Géographies du pays proche
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Géographies du pays proche

Poète et citoyen dans un Québec pluriel

  1. 258 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Géographies du pays proche

Poète et citoyen dans un Québec pluriel

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Citations

À propos de ce livre

Cet essai parle de mon attachement au Québec, ce coin des Amériques où je suis né, où j'ai mené presque toute ma vie active, où j'écris depuis plus de cinquante ans et auquel j'ai consacré l'essentiel de mes travaux. J'ai une dette importante envers ce territoire, cette société, cette nation, mais toute dette mérite d'être interrogée, tout héritage exige d'être soupesé. Mon amour du Québec n'est pas nationaliste si l'on entend par là que je placerais la nation au-dessus de tout, que je serais incapable de reconnaître ses tares, au passé comme au présent, ou encore que je serais obsédé par sa différence, sa distinction, sa spécificité. Reconnaître que le Québec est un cas unique dans l'histoire des Amériques, que sa situation linguistique fortement minoritaire au Canada et à plus forte raison sur le continent exige des politiques et motive un souci constant, être conscient des particularités de notre parcours historique – cela ne signifie aucunement que l'on doive se cantonner dans un provincialisme défensif et régressif qui en vient à considérer comme suspecte, voire péjorative, l'idée même d'un Québec ouvert, pluraliste, inclusif. À mes yeux, telle est pourtant l'idée de la nation qui colle le plus à sa réalité présente, et la seule apte à éviter sa stagnation et sa folklorisation. Mon discours n'est pas celui d'un historien, d'un sociologue, d'un politologue, d'un juriste ni même d'un philosophe, bien que toutes ces disciplines me nourrissent et qu'elles occupent une large place dans ma bibliothèque. Mon point de vue sur le monde est celui d'un littéraire et donc d'un généraliste ou, mieux encore, d'un « écologiste du réel », une expression que j'emprunte à un livre que j'ai publié dans les années 1980 et qui considère que le monde que nous habitons est, à portée de langage, une totalité concrète, complexe, diversifiée, qui se maintient dans des interrelations, qui vit et se recrée sans cesse dans des échanges et dont nos discours ont le devoir de faire entendre la polyphonie, les discordances autant que les harmonies. Le Québec dont je parle est imprévisible, mais il commence au seuil de ma porte, dans la proximité des choses et des êtres, dans un équilibre instable qui est, au bout du compte, la seule manière d'exister. Pierre Nepveu

