être déjà à l’adapter à ce qu’il voyait, le maître de Cos modifiait radicalement l’attitude des médecins et tentait ainsi de sortir leur art de l’empirisme. Mieux : Hippocrate savait déjà que l’expérience vécue du médecin est la base de toute connaissance, que le raisonnement logique vient ensuite tenter d’étayer, mais qu’il ne peut en aucun cas remplacer : « Je dis que le raisonnement est louable mais qu’il doit toujours être fondé au départ sur un phénomène naturel... » L’idée de progrès lui était, semble-t-il, familière. La médecine hippocratique ne distingue pas de maladies autonomes par leurs causes ou leurs lésions que l’on ignore, elle les isole seulement en tant que tableaux symptomatiques, le but étant presque exclusivement de savoir dire qui vivra et qui mourra, et si possible quand et comment. Il y a pourtant déjà en germe chez elle la double tendance que connaîtra le XIXe siècle, celle de la médecine-art qui décrit et celle de la médecine-science qui explique et, par là même, distinguera les maladies les unes des autres.
La théorie des humeurs n’est après tout que le premier en date des grands systèmes spéculatifs médicaux et bien que certains historiens parlent à son sujet de « première approche scientifique de la médecine », elle ne reposait sur rien de plus solide que les autres systèmes qui fleurirent ici et là après elle. Pourtant, appliquée dans l’esprit qui semble avoir été celui d’Hippocrate, elle aurait pu effectivement être le début d’une démarche rationnelle progressant au cours des siècles. Après la mort d’Hippocrate, à l’époque hellénistique où brillait Alexandrie, il y eut d’ailleurs un véritable progrès avec Hérophile (mort vers 300 avant J.-C.), puis Érasistrate (qui vivait dans la première moitié du siècle suivant). Hérophile fut semble-t-il un bon obstétricien et peut-être le créateur de l’anatomie, le premier qui ait disséqué des cadavres humains. Érasistrate compléta son œuvre anatomique, ébaucha une physiologie et fit des observations cliniques de qualité, dont certaines ne devaient être répétées qu’au temps de Laennec. Mais après eux le déclin fut rapide. Leur œuvre aurait pu constituer l’aube d’une recherche scientifique en médecine mais elle était apparemment prématurée et très vite les médecins d’Alexandrie abandonnèrent Hérophile, Érasistrate et Hippocrate. Il n’y a aucune continuité dans la médecine hellénistique qui passe ensuite à Rome avec des médecins grecs célèbres comme Arétée de Capadoce, Asclépiade de Bithynie ou Soranos d’Éphèse. Les systèmes explicatifs délirants, atomistes, pneumatistes ou éclectiques prolifèrent.
La continuité hippocratique devait être rétablie seulement par Galien. Plus de cinq siècles après Hippocrate, dans la Rome triomphante des Antonins, ce Grec de Pergame né en 131 de notre ère trouva la fortune auprès de Marc Aurèle et de ses successeurs. L’essentiel de ce qu’avait apporté le maître de Cos était à peu près oublié lorsque Galien eut le mérite de replacer Hippocrate à l’origine de la connaissance médicale. Cependant, comme son orgueil était immense, il se considérait comme le vrai créateur de la médecine et tendait à ne voir en son prédécesseur qu’un précurseur : « Comme il est le premier à l’avoir découverte, il n’y a fait que quelques pas, il y a marché un peu à l’aventure, ne s’est pas arrêté aux endroits importants... S’il a commencé, il appartient à un autre de l’achever. » Comme Hippocrate, Galien basait tout savoir sur l’observation du malade et l’étude de l’anatomie qu’il avait pratiquée sur l’homme à l’époque où il était médecin des gladiateurs de Pergame, puis approfondie par la dissection animale, dont il tirait une description d’ailleurs abusive de l’anatomie humaine. Conscient de l’importance de l’expérience, Galien ébaucha même une recherche en physiologie. Malheureusement il reprit aussi à son compte, compléta et généralisa la théorie des humeurs qui, entre ses mains, devint dogmatique. Deux siècles plus tard, alors qu’on l’avait un peu oublié, c’est un autre médecin de Pergame, Oribase, chargé par Julien l’Apostat de réunir toute la connaissance médicale antique, qui allait faire de Galien le sommet de cette connaissance. Les soixante-dix volumes de ses Collections et leur résumé, le Synopsis, transmis à Byzance, au monde arabe et à l’Occident chrétien, ont créé le courant galéniste qui allait animer toutes les facultés de médecine jusqu’au XVIIIe siècle.

