Neuroéthique
eBook - ePub

Neuroéthique

Quand la matière s'éveille

  1. 256 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Neuroéthique

Quand la matière s'éveille

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Les neurosciences bouleversent aujourd'hui notre compréhension du cerveau et conduisent à un renouvellement de la philosophie morale. Ainsi est née tout récemment la neuroéthique. Neuroéthique fondamentale, tout d'abord. Qu'est-ce qu'avoir une conscience, être une personne? Sommes-nous libres? Qu'est-ce qu'être responsable? D'où naissent les normes et les valeurs? Aucune de ces grandes questions fondamentales ne peut plus être posée sans prendre appui sur la science du cerveau et de son architecture fonctionnelle. Neuroéthique appliquée, également: quels problèmes éthiques soulèvent les nouveaux moyens d'investigation et d'intervention sur le cerveau, comme la neuro-imagerie ou la neuropharmacologie?Ce livre offre une présentation très claire — la première en français — de cette nouvelle discipline. L'auteur y développe un matérialisme éclairé, attentif tout à la fois aux contraintes du naturalisme scientifique et au respect de la personne humaine. Philosophe, Kathinka Evers est professeur au Centre for Research Ethics & Bioethics de l'Université d'Uppsala (Suède).

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Neuroéthique par Kathinka Evers en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Sciences biologiques et Dissertations sur la science. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2009
ISBN
9782738195524
1
Quand la matière s’éveille
L’esprit ouvert et ses ennemis
1. L’avènement de la neuroéthique
1.1. Science et éthique
Traditionnellement, la science et l’éthique2 ne font pas bon ménage ; leurs relations ont été mouvementées au cours de l’histoire. En Europe, on peut faire remonter la tradition éthique dans la science moderne à Francis Bacon, homme d’État et philosophe des sciences anglais, annonciateur et protecteur de la révolution scientifique naissante. Pour Bacon, la science était plus qu’une quête scolaire de connaissance ; c’était une étude systématique qui avait pour but la maîtrise de la nature afin de permettre aux êtres humains d’améliorer leur vie sur terre. De Bacon, Diderot a dit qu’il avait tracé la carte de ce que les hommes devaient apprendre, alors même qu’il était impossible d’écrire l’histoire de ce qu’ils savaient, une carte dont faisait clairement partie la responsabilité sociale de la science3. Ce n’est cependant pas la conception de Bacon qui devait dominer la science pendant les siècles à venir, mais plutôt la conception officielle de l’époque, dont Robert Hooke, dans sa proposition pour les Statuts de la Société Royale en 1663, a donné une formulation qui est restée célèbre :
Le rôle et le but de la Société royale [est] d’améliorer la connaissance des choses naturelles, et de tous les Arts utiles, Manufactures, pratiques Mécaniques, Engins et Inventions expérimentales – (et de ne pas se mêler de Divinité, de métaphysique, de morale, de politique, de grammaire, de rhétorique ou de logique).
En raison du fait qu’il traitait essentiellement des intérêts humains subjectifs, le débat éthique a longtemps été banni de la science traditionnelle, en conformité avec ses normes de « désintéressement » et d’« objectivité4 » qui requéraient que tous les résultats de la recherche fussent menés, présentés et discutés de manière tout à fait impersonnelle, « comme s’ils étaient produits par des androïdes ou par des anges ». De nombreux scientifiques sont restés tout à fait indifférents aux problèmes éthiques que soulevait leur recherche, et ils refusaient de reconnaître que la science puisse avoir la responsabilité d’y faire face. C’est là l’image classique de la « tour d’ivoire », selon laquelle les scientifiques devaient travailler comme des êtres célestes, entièrement isolés des affaires humaines, et se satisfaire de leur conviction que la vérité était leur unique but légitime. Ce principe de « non-éthique » n’était pas un modèle obsolète que l’on aurait pu renverser d’une pichenette ; il était, au contraire, « partie intégrante d’une forme culturelle complexe5 », dont la modification a requis beaucoup de temps et d’efforts6.
