Jumelles et uniques
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Jumelles et uniques

Bien vivre sa gémellité

  1. 160 pages
  2. French
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Jumelles et uniques

Bien vivre sa gémellité

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À propos de ce livre

Jeannette est la seconde jumelle, «celle que l'on n'attendait pas». À l'Ă©poque oĂč l'Ă©chographie n'existait pas encore, cette naissance – deux bĂ©bĂ©s au lieu d'un!–a Ă©tĂ© vĂ©cue par la famille comme un sĂ©isme. De la dĂ©pression maternelle aux rĂ©actions des uns et des autres devant le «bloc» gĂ©mellaire, Jeannette Favre raconte ici avec beaucoup de justesse la difficultĂ© d'ĂȘtre toujours deux et comment, progressivement, elle s'est dĂ©gagĂ©e du piĂšge de la ressemblance pour conquĂ©rir son identitĂ© propre. Son rĂ©cit est Ă©clairĂ© par une pĂ©dopsychiatre abordant les diffĂ©rentes questions qu'il soulĂšve: jusqu'Ă  quel point faut-il singulariser les jumeaux? Pourquoi certains parents ne peuvent-ils s'empĂȘcher d'accentuer la ressemblance physique? Comment accompagner la fratrie? Comment encourager l'autonomie et en quoi les choix adultes sont-ils conditionnĂ©s par la condition gĂ©mellaire? Écrit Ă  deux voix, ce livre aidera tous ceux qui sont concernĂ©s de prĂšs ou de loin par la gĂ©mellitĂ©: les parents bien sĂ»r, mais aussi les jumeaux devenus adultes et leur entourage. Jeannette Favre est devenue assistante sociale en milieu carcĂ©ral pour se consacrer Ă  ceux que la sociĂ©tĂ© tend Ă  priver d'identitĂ©. Catherine Jousselme est professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent Ă  Paris-Sud, et chef de service de la Fondation VallĂ©e Ă  Gentilly.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2012
ISBN
9782738181688
Chapitre 1
Une naissance surprise
Rien n’avait prĂ©parĂ© mes parents Ă  la naissance de deux enfants. Avec la pratique systĂ©matique de l’échographie, apparue dans les annĂ©es 1980, ce cas de figure est aujourd’hui rarissime.
Avant l’ùre de l’échographie, il fallait se fier aux bruits du cƓur pendant la grossesse pour dĂ©tecter une naissance multiple. Pour ma sƓur et moi, ils n’avaient rĂ©vĂ©lĂ© la prĂ©sence que d’un enfant. Lequel des deux cƓurs battants avait Ă©tĂ© ainsi perçu ? L’un ou l’autre ? L’un et l’autre alternativement ?
Un enfant de plus, c’était dĂ©jĂ  difficile Ă  admettre pour mes parents qui menaient une vie laborieuse de petits artisans commerçants. Ils avaient eu deux garçons, dont le dernier n’avait que dix-huit mois. Deux nouveaux enfants, cela a Ă©tĂ© – pour mon pĂšre surtout – une vĂ©ritable catastrophe.
Je suis la deuxiùme jumelle, celle que l’on n’attendait pas.
Le rang de naissance chez les jumeaux peut sembler sans importance Ă  quelques minutes ou quarts d’heure prĂšs. Cette question d’aĂźnesse apparaissait pourtant essentielle dans notre famille pour dĂ©signer l’enfant surnumĂ©raire. Les discussions se rĂ©vĂ©laient source de controverses, opposant l’argument de la primautĂ© de conception Ă  celui de la primautĂ© de naissance. Mais les actes de naissance Ă©taient lĂ  pour trancher, avec les mentions portĂ©es sur chacun d’eux : « premiĂšre jumelle » sur celui de ma sƓur avec la prĂ©cision de l’heure de naissance, « deuxiĂšme jumelle » sur le mien avec l’indication d’un horaire mettant en Ă©vidence un dĂ©calage de quarante-cinq minutes. Ces mentions sur nos extraits d’acte de naissance ont Ă©tĂ©, tout au long de notre vie, comme la marque indĂ©lĂ©bile de notre condition gĂ©mellaire.