L’échec d’Hippocrate : la sclérose par sacralisation

Alors qu’Hippocrate et même Galien avaient arraché la médecine au sacré et introduit une vision rationnelle de la maladie, ouverte sur le progrès, par un étonnant contresens qui ne retenait de leurs œuvres que la lettre et non l’esprit, la théorie des humeurs, recueillie par l’Église parmi ces œuvres antiques que l’on considérait comme préchrétiennes, allait être figée et constituer pour une quinzaine de siècles le premier obstacle au progrès médical. L’orgueil dogmatique de Galien, l’admiration sans borne que lui portait Oribase, la crédulité du moyen âge et sa philosophie qui fit reposer la connaissance sur l’autorité des textes en rejetant au second plan le raisonnement et en méprisant l’expérience aboutirent à sacraliser Galien, Hippocrate et la théorie des humeurs désormais momifiée. A l’opposé de toute la pensée hippocratique, il devint hérétique dans un moyen âge qui ne distingue pas la connaissance technique des articles de foi, de ne pas accepter comme vérité absolue les écrits de Galien et d’Hippocrate. Le moyen âge médical, cette interminable parenthèse, ne s’achèvera véritablement qu’au XIXe siècle lorsqu’on retrouvera en fait l’esprit de l’antiquité en cessant de la révérer. En attendant on va vivre sur un malentendu fondamental : la confusion entre ce que l’on croit être la pensée antique dont on néglige le rationalisme et le sens du progrès et la pensée totalement opposée du christianisme primitif qui méprise l’intellect et tout au fond reste imprégnée en médecine de la pensée biblique du Lévitique et de la notion du pur et de l’impur.
La grande affaire des médecins a donc été pendant des siècles de retrouver, analyser, et indéfiniment commenter en termes quasi religieux les œuvres des médecins antiques. Tout l’effort était consacré au passé aux dépens de toute créativité ou presque. On sait que la régression de la médecine en Europe fut rapide, avec les bouleversements sociaux des VIe et VIIe siècles : l’école disparaît dans le Nord, notamment en France, dès le VIe siècle. Elle persiste plus longtemps au Sud, en Provence, en Aquitaine, en Espagne et en Italie jusqu’au VIIe siècle parfois, mais la culture antique achève de disparaître avec les guerres de Justinien, puis les invasions lombardes en Italie et la conquête arabe en Espagne. Si on souhaite apprendre à lire, il faut trouver un homme instruit qui puisse vous transmettre son savoir. Avec l’enseignement général meurt celui de la médecine et à partir du VIIIe siècle les médecins laïcs semblent avoir disparu presque partout en Occident, pour ne persister qu’en Sicile et dans le sud de l’Italie.
Leur réapparition sera une longue affaire. Pendant plusieurs siècles, hormis le sud de l’Italie, l’Europe ne connaît plus que des guérisseurs et des moines autodidactes. On ne sait plus lire et l’on ne dispose en outre que de très rares manuscrits médicaux. Jusqu’au XIIe siècle on n’enseignait plus que des rudiments de médecine dans les écoles monacales et épiscopales. En vérité la grammaire et la rhétorique y constituaient avec la musique la quasi-totalité de l’enseignement, même si au Xe siècle un peu d’enseignement scientifique et de médecine réapparaît, à Laon, Reims, et Chartres notamment. C’est Chartres qui dès le début du XIe siècle va devenir l’école la plus importante après avoir été réorganisée par les moines de Fleury et grâce à Fulbert. Elle sera, au XXe siècle, le centre intellectuel et médical du nord de la France jusqu’à ce que se développe l’université de Paris et cela grâce à la richesse de sa bibliothèque. Comme partout le fonds en venait généralement de manuscrits que Cassiodore avait réunis au VIe siècle au monastère du Vivarium en Calabre et qui, récupérés plus tard au mont Cassin par les papes, avaient été distribués dans les couvents européens et largement recopiés à l’époque carolingienne, à Fulda, Saint-Gall, Reichenau, Corbie, Reims et tout particulièrement à Laon. Oribase et les textes transmis par Boèce au VIe siècle (de rares fragments d’Hippocrate et de Galien) en constituaient le fonds avec les œuvres de quelques médecins latins comme Marcellus ou Coelius Aurelianus. On connaissait aussi la pharmacologie de Dioscoride (fin du Ier siècle de notre ère) et un médecin byzantin, Alexandre de Trallés.
