Gènes, populations et maladies : pour aborder ce thème, c’est la vision de la génétique des populations humaines que j’ai choisie et qui va, à travers quelques exemples de projets de recherche, nous conduire vers la génétique épidémiologique et vers des problématiques de santé publique.
La génétique des populations, en quelques mots ?
Un regard sur l’histoire et la géographie des populations humaines à travers leurs gènes !
C’est notamment à travers le livre de Cavalli-Sforza, Menozzi et Piazza (1994) sur l’histoire et la géographie des gènes humains11 que cette discipline peut être illustrée. Elle a existé bien avant les apports de la génétique moléculaire. Le message à retenir ? Il est possible, à partir d’études de marqueurs génétiques, tels que groupes sanguins et gènes HLA, de retracer une géographie génétique qui est globalement cohérente avec l’histoire des populations.
Mais commençons par quelques définitions2.2
Tout d’abord, la génétique des populations, c’est l’étude des caractéristiques génétiques des populations, permettant de définir leur structure génétique et de déterminer l’influence de cette structure génétique sur leur évolution.
Deux stratégies, deux approches et deux objectifs sont possibles :
étudier les populations et utiliser les marqueurs génétiques et leurs polymorphismes pour en savoir plus sur l’histoire d’une population et des migrations qui s’y rapportent, ou étudier l’évolution du génome, en utilisant les données sur les populations pour révéler les spécificités d’évolution des marqueurs génétiques au sein du génome. Dans un cas, la connaissance de la population est le but de la recherche, dans l’autre, la population est le moyen de répondre à des questions de recherche sur le génome.
Quant à la génétique épidémiologique, c’est l’analyse de la contribution génétique aux causes et mécanismes des pathologies ; une nuance se profile lorsqu’on utilise le terme d’épidémiologie génétique mettant l’accent sur l’analyse des facteurs de risques génétiques de développer une pathologie. Ce qu’il faut savoir, c’est que beaucoup de maladies font entrer en jeu dans leur développement des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux, et que l’analyse des interactions entre ces facteurs constitue aujourd’hui un axe essentiel de recherche.
Que dire maintenant de la rencontre entre génétique des populations et génétique épidémiologique ?
Lors d’une étude de génétique épidémiologique, intégrer des éléments de génétique des populations est essentiel, le choix des modalités d’étude dépendant des caractéristiques de la population. C’est ainsi qu’il sera intéressant, si l’étude de la pathologie nécessite de disposer de nombreux cas au sein d’une même famille, de réaliser une étude sur plusieurs générations dans une population présentant beaucoup de familles nombreuses. L’étude de la génétique d’une maladie récessive pourra avancer plus rapidement si l’on étudie des populations à fort degré de consanguinité.
En résumé, le fait de connaître les structures et les caractéristiques génétiques des populations permet d’optimiser les stratégies d’étude par le choix de la population d’étude.
Il faut savoir qu’en génétique, et notamment pour pouvoir appliquer des programmes statistiques d’analyses génétiques, il est essentiel de connaître la distribution ou la fréquence des marqueurs génétiques dans les populations.
À travers quelques exemples, voici une démonstration de l’imbrication et de la complémentarité de ces deux disciplines et de leur nécessaire collaboration !
Prenons un exemple d’actualité dans un champ d’investigation en vogue : la pharmacogénétique et la pharmacogénomique.
Termes composés reposant sur la découverte récente des bases génétiques de la variabilité de réponse à certains traitements selon les individus. Un problème important qui concerne notamment l’apparition d’effets secondaires, parfois très indésirables ! De là émerge l’idée d’une possibilité d’adaptation des traitements en fonction de la constitution génétique des malades pour les gènes pertinents vis-à-vis des molécules utilisées. D’où la nécessité de connaître la répartition de marqueurs génétiques d’intérêt dans les populations, par exemple pour un marqueur impliqué dans la survenue d’un effet secondaire… C’est ainsi que la génétique des populations, initialement orientée vers l’histoire du monde, le processus de peuplement et la structure génétique des groupes humains, devient une dimension indispensable aujourd’hui de la recherche médicale et de la pharmacologie.
Après cette introduction, trois axes d’études seront évoqués, à travers des projets menés au cours de mes travaux de recherche :
un aspect de génétique des populations classique, à travers une étude franco-québécoise réalisée dans les années 1980-1990 et connue sous le titre « Les marqueurs génétiques dans les provinces françaises » ;
deux applications en médecine de la génétique des populations, d’une part sur les études de génétique de pathologies, avec un exemple, le diabète de type 1 et d’autre part en transplantation, où la notion de diversité génétique et de compatibilité tissulaire est essentielle, avec un exemple portant sur le domaine des greffes de moelle osseuse.
Marqueurs génétiques et provinces françaises
Années 1980-1985 : premier exemple d’un projet de recherche prospectif de génétique des populations au niveau national, à travers une étude sur la répartition de marqueurs génétiques dans la population française3, 4, 5, 6.
Une diversité génétique se profile-t-elle derrière la diversité culturelle au sein même d’un pays ?
La notion de diversité génétique n’est pas une notion récente : ainsi chez l’homme, les groupes sanguins ont été décrits au début du XXe siècle et très rapidement ont suivi les premières connaissances sur le typage de la diversité de ces systèmes génétiques dans des populations.
Dans les années 1980 existaient des données éparses, via les centres de transfusion, et des informations sur les groupes sanguins et divers autres systèmes génétiques, notamment dans certaines régions, telles que Pyrénées, Bretagne, Alsace. Ces données témoignaient de l’existence d’une diversité génétique en France. Autre fait de cette période : l’intérêt grandissant pour les analyses d’association entre le système HLA et des maladies.
Pourquoi le système HLA ? C’est un système génétique crucial en immunologie, impliqué dans les greffes pour la compatibilité et la survie des greffons, et dans la génétique de maladies, notamment maladies comportant des dérèglements immunitaires, comme les maladies auto-immunes.
Devant la multiplication des études décrivant des différences de distribution des marqueurs HLA entre groupes de malades et groupes de témoins (non malades), il devenait indispensable de connaître la distribution des groupes HLA en France, dont on n’avait pas d’idée globale.
Voilà le point de départ de l’étude « Les marqueurs génétiques dans les provinces françaises ».
Cette étude a donc porté sur l’analyse de marqueurs HLA et non HLA, sur la base des connaissances de l’époque en termes de marqueurs et de procédés de typage, par des études au niveau des cellules, ou des protéines du sérum, et avant l’avènement des études menées directement sur l’ADN.
Quelles sont les caractéristiques de cette étude ?
Son originalité tout d’abord : c’est une étude prospective coordonnée et organisée, basée sur une stratégie et une méthodologie communes. La plupart des études de génétique de populations portant sur plusieurs échantillons de populations étaient habituellement basées sur une compilation des données recueillies dans la littérature scientifique, mais qui pouvaient porter sur des échantillons de taille différente, recueillis selon des modes d’échantillonnage variables, étudiés pour des panels de marqueurs génétiques hétérogènes, avec des méthodologies de typage non standardisées.
Sa réalisation concrète : l’étude s’est axée sur quinze régions rurales et peu brassées en France et au Québec, et est basée sur un panel de cinquante à cent familles par zone, dont les membres, issus de cette région depuis au moins trois générations, consentaient à répondre à un questionnaire et à donner un échantillon de sang pour cet usage scientifique.
Bilan de l’étude : quinze régions de France (Béarn, Catalogne, Corse, Cévennes, Savoie-Dauphiné, Beaujolais-Bourgogne, Lorraine, Alsace, Auvergne, Limousin, Poitou, Flandre, Basse-Normandie, Bretagne Nord, Bretagne Sud) et le Québec, 1 382 familles participantes avec en général 4 membres prélevés, 1 360 familles analysées du point de vue des marqueurs génétiques, correspondant à environ 2 700 individus non apparentés (car on calcule les fréquences sur les parents), 26 locus génétiques étudiés dont 8 locus dans la région HLA, grâce à la collaboration de 20 laboratoires et de 3 centres d’analyses.
Avant de dévoiler les résultats, voici un détour utile sur le système HLA7, 8, 9.
Première caractéristique du système HLA, sa complexité et son grand nombre de gènes. Le complexe HLA est un système génétique situé sur le bras court du chromosome 6 et comprenant de nombreux gènes, notamment les locus HLA-A, HLA-B, H...