Si j’en crois les rĂ©cits familiaux, personne n’a pressenti l’imminence d’une deuxiĂšme naissance aprĂšs celle de ma sƓur. Et quand il a fallu se rendre Ă  l’évidence, la surprise a Ă©tĂ© encore plus grande au vu du temps Ă©coulĂ©. À l’étonnement gĂ©nĂ©ral a succĂ©dĂ© rapidement l’inquiĂ©tude. Ce nouvel enfant non programmĂ© serait-il tout Ă  fait normal ? Une interrogation amplement justifiĂ©e, car on sait aujourd’hui que la morbiditĂ© pĂ©rinatale est majorĂ©e lorsque l’intervalle entre les deux naissances dĂ©passe quinze minutes1.
Et, au-delĂ  de ce risque Ă©ventuel, quel peut ĂȘtre le retentissement de ce temps d’attente – imposĂ© et mouvementĂ© – sur le psychisme du second jumeau ? Quel impact peuvent avoir les contractions qu’il doit subir pour la venue au monde de son frĂšre ou de sa sƓur avant de connaĂźtre celles de sa propre naissance ? Quelle incidence sur sa maniĂšre d’apprĂ©hender le monde ? Compte tenu de mon rang de naissance, j’ai toujours Ă©prouvĂ© une sympathie spontanĂ©e pour les deuxiĂšmes jumeaux ou jumelles que j’ai eu l’occasion de rencontrer au cours de mon existence.
De ma venue au monde, voici les informations que je tiens de ma mĂšre : je pesais cent grammes de moins que ma jumelle et j’étais un peu moins grande de deux centimĂštres. Ma sƓur Ă©tait vigoureuse et pleine de vie alors que j’étais atone, sans rĂ©action, « jaune comme un coing », au point que l’on s’est demandĂ© pendant une quinzaine de jours si j’allais vivre.
Mes parents n’avaient rien prĂ©vu pour l’arrivĂ©e d’un deuxiĂšme enfant : ni prĂ©nom, ni vĂȘtements, ni berceau. La naissance ayant eu lieu chez nous, ce fut le branle-bas de combat Ă  la maison.
Le pharmacien du coin de la rue a proposĂ© aussitĂŽt de prĂȘter un petit lit et il a fallu s’organiser pour trouver de la place pour loger les deux berceaux cĂŽte Ă  cĂŽte dans la chambre de mes parents. SpontanĂ©ment, un peu plus tard, des voisins et des amis sont venus apporter de la layette pour complĂ©ter le trousseau.
TrĂšs vite, s’est posĂ©e la question de la dĂ©claration de naissance auprĂšs de la mairie. Mon pĂšre, en Ă©tat de choc aprĂšs cette double naissance, Ă©tait dans l’incapacitĂ© de prendre la moindre dĂ©cision. Ma mĂšre, encore trop fatiguĂ©e par un accouchement long et difficile, n’était pas davantage en mesure d’émettre un avis.
C’est Jeannine, l’employĂ©e de maison prĂ©sente Ă  l’accouchement, qui a effectuĂ© la dĂ©marche auprĂšs de la mairie, Ă  peine cinq heures aprĂšs l’évĂ©nement. L’a-t-elle fait de sa propre initiative ou Ă  la demande de mon pĂšre ? Qui lui a remis le livret de famille ? Je ne l’ai jamais su. Seule certitude, c’est elle qui a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă  faire le choix d’un prĂ©nom pour la deuxiĂšme jumelle. Et c’est ainsi que j’ai hĂ©ritĂ© du prĂ©nom de Jeannette.
Ma mĂšre, lorsqu’elle a repris ses esprits, a Ă©tĂ© contrariĂ©e d’apprendre que mon prĂ©nom avait Ă©tĂ© choisi Ă  son insu. Elle aurait souhaitĂ© m’appeler Marie-Pierre qui aurait fait Ă©cho au prĂ©nom composĂ© de Marie-Claude attribuĂ© Ă  ma sƓur.
Plus tard, vers l’ñge de dix-huit ou dix-neuf ans, j’ai pensĂ© que j’avais Ă©chappĂ© Ă  un prĂ©nom trop semblable par consonance Ă  celui de ma jumelle. Je me suis dit aussi que cette Jeannine que je n’avais pas connue avait dĂ» y mettre tout son cƓur pour me donner un prĂ©nom si proche du sien !