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Informations

Année
2022
ISBN
9782764647158
1
Origines
Toute ma vie, commencée dans l’immédiat après-guerre « sous une bonne étoile », « au matin du monde1 », a été une tentative (pas toujours réussie) de réponse à cet enjeu de la proximité. Dans le quartier montréalais de La Petite-Patrie où j’ai passé mon enfance et une bonne partie de mon adolescence, au sein d’une famille heureuse de la classe moyenne, la question ne semblait pourtant jamais devoir se poser. Tout se donnait dans une immédiateté naturelle, comme allant de soi : l’église, l’école, le voisinage canadien-français paroissial, les divertissements et les commerces. Je revois mes parents, mon grand-père maternel conducteur de tramways, mon grand-père paternel directeur d’école qui vivait dans le quartier voisin du Plateau-Mont-Royal ; mes deux grands-mères aussi, l’une ancienne institutrice dans une école de rang, l’autre sans profession et dévouée aux bonnes œuvres paroissiales. Migrants d’une campagne peu éloignée, celle qui s’étend de Saint-Eustache à Lachute, tous s’étaient adaptés à la vie urbaine pour devenir des parents responsables, des catholiques ordinaires et de bons citoyens.
Était-il possible, dans un tel monde tricoté serré, de connaître le moindre dépaysement ? La télévision était arrivée dès ma petite enfance, elle reproduisait parfois comme en abyme ce monde familier, mais elle projetait aussi légendes et merveilles, racontait des pays lointains où l’on croyait ne jamais devoir aller. Puis, ce fut la mort du premier ministre Duplessis en septembre 1959, à quelques jours de mes treize ans, et l’élection du journaliste René Lévesque comme député de notre circonscription de Dorion. On ne s’en rendait pas compte, surtout à mon âge, mais le vent tournait et on commençait déjà à parler du petit monde de mon enfance comme d’un univers sombre, étouffant, accablé, en utilisant des termes dramatiques comme humiliation ou aliénation pour le décrire. Trois, quatre années plus tard, j’allais lire la revue Parti pris comme si je débarquais d’une contrée lointaine et que des ethnologues me présentaient les mœurs, le caractère, l’histoire tourmentée d’un peuple auquel je me voyais maintenant invité à appartenir. Sans doute avais-je vu à la télévision un Duplessis entouré d’évêques prononcer un discours plutôt ringard au moment de quelque inauguration officielle ; et puis, mon père et son propre père n’étaient-ils pas des lecteurs du Devoir et ne discutaient-ils pas beaucoup de politique avec mes oncles dans les réunions familiales ? Mais je n’avais pas été témoin de l’exploitation et de l’aliénation dont feraient bientôt état les collaborateurs de Parti pris, à peine plus âgés que moi et qui appelaient à une révolution socialiste. Tout juste pouvais-je entrevoir, par les récits occasionnels de mon père qui travaillait dans un bureau du centre-ville, que la langue française était parfois ignorée et méprisée hors de mon quartier, où elle semblait aller de soi. La colère batailleuse et teintée d’amertume qu’il éprouvait face à ces affronts me touchait bien plus, cependant, que la situation « lointaine » qu’il décrivait.
Comment en arrive-t-on à faire sien le destin de sa propre communauté ? Comment se crée un sentiment d’appartenance, qui suppose qu’un souci s’éveille en nous, que l’on devient concerné par ce qui arrive à notre collectivité, notre État, notre nation ? Ce que l’on découvre dans les journaux, les revues, les livres, ce que l’on vit soi-même à l’âge adulte peut-il avoir le même poids que l’expérience directe connue dans l’enfance ? Si mon père avait été un ouvrier gagnant un salaire de misère dans une usine sous l’autorité d’un foreman, aurais-je développé la même vision du Québec, de son histoire et de sa situation actuelle ? Nier la part de ma propre expérience serait naïf et présomptueux. Le grand récit de la Révolution tranquille, dont le pouvoir demeure persistant malgré les réserves, contre-exemples et autres révisions dont il a fait l’objet, ce grand récit d’un homme humilié et dépossédé qui va renaître debout dans sa dignité et qu’un Gaston Miron a porté poétiquement jusqu’à la hauteur d’un mythe refondateur, ne l’ai-je pas appris tout en conservant à son endroit une distance critique qui doit quelque chose à mes origines ? Il est vrai que la critique n’est pas que distance, elle peut être tout autant une forme passionnée d’appartenance, l’expression d’une déception qui aime, d’un souci qui espère.
***
Il a donc fallu que mon « grand récit » québécois se construise à partir d’autres repères que celui du « damned canuck » ou de Bozo-les-Culottes. Dans ce récit, je revois mon père qui dirige une succursale d’une grande compagnie d’assurance vie et qui tient tête aux Ontariens du siège social pour le respect du français et de la culture québécoise, tout en s’engageant dans des activités paroissiales et des œuvres humanitaires. Il y a ma mère en jeune mariée qui m’a donné naissance à vingt et un ans avant d’avoir quatre autres enfants, de sorte qu’elle n’a jamais connu le marché du travail et qu’elle a même dû ranger ses cahiers de musique, dire adieu à Mozart et à Chopin parce que notre logement, avenue De Chateaubriand, était trop petit pour loger son piano. Il y a l’église Saint-Édouard, haute et vaste comme une cathédrale, où me séduisent l’odeur de l’encens, le vrombissement des grandes orgues, le faste des cérémonies pascales et la sombre piété des funérailles. Le trottoir est le seul terrain de jeu que je partage avec mes sœurs et les petits voisins, l’école et l’église sont à deux pas de notre