Il ne fait aucun doute qu’un certain nombre des évolutions scientifiques et technologiques du XXe siècle ont eu pour résultat de grands bienfaits pour l’humanité. Et les frontières de la science actuelle peuvent, à vrai dire, laisser espérer des bienfaits futurs encore plus grands. D’un autre côté, comme l’admettent aujourd’hui un grand nombre de scientifiques, la distribution de ces bienfaits sur notre terre est profondément inégalitaire. De plus, les menaces qui pèsent sur notre environnement et les obstacles à une coexistence pacifique entre les différents peuples et les différentes nations sont dans une grande mesure le résultat direct ou indirect de l’entreprise scientifique. Ainsi, alors que la science moderne mérite assurément d’être louée pour ses réalisations nouvelles et nombreuses, pour la connaissance meilleure et la compréhension plus profonde qu’elle nous a permis d’acquérir, elle doit également accepter d’être critiquée pour le rôle destructeur qu’elle a joué et qu’elle continue à jouer dans certains des chapitres les moins glorieux de notre histoire.
Au cours du XXe siècle, la culture de la science a fini par devenir plus conforme à l’utopie de Bacon : à la science traditionnellement individualiste et socialement isolée, on a vu se substituer de plus en plus une science d’équipe, axée sur des projets souvent interdisciplinaires, et dont on exige qu’elle se justifie en termes de conséquences humaines potentielles. Il est remarquable – et prometteur – que l’intérêt pour l’éthique de la science et pour les problèmes éthiques qui naissent de ses applications multiples ait augmenté de manière significative au cours de ces dernières années, un intérêt que l’on peut déceler aussi bien au sein des différentes disciplines scientifiques que dans le public général de la science. Des efforts nombreux et divers sont réalisés pour approfondir cette discussion et trouver une orientation et des principes directeurs7.
Toutefois, si l’on prend le terme « éthique » au sens de l’analyse des concepts impliqués dans le raisonnement moral pratique, ces analyses ne concernent pas exclusivement les applications : des questions fondamentales sont également au programme. Par exemple : que signifie pour un animal (qu’il soit humain ou non) « agir en tant qu’agent moral » ? Pourquoi l’évolution des fonctions cognitives supérieures a-t-elle produit des êtres moraux plutôt qu’amoraux ? Comme le demande le neuroscientifique Jean-Pierre Changeux : d’où vient « la prédisposition naturelle (principalement neurale) des êtres humains à produire des jugements moraux8 » ? En d’autres termes, il faut distinguer l’éthique fondamentale, dont les recherches portent sur la nature et l’évolution de la pensée morale et du jugement moral, et l’éthique appliquée, qui a trait à des problèmes de nature plus pratique et concrète. Bien sûr, la philosophie morale s’est longtemps interrogée sur des problèmes fondamentaux, mais ceux-ci se sont également posés en lien avec d’autres disciplines, telles que la biologie, la génétique ou, plus récemment, les neurosciences.
1.2. Neuroéthique fondamentale et neuroéthique appliquée
Ayant ainsi gagné leur place au sein de la communauté scientifique, après une lutte longue et difficile, les éthiciens et les philosophes moraux se voient aujourd’hui confrontés de manière intéressante à une situation inversée lorsque les sciences naturelles, en particulier les neurosciences, pénètrent sur « leur » domaine en prétendant apporter un éclairage scientifique sur le phénomène de la pensée morale9. Cette entrée audacieuse est reçue avec des degrés d’enthousiasme variés, qui vont de la confiance optimiste en la découverte de solutions définitives pour des problèmes philosophiques séculaires au rejet pur et simple10. Les attitudes morales sont souvent conçues comme étant le dernier domaine qui résiste obstinément à la compréhension scientifique, et les avis divergent sur la question de savoir s’il faut s’en réjouir ou le déplorer. On pourrait comparer cette situation aux réactions qu’a rencontrées Jacques Monod lorsqu’il a suggéré que la vie pouvait être expliquée en termes biochimiques : de nombreux lecteurs ont été outrés ; d’autres se sont réjouis11. Le vitalisme (la doctrine selon laquelle les corps vivants présentent certaines caractéristiques qui les empêchent d’être expliqués entièrement en termes physiques et chimiques) était encore répandu à cette époque, mais il a été abandonné depuis lors. Et la conception de Monod n’est plus considérée aujourd’hui comme si provocante.