Par contre, en Orient, malgré la décadence du monde antique, quelques foyers brillants avaient subsisté, en Perse, en Syrie et à Alexandrie notamment, où la culture médicale de l’antiquité s’était conservée. Lorsque ce monde devint arabe, les califes de Damas puis de Bagdad encouragèrent la traduction des connaissances techniques des pays conquis. Ils y furent aidés par les chrétiens, Jacobites monophysites et surtout Nestoriens, que l’intolérance byzantine avait chassés et qui gardaient une tradition de haute culture. Ce sont eux qui, venus à Bagdad au début de la dynastie abbasside, surtout sous Haroun al-Rachid, ont transmis la tradition perse de la grande école médicale de Goundi-Shapour. Ils avaient l’avantage de parler l’arabe, le persan, le sanscrit, le grec et le syriaque, ce qui leur permit des synthèses inaccessibles à d’autres. C’est donc souvent en syriaque ou en perse, parfois en hébreu, que les manuscrits grecs furent initialement transmis avant d’être retraduits de ces langues en arabe, ce qui explique les altérations du texte et parfois de la pensée qu’ils avaient subies quand, beaucoup plus tard, ils passèrent enfin de l’arabe au latin. Vers 900 l’essentiel de la connaissance grecque était récupéré par les Arabes alors que l’Occident l’avait à la même époque presque entièrement perdu. Ce sont donc les Arabes qui le lui rendront à partir du XIe et surtout du XIIe siècle, au temps de l’« arabisme », lorsque, autour de Constantin l’Africain à Salerne, puis de Jean de Crémone à Tolède reconquise, le moyen âge va s’attaquer à la traduction des manuscrits du monde arabe, découverts avec émerveillement.

L’école de Salerne

Force est de constater qu’un seul îlot inventif a persisté, dans l’unique région qui avait conservé des médecins de profession, l’Italie du Sud. L’école de Salerne existait avant les universités et, plus indépendante d’esprit qu’elles ne le seront, elle a nourri un véritable courant créateur. Son histoire est très particulière car, célèbre dès le IXe siècle, elle est déjà dirigée par des maîtres laïcs, regroupés en guilde et rémunérés par leurs étudiants. Fait original que l’on ne retrouvera pas dans les universités scolastiques, il y avait à Salerne un enseignement pratique dispensé à l’hôpital comme dans le monde arabe. Salerne peut être considérée comme une véritable école de médecine, la seule dans l’Occident médiéval, où les échanges avec les mondes byzantin et arabe et la présence de nombreux étudiants et enseignants juifs entretenaient un bouillonnement intellectuel sans commune mesure avec l’esprit monacal des écoles épiscopales du Nord. Salerne bénéficiait en outre de très nombreux manuscrits du corpus médical de Cassiodore passé au mont Cassin après la ruine du Vivarium et un moine médecin, Alphane, fut un lien précieux entre le mont Cassin, Salerne et Byzance avant de devenir évêque de Salerne. L’influence arabe y devint dominante lorsque Alphane accueillit Constantin l’Africain. Ce médecin de Carthage, réfugié en Italie après une accusation de magie, aurait été le secrétaire de Robert Guiscard, avant de mourir moine au mont Cassin. A Salerne Constantin va traduire de l’arabe des textes qui renouvellent la connaissance médiévale, faisant avec le mont Cassin et Alphane le trait d’union entre ce que Cassiodore avait sauvé de l’antiquité et ce que les Arabes en avaient récupéré. L’essentiel d’Hippocrate et de Galien est alors retrouvé et Salerne joue un rôle capital dans l’éveil de la culture médicale européenne. L’œuvre de Constantin l’Africain devait rester très longtemps l’un des piliers de l’enseignement universitaire.
Salerne, comme Chartres, atteint son apogée au XIIe siècle avec quelques personnalités majeures comme le chirurgien Roger de Parme qui allait contribuer à développer Montpellier et deux femmes, ce que l’on ne reverra pas dans les universités : Abbela qui s’intéresse à la semence masculine et une gynécologue, Trotula. Salerne a laissé trois contributions majeures au progrès médical : le premier traité d’anatomie écrit d’après nature depuis l’antiquité, par le Juif Caphon, sur le porc, un manuel d’hygiène indéfiniment recopié pendant des siècles (le Flos medicinae vel regimen sanitatis salernitarum) et surtout l’amélioration du vocabulaire technique, qui faisait horriblement défaut pour traduire les auteurs antiques. Malheureusement dans le siècle suivant...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. I - LA FATALITÉ : LA MALADIE SUBIE
  6. II - LE LONG MOYEN AGE : LA MALADIE IMAGINÉE
  7. III - NAISSANCE DE LA MÉDECINE : LA MALADIE CERNÉE
  8. IV - ET MAINTENANT ? LA MALADIE RATIONALISÉE ?
  9. Bibliographie
  10. Table