maison, mais les rues n’en finissent pas de s’étirer et de s’entrecroiser, le long de trajets en autobus et en tramway qui me font deviner l’immensité de Montréal et qui mènent à des lieux exotiques où l’on va surtout le dimanche : le parc La Fontaine, le mont Royal. Quelques années plus tard, lorsque mon père aura acheté sa première voiture, nous prendrons la route qui traverse alors les villages de Pont-Viau, de Saint-Martin, de Sainte-Dorothée et qui débouche, au-delà de la rivière des Mille Îles, sur un petit pays de fermes et de ruisseaux, de pâturages verdoyants et d’érablières, connu aujourd’hui sous le nom de Mirabel et habité par l’innombrable parenté de mon père et de ma mère. L’été avant la mort de Maurice Duplessis, nous passons toutes les vacances à la ferme d’une cousine de ma mère : à treize ans, de retour à Montréal, je rêverai pendant quelques mois de devenir agriculteur, de cultiver la terre avec mon troupeau de vaches et quelques chevaux, avant de revenir à mes études classiques et de cheminer lentement vers une autre culture.
***
On découvre le monde par fragments, par espaces discontinus, par des trajets dont on ne devine pas la cartographie. On met du temps à découvrir que les lieux et les transports débouchent sur un pays et qu’ils se situent dans le temps et dans l’Histoire. Le temps commençait d’une certaine façon rue Fabre, où habitaient mes grands-parents paternels, à deux pas de la maison où grandissait un jeune garçon qui écrirait un jour Les Belles-sœurs, Michel Tremblay. Eugène Nepveu avait fait dresser l’arbre généalogique de la famille, dont le premier ancêtre au Canada était, selon les recherches, arrivé du Poitou dans le dernier quart du xviie siècle. Nationaliste éclairé, progressiste, mon grand-père avait pour passion l’éducation et il était fier d’avoir compté parmi ses petits élèves de l’école Champlain le futur historien Maurice Séguin, avant d’être promu à la direction de l’école Jean-Jacques-Olier, avenue des Pins. J’entendais ces noms propres sans comprendre leur portée, je n’avais encore qu’une idée rudimentaire de la Nouvelle-France enseignée à l’école, et j’ignorais tout de l’« École historique de Montréal » dont le jeune Séguin était devenu un chef de file aux côtés de Michel Brunet et de Guy Frégault, un groupe qui allait motiver le nouveau nationalisme québécois et le mouvement indépendantiste.
Mais c’étaient cet espace et son langage, ses formes et ses distances qui étaient mon premier domaine. Mes grands-parents maternels habitaient à l’étage au-dessus de notre propre logis. Bien plus tard, dans un livre de poésie sur l’histoire du malheureux aéroport de ce Mirabel dont j’avais si souvent fréquenté la campagne durant mon enfance, j’ai écrit un poème qui raconte la mort de ma grand-mère, survenue en 1956, alors que je n’avais pas encore dix ans :
À Saint-Augustin de Mirabel derrière l’église
est enterrée ma grand-mère qui fut
en ma ville Dame de Sainte-Anne
et porta bannière dans les processions
du Saint-Sacrement, les derniers mois
de sa vie nous fîmes une neuvaine,
ma sœur et moi, qui croyions de naissance
aux miracles et avec elle chaque soir
récitions des formules pour conjurer
les cellules en folie dans son corps maigre.
C’était un printemps au milieu du siècle
les cloches de Saint-Édouard
acclamaient l’ange du soir,
dans l’escalier accroché au hangar
je montais le cœur battant
observer leur allégresse,
tandis qu’à la cuisine Florence
mère de ma mère s’étiolait
en comptant les jours de sa survivance
sur un chapelet de grains noirs
qui fut retiré de ses mains jointes
le jour de sa mise en terre2.
Ainsi se trouve circonscrit mon premier pays, entre La Petite-Patrie et Saint-Augustin, sous le signe de cette mort restée étrangement invisible puisque je n’ai pas revu Florence dans les derniers mois de sa vie, mes parents voulant nous épargner ses souffrances terribles. Peut-être est-ce pour cette raison que l’escalier de bois qui grimpait le long du hangar chauffé par le soleil d’été a pris tant d’importance dans ma mémoire. Devenu un passage interdit vers ma grand-mère malade, il a fini par m’apparaître plutôt comme une sorte de théâtre de joie tourné vers le monde environnant, comme si je me trouvais grâce à lui aux premières loges d’un panorama qui n’était pas un ailleurs, mais qui se résumait à des cours arrière, des palissades de bois, quelques arbres. Un horizon de trois cents mètres dominé souverainement par les deux flèches de l’église Saint-Édouard. En fait, bien avant que Florence tombe malade, cet escalier était devenu mon amphithéâtre personnel, d’où je pouvais assister au concert des cloches. Avec les tramways que conduisait mon grand-père Armand, elles étaient comme les figures d’une proximité voyageuse, la possibilité d’un vrai départ vers mon lointain intérieur, là où les réalités nous atteignent intimement en devenant des signes et des images.
Les cloches me transportaient et j’avais plaisir à imaginer qu’il leur arriv...

Table des matières

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Faux-titre
  4. Du même auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. Dédicace
  8. Citations
  9. Note liminaire
  10. 1 - Origines
  11. 2 - Altruisme et joie dans un monde sans Dieu
  12. 3 - Identité rompue
  13. 4 - Intermède sur le principe de réalité
  14. 5 - Proximités
  15. 6 - Musiques
  16. 7 - La croisée des langues
  17. 8 - Traduire, être traduit
  18. 9 - Territoires
  19. 10 - Poétique du droit
  20. 11 - Citoyen, poète
  21. 12 - Déclin du futur, horizon du présent
  22. Note bibliographique
  23. Crédits et remerciements
  24. Fin
  25. Quatrième de couverture