Les neurosciences sont une science jeune, qui a connu une évolution considérable au cours des dernières décennies. Le neuroscientifique Gerald Edelman a affirmé en 1992 que « ce qui se passe actuellement en neurosciences peut être considéré comme un prélude à la révolution scientifique la plus grande qui puisse être, une révolution avec des conséquences sociales importantes et inévitables12 ». L’un des objectifs ultimes de cette révolution scientifique est d’obtenir enfin une meilleure compréhension de la nature et du fonctionnement de l’esprit humain, y compris du développement de son caractère moral.
On a bâti de nombreux modèles de l’esprit et du cerveau. Certains décrivent celui-ci comme un mécanisme automatique rigide dont les opérations sont entièrement déterminées13 ; d’autres proposent des modèles très différents, qui le décrivent comme dynamique et variable, actif de manière consciente ou non, et mettent en relief l’importance de l’impact social sur l’architecture du cerveau, notamment par l’intermédiaire du poids énorme des empreintes culturelles qui y sont emmagasinées de manière épigénétique14. Dans ce chapitre, j’examinerai ces différents modèles du cerveau dans une perspective historique, sociale, idéologique et philosophique, d’une manière qui, je l’espère, rendra les modèles du second type plus crédibles en termes de bon sens, de valeur explicative et d’utilité. Cependant, au cours de toutes ces discussions, il est important de garder à l’esprit notre immense ignorance des processus neurobiologiques évoqués, ainsi que les difficultés rencontrées lors de la réalisation de synthèses conceptuelles quand nous sommes obligés de faire usage d’approches multidisciplinaires, passant d’un niveau à un autre – par exemple, du niveau moléculaire au niveau cognitif –, et enfin les limitations drastiques de notre « appareil cognitif » (c’est-à-dire de notre cerveau lui-même) lorsqu’il s’agit de décrire la réalité, en particulier la réalité de notre cerveau. Chacune de ces difficultés appelle à une extrême modestie15.
La modestie n’est pas moins requise lorsque la neuroscience moderne fait des efforts de plus en plus grands pour révéler les bases neurobiologiques de la conscience et de la rationalité humaines16, du comportement humain et de l’identité humaine. Maintenant que nous avons une meilleure compréhension des détails des systèmes régulateurs dans le cerveau et de la manière dont les émotions, les idées et les décisions émergent dans des réseaux neuraux, il est de plus en plus manifeste que les sentiments, les pensées et les préférences proviennent de notre neurobiologie, et que notre neurobiologie est profondément façonnée par notre histoire évolutionnaire. Depuis les débuts de l’imagerie cérébrale fonctionnelle, on observe une augmentation significative du nombre des études neuroscientifiques sur la conscience, sur les comportements et les émotions complexes, et ces études commencent à révéler la base neurale des fonctions cognitives/affectives17. Elles incluent des études sur la volonté et le contrôle de soi ou l’autosurveillance18, sur le jugement moral19, la prise de décision20, les attitudes raciales21, la peur22, le mensonge et la duperie23. Selon certains, la capacité grandissante de l’espèce humaine à comprendre et même à élaborer son propre cerveau « influencera l’histoire avec autant de force que le développement de la métallurgie à l’âge du fer, la mécanisation pendant la révolution industrielle ou la génétique dans la seconde moitié du XXe siècle24 ».
