Introduction
Ce chapitre est consacré à l’examen de la mise en place des nouveaux instruments créés par les réformes de 2005-2007 au sein du Système français de recherche et d’innovation (SFRI).
Les nouveaux instruments comprennent en particulier :
• le Haut Conseil de la science et de la technologie (HCST), destiné à proposer les grandes orientations et à éclairer les choix du gouvernement ;
• la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui constitue un cadre nouveau pour l’ensemble des pratiques budgétaires publiques et s’applique donc en particulier à la recherche ;
• l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objet est de développer le financement par projets des activités de recherche ;
• l’Agence pour l’innovation industrielle (AII), qui a pour but de soutenir de grands projets industriels d’ampleur internationale ;
• les Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), permettant de mutualiser les activités et les moyens des établissements d’enseignement et/ou de recherche ;
• les Pôles de compétitivité, créés pour renforcer les partenariats public-privé dans une logique géographique et concentrer les soutiens publics à la RD partenariale et à l’innovation ;
• les Réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA) et leurs équivalents pour la recherche médicale, les Centres thématiques de recherche et de soins (CTRS), destinés à doter les acteurs publics de structures souples autour de centres d’excellence ;
• les Instituts Carnot, afin de renforcer au sein de la recherche publique les partenariats public-privé et les acti-vités de valorisation économique ;
• les dispositifs nouveaux ou renouvelés en charge de la recherche et des technologies de défense, au sein de la Délégation générale pour l’armement (DGA) ;
• l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), instituée pour organiser les méthodes d’évaluation dans l’ensemble de son domaine.
Dans cette période de mise en place, l’observation ne permet que des conclusions d’ensemble prudentes. Néanmoins, les nouveaux instruments du SFRI ont, chacun, fait preuve de leur légitimité. Il faudra toutefois veiller :
• à ce que se développent de bonnes pratiques pour limiter les irréversibilités défavorables et maintenir les capacités d’innovation que permettent ces nouvelles structures ;
• à accroître la cohérence d’ensemble du nouveau système tout en simplifiant résolument le paysage2.
Naturellement, les réformes du SFRI ne se limitent pas aux instruments ci-dessus. De nombreuses initiatives récentes visent à la revitalisation du système. À titre d’illustration, on peut citer l’extension significative du périmètre du crédit d’impôt recherche, l’accroissement des crédits d’OSEO, les mesures prises en faveur des doctorants (fin annoncée des « libéralités », augmentation des allocations de recherche en 2005 et 2006, prise en compte de la thèse comme première expérience professionnelle, augmentation du nombre de conventions CIFRE, incitation à l’embauche de jeunes docteurs dans les entreprises), mais aussi la création de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST), ou l’amplification des fêtes de la science…
Ces initiatives nationales vont de pair avec le renforcement des initiatives européennes, notamment dans le cadre des sixième et septième PCRDT (le Conseil européen de la recherche ou ERC, les ERA-NET, les réseaux d’excellence et projets intégrés, etc.). Il est évident que les initiatives françaises doivent être « eurocompatibles » car elles n’auront leur pleine efficacité que dans le cadre d’une vision européenne. À cet égard, l’essentiel reste à construire.
Les régions à leur tour se posent en acteurs de ces enjeux, en termes de financement d’infrastructures de recherche et en termes de politiques propres, notamment dans le cadre des contrats de projet État-régions (CPER).
Enfin, les organisations opérationnelles de longue tradition, comme les grands organismes (CNRS, Inserm, CEA…), les universités, les grandes écoles mais également OSEO-ANVAR, la DGA du ministère de la Défense confortent leurs activités en s’ajustant au nouveau paysage institutionnel.
Le chapitre est structuré de manière simple : chaque instrument est présenté de façon succincte, puis sont exposés des éléments de discussion relatifs à l’instrument en question. Un certain nombre de questions importantes sont ainsi explorées concernant chacun d’eux :
• Quelle est la mission de l’instrument en question, et dans quelle mesure a-t-elle connu un début d’accomplissement ?
• Quel est son mode de gouvernance ?
• Quels moyens ont été mis en œuvre ?
• Comment les opérateurs de recherche se le sont-ils approprié, et comment leur stratégie s’en est-elle trouvée affectée (en particulier, que permet-il de faire qui n’était pas possible auparavant) ?
Le texte s’achève par une conclusion qui propose une évaluation transversale de ces divers instruments.
Il est par ailleurs utile d’ouvrir ce chapitre par une brève mise en perspective systémique avant que, dans le chapitre suivant, Rémi Barré n’esquisse une modélisation originale.
Suivant une opinion assez courante, les réformes, selon la pente des habitudes françaises, n’auraient fait que compliquer le dispositif. Un peu plus de précision amène à un jugement plus modéré. En particulier, il ne faut pas confondre les nouvelles sources de financement et les nouveaux dispositifs qui s’y alimentent, et qui visent à rassembler des acteurs.
Au titre des nouvelles sources de financement, il faut citer :
• l’ANR, qui a intégré trois « guichets » antérieurs : le Fonds national pour la science, le Fonds de recherche technologique et les Réseaux de recherche et d’innovation technologique ; la complexité, ici, a plutôt diminué ;
• l’AII, seule agence radicalement nouvelle ;
• le Fonds de compétitivité des entreprises du MINEFE (anciennement MINEFI), nouveau pour sa partie concernant les appels à projets en direction des pôles de compétitivité, mais reprenant pour le reste le financement des clusters Eureka, antérieurement assuré par le même ministère ;
• la DGA, qui n’est pas nouvelle en soi, mais qui a fait l’objet de modifications auxquelles s’est ajoutée une forte croissance des crédits de recherche amont ; ceux-ci, ayant doublé entre 2004 et 2006, atteignent aujourd’hui 700 millions d’euros, soit le même ordre de grandeur que les crédits d’intervention de l’ANR, même si les modes d’intervention sont différents.
