Le Génie adolescent
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Le Génie adolescent

  1. 192 pages
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Le Génie adolescent

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À propos de ce livre

« On insiste souvent sur la créativité des adolescents. Au terme de plus de trente ans de pratique auprès de jeunes venus me confier leurs doutes, leurs difficultés, mais aussi leurs rêves et leurs désirs les plus fous, il me semble que ce travail de création est même au cœur de l'expérience adolescente. Les adolescents sont comme des artistes: il leur faut inventer ce qu'ils sont, qui ils sont. » P. G. Quête d'originalité, volonté d'expression, recherche d'un idéal, souci de la mise en scène: tous ces traits qui caractérisent la création artistique se retrouvent dans le processus de création de soi qu'est, pour Philippe Gutton, l'adolescence. Comprendre ce besoin qui pousse à essayer, innover, créer, c'est comprendre ce qui fait la spécificité d'un âge à nul autre pareil. Entendre cette exigence intime, l'accompagner et au besoin la cadrer, c'est aider tous les adolescents à devenir, plus tard, des adultes à l'identité aussi singulière que bien établie. Psychiatre, psychanalyste, professeur de psychopathologie à l'université de Provence, Philippe Gutton dirige également la revue Adolescence, qu'il a fondée.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2008
ISBN
9782738193575
Deuxième partie
Création 1 : Éprouver
Chapitre 4
Le brut
Freud note : « Nous méprisons l’activité sexuelle en elle-même et nous ne l’excusons que par suite des qualités que nous retrouvons dans son objet. » L’interprétation de cette note confirme la distinction des deux modèles d’objets : les premiers, au plus près de la source génitale, c’est-à-dire des zones érogènes définies par l’acte qu’ils provoquent, dont la visée est la satisfaction immédiate, principalement les organes génitaux qui se remanient avec la puberté ; les seconds, leurs objets, buts interchangeables, constitués par les couples de zones érogènes sur le corps de partenaires à la recherche d’une complémentarité sexuelle. Le « mépris » sera « excusé » lorsque des qualités suffisamment bonnes auront été trouvées dans un objet d’amour tout entier, belle forme incluant et dépassant les objets érotiques partiels ; ce qui est méprisable se situe dans la pratique des organes et les activités auto- et hétéro-érotiques qu’ils suscitent. Telle est l’observation que l’adolescent ordinaire porte sur ses conduites génitales lorsqu’elles sont éloignées, voire détachées, de tout scénario imaginaire et qu’elles comportent de façon quasi exclusive un but de décharge, parfois simplement autocalmante. Le sexuel pubertaire serait donc laid dans ce qu’il donne à voir et à penser – le XIXe siècle évoquait la « ruine du corps par l’érotisme ». Un adolescent peut dès lors chercher à éviter, plus encore à nier, ce qui le saisit dans la réalité même de son corps, mais, ce faisant, en refusant la laideur pubertaire, il rend du même coup impossible la création, car il la sape à sa base même. Cette disqualification des ressentis corporels est assurément la source des grandes pathologies que nous avons à prendre en charge : addictions, suicides, attaques du corps (scarifications), positions antisociales, etc.
Le pubertaire entraîne une bascule de la relation de l’encore-enfant avec ses images parentales infantiles et actuelles. Le brut génital, exclusif de la sexualité parentale pendant l’enfance, est transféré à son nouvel acteur : maintenant que l’enfant est pubère, le génital parental, qui pouvait séduire l’enfant, fait retour. Un tel déplacement entraîne une désidéalisation des adultes – les « vieux » – dont la sexualité est perçue comme dégoûtante ou menaçante (image de la « mère putain »). Il y a tout un travail psychique à effectuer à l’adolescence pour maintenir élevées la valeur inconsciente parentale et, par retombée, l’estime de soi.
Ce vol de la sexualité parentale serait-il comparable à celui du feu que le jeune Prométhée dérobe à Zeus ? En se référant à ce récit mythique, on peut aisément imaginer la violence implicite du pubertaire et les possibles réactions parentales. Prométhée, pour son vol du feu, est enchaîné au rocher et chaque jour blessé. Anticipant les raisonnements ultérieurs, on se souviendra que le héros avait avec le feu un destin civilisateur.
Comment dit-on le laid ? Le laid serait informe, sans limite, comme le marbre non travaillé qui entoure les esclaves de Michel-Ange ou enveloppe les sculptures de Rodin. Ce qui inspire la création, ce qui saisit l’encore – enfant – quel paradoxe ! – serait au plus profond de lui-même le laid, qu’il faut traduire autrement. Cet engagement est une force secrète, mystérieuse, profonde, innommable, que l’enfant ne peut qu’interpréter. « Est-ce que je deviens laid et, dès lors, fou ? » Voilà une interrogation dramatique que tous les adolescents expriment et qui leur fait craindre le psychanalyste. Pour comprendre, pour s’approprier le changement, ils observent les formes de ce corps : encore joli, angélique, familier de l’enfance, rendu étranger (qu’on songe aux putti ou aux marbres gracieux, par exemple, ceux de Canova au XIXe siècle) et déjà envahi par la puberté. Ce charmant hermaphrodite, le plus souvent couché dans des poses d’enfant, ne le sera plus lorsque les poils auront poussé. Puberté et pilosité ont d’ailleurs la même étymologie. La préoccupation concernant les cheveux (longueur, couleur, nouage, propreté) est symbolique de l’évolution pubérale telle qu’elle peut être exhibée : laide, mais à transformer. Se rappelle-t-on aujourd’hui le scandale que provoqua la représentation des poils à l’aisselle gauche d’une nymphe endormie peinte par Théodore Chassériau ? Les premières règles sont vécues par bien des jeunes filles comme perte, castration, abomination, et l’éjaculation comme une décharge ignoble… Un enfant fort bavard cesse de parler lorsqu’il sent sa voix devenir rauque. Nombreux sont ces nouveaux qualificatifs identitaires sur lesquels l’adolescent s’interroge. Une laideur, plus ou moins fascinante, celle de la sexualité adulte, en particulier parentale, change de camp.
Oui, l’instinct génital surgit comme le loup dans la bergerie ; c’est une violence dans la tendresse infantile. Si, en lui-même, il n’est pas violent, son avènement mystérieux est fort souvent interprété comme tel. Force de vie ou force de mort ? La passivité enfantine, simplement curieuse devant le génital, se retourne en activation riche de possibles. À l’inverse, la dépendance à l’égard du corps est perçue par l’encore-enfant comme aliénation, clôture sur l’autre, égoïsme hideux, honteux. L’adolescent d’aujourd’hui cherche à mutiler ce corps, le scarifier, l’oublier, à s’en débarrasser lors de ses essais suicidaires. Oui, la haine du corps est possible. Un adolescent dit : « Mon corps me guette. » Que faire d’une psyché ainsi contrainte, harcelée par une exigence pulsionnelle qui semble venir du dehors, de ce corps dont le changement semble échapper à son propriétaire ? Symbole intéressant du pubertaire, Maurice Merleau-Ponty disait de la peinture qu’elle est « une interrogation secrète et fiévreuse des choses dans notre corps » : « L’œil est ce qui a été ému par un certain impact du monde, et le restitue au visible par les traces de la main. » André Green parle de « corps ému » pour désigner les affects les plus primaires, c’est-à-dire les éprouvés les plus contraignants et, j’ajouterais, les plus incontournables.
L’observation d’Albert G., résumée par Freud et inspirée de la thèse de Debacker sur Les Hallucinations et terreurs nocturnes chez l’enfant et chez l’adolescent (1881), montre bien le mécanisme de l’horreur dont il peut être question. Ce garçon de treize ans, dans ses cauchemars – aujourd’hui, nous les assimilerions à des bouffées hallucinatoires hypocondriaques – aperçoit le diable qui lui hurle à tue-tête : « Nous t’avons, nous t’avons. » Le feu brûle à la surface de son corps préalablement dépouillé de ses vêtements. Il pousse des cris, fait des gestes. On l’entend crier : « Ce n’est pas moi, je n’ai rien fait », ou : « Laissez-moi, je ne le ferai plus. » Il se dépersonnalise parfois au point de s’exclamer : « Albert n’a jamais fait ça. » L’interprétation freudienne met en avant la tentation de se masturber sous la poussée de la puberté, laquelle s’exprimerait par des picotements génitaux qu’Albert avouera plus tard avoir ressentis – il va alors très bien. Pour Freud, dans l’histoire de ce jeune homme, les restes diurnes, au sein desquels la libido réprimée s’est transformée en angoisse, rencontrent très probablement des souvenirs masturbatoires infantiles pour lesquels le garçon a été « menacé » de punition sévère. D’où son aveu : « Je ne le ferai plus », et ses dénégations : « Albert n’a jamais fait ça. » Le fait qu’il n’a de cauchemars que lorsqu’il s’est déshabillé, avant de dormir, m’incite à penser (ce que ni Debacker ni Freud ne font) que ses éprouvés somatiques sont, dans son cas, traumatiques : leur force empêche le travail du rêve et impose l’hallucination ; ce qui pourrait être un beau rêve est, pour cette raison, un cauchemar.
À l’adolescence, le dégoût et la honte, quand ils dominent, sont centrés sur les orifices (génitaux, oraux, anaux). Une certaine régression anale s’observe ordinairement à la puberté (Chasseguet-Smirgel). Quel adolescent n’a pas d’interrogation hygiénique ? « Je suis sale, je sens mauvais » peut signifier, tout aussi bien et en alternance, « je suis sexy » ou « je m’en fous ». Cette oscillation entre une saleté séductrice, voire agressive, et une négligence masquant la honte peut trouver une solution dans de véritables compulsions de lavage. La saleté serait-elle une culture ou une anticulture ?
J’ai parlé ailleurs de la découverte de la profondeur du corps, de l’accès, par l’enfant pubère qui est encore un « être de surface », à cette troisième dimension. Si « l’esprit consiste à avoir des organes bien constitués aux choses où ils s’appliquent », comme le dit Montesquieu, on doit s’interroger sur la façon dont ledit esprit peut venir aux débutantes et aux débutants à partir de ressentis et de savoirs concernant le « juste rapport entre les choses et eux-mêmes ». Ont-ils à négocier « le plaisir de la limite », entre sexualité de surface et génitalité interpénétrante, sous forme de résistances à la spéléologie ? On peut citer, à titre d’exemple, dans les conduites entre adolescents, les mille exploitations des surfaces (peau et phanères), les jeux érotiques avec les orifices naturels (la bouche, les jeux de langue furtifs ou pénétrants qui nécessitent, selon eux, une technique particulière, mais également l’œil, l’oreille) ou encore la fameuse question de la virginité. Les « jeux innocents » ont une mission stratégique : celle de frôler, de contenir, d’éviter la génitalité sans la perdre, de voiler, sans la méconnaître, la profondeur de l’être. C’est un travail métaphorique, qui renvoie à la sexualité parentale, la scène primitive, le secret du ventre maternel. L’acte sexuel, le premier ou les autres, apprendra des choses sur cette troisième dimension du corps chez les deux partenaires.
Les pratiques esthétiques de pénétration ou d’interpénétration des corps sont symboliques : les piercings et les scarifications pourraient, de ce point de vue, marquer le passage difficile entre la laideur inhérente de la complémentarité des sexes à la beauté de l’expérience amoureuse. A contrario, le psychanalyste anglais Adams raconte la phobie de l’eau d’un garçon de seize ans qui craignait, non pas de se noyer, mais de flotter. Il pensait que l’eau était capable de le maintenir à la surface, de l’empêcher de prendre pied dans la profondeur. Chez lui, cette idée renvoyait à l’interdiction infantile, faite à son corps, de plonger, de pénétrer dans la profondeur. Les tactiques adolescentes brodent, tissent afin de vêtir, de cacher (pudeur) la profondeur. Ce sont des jeux de masque.
Le symbole du monstre est une interprétation élective d’une laideur pubertaire. Si l’un des enjeux pubertaires est la différenciation en masculin et féminin, le monstre est cette image polymorphe indifférenciée, mal différenciée ou encore anormalement différenciée (un bisexuel par exemple, avec des organes masculins sur une partie inadéquate du corps). La créature monstrueuse accueille les projections privilégiées des éprouvés. Le monstre ne représente ni le corps pubère projeté ni celui du partenaire potentiel, porteur de l’autre sexe, mais, au niveau originaire, la rencontre entre les deux zones génitales ; il renvoie à une image crue de l’acte sexuel, à sa composante bigénitale. Selon une autre interprétation, la monstration refléterait le degré d’impossibilité, à un moment donné, de trouver un compromis face aux deux théories sexuelles alors en présence : la croyance infantile phallique en « un seul sexe : le pénis » et la différenciation des deux sexes par leurs complémentarités éprouvées. La psyché se trouverait alors contrainte de se scinder en deux fonctionnements, l’un continuant à croire aux expériences de l’enfance, l’autre s’engageant dans l’aventure pubertaire. Le monstre naîtrait là, signal d’un clivage, mais aussi existence d’un pont.
Le monstre ne reflète donc pas une hésitation ordinaire d’adolescence, mais un doute identitaire profond. Il témoigne du traumatisme pubertaire et, en même temps, de son élaboration. En effet, la représentation la plus originaire comporte déjà une échappée au fonctionnement mental soumis à la seule énergétique du quantitatif, elle comporte déjà une ouverture. Il y a du renversement et du retournement archaïque dans la monstruosité qui reflète à la fois l’intrusion et une projection imaginaire à cette intrusion. Une transgression subie (traumatique) peut donc être le départ d’une transgression agie : l’adolescent « monstrué » par sa puberté devient alors lui-même monstrueux ; vampirisé, il devient vampire ; incestué, il devient incestueux.
Mais pourquoi se complaire ainsi à évoquer des monstres plutôt que d’autres figures imaginaires ? Parce que le monstre est une figure mythique et que l’étai qu’il offre en tant que figure culturellement inscrite (matière première de l’imaginaire) permet à l’adolescent de sortir d’un fonctionnement duel effrayant. Plutôt que subir archaïquement le monstre, plutôt que d’être monstre, créons du monstre, tel qu’il est imaginé, lisible dans notre groupe humain ! Un monstre bien fait n’en est plus un. En outre, l’adolescent peut craindre, en quittant le monstrueux, de perdre sa sensualité (voire sa capacité orgasmique), assise de sa création. Et puis, le monstre n’est-il pas une image de l’exclusion sociale dont les adolescents se sentent victimes ? S’identifier aux monstres, pour eux, pointerait le manque de reconnaissance dont ils sont l’objet. Faire le monstre serait une réponse aux monstruosités sociétales. Les figures mythiques monstrueuses refléteraient la menace de mort que chaque société contient à l’endroit des plus faibles, ses minorités et, en particulier, la classe d’âge adolescente.
L’horreur est électivement recherchée par bien des adolescents dans les bandes dessinées, les jeux CD-Rom, les dessins animés, les romans, les films de science-fiction ou d’épouvante. Ces jeunes spectateurs semblent sous le charme de monstres culturels. Se protègent-ils par une thématique générale terrifiante de leurs terreurs particulières ? Ces représentations externes ont-elles pour fonction de les défendre contre des représentations internes ? Est-ce, pour pouvoir élaborer leur métamorphose, qu’ils tentent des comparaisons monstrueuses ? Est-ce parce que le héros gagne, tel Persée sur la Méduse, qu’ils décident de jouer gagnant leur adolescence ? Quoi qu’il en soit, l’étrangeté tant redoutée est calmée par la rencontre avec des personnages culturels définis comme « hors norme ». Le risque de cette évolution est que le travail de monstre développe chez l’adolescent une générosité solitaire : « Je suis exceptionnel. » Divers raisonnements sont possibles sur la place de l’art comme défense contre l’effroi. Ils confirment que les graves défaillances narcissiques qui prédisposent électivement aux intérêts monstrueux sont aujourd’hui beaucoup plus répandues qu’on ne le croit. « Si le polymorphisme du monstre reflète la mouvance de la destruction d’un psychisme débordé par des affects contradictoires et violents », ce serait toute une classe d’âge pubertaire qui se trouverait aujourd’hui engagée dans l’excès. On sait par ailleurs que les figures monstrueuses, mises en scène par la peinture et la sculpture, sont particulièrement nombreuses et horribles dans les périodes critiques de l’histoire – je pense ici aux chapiteaux romans ou aux tableaux de Jérôme Bosch. La création réorganise les conflits. La valeur élective attribuée à certains monstres du patrimoine culturel dans une société donnée confirme, par la négative, la sentence freudienne selon laquelle le sociétal repose sur la répression des instincts : leur libération emprunterait une représentation sociale qui bénéficie parfois, et c’est le cas aujourd’hui, du feu vert du surmoi collectif ancestral, voire universel. Le monstre est toujours hors norme, à moins que le hors norme ne tende à devenir norme.
Ainsi va le paradoxe des sources de l’identité génitale ; elles naissent dans le « méprisable » (Freud). Ce que j’ai nommé, après Didier Anzieu, le « saisissement de l’artiste » reflète cet horrible mélange. Certains adolescents, surpris, souhaitent en rester à la culture de la laideur, soit activement, en cherchant le pouvoir d’abord sexuel, éventuellement sadique, soit passivement, en prônant l’humiliation, la passivité névrotique. L’arrêt sur image laide est inquiétant : il reflète une impasse de la création, une pétrification.
Chapitre 5
L’idéalisation primaire
Après ce temps originaire, engageons-nous dans l’avenir ordinaire ce qui constitue l’art de faire son adolescence. Le marbre brut est un appel à la sculpture ; il demande à être séduit. Le sculpteur s’en empare pour faire son œuvre, y marquer son empreinte, les canons d’une nouvelle beauté. Quel est ce travail premier, primaire ? À mon sens, le marteau ou le ciseau symbolisent l’appel à des mécanismes archaïques et, d’abord, les inhibitions pulsionnelles quant à leur but primaire.
Pour Freud, l’inhibition quant au but est l’« effet d’obstacles, externes ou internes ». Elle vise « à rendre compte de l’origine des sentiments de tendresse ou des sentiments sociaux » : c’est l’objet lui-même qui inhibe la réalisation du but ; plus précisément, l’objet brut dont il a été question au précédent chapitre. Nous ne reprendrons pas en détail les interrogations de Freud concernant la théorie de cette inhibition, « refoulement d’un but premier » ou « commencement de symbolisation ». Contentons-nous ici de rappeler qu’elle est à comprendre comme l’arrêt de la satisfaction par l’éprouvé génital qui se trouve ainsi neutralisé.
Avant d’examiner comment le « charme du génital » (Freud) ne peut advenir que par association avec la sublimation, effectuons un bref rappel sur le processus d’idéalisation de l’objet à sa source. L’idéalisation primaire comporte d’abord un désinvestissement, ou une désérotisation, de l’objet pulsionnel (détachement, retrait d’un quantum d’affects à l’état pur ou d’éprouvés génitaux). Ce travail d’hallucination négative, effacement suffisamment bon des perceptions pubertaires, semble primordial, pour que le sujet puisse s’engager dans une problématique de mise en image novatrice. Sans un tel effacement, en effet, l’objet génital continuerait d’imprégner l’enfant, de l’envahir, le parasiter, l’influencer de façon toute-puissante, sans que soit possible une ouverture du côté de la représentance et de la signifiance proprement adolescente.
L’idéalisation garde donc l’objet. C’est un mécanisme qui préserve de la perte par consommation de l’objet libidinal, qui affirme la résistance de l’objet à la force consommatrice de la pulsion. En cela, elle est une source de sa permanence. Pour le dire autrement, l’objet idéalisé est d’abord un objet pubertaire qui a résisté à la satisfaction pulsionnelle. Il y a dans ce processus une fonction de continuité pour l’histoire, voire de fixité, quelque chose comme un travail de condensation, d’assise, d’assurance. L’objet de la pulsion, « interchangeable », se stabilise du fait de l’opération idéalisante. Mais si le sujet ne change pas d’objet, il change néanmoins l’objet. Le processus d’idéalisation autorise une répétition créatrice avec un certain changement. À l’inverse, l’automatisme de répétition qui régit la pulsion fait de l’identique. Précisons encore. L’objet éprouvé ne change pas ; une image s’esquisse. La neutralisation « abstraite » enlève aux premières figurations leur charge pulsionnelle (agressive et libidinale). L’arrêt sur l’image nouvellement fixée, focalisée, héroïne de la résistance au génital, provoque alors sa surestimation, son élévation sur un piédestal, son amplification merveilleuse et tragique.
Quelle est la référence avec laquelle fonctionne l’idéalisation primaire de l’objet ? C’est le moi idéal, le miroir du moi. L’adolescence s’appuie sur un second stade du miroir dont on peut tracer ainsi le développement. Au début de la puberté, la beauté est encore du côté de l’infantile, de la dialectique entre les images de soi et les objets parentaux ; la génitalisation du corps et de la pensée serait laide par rapport à la beauté impubère. C’est le travail de purification qui permet au pubertaire d’accéder au beau. Le marteau dégage du marbre les premières avenantes, limitant l’informe, écartant des fragments sans intérêt. Le beau change de bord. Plus les formes naissent, plus l’objet est esthétiquement investi. Au total, le génital crée l’objet pubertaire et l’idéalisatio...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant-propos
  5. Première partie - L’adolescence ou l’expérience de la création
  6. Deuxième partie - Création 1 : Éprouver
  7. Troisième partie - Création 2 : Se représenter
  8. Quatrième - Création 3 : S’identifier
  9. Épilogue
  10. Références bibliographiques
  11. Remerciements
  12. Du même auteur chez Odile Jacob