La Science en partage
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  1. 256 pages
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À propos de ce livre

Biotechnologies, étiquetage du maïs transgénique, drame du sang contaminé: autant de grandes " affaires scientifiques " qui posent des enjeux majeurs de société. Pourtant, dans ces domaines, le public est mal informé, parfois désinformé, et l'opinion est souvent parcourue de craintes peu fondées. Biologiste, Philippe Kourilsky apporte tous les élémentspermettant de mieux comprendre ces questions controversées et analyse les dérapages auxquels ils ont donné lieu. Un ouvrage solide, clair et accessible qui a pour vocation d'informer, de provoquer et de faire réfléchir. Philippe Kourilsky est professeur au CollÚge de France et à l'Institut Pasteur. Il est également membre de l'Académie des sciences. Il a publié notamment, aux Editions Odile Jacob, Les Artisans de l'hérédité.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1998
ISBN
9782738182746
Chapitre VII
Analyse de la raison médiatique
Ulysse, lors de son pĂ©rilleux retour vers Ithaque, dut croiser l’üle des SirĂšnes. Instruit par CircĂ© sur les risques mortels qu’il encourait avec ses compagnons, il leur boucha les oreilles avec de la cire, et se fit attacher au mĂąt du navire. Lorsque, pieds et poings liĂ©s, il entendit leur chant, il supplia, du regard et des sourcils, ses hommes de le libĂ©rer. Ceux-ci, au contraire, multipliĂšrent ses liens et se courbĂšrent sur les rames jusqu’à ce qu’ils Ă©chappassent au danger. Mais que chantaient les SirĂšnes de si irrĂ©sistiblement attirant ? Le poĂšte l’évoque en quelques versLXXII :
Viens, Ulysse fameux, gloire Ă©ternelle de la GrĂšce,
arrĂȘte ton navire afin d’écouter nos voix !
Jamais aucun navire noir n’est passĂ© lĂ 
sans Ă©couter de notre bouche de doux chants.
Puis on repart charmĂ©, lourd d’un plus lourd trĂ©sor de science.
Nous savons en effet tout ce qu’en la plaine de Troie
les Grecs et les Troyens ont souffert par ordre des dieux,
nous savons tout ce qui advient sur la terre féconde...
Dans une lecture qui laisse moins de place Ă  la poĂ©sie, on peut imaginer que les SirĂšnes prĂ©tendaient dĂ©tenir toutes sortes de connaissances et d’informations qu’elles divulguaient avec un charme envoĂ»tant. Les mĂ©dias font-ils autre chose ? Eux aussi dĂ©tiennent l’information et cherchent Ă  plaire lorsqu’ils la restituent. Ce processus serait-il mortifĂšre ? Devrions-nous, pour y rĂ©sister, nous boucher les oreilles ou nous faire ligoter ? La mĂ©taphore ne doit pas nous entraĂźner dans des excĂšs de verbe. Mais, compte tenu de la problĂ©matique de cet ouvrage et des dĂ©rapages notĂ©s dans les Ă©tudes de cas qui prĂ©cĂšdent ce chapitre, il est maintenant nĂ©cessaire de nous interroger sur les qualitĂ©s et les dĂ©fauts des systĂšmes qui nous informent. J’aborderai ce questionnement de façon gĂ©nĂ©rale avant de le recentrer sur l’information scientifique en particulier.
Les médias en question
Le fonctionnement et le rĂŽle des mĂ©dias Ă©voquent, de façon diffuse, un malaise grandissant aussi bien chez les journalistes que chez les politologues et divers acteurs de la vie publique. La rĂ©flexion critique sur les mĂ©dias, en France comme Ă  l’étranger, est entrĂ©e depuis quelque temps dans une phase plus active, Ă  la suite de plusieurs manipulations spectaculaires de l’opinion notamment : le charnier de Timisoara (fin 1989) et la guerre du Golfe (en 1991). Des journalistes ont exprimĂ© leurs doutes sur le fonctionnement du systĂšmeLXXIII et on a assistĂ© Ă  une floraison d’ouvrages critiques ou polĂ©miques ou, plus calmement, analytiques. Certains titres sont Ă©clairants : MĂ©dias et DĂ©mocratie, la dĂ©riveLXXIV, MĂ©dias et DĂ©ontologie. RĂšgles du jeu ou jeu sans rĂšgleLXXV, sans compter La TĂ©lĂ©vision, un danger pour la dĂ©mocratieLXXVI et bien d’autres. Constats et analyses sont largement convergents.
