1- Euthydème, 276-277, Sophiste, sixième définition.
2- Traduction abrégée de L. Rossetti dans Platone, Eutifrone, L. Rossetti (dir.), Rome, Armando Editore, 1996, p. 32. Je dois beaucoup aux différents travaux de Livio Rossetti. Helléniste, très au fait des techniques de communication, il a su, à partir de là, mettre en évidence l’originalité du Socrate historique. En particulier, il a comparé la rhétorique de Socrate à celle de Gorgias. Alors que ce dernier « ne mobilise que l’intelligence de ses destinataires », Socrate « sait toucher et faire résonner une pluralité de cordes ». Ce que Socrate « s’efforce d’atteindre est tout à fait susceptible de devenir un acquis permanent, critère de jugement et principe pour la conduite quotidienne ». « La rhétorique de Socrate », in Socrate et les socratiques, Vrin, 2001, p. 161-185.
3- « L’art ne délibère pas » (è technè ou bouleuetai), Aristote, Physique, II, 199 b 28.
4- Banquet, 215 a, in Œuvres complètes, traduit par L. Robin, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, p. 752.
5- Par exemple dans le Banquet entre le discours de Socrate sur l’amour et ses comportements durant les campagnes, il n’y a strictement aucun lien. Ce qui est dit sur l’amour, qui résonne comme du Platon, ne s’accorde pas avec le Socrate marchant pieds nus sur la glace ou faisant peur aux ennemis.
6- « Aristote n’a pas, de but en blanc, regardé les dialogues comme des rapports authentiques des enseignements de Socrate, mais les a, au contraire, soumis à un jugement indépendant. » W. Ross, cité par A. Diès, Autour de Platon, Les Belles Lettres, 1972, p. 212.
7- Tous les textes d’Aristote où Socrate est mentionné ont été rassemblés, traduits et commentés par Thomas Deman, Le Témoignage d’Aristote sur Socrate, Les Belles Lettres, 1942. C’est sur ce livre que je prendrai constamment appui. Il s’agit des passages « où l’on peut voir une référence, dont la nature est à déterminer, au Socrate de l’histoire ; ou dans lesquels Aristote porte un jugement sur des documents d’intérêt socratique » (p. 10). Livre prudent, modeste, argumenté qui rapporte les opinions des commentateurs d’alors. Je ne prétends pas, à partir de ce livre, retrouver le Socrate historique, mais montrer comment le témoignage d’Aristote, par petites touches, sculpte un Socrate dont les traits forment une unité.
8- Il s’agit bien ici de l’absence de différence et non pas de la maîtrise de soi. C’est Aristote qui a le mot juste. Plus loin il introduit les mots akrateia et akrasia, qui seront repris par les commentateurs en oubliant l’adiaphoros.
9- T. Deman, op. cit., p. 55.
10- V. Descombes, Le Raisonnement de l’ours, Seuil, 2007, p. 76-77 : « Le scepticisme pratique n’a pas besoin de nier la réalité des événements, seulement de les rendre indifférents en valeur. » Peut-être le sage se contente-t-il d’affirmer la réalité des événements et d’y adhérer sans avoir besoin de lui donner une valeur. Il n’atteint aucun fondement et aucune position radicale. Il n’affirme qu’une précarité sans remède.
11- Ceux qui veulent que Socrate transmette une « doctrine cohérente » ne peuvent admettre qu’il n’y ait pas de réponse. Ils vont même jusqu’à penser que certains dialogues sont « (faussement) aporétiques » ou que « le style aporétique est un artifice littéraire ». (L.-A. Dorion, présentation et traduction de Charmide et Lysis, Flammarion, « GF », 2004, p. 14-15.) Et encore : « Mais est-il certain que le Lachès et l’Euthyphron sont absolument aporétiques et négatifs ? » (Lachès, Euthyphron, introductions et traductions inédites de L.-A. Dorion, Flammarion, « GF », 1997, p. 14.)
12- On verra plus loin que Socrate affirme et défend certaines thèses. Mais Aristote montrera que, en cela, il se trompe, que ses thèses sont fausses. En réalité elles sont paradoxales ou absurdes et relèvent donc encore d’un certain non-savoir à déterminer.
13- L. Rossetti ne pense pas qu’Aristote ait raison. C’est à Platon qu’il faut attribuer la recherche des définitions et de l’universel. Platone, Eutifrone, op. cit., p. 33. H. G. Gadamer a une autre interprétation : « Socrate, comme le dit Aristote, est celui qui a introduit (l’art de) la définition. Très certainement, mais pour que l’on reconnaisse son ignorance. » Esquisses herméneutiques, Librairie philosophique J. Vrin, 2004, p. 67. Les deux opinions doivent être vraies. Pour Socrate, la recherche de la définition est un leurre qu’il agite pour piéger l’interlocuteur. Pour Aristote, on doit être sérieux : si on cherche à définir, c’est que l’on cherche l’universel.
14- Sur les tenants et aboutissants de cet épisode, voir A. Laks, Introduction à la « philosophie présocratique », PUF, « Libelles », 2006, p. 5 sq.
15- « Aristote vient d’établir que la nature d’un organisme ne doit pas être recherchée dans les éléments dont il est composé mais dans le logos qui les unit. » (T. Deman, op. cit., p. 74.)
16- Les Nuées sont datées de 423. Socrate avait alors 46 ans. Il est peu probable qu’il se soit encore intéressé à la physique à cet âge-là, si jamais il s’y est intéressé. En revanche, il avait autour de 40 ans lors des campagnes auxquelles il a participé. L’âge idéal pour un bouleversement de l’existence !
17- T. Deman, op. cit., p. 76.
18- En Apologie, 19 b-d, Socrate nie s’être jamais intéressé à la connaissance de la nature.
19- Voir T. Deman, op. cit., p. 45-46, les doutes de certains commentateurs.
20- L’attribution des Grandes Morales à Aristote est controversée. Dans son introduction à l’Éthique à Nicomaque (Vrin, 1990, p. 9), J. Tricot rappelle l’opinion de W. Jaeger qui, s’appuyant sur certaines particularités linguistiques, a montré que ce texte ne pouvait pas être de la main d’Aristote et qu’il trahit une origine postaristotélicienne. Mais il ajoute : « Que la Grande Morale soit, ou plus probablement, ne soit pas d’Aristote lui-même, il reste que la date de sa composition est très ancienne et suffisamment reculée pour qu’on discerne, sans trop de risques d’erreur, des traces des leçons morales du Lycée. Il est donc permis de la consulter, moyennant quelque précaution, et elle nous a parfois été utile pour éclaircir des passages controversés de l’Éthique à Nicomaque. »
21- T. Deman, op. cit., p. 94. Ce « moral » est une expression bien curieuse qui souligne l’embarras du commentateur.
26- V. Descombes (op. cit., p. 117-119) explique qu’un raisonnement pratique est invalide ou irrationnel en particulier s’il n’inclut pas telle prémisse indispensable. Il ajoute : « On sait par ailleurs qu’il est impossible d’expliciter toutes les fins auxquelles tient un acteur. La liste serait interminable. » La position de Socrate implique la sommation des prémisses. Au moment où il devient « impossible d’expliciter », il ne reste qu’à faire un saut et ce saut ne peut être évité.
27- Calliclès dans le Gorgias 491 a.
28- « L’art ne délibère pas », Aristote, Physique, 199 b, 28. Déjà cité dans l’avant-propos.
29- C’est pourquoi son démon n’aura jamais qu’un rôle négatif. Il peut arrêter une action ou l’empêcher, il ne saurait en être le moteur.