Sur le registre des naissances, il est indiquĂ©, Ă  cĂŽtĂ© du nom de Jeannine, son Ăąge – vingt-huit ans –, son domicile, ainsi que la mention « mĂ©nagĂšre ». Cette activitĂ© professionnelle m’apparaĂźt bien modeste au regard du rĂŽle qu’elle a jouĂ© ce jour-lĂ . Il est prĂ©cisĂ© aussi qu’elle a assistĂ© Ă  l’accouchement. Je n’ai jamais beaucoup entendu parler d’elle dans ma famille, comme si son passage avait peu marquĂ© les esprits. En fait, je ne suis pas sĂ»re que l’on souhaitait vraiment Ă©voquer son souvenir
 Ne lui reprochait-on pas inconsciemment le rĂŽle qu’elle avait pu jouer Ă  l’occasion de notre naissance ?
Par crainte sans doute d’un jugement social de ce qui aurait pu ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une mauvaise gestion d’un Ă©vĂ©nement privĂ©, ma famille a imaginĂ© un scĂ©nario diffĂ©rent de la rĂ©alitĂ©. Une version a circulĂ© selon laquelle une de mes tantes paternelles, prĂ©nommĂ©e Jeanne, avait fait le choix de mon prĂ©nom. Cette reconstruction toutefois ne rĂ©siste pas aux faits. La naissance Ă©tant intervenue de maniĂšre prĂ©maturĂ©e, trois semaines avant la date prĂ©vue, ma tante, qui habitait Ă  plus de sept cents kilomĂštres, n’a pu arriver que plusieurs jours aprĂšs la naissance. Or la dĂ©claration a eu lieu le jour mĂȘme et le registre de la mairie mentionne bien le nom de Jeannine comme dĂ©clarante et non celui de ma tante.
Cette question Ă©tant restĂ©e taboue, je n’ai osĂ© interroger ma mĂšre qu’à l’ñge de vingt-sept ans, lors de la naissance de mon premier enfant. Celle-ci m’a confirmĂ© alors la version « Jeannine » et m’a dit aussi combien elle avait Ă©tĂ© peinĂ©e de ne pas avoir participĂ© au choix de mon prĂ©nom.
On m’a Ă©galement rapportĂ© que ma tante Jeanne, venue aider ma famille au moment de la naissance, s’était proposĂ©e de m’adopter. MariĂ©e, sans enfant, elle aurait aimĂ© m’accueillir dans son foyer, mais ma mĂšre s’y Ă©tait vivement opposĂ©e. Toutefois, pour venir en aide momentanĂ©ment Ă  mes parents, elle Ă©tait repartie aprĂšs une dizaine de jours avec mon frĂšre ĂągĂ© de seulement dix-huit mois et l’avait gardĂ© auprĂšs d’elle et de son mari pendant une annĂ©e.
Pour terminer, une anecdote amusante : cette naissance surprise a fait la une de la presse locale, ce dont mon pĂšre se serait sans doute bien passĂ©. Le mĂȘme jour, en effet, sont nĂ©s Ă  La Rochelle sept couples de jumelles. Le journal concluait ainsi son article : « Et tant pis pour la caisse d’allocations familiales et vive les jumelles ! »
Grossesses gĂ©mellaires d’hier et d’aujourd’hui : entre fantasme et rĂ©alitĂ©
Les temps ont changĂ©, c’est vrai
 Aujourd’hui les mĂšres et les pĂšres se prĂ©parent tranquillement Ă  la naissance en savourant des images en trois D de leur bĂ©bĂ©, dont ils parviennent presque Ă  discerner les traits du visage ! Michel SoulĂ©, pĂ©dopsychiatre qui a beaucoup travaillĂ© sur le bĂ©bĂ©, a qualifiĂ© l’échographie d’« interruption volontaire de fantasme2 ». Et pourtant, que penser de cette Ă©poque oĂč l’on ne pouvait s’appuyer sur aucun Ă©lĂ©ment de rĂ©alitĂ© pour se prĂ©parer ? Était-ce prĂ©fĂ©rable, particuliĂšrement en cas de grossesse gĂ©mellaire ? Difficile, comme toujours, de statuer de maniĂšre dĂ©finitive.
Certains couples, certaines personnes – mĂšres ou pĂšres –, savaient trĂšs bien accepter la « nature » telle qu’elle venait : deux bĂ©bĂ©s Ă  la place d’un, un garçon Ă  la place d’une fille, un roux Ă  la place d’un blond
 Leur bĂ©bĂ© imaginaire restait une image assez floue et surtout assez amĂ©nageable pour ne pas poser de problĂšme dans sa confrontation au bĂ©bĂ© rĂ©el. Du coup, ce dernier pouvait les surprendre, certes, mais il parvenait toujours Ă  les sĂ©duire, car leur fonctionnement psychique Ă©tait assez souple pour accueillir un enfant, quel qu’il fĂ»t.
Aujourd’hui, c’est la mĂȘme chose ! Certains parents, avec ou sans Ă©chographie, continuent de rĂȘver leur bĂ©bĂ© et restent subjuguĂ©s par lui quand il naĂźt, mĂȘme s’il ne correspond pas vraiment Ă  leurs attentes et ce, qu’il soit unique ou « double » ! La seule diffĂ©rence sans doute, c’est que ceux qui, autrefois, ne parvenaient pas Ă  ce degrĂ© d’harmonie n’avaient alors aucune porte de secours.
La visualisation du bĂ©bĂ©, de ses caractĂ©ristiques sexuelles, et du nombre de fƓtus, permet aux parents de notre siĂšcle de progressivement apprivoiser la distance entre leurs fantasmes et ce que leur rĂ©serve l’intĂ©rieur de l’utĂ©rus maternel. Certes, ils peuvent passer par un moment de dĂ©sarroi, voire un mouvement de panique : imaginer deux bĂ©bĂ©s Ă  la place d’un, ce n’est pas toujours facile quand on ne s’y attend pas du tout (c’est un peu diffĂ©rent dans les familles oĂč les jumeaux sont nombreux) ! Mais ils ont le temps de discuter entre eux, de se faire aider, accompagner, de faire appel Ă  la famille, aux amis, Ă  des professionnels, pour peu Ă  peu mieux accepter, puis se rĂ©jouir, de ce qui va arriver. PrĂ©parer la chambre, acheter des vĂȘtements adaptĂ©s, chercher un mode de garde confortable : tant de petites choses qui font beaucoup quand le (ou les !) bĂ©bĂ©(s) arrive(nt).
Le rang de naissance pour les jumeaux
La place du jumeau Ă  la naissance reste symbolique, mais la force du symbole diffĂšre selon les histoires, les familles, les identifications.
Dans la GenĂšse, le cas d’ÉsaĂŒ et de Jacob, jumeaux et fils d’Isaac, petit-fils d’Abraham, en constitue une bonne illustration. À la naissance, aprĂšs une lutte qui a dĂ©butĂ© entre eux pendant la grossesse, Jacob tente de retenir son frĂšre par le talon pour l’empĂȘcher de naĂźtre le premier. Ensuite, les deux frĂšres ennemis vont se battre toute leur vie durant, Ă  la tĂȘte de leurs peuples rivaux. Jacob, le deuxiĂšme nĂ©, n’a de cesse de se venger d’ÉsaĂŒ jusqu’à lui extorquer son droit d’aĂźnesse, ce Ă  quoi il parviendra pour devenir, finalement, le pĂšre du peuple juif. Quelle histoire rude, et si humaine pourtant !
Parfois, la place de naissance est vite oubliĂ©e par les parents, qui en font une sorte d’« anecdote » familiale. Parfois, au contraire, les bĂ©bĂ©s sont diffĂ©renciĂ©s de façon plus ou moins Ă©vidente, comme dans le cas de Jeannette. Telle mĂšre sera plus attachĂ©e Ă  son premier-nĂ© car elle a Ă©tĂ©, elle-mĂȘme, l’aĂźnĂ©e de sa famille ; telle autre, au deuxiĂšme, car son frĂšre puĂźnĂ© a Ă©tĂ© trĂšs malade, et elle se met Ă  craindre que ce bĂ©bĂ© le soit aussi, renĂ©gociant inconsciemment sa culpabilitĂ© liĂ©e Ă  sa rivalitĂ© fraternelle passĂ©e ; tel pĂšre sera moins attentif Ă  son garçon jumeau, nĂ© le deuxiĂšme, tellement il a Ă©tĂ© heureux de voir sortir un bĂ©bĂ© fille en premier, etc. Il n’existe donc pas d’amour systĂ©matique pour le premier ou le deuxiĂšme jumeau, mais un poids plus ou moins lourd de fantasmes parentaux projetĂ©s sur le bĂ©bĂ©, aboutissant Ă  des comportements parfois contrastĂ©s, pouvant conduire, dans de rares cas, Ă  une maltraitance ciblĂ©e. Le choix des prĂ©noms peut rendre compte de ces inĂ©galitĂ©s d’investissements.
Deux bébés
 et une dépression
La maman de Jeannette a traversĂ© sans doute une pĂ©riode difficile de post-partum (pĂ©riode suivant immĂ©diatement l’accouchement), un phĂ©nomĂšne classiquement plus frĂ©quent en cas de grossesse gĂ©mellaire. Chez elle, la fatigue Ă©tait liĂ©e Ă  plusieurs facteurs : sa surprise, face Ă  ces deux bĂ©bĂ©s filles, dont une arrivĂ©e plus tard que l’autre ; la rĂ©action nĂ©gative de son mari, sur qui elle ne pouvait pas s’appuyer ; les difficultĂ©s pratiques que cette double naissance a provoquĂ©es, dans sa vie quotidienne de femme de commerçant, un Ă©puisement physique rapide.
Dans de nombreux cas de grossesse gĂ©mellaire, la fatigue de suite de couches correspond au dĂ©veloppement d’un processus dĂ©pressif, parfois sĂ©vĂšre. Il est donc essentiel de prĂ©venir l’éclosion d’une telle dĂ©pression du post-partum chez les mĂšres particuliĂšrement exposĂ©es, en anticipant leurs difficultĂ©s Ă  venir pendant la grossesse, ce qui est encore aujourd’hui insuffisamment fait. Il est Ă©galement fondamental d’évaluer la capacitĂ© des mĂšres (mais aussi des pĂšres !) Ă  vivre bien la venue de deux bĂ©bĂ©s (parfois plus, dans les grossesses issues de procrĂ©ations mĂ©dicalement assistĂ©es) pour les soutenir et amĂ©nager les conditions d’accueil des bĂ©bĂ©s Ă  la maternitĂ©, en cas de difficultĂ©s. Bien entendu, il faut ensuite accompagner ces couples, pendant les suites de couches, au retour Ă  la maison, ne pas les « lĂącher » trop vite, surtout quand ils ne bĂ©nĂ©ficient pas d’un soutien familial suffisant.
Que disent ces mĂšres quand elles parlent de leur dĂ©sarroi ? Qu’elles n’ont que deux bras et qu’il leur sera impossible de donner le sein ou le biberon Ă  deux bĂ©bĂ©s en mĂȘme temps (alors que celles qui vivent bien leur grossesse gĂ©mellaire trouvent tout naturellement un rythme un peu diffĂ©rent, qui leur permet de « dĂ©caler » les bĂ©bĂ©s, sans craindre de frustrer l’un ou l’autre) ; qu’il est extrĂȘmement douloureux, pour elles, de penser pouvoir confondre leurs bĂ©bĂ©s tant ils se ressemblent (alors que les autres trouvent immĂ©diatement un mode de diffĂ©renciation, et rient quand, par hasard, elles commettent une erreur !) ; parfois mĂȘme, qu’elles ne peuvent imaginer avoir deux bĂ©bĂ©s en mĂȘme temps dans leur ventre, se sentant envahies, Ă©tranges, mal Ă  l’aise (alors que les autres se sentent gratifiĂ©es par la nature, et fiĂšres de donner deux fois la vie en mĂȘme temps). Il arrive que les suites de la naissance accentuent les difficultĂ©s, par exem...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. Table
  5. PRÉFACE. Comment parler Ă  un autre moi-mĂȘme ?
  6. AVANT-PROPOS À DEUX VOIX
  7. Chapitre 1. Une naissance surprise
  8. Chapitre 2. Vraies ou fausses jumelles ?
  9. Chapitre 3. L'arrivée dans la famille
  10. Chapitre 4. De si jolies poupées
  11. Chapitre 5. « Qui es-tu, toi ? »
  12. Chapitre 6. Comparaisons, préférences et rivalités
  13. Chapitre 7. Comment ĂȘtre soi
  14. Chapitre 8. Enfin soi !
  15. Chapitre 9. Avoir un mari jumeau
  16. Chapitre 10. De la condition gémellaire
  17. Chapitre 11. Et aprùs

  18. Coda en duo
  19. QuatriĂšme de couverture