Le poids des mĂ©dias, dans des sociĂ©tĂ©s oĂč les activitĂ©s de communication occupent une place considĂ©rable, est Ă©norme1 . Il va probablement croissant avec l’augmentation du temps libre et l’évolution des technologies de l’information. Le Français moyen passe presque six heures par jour au contact des mĂ©dias2 : plus de trois heures devant la tĂ©lĂ©vision, plus de deux heures au contact d’une radio et prĂšs de trois quarts d’heure Ă  lire des journaux. Toutefois, ces activitĂ©s sont rarement exclusives. L’information n’en occupe qu’une faible part. Seulement vingt millions de tĂ©lĂ©spectateurs regardent les journaux tĂ©lĂ©visĂ©s du soir et l’audience des pĂ©riodiques reflĂšte un engouement modeste pour l’information3.
Le rĂšgne de l’image est attestĂ© non seulement par la prĂ©gnance de la tĂ©lĂ©vision mais aussi par sa pĂ©nĂ©tration dans la presse Ă©crite et jusque dans l’écriture : « À l’intĂ©rieur mĂȘme des articles, le recours Ă  l’image dĂ©peinte, la scĂ©narisation du rĂ©cit sont devenus des procĂ©dĂ©s constants. Cette Ă©volution est assez prĂ©occupante quant Ă  certains aspects de fondsLXXVII. » L’image, note Henri PigeatLXXVIII, « privilĂ©gie l’émotion, l’irrationnel, l’immĂ©diatetĂ© et le symbolique, au dĂ©triment de l’explication, de la comprĂ©hension d’ensemble, de la mise en ordre et en perspective ». « Le rĂšgne de l’image implique pour tous les acteurs et les informateurs une mise en scĂšne et l’irruption du spectacle dans le monde de l’information. »
Voici donc une premiĂšre critique : la mise en image gĂ©nĂ©ralisĂ©e de l’information s’accompagne d’un glissement de catĂ©gories, en donnant la primautĂ© Ă  l’émotionnel sur le rĂ©flexif. À laquelle s’ajoute une seconde : la quĂȘte effrĂ©nĂ©e de l’immĂ©diatetĂ©, du temps rĂ©el. « Aussi faut-il craindre que vĂ©rifications, mises en perspective, recherches de tenants et aboutissants, prises de distance aussi, tout ce qui permet un jugement Ă©clairĂ©, ne succombent, sacrifiĂ©s sur l’autel de la vitesseLXXIX. » La sĂ©lection des faits traitĂ©s par les mĂ©dias constitue un troisiĂšme thĂšme de critique. Ainsi, les grands journaux tĂ©lĂ©visĂ©s accordent souvent peu de place aux Ă©vĂ©nements les plus graves. Comme le note Pierre BourdieuLXXX : « en mettant l’accent sur les faits divers, en remplaçant ce temps rare avec du vide, du rien ou du presque rien, on Ă©carte les informations pertinentes que devrait possĂ©der le citoyen pour exercer ses droits dĂ©mocratiques. » Cette sĂ©lection premiĂšre des faits montrĂ©s par rapport Ă  ceux qui ne le sont pas constitue une question primordiale, celle de l’« ordre du jour » que Daniel CornuLXXXI rĂ©sume ainsi : « Par la dĂ©termination d’un ordre du jour, les mĂ©dias offrent une interprĂ©tation gĂ©nĂ©rale de la rĂ©alitĂ© en distinguant les thĂšmes et Ă©vĂ©nements considĂ©rĂ©s comme “remarquables”. L’influence rĂ©elle des mĂ©dias sur la sociĂ©tĂ© tient davantage Ă  cette fonction qu’à l’accomplissement de desseins manipulateurs Ă  des fins de domination. » Roland CayrolLXXXII insiste aussi sur ce point. « Ce sont trĂšs largement les mĂ©dias qui opĂšrent le choix des donnĂ©es considĂ©rĂ©es comme les plus importantes pour les retransmettre en direction des citoyens. » Or le choix des sujets inscrits Ă  l’ordre du jour est le produit d’interactions complexes oĂč les facteurs Ă©conomiques jouent leur rĂŽle : « L’information coĂ»te de plus en plus cher [...]. Or le public est de moins en moins disposĂ© Ă  payer au prix fort ce qui pourtant le mĂ©riterait. » Les journalistes sont ainsi conduits Ă  privilĂ©gier des sujets « qui ne coĂ»teront rien ». D’oĂč le rĂŽle jouĂ© par les services de communication opĂ©rant pour le compte d’entreprises et d’institutions diverses. « Ainsi, des secteurs entiers de l’actualitĂ© ne font plus l’objet d’une information Ă©quitable en raison d’une influence exagĂ©rĂ©e des services de communication [...]. Les mĂ©dias sont nĂ©cessairement moins attentifs aux organisations ou aux secteurs qui n’ont pu financer de services de communication [...]. Aucun organisme indĂ©pendant n’a fait l’évaluation de la part exacte des informations “inspirĂ©es” de celles qui circulent Ă  l’initiative des mĂ©dias. Les premiĂšres l’emportent trĂšs largement sur les secondesLXXXIII. » Au total, conclut Henri Pigeat, « si l’on n’y prend garde, l’information ne sera plus l’instrument critique indispensable Ă  l’exercice de la dĂ©mocratie rĂȘvĂ©e par les DĂ©clarations des droits de l’homme. Au lieu de l’agora et du dĂ©bat des citoyens libres et conscients, elle peut engendrer un vaste terrain vague, diffus et virtuel oĂč errent des individus submergĂ©s d’informations, incapables en fait de retrouver leur chemin, abandonnĂ©s Ă  eux-mĂȘmes ou proies dĂ©signĂ©es pour les vendeurs de fantasmes ou d’utopie. Amplifiant les craintes de Tocqueville, la dĂ©mocratie risquerait alors d’ĂȘtre plus apparente que rĂ©elle. Tel est sans doute l’enjeu de sociĂ©tĂ© capital de cette Ă©volutionLXXXIV ».
Le rĂŽle de la tĂ©lĂ©vision est particuliĂšrement mis en cause. « Il n’est pas, Ă©crit Pierre BourdieuLXXXV, de discours (analyse scientifique, manifeste politique, etc.) ni d’action (manifestation, grĂšve, etc.) qui, pour accĂ©der au dĂ©bat public, ne doive se soumettre Ă  cette Ă©preuve de la sĂ©lection journalistique, c’est-Ă -dire Ă  cette formidable censure que les journalistes exercent. » « La tĂ©lĂ©vision, constate Roland CayrolLXXXVI, joue, en tant que telle, Ă  se faire institution politique, Ă  se prĂ©senter comme lieu solennel d’arbitrage d’un dĂ©bat politique dramatisĂ© selon les rĂšgles de son spectacle. Les autres mĂ©dias se partagent les miettes, nullement nĂ©gligeables, du festin politique et Ă©lectoral. » Karl Popper va plus loin : « La tĂ©lĂ©vision a acquis un pouvoir trop Ă©tendu au sein de la dĂ©mocratie. Nulle dĂ©mocratie ne peut survivre si l’on ne met pas fin Ă  cette toute-puissance... Un nouvel Hitler disposerait avec elle d’un pouvoir sans limite. Il ne peut y avoir de dĂ©mocratie si l’on ne soumet pas la tĂ©lĂ©vision Ă  un contrĂŽle ou, pour parler plus prĂ©cisĂ©ment, la dĂ©mocratie ne peut subsister durablement tant que le pouvoir de la tĂ©lĂ©vision ne sera pas complĂštement mis au jourLXXXVII. »
Ce florilĂšge montre que, dans certaines sphĂšres au moins, le dĂ©bat est engagĂ©, et plutĂŽt vivement. Les journalistes français, au plan collectif, ne sont pas restĂ©s totalement Ă  l’écart. AlertĂ©e par l’image dĂ©sastreuse dont ils sont crĂ©ditĂ©s dans l’opinion4, la Commission de la carte, qui dĂ©livre la carte de presse aux journalistes en exercice, a publiĂ©, le 4 fĂ©vrier 1992, un communiquĂ© qui fit quelque bruit : « Face au discrĂ©dit dont les mĂ©dias font l’objet dans l’opinion publique, si l’on en croit les sondages, et compte tenu des conditions de plus en plus scabreuses qui prĂ©sident Ă  la collecte de l’information – ĂąpretĂ© de la concurrence, hantise de l’audimat, recherche du scoop Ă  tout prix, poids de la publicitĂ©, vitesse accĂ©lĂ©rĂ©e de la transmission des nouvelles, rĂ©duction du temps nĂ©cessaire Ă  leur vĂ©rification, etc., la Commission [...] appelle ses quelque vingt-sept mille ayants droit Ă  la plus grande vigilance [...] Devant la cascade des dĂ©rapages [...] la Commission de la carte estime de son devoir d’appeler les Ă©diteurs et les journalistes, chacun selon ses responsabilitĂ©s, Ă  conjuguer leurs efforts pour donner un coup d’arrĂȘt Ă  cette dangereuse dĂ©riveLXXXVIII. »
*
En France, le dĂ©bat, plus tardif qu’ailleurs, doit ĂȘtre inscrit dans son cadre historique. Il est enracinĂ© dans l’article 11 de la DĂ©claration des droits de l’homme de 1789 : « La libre communication de ses pensĂ©es et de ses opinions est un des droits les plus prĂ©cieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, Ă©crire, imprimer librement, sauf Ă  rĂ©pondre de l’abus de cette libertĂ© dans les cas dĂ©terminĂ©s par la loi. » C’est donc la loi qui est chargĂ©e de dĂ©finir des limites et de les faire respecter. Dans cet esprit, et surtout depuis 1881, un arsenal lĂ©gislatif complexe a progressivement Ă©tĂ© mis en place pour dĂ©finir les limites de la libertĂ© de la presseLXXXIX. En ce sens, on comprend bien l’irritation latente des journalistes français devant un systĂšme qu’ils jugent excessivement et parfois inĂ©quitablement rĂ©pressifXC. On doit se demander si cet encadrement juridique ne contribue pas Ă  Ă©touffer la discussion dĂ©ontologique – bien qu’on puisse, Ă  l’inverse, imaginer que l’empire de la loi s’étend d’autant plus que la profession est lente Ă  promouvoir des rĂšgles dĂ©ontologiques efficaces.
Cette situation contraste avec la tradition anglo-saxonne5, comme l’illustre le premier amendement de la DĂ©claration des droits de l’homme Ă©dictĂ©e en 1791 aux États-Unis : « Le CongrĂšs ne fera aucune loi [...] restreignant la libertĂ© de la parole ou de la presse. » À l’encadrement lĂ©gislatif de la libertĂ© de la presse et Ă  une forme de contrĂŽle a priori qui prĂ©valent en France, les Anglo-Saxons opposent donc, de façon radicale, un refus total de tout encadrement lĂ©gislatif, avec deux consĂ©quences notables. D’une part, une jurisprudence s’est Ă©laborĂ©e progressivement, mais a posteriori et au cas par cas, pour rĂ©gler les conflits. D’autre part, la responsabilisation des journalistes s’est avĂ©rĂ©e propice au dĂ©veloppement de rĂ©flexions sur la dĂ©ontologie. Beaucoup d’entreprises de presse aux États-Unis ont Ă©laborĂ© leurs propres codes de dĂ©ontologie. En outre, leur analyse comparĂ©e fait partie de l’enseignement du journalisme, qui est trĂšs dĂ©veloppĂ©, de sorte qu’une culture de la dĂ©ontologie pĂ©nĂštre le milieu journalistique de façon systĂ©matique. En France, 10 % seulement des journalistes en exercice en 1996 avaient Ă©tudiĂ© dans une Ă©cole de journalisme, et la profession, au demeurant assez peu organisĂ©e, semble mal prĂ©parĂ©e aux dĂ©bats sur la dĂ©ontologie. Des tentatives sporadiques pour proposer des rĂšgles dĂ©ontologiques ont eu lieu, sans grand rĂ©sultat6.
La conception libĂ©rale, fondĂ©e sur la libertĂ© de l’individu, s’étend, aux États-Unis, Ă  la libertĂ© des entreprises de presse qui doivent rester Ă  l’abri de toute intervention de l’État, et dont l’indĂ©pendance Ă©conomique apparaĂźt ainsi comme une condition nĂ©cessaire. Pourtant, en Grande-Bretagne, la BBC est entiĂšrement financĂ©e par la redevance, tout en maintenant son indĂ©pendance, de façon parfois conflictuelle vis-Ă -vis de l’État qui rĂ©colte la manne. En France, la libĂ©ralisation des entreprises de presse s’est accĂ©lĂ©rĂ©e. Mais le temps n’est pas si lointain oĂč toutes les chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision Ă©taient propriĂ©tĂ© de l’État et oĂč les confĂ©rences de rĂ©daction se dĂ©roulaient en liaison Ă©troite avec le ministĂšre de l’Information. Ce n’est que dans les annĂ©es 1980 que l’État a abandonnĂ© son monopole sur la tĂ©lĂ©vision.
