Même les monstres
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Même les monstres

  1. 61 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Même les monstres

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Citations

À propos de ce livre

' Je voudrais que l'on dise ce que vivent les gens, que l'on raconte les quartiers, les immeubles, l'argent qui manque, l'absence de reconnaissance. Je voudrais oser les mots ghetto, stigmatisation, relégation. Je voudrais appeler à la clémence, au doute. Je voudrais que l'on se soucie des abandonnés. '
Il est avocat pénaliste depuis trente ans. Enfant des cités, sa vocation est née de son histoire. Et parce que la misère côtoyée par le passé est celle qui fabrique les monstres défendus aujourd'hui, Thierry Illouz lance un appel. Pour qu'enfin on regarde l'autre, dans le box des accusés. Celui qui nous effraie, celui que l'on condamne. Et qu'il est urgent de comprendre.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Iconoclaste
Année
2018
ISBN
9782378800420
Un jour, j’ai décidé d’enfiler une robe noire et d’aller parler dans cet accoutrement, d’agiter les bras, ou plus exactement les manches. Je trouvais cela ridicule à notre époque, une robe avec un revers de satin au bout des bras. Et puis, je m’y suis fait, mieux même, je ne pouvais plus m’en passer, une sorte d’effet « Batman », pourrait-on dire. Dedans, je me sens plus fort, plus autorisé à parler ; le satin peut-être…
D’ordinaire, je suis le contraire d’un super-héros, le contraire d’un fort. Je traîne une malédiction de timidité qui, bien souvent, m’empêche de vivre. Pourtant, depuis trente ans, je défends des criminels.
Même les monstres ? me demande-t-on alors. Cette question, je l’entends sans cesse. Il paraît que j’ai croisé des monstres et que je pourrais moi aussi venir de là, du pays des monstres, dire à quoi ça ressemble, comment c’est fait peut-être.
C’était un jour de procès comme tant d’autres. Je défendais un pédophile, une fois de plus. La victime avait quatre ans. J’ai entendu ce mot de monstre tomber, il tournait et tournait dans la salle d’audience. Cet homme n’était pas aliéné au sens de la loi, il était responsable, mais cela ne l’empêchait en rien d’être perdu face à ce qu’il avait fait.
Je m’étais rapproché de lui pour l’écouter. C’est une chose simple et naturelle que de se rapprocher de quelqu’un, et pas seulement pour un avocat. La facilité de ce rapprochement, le fait de se mettre à la place de l’autre terrifie certains. J’ai décrypté avec lui cet acte qui lui faisait horreur autant qu’à chacun. La condamnation ne fut pas d’une extrême sévérité.
En sortant de l’audience, dans le hall du palais de justice, il y avait la famille de l’enfant. Et non loin, une femme. Elle n’était ni la mère ni la tante, et se tenait à distance du groupe des parties civiles. Elle s’est approchée et m’a craché dessus. Je ne pose aucun jugement sur ce crachat. Ce qui était insupportable à cette femme, c’était, plus encore que les gestes réprimés, l’idée qu’on pût témoigner une forme de considération, de soutien, à cet homme. Il affichait pourtant, de manière évidente, les signes d’un remords sincère. Immédiatement après les faits, il avait couru chez un psychiatre. Il voulait comprendre tout autant que s’interdire définitivement ces pulsions. Malgré cela, l’idée du monstre s’était imposée à cette femme.
J’ai fait ce métier dans la ville où j’ai grandi. C’était une petite ville de province, faite de rues commerçantes, de petites places, de marchés, de notables et de quartiers périphériques.
Nous étions ce que l’on appelait des « rapatriés ». Je mesure à peine aujourd’hui la violence de ce mot que nous avions intégré. Mes parents avaient été traités dans l’urgence, le sommaire et le provisoire. Une cité nouvelle construite à la va-vite, des populations fragiles, des lieux tristes et négligés. Pour moi, un paradis. Le territoire de ma famille, de nos voisins, ce cercle étroit des origines et des provenances. Ceux qui ont perdu, ceux qui ont été déchus. J’ignorais ces règles attachées aux migrations qui acculent au ghetto. J’ignorais la pellicule posée sur les gens, sur les visages, la pellicule qui les colore, les extrait et qui, finalement, les désigne. Celle des différences et des déclassements. Tout mon travail deviendrait pourtant, je le sais à présent, un déchiffrement de cette histoire.
J’ai été cet enfant des cités, qui regarde, écoute et devient. Mon histoire rejoint celle de ceux que j’ai eu à défendre. Nous partageons la question de l’origine, de l’exil et de l’identité. Comme eux, j’entends ce que ce mot contient : identité, identique, le même.
Comme eux, je n’ai pas eu autour de moi de semblables, j’ai dessiné mes pas à ma façon.
Comme eux, j’ai ressenti la géographie des déplacements et des zones de transit. Et j’ai vu mes parents confrontés aux périls des migrations.
Je suis né dans un pays que j’ignore et qu’on a quitté pour moi. Cette naissance, je l’aurais bien reniée. J’aurais préféré la tranquillité d’une campagne française ou les ténèbres d’une grande ville.
Ma mère pleurait chaque jour, elle ne voulait pas sortir de l’hôtel où nous étions hébergés alors que nous arrivions en terre inconnue. Elle ne voulait pas travailler, elle ne désirait plus rien. J’avais un an, je buvais ce biberon de détresse et de chagrin. Aujourd’hui encore, je n’ai pas évacué cette angoisse de la perte, de l’exil, elle me suit partout, dans l’amour, dans le quotidien. Nous avions tout quitté, une terre, des visages, des lumières, des mots.
Mon grand-père et ma grand-mère sont morts l’année de ce départ, dans une cité triste sous un ciel triste, dans l’indifférence d’une population qui ne les connaissait pas, qui ne les reconnaissait pas. On a demandé à mes parents si là-bas il y avait l’eau courante, s’il y avait des réfrigérateurs. On leur a construit des immeubles atroces, on les y a entassés, on s’est moqué de leur accent, de leurs coutumes, de leurs noms. On les a négligés. Ils portaient en eux des images, des rues, des noms de villes, des chaleurs et des neiges inconnues, des terrasses et des voix fortes qui tournaient jusque tard le soir. Ils avaient des goûts particuliers, des plats que, malgré une recherche effrénée des ingrédients, ils n’arriveraient jamais à reproduire exactement. Si je m’efforce de comprendre l’histoire qui me précède, je dois me livrer à une reconstitution, comme on le fait pour les scènes de crime.
« Quel geste avez-vous fait à ce moment précis ? »
« Comment avez-vous porté le coup ? »
« Comment cela s’est-il déroulé, qu’avez-vous dit ? »
Je voudrais connaître ce village d’Algérie. Je n’en connais que le nom inscrit sur ma carte d’identité, une origine, une perte. Je me suis construit dans le regret. J’ai fait de mon corps un véhicule de nostