Découvrir la philosophie 3 : La Raison et le Réel
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  1. 320 pages
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En cinq petits ouvrages très accessibles (Le Sujet, La Culture, La Raison et le Réel, La Politique, La Morale), voici un outil complet pour mieux comprendre la philosophie. Constitué d'une série de leçons que l'on peut lire dans l'ordre que l'on voudra, selon ses goûts, ses besoins ou ses choix, chaque volume présente les œuvres des plus grands penseurs, des classiques aux contemporains. Il ne traite pas seulement de l'histoire de la philosophie, mais aborde des questions liées aux grands sujets actuels: biologie, astronomie, éthique, anthropologie, religion, etc. Pour le lecteur curieux de s'initier, pour l'élève et l'étudiant soucieux de compléter sa formation, un panorama des grandes questions philosophiques mêlant histoire de la pensée et problématiques d'aujourd'hui. Alain Renaut est professeur à l'université Paris-VI, titulaire de la chaire de philosophie morale et politique.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2010
ISBN
9782738171832
CHAPITRE 1
Théorie et expérience

Une théorie est un ensemble d’hypothèses articulées les unes aux autres de manière à fournir, sur un domaine de réalité, un schéma susceptible de le rendre intelligible. Ainsi, par exemple, à partir d’une pratique thérapeutique appliquée à certains troubles névrotiques, Freud a élaboré une vaste théorie de la vie psychique qui s’organise autour de l’hypothèse de l’inconscient. En articulant à cette hypothèse fondamentale d’autres suppositions qui s’y rattachent (celle du refoulement, du retour du refoulé, etc.), cette théorie entend conférer une forme d’intelligibilité plus grande à toute une série de phénomènes (les névroses, mais aussi les rêves, les lapsus, certains oublis, voire la création artistique ou l’invention des religions) qui, s’ils n’étaient pas mis en perspective à partir de cet ensemble d’hypothèses, resteraient plus ou moins mystérieux (voir : t. 1, « L’inconscient », II, 1).
Il existe ainsi bien d’autres théories, mathématiques, physiques, médicales, économiques ou autres, dont toutes ont au fond en commun d’avoir été produites en quelque sorte par un acte d’anticipation (celui qui permet de produire les hypothèses explicatives) sur leur possible vérité, et qui, au fil du temps, se sont trouvées soit validées, soit démenties. Toute la question est ainsi de savoir ce qui a pu faire que des théories comme celles des astrologues ou des alchimistes, prises au sérieux pendant tant de siècles, finirent par être rangées parmi les constructions délirantes dont l’esprit humain se révèle capable, tandis que d’autres schémas théoriques d’intelligibilité, après avoir souvent heurté l’esprit du temps où ils furent forgés, se sont imposés comme autant d’acquis de l’histoire des sciences. Précisons ce qui, dans cette question, fait le plus manifestement difficulté.
La physique galiléenne, centrée sur la loi de la chute des corps, ou l’astronomie copernicienne, organisée à partir d’une nouvelle représentation du mouvement des planètes, ont elles aussi pris initialement la forme d’hypothèses révolutionnant la façon dont on comprenait jusqu’alors un domaine de réalité. Pour construire de telles théories, la raison a dû s’arracher à ce qui paraissait s’imposer avec la clarté de l’évidence : par exemple, dans le cas de Copernic, tout permettait de supposer, aussi bien à partir des impressions de nos sens qu’à la faveur de certains dogmes religieux, que la Terre constituait le centre immobile de l’univers. Pour échapper à un tel géocentrisme et établir, à propos de la Terre, que « pourtant elle tourne », la raison a nécessairement dû, comme le souligne Kant, « prendre les devants », « forcer la nature à répondre à ses questions, mais non pas se laisser guider uniquement par elle pour ainsi dire à la laisse » (Critique de la raison pure, préface de la deuxième édition). Bref, c’est moins à la faveur d’« observations menées au hasard, faites sans nul plan projeté d’avance », que l’astronomie s’est ici engagée dans « la voie sûre de la science » qu’à travers l’engagement actif de la raison dans un schéma d’explication produit à partir de ses propres principes. Toute la difficulté est alors de cerner comment cette manière de « prendre les devants », qui caractérise tout investissement théorique, peut aboutir, dans certains cas, à une théorie scientifique et n’ouvrir, dans d’autres, que sur une pseudo-science comme l’alchimie ou l’astrologie.
Face à une telle difficulté, Kant suggère assurément une solution : elle résiderait dans une certaine articulation, constitutive de la théorie scientifique, entre l’abord du réel à partir de principes issus de la raison elle-même et la mise en œuvre d’une expérimentation. À la faveur d’une telle démarche, « la raison doit s’adresser à la nature en tenant d’une main ses principes […] et de l’autre main l’expérimentation qu’elle a conçue d’après ces principes » (Critique de la raison pure, préface de la deuxième édition). Ainsi ne s’agirait-il pas de simplement collecter des « observations menées au hasard » : les enseignements qu’elle reçoit de l’expérience, la raison les obtient non pas « à la façon d’un écolier, qui se laisse dire tout ce que veut le maître, mais comme un juge dans l’exercice de ses fonctions, qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur soumet » (trad. par A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 2001, p. 76).
Brillantes, les formules kantiennes dissimulent pourtant bien des difficultés. Qu’en est-il de ces principes à partir desquels la raison organise l’expérimentation ? Quels rapports entretiennent-ils eux-mêmes avec l’expérience ? Plus généralement, parmi les conditions qui rendent possible la vérité d’une théorie, quelle place et quelle fonction reviennent à ce qui procède d’une induction à partir de l’expérience ? Corrélativement, quelle place et quelle fonction accorder à ce qui, ne provenant pas de l’expérience, pourrait constituer, selon la terminologie léguée par Kant, une dimension de nos connaissances à laquelle nous accéderions non pas a posteriori (= après l’expérience), mais a priori, à partir d’une origine non empirique ? Bref, une théorie peut-elle « établir quelque chose sur des objets avant qu’ils nous soient donnés » (p. 78) ? Si l’on récuse la possibilité de connaître quoi que ce soit des objets a priori, alors l’induction, qui consiste à tout emprunter à l’expérience, doit être tenue pour la condition indispensable de la vérité d’une théorie : thèse qui caractérise, dans l’histoire du problème de la connaissance, la tradition de l’empirisme, que venait d’incarner à l’époque de Kant la figure de David Hume. Pour l’essentiel, le questionnement qui s’organise autour des relations entre théorie et expérience constitue en ce sens une vaste discussion de l’empirisme, que Kant met en scène à travers ces lignes célèbres du début de la Critique de la raison pure (p. 93) :
« Bien que toute notre connaissance s’amorce avec l’expérience, il n’en résulte pas pour autant qu’elle dérive dans sa totalité de l’expérience. Car il pourrait bien se produire que même notre connaissance d’expérience soit un composé de ce que nous recevons par des impressions et de ce que notre propre pouvoir de connaître (simplement provoqué par des impressions sensibles) produit de lui-même — ajout que nous ne distinguons pas de cette matière première avant qu’un long exercice nous y ait rendus attentifs et nous ait donné la capacité de l’isoler. »
À supposer qu’il ait explicité et justifié ce dont il suggérait ainsi seulement l’éventualité, Kant a-t-il définitivement perturbé le dispositif empiriste ? La suite de la réflexion devrait permettre à chacun de se forger ici sa conviction, sachant simplement que ce débat, dont nous verrons qu’il s’était ouvert bien avant Kant, s’est trouvé relancé très largement après lui, notamment dans la tradition philosophique qu’on a désignée au XXe siècle comme celle de la philosophie analytique. Ainsi entendu, il aura alors consisté, en grande partie, à rejouer l’empirisme de Hume contre le criticisme de Kant. Empirisme ou criticisme ? Hume ou Kant ? Le débat sur les relations entre théorie et expérience n’engage pas seulement un choix doctrinal. Trois problèmes au moins s’y entrecroisent sans cesse : celui de l’induction, celui de l’a priori, mais aussi celui, le plus directement passionnant, de la démarcation entre connaissance scientifique et spéculation métaphysique. Puisque la science et la métaphysique produisent toutes deux, sur le réel, un certain nombre de théories, est-ce l’induction qui fournit par elle-même le critère de démarcation entre ces deux types de théories ? Ou bien, pour tenir compte de l’avertissement kantien selon lequel toute notre connaissance ne dérive pas de l’expérience, devons-nous estimer le problème de la démarcation comme plus complexe ?
S’il nous fallait envisager une telle complexité, il n’est du moins pas difficile d’apercevoir qu’elle n’engage pas seulement le destin de la métaphysique et, par l’intermédiaire de ce destin, la forme que pourrait prendre la philosophie après une éventuelle fin de la métaphysique spéculative. Le problème de la démarcation touche aussi au fait que, à l’intérieur même de ce qui se présente comme le champ scientifique, peuvent surgir et s’imposer pour un temps des disciplines qui se révèlent être de fausses sciences : non pas simplement des sciences fausses sur tel ou tel point, mais ce que Karl Popper, l’un des plus importants épistémologues du XXe siècle, a désigné comme des pseudo-sciences. Parmi de telles pseudo-sciences, sans doute accepterions-nous tous de ranger, nous les avons déjà mentionnées, l’alchimie et, même si elle garde apparemment pour certains, aujourd’hui, une forme de séduction, l’astrologie : au nombre des théories pseudo-scientifiques qui se sont à ce point autonomisées par rapport à l’expérience qu’elles se sont égarées dans l’irréel, faut-il aussi inscrire, comme avait entrepris de le faire Popper, le marxisme (dans sa prétention à s’affirmer comme un « socialisme scientifique ») et la psychanalyse ? Les arguments utilisés ici par Popper devront assurément être explicités et pourront être appréciés par chacun comme il l’entendra : du moins l’existence de telles discussions, à l’horizon de la réflexion sur les rapports de la théorie et de l’expérience, manifeste-t-elle que l’enjeu n’en est pas aussi éloigné qu’on pourrait le croire au premier abord de certaines interrogations auxquelles nous ne saurions demeurer indifférents.
I. Le problème de l’origine des connaissances humaines
L’origine des connaissances humaines n’est pas seulement l’objet d’un essai publié par Condillac en 1746 (Essai sur l’origine des connaissances humaines) où, en se réclamant de Locke, il tente de dériver tous les contenus de pensée à partir des impressions sensibles et de leurs combinaisons. Plus largement, la réflexion sur l’origine des idées est au cœur de toute prise de position de type empiriste : être empiriste équivaut à soutenir que toutes les idées dérivent de l’expérience. Ce problème de l’origine des idées s’est développé sous la forme d’une des plus célèbres et plus durables controverses qu’ait connues la philosophie : celle qui s’est cristallisée autour de la question de savoir s’il faut ou non admettre l’existence d’idées innées. Pour mesurer ici les thèses en présence, il n’est pas inutile de faire référence à quelques-unes des grandes étapes à la faveur desquelles cette controverse s’est creusée.
1 – PLATON CONTRE LES SOPHISTES
À l’époque de Socrate et de Platon, les plus célèbres des sophistes défendaient, sur la question de l’origine des connaissances, une position sensualiste : pour Gorgias, Protagoras, Calliclès, c’est par le moyen des sensations que nous appréhendons le monde, et toutes nos idées sont donc relatives aux expériences sensibles que nous avons pu avoir du réel. Un tel sensualisme ouvrait sur un relativisme qu’exprime, au moins dans la compréhension que Platon nous en a donnée, la formule de Protagoras selon laquelle « l’homme est la mesure de toutes choses » : dire que le vent est froid, c’est dire qu’il l’est pour moi, et si tous nos contenus de pensée s’enracinent dans de telles sensations, il en va de même pour tous les énoncés. En conséquence, rien n’est, rigoureusement parlant, ni vrai ni faux : à la place des normes du vrai et du faux, il faudrait poser celles du meilleur et du pire, en adoptant un point de vue purement pragmatique. On en viendrait de la sorte à soutenir qu’une représentation vaut non par sa vérité ou son objectivité, mais par son utilité en vue de tel ou tel projet. Ainsi Platon résume-t-il la position sophistique, dans le Théétète (167 b), par la formule : « Certaines apparences sont meilleures que d’autres, bien qu’aucune ne soit plus vraie. »
Thèse qui a pour elle l’avantage de la simplicité, mais qui fait surgir d’emblée deux types de difficultés : les unes d’ordre épistémologique, les autres d’ordre pratique.
Les difficultés d’ordre épistémologique concernent la possibilité même d’un savoir pouvant prétendre au rang de science. Si l’on entend par science une connaissance à la fois nécessaire et universelle, il est clair en effet qu’à dériver toute connaissance des impressions sensorielles il ne saurait être envisagé d’universalité que purement relative ou, comme l’écrit Kant dans l’introduction à la Critique de la raison pure (p. 95), « comparative ». « L’expérience, souligne-t-il en effet, ne donne jamais à ses jugements une universalité véritable et rigoureuse », mais par induction on peut tout au plus affirmer que, « si nombreuses qu’aient été jusqu’ici nos perceptions, il ne se trouve vis-à-vis de telle ou telle règle aucune exception » : comparativement, une proposition répondant à un tel constat (par exemple, celle qui énonce que le soleil se couche tous les soirs) peut donc être tenue pour plus universelle qu’une autre, que dément plus fréquemment l’expérience (par exemple, la proposition énonçant qu’il fait chaud en été) ; mais même cette universalité relative (au nombre de cas observés sans qu’une exception ait été rencontrée) et comparative ne correspond pas encore à une connaissance nécessaire et rigoureusement universelle, laquelle exigerait en effet que « pas la moindre exception ne soit admise comme possible ». Que, chaque soir, le soleil se couche peut connaître par exemple une exception si je m’approche des pôles et que j’observe cette disparition de l’alternance du jour et de la nuit qui déconcerte tant, durant une partie de l’année, le touriste découvrant la Finlande. Force est donc d’admettre que, si toute connaissance procède d’une collection d’informations empiriques, aucune proposition ne saurait inclure en elle sa nécessité : il est donc toujours permis de la mettre en doute, et nulle certitude scientifique ne se peut véritablement envisager.
Des difficultés comparables résultent de l’option sensualiste pour les questions d’ordre pratique, c’est-à-dire celles qui donnent lieu à des jugements de valeurs éthiques, juridiques ou politiques. Si toutes les idées et notions sont induites à partir de notre expérience, rien ne vaut que dans les limites de cette expérience : impossible, dans ces conditions, de concevoir une notion du juste en soi ou du bien en soi, mais rien n’est juste ou n’est moralement justifiable que pour un individu ou pour un groupe d’individus, dans un contexte particulier et relativement à un intérêt particulier. Relativisme dont les implications morales et politiques apparaissent redoutables, car, si rien n’est absolument juste, peut-on encore envisager de condamner absolument, par exemple, un régime politique au nom de la façon dont il transgresserait certaines valeurs supposées universelles ?
Ces deux types de conséquences, le platonisme aura constitué la première tentative d’envergure pour les refuser d’une façon qui soit philosophiquement fondée : à quelles conditions la destruction de la science et de ce que nous désignons aujourd’hui comme la sphère des valeurs peuvent-elles être évitées ? La solution platonicienne, formulée notamment dans le Ménon, consiste à récuser que la connaissance doive se définir en termes d’expérience et à soutenir qu’il faut bien plutôt la comprendre sur le mode d’une « réminiscence ». L’argumentation du Ménon (81 a sq.) prend pour exemple les vérités géométriques, en l’occurrence celle qui consiste à construire un carré dont la surface soit double de celle d’un carré donné, mais elle vaut, précise Socrate, « pour toutes les autres sciences ». Si le jeune esclave auquel Socrate pose ce problème peut, sans avoir jamais appris la géométrie, trouver la bonne réponse (il faut prendre comme côté du carré à construire la diagonale du carré initial), c’est qu’il tire de telles vérités « de son propre fonds » : savoir, c’est donc « se ressouvenir » d’« opinions vraies » qui « étaient déjà présentes » dans l’esprit, et ce que l’on sait, il faut donc l’avoir toujours eu en soi. Cette thématique de la réminiscence s’inscrit chez Platon dans le cadre d’une conception de la destinée des âmes : « la vérité des choses existe de tout temps en l’âme », la connaissance de ce que sont les essences des choses (ce que Platon appelle les « idées ») est par conséquent innée, mais l’âme immortelle perd le souvenir de ces idées innées quand elle tombe dans un corps. C’est cette union avec le corps (donc avec le sensible) qui voile la vérité, ce pourquoi savoir, ce serait ainsi non pas apprendre (l’ignorance n’est qu’oubli des vérités), mais se remémorer ce qu’on a toujours déjà su, au fond a priori, avant toute expérience sensible des choses.
L’apriorisme platonicien, pour réfuter la conviction selon laquelle toute notre connaissance dériverait de l’expérience sensible, mobilisait certes une spéculation coûteuse : elle imposait d’admettre aussi bien l’immortalité des âmes et leur incarnation dans un corps que l’ensemble du processus par lequel la chute de l’âme dans le corps auquel elle est jointe s’accompagnerait d’un effacement apparent des vérités. Du moins était-ce à ce prix que Platon avait cru devoir éviter la dérive relativiste, voire sceptique, induite par la sophistique. On peut en revanche comprendre que les philosophes qui, ultérieurement, identifieront des menaces à leurs yeux comparables aient tenté d’y parer en consentant des investissements métaphysiquement moins lourds.
2 – DESCARTES CONTRE LE NOMINALISME
La théorie des idées innées s’est ainsi trouvée reprise par Descartes contre une tendance de la scolastique médiévale à revaloriser l’expérience sensible des réalités particulières. Contre l’apriorisme platonicien, le courant nominaliste incarné au XIVe siècle par Guillaume d’Ockham soutient que les termes universels (l’homme, le triangle, etc.) ne sont que des noms, de simples mots servant à désigner des réalités toujours singulières. Parce que, dans cette optique, « rien ne se trouve dans l’intellect qui n’ait été antérieurement dans les sens », il convient de « ne pas multiplier les entités sans nécessité », selon le fameux principe dit du « rasoir d’Ockham », en croyant que les concepts généraux renverraient à des essences universelles, semblables aux idées de Platon : face à des concepts généraux, il faudrait bien plutôt prendre pour principe de toujours les décomposer en notions plus simples, jusqu’à pouvoir leur faire correspondre les seules réalités dont nous avons l’expérience, c’est...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Découvrir la philosophie
  4. Copyright
  5. Sommaire
  6. Présentation
  7. Introduction
  8. Chapitre 1 - Théorie et expérience
  9. Chapitre 2 - La démonstration
  10. Chapitre 3 - L’interprétation
  11. Chapitre 4 - Le vivant
  12. Chapitre 5 - La matière et l’esprit
  13. Chapitre 6 - La vérité
  14. Glossaire
  15. Répertoire des philosophes et autres auteurs