Dans l’optique libĂ©rale stricte, la notion de contrĂŽle externe, surtout s’il est exercĂ© par l’État et mĂȘme s’il est transcendĂ© par l’empire du service public7, n’est pas recevable. La dĂ©ontologie est la voie majeure et quasi unique par laquelle le systĂšme peut s’autorĂ©guler. À l’inverse, les approches « sociales » qui reconnaissent une place importante Ă  l’exercice du service public sont plus ouvertes Ă  l’implantation d’instances de contrĂŽle. Les conseils de presse et les ordres professionnelsXCI constituent des superstructures mises en place, avec des succĂšs variables, dans de nombreuses dĂ©mocraties occidentales8. La Grande-Bretagne, rĂ©putĂ©e pour la qualitĂ© de la BBC dont l’indĂ©pendance et la rigueur sont vantĂ©es dans le monde entier, possĂšde aussi une presse d’échos et de ragots dont la rĂ©putation nĂ©gative n’est pas moindre. C’est pourquoi une Commission des plaintes fut mise en place Ă  titre expĂ©rimental en 1991. Comme toutes les instances de contrĂŽle, elle est confrontĂ©e au problĂšme de la dĂ©finition et l’ampleur des moyens de contrĂŽle et de rĂ©torsion dont elle peut disposer pour ĂȘtre efficace sans porter atteinte Ă  la libertĂ© de la presse.
Génie médiatique et risque informationnel
Les sons et les images, dans les technologies numĂ©riques actuelles, sont dĂ©composĂ©s, dĂ©crits par des paquets de nombres, et reconstruits par le rĂ©cepteur Ă  partir des donnĂ©es numĂ©riques. De mĂȘme, toute information fait l’objet d’une reconstruction. Le journaliste est l’ordonnateur d’une re-prĂ©sentation du fait ou de l’évĂ©nement qu’il veut transmettre. Cette ingĂ©nierie de l’information comporte des aspects techniques, mais fondamentalement elle repose sur des choix, des sĂ©lections, une composition effectuĂ©e par le journaliste. L’information banale « une vague de froid s’est abattue sur le France » peut ĂȘtre transmise de bien des maniĂšres : telle autoroute est coupĂ©e ; des retards sont enregistrĂ©s dans plusieurs aĂ©roports ; un record de froid a Ă©tĂ© battu dans telle ville ; des salles d’écoles sont ouvertes aux sans-abri, etc. Le journaliste dispose de donnĂ©es d’origines diverses, souvent fournies par les agences de presse, pas nĂ©cessairement complĂštes, mais le plus souvent surabondantes. Il dĂ©cide d’abord que la vague de froid mĂ©rite, ou non, d’ĂȘtre rapportĂ©e. Dans l’ensemble des Ă©lĂ©ments dont il dispose, il sĂ©lectionne ceux qu’il juge ĂȘtre les plus significatifs. Puis il compose le message qu’il calibre en fonction de l’importance qui lui est attribuĂ©e et du sens qu’il veut lui donner. IllustrĂ©e Ă  la tĂ©lĂ©vision par des images montrant des patineurs sur le lac gelĂ© du bois de Boulogne ou des sans-abri dans des cartons, la mĂȘme information sera annotĂ©e et perçue de façon trĂšs diffĂ©rente.
Il n’y a donc pas, stricto sensu, d’information. Il n’y a que des produits d’information, fabriquĂ©s par ces ingĂ©nieurs professionnels que sont les journalistes, Ɠuvrant au sein d’entreprises de presse qui financent l’élaboration des produits et en assurent la diffusion. J’appellerai gĂ©nie mĂ©diatique cette ingĂ©nierie de l’information et risque informationnel le risque, associĂ© Ă  cette activitĂ©, de fabriquer un produit dangereux ou potentiellement dangereux9.
En tant que biologiste, je ne rĂ©siste pas au plaisir de dresser un parallĂšle entre le gĂ©nie mĂ©diatique et le gĂ©nie gĂ©nĂ©tique. Le gĂ©nie gĂ©nĂ©tique, dont il a Ă©tĂ© abondamment question, est une technologie qui consiste Ă  rabouter des gĂšnes ou des morceaux de gĂšnes. Or les gĂšnes sont porteurs d’information. Ils dĂ©livrent un message gĂ©nĂ©tique. Ainsi, le gĂ©nie mĂ©diatique et ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. DĂ©dicace
  5. Remerciements
  6. Introduction
  7. Chapitre premier - Naissance d’une nouvelle science
  8. Chapitre II - Les polémiques autour des biotechnologies
  9. Chapitre III - ProblÚmes et fantasmes liés à la procréation
  10. Chapitre IV - La fascination des ondes
  11. Chapitre V - Rumeurs sur la vaccination contre l’HĂ©patite B
  12. Chapitre VI - Le drame du sang contaminé
  13. Chapitre VII - Analyse de la raison médiatique
  14. Chapitre VIII - Innovation et gestion des risques
  15. Conclusion - La science en partage
  16. Notes