Par ailleurs, le rassemblement d’acteurs constitue la principale raison d’être des pôles, des PRES, des RTRA, et des Instituts Carnot (dans la mesure où leur action peut être fédérée par cette étiquette commune). Tous ces instruments sont des générateurs de projets, non des générateurs de financement. Si rassembler consomme de l’énergie, dépensée dans des circuits qui ne sont pas toujours simples, le résultat va plutôt dans le sens d’une simplification de l’état antérieur, même si un laboratoire peut être impliqué dans un grand nombre de circuits.
L’on est ramené à cette réalité de fond : l’importance de l’« unité de vie » qu’est le laboratoire. Avec, en arrière-plan, une vraie question pour le SFRI : nos « unités de vie » sont-elles assez grosses et n’y a-t-il pas encore trop d’équipes qui – travaillant dans le même domaine et parfois dans la même région – vivent séparées, les différences d’appartenance n’étant alors qu’une faible excuse ? Question à relativiser, selon les domaines, mais qui mériterait davantage d’attention.
Ainsi les deux catégories de nouveautés se complètent au service de la même intention globale : stimuler la recherche partenariale.
La principale incitation à ce changement est le financement sur projet, justement qualifié d’incitatif. Dans l’ouvrage FutuRIS 2006, nous avions établi que, dans le financement de la recherche publique, la part des programmes publics incitatifs avait doublé de 2003 à 2006, passant à 11,5 %.
Nous avions aussi fait remarquer que, comme ces programmes ne finançaient au plus que la moitié de la dépense, il y avait un effet de levier, et que c’étaient près de 40 % de la force de travail qui étaient mobilisés par les financements incitatifs publics et privés.
Quel est le bon ordre de grandeur de l’effet de levier ? Quelle est son influence sur le fonctionnement et l’équilibre du système, et sur le comportement des acteurs ? Aux États-Unis, où, au contraire, l’élu reçoit davantage que ce qu’il dépense sur son projet (le système des overhead que le français « préciput » s’efforce de transposer), la prime aux meilleurs est plus forte, la sélection plus poussée.
La pratique française est donc plus égalitaire, ce qui n’est pas pour surprendre, mais l’effet de levier a une autre conséquence potentielle : subordonner la stratégie des établissements de recherche à celle des agences.
La modération de ce risque – car on peut aller trop loin – est dans la concertation, plus ou moins explicite, qui préside à l’élaboration des appels à projets : la demande est toujours en partie le reflet de l’offre. Beaucoup va dépendre en France de la manière dont cette concertation sera organisée : entre qui (quelle participation des entreprises ?) et selon quel mode (professionnel ou amateur ?). L’Europe a montré la voie, avec les clusters Eureka, puis les agendas de recherche stratégique.
Une autre question est celle de la saturation des équipes, et de l’éviction des financements difficiles, comme ceux du PCRD, par des financements nationaux plus abordables. C’est une question qui en soulève deux autres :
• celle de l’ajustement du programme des agences, qui peut d’ailleurs aller dans deux sens opposés : ou elles serviront de terrain d’entraînement là où les équipes françaises ne sont pas assez aguerries, ou elles feront l’économie de priorités affichées ailleurs ;
• et celle de la réactivité des organisations et de la possibilité de transférer des personnes vers les équipes gagnantes, pour augmenter leurs moyens (réactivité qui est plus forte là où l’on « vit » la réalité des coûts complets).
Toutes ces questions apparaissent concrètement, à dose variable, dans les analyses qui suivent.
Dernière remarque préliminaire : les financements incitatifs sont autant de « boucles de rétroaction ». Dans un SFRI où celles-ci sont encore trop absentes, ils concourent à combler un manque. Cependant, ils ne sont pas pour autant vertueux en eux-mêmes. Des effets négatifs peuvent venir soit de leur structure (par exemple coûts de transaction trop élevés), soit de leur programmation (erreurs d’orientation ou concurrence inutile). Comme ce sont des outils d’établissement de partenariat, ce n’est que grâce à un travail collectif que l’on pourra éviter les pièges et progresser : un ensemble d’agences isolées les unes des autres et à distance de leurs « usagers » serait un danger.
La Figure 2 présente une typologie grossière mais évocatrice de l’importance des nouveaux instruments, en les ordonnant selon deux critères : la mission poursuivie et le time-to-market ou horizon de temps séparant de l’innovation. La surface des disques représente les ordres de grandeur de l’intervention publique en jeu. La comparabilité des données n’est pas totale (les données définitives n’étant pas toujours disponibles). La Figure 3 présente au contraire l’ensemble des instruments (anciens et nouveaux, nationaux et européens) et permet une évaluation comparative plus globale.
Figure 2 : nouveaux instruments
et leur poids en millions d’euros annuels
Figure 3 : les anciens et nouveaux instruments
(millions d’euros)
Notes (1) les sphères représentent des outils d’intervention financière (dans le cas général : crédits de paiement 2007 en millions d’euros, frais de gestion inclus) (2) les rectangles représentent des outils non financiers (3) les nouveaux instruments ont un fond gris foncé, les instruments antérieurs sont en gris clair (4) l’ANR est divisée en trois ensembles : projets blancs, projets thématiques et projets partenariaux (5) les écoles et instituts sont comptabilisés au titre de la recherche universitaire.