Ces avancées neuroscientifiques, et les défis qu’elles rencontrent, ont inspiré de nouvelles disciplines universitaires. L’une d’elles est la neuroéthique, que l’on décrit comme étant « un continent inexploré qui s’étend entre les deux rivages peuplés de l’éthique et des neurosciences […], une nouvelle ère du discours intellectuel et social25 » qui s’intéresse aux bienfaits et aux dangers possibles de la recherche moderne sur le cerveau. La neuroéthique traite de notre conscience et du sens de soi-même, ainsi que des valeurs que le moi développe : elle est une interface entre les sciences empiriques du cerveau, la philosophie de l’esprit, la philosophie morale, l’éthique et les sciences sociales. Elle est l’étude des questions qui surviennent lorsque l’on étend les découvertes scientifiques sur le cerveau à des analyses philosophiques, à la pratique médicale, aux interprétations légales, aux politiques sociales et de santé, et elle peut notamment être considérée, en vertu de son caractère interdisciplinaire, comme une sous-discipline des neurosciences, de la philosophie ou de la bioéthique, selon la perspective que l’on souhaite privilégier. De telles questions ne sont pas nouvelles ; elles ont déjà été posées pendant les Lumières françaises, en particulier par Diderot qui a affirmé dans ses Éléments de physiologie : « C’est qu’il est bien difficile de faire de la bonne métaphysique et de la bonne morale sans être anatomiste, naturaliste, physiologiste et médecin26 » De plus, les problèmes éthiques qui naissent des progrès réalisés dans les neurosciences ont été examinés depuis longtemps par les comités d’éthique dans le monde entier, bien que cela n’ait pas nécessairement eu lieu sous l’appellation « neuroéthique27 ».
En tant que discipline universitaire appelée « neuroéthique », il s’agit toutefois d’une discipline très jeune. Le premier colloque consacré à la neuroéthique s’est tenu en 200228, et c’est principalement dans la décennie précédente que l’on commence à trouver des références à la neuroéthique dans la littérature. Les premiers articles décrivaient, par exemple, le rôle du neurologue en tant que neuroéthicien confronté au soin des patients et aux décisions de fin de vie29, ainsi qu’aux perspectives philosophiques sur le cerveau et sur le moi30.
Jusqu’ici, les chercheurs en neuroéthique se sont principalement concentrés sur l’éthique des neurosciences, ou la neuroéthique appliquée, qui touche par exemple aux problèmes éthiques que soulèvent les techniques de neuro-imagerie, l’amélioration cognitive ou la neuropharmacologie31. Une autre approche scientifique, importante bien que moins répandue jusqu’à présent, et que l’on peut appeler neuroéthique fondamentale, consiste à interroger la manière dont la connaissance de l’architecture fonctionnelle du cerveau et de son évolution peut améliorer notre compréhension de l’identité personnelle, de la conscience et de l’intentionnalité, ce qui inclut également notre compréhension du développement de la pensée morale et du jugement moral. La neuroéthique fondamentale devrait fournir les fondements théoriques adéquats qui sont requis pour pouvoir aborder convenablement les problèmes d’application.
La question à laquelle la neuroéthique fondamentale doit répondre en premier lieu est la suivante : comment la science de la nature peut-elle améliorer notre compréhension de la pensée morale ? La première est-elle, en fait, véritablement pertinente pour la seconde ? On peut considérer que cette question est contenue dans celle de savoir si la conscience humaine peut être comprise en termes biologiques, dans la mesure où la pensée morale est un sous-ensemble de la pensée en général32. Ce n’est certainement pas une interrogation nouvelle ; il s’agit au contraire d’une version du problème classique du rapport du corps et de l’esprit, problème qui a été discuté depuis des millénaires et formulé en termes tout à fait modernes depuis les Lumières. Ce qui est relativement nouveau, c’est la prise de conscience de l’ampleur avec laquelle les anciens problèmes philosophiques émergent au sein des neurosciences en évolution rapide, comme ceux de savoir si l’espèce humaine possède en tant que telle une volonté libre, ce que signifie avoir une responsabilité personnelle ou être un soi, ou encore quelles sont les relations entre les émotions et la connaissance, ou entre les émotions et la mémoire.
Notons que les neurosciences ne se contentent pas de proposer des domaines pour une application intéressante du raisonnement éthique, ni d’appeler à l’aide pour la résolution de problèmes soulevés par des découvertes scientifiques...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Remerciements
  5. Introduction
  6. 1 - Quand la matière s’éveille - L’esprit ouvert et ses ennemis
  7. 2 - Le cerveau responsable - Le libre arbitre et la responsabilité personnelle à la lumière des neurosciences
  8. 3 - La base neurale de la moralité - La pertinence normative des neurosciences
  9. 4 - La responsabilité naturaliste - Vers une philosophie pour la neuroéthique
  10. Notes
  11. Bibliographie
  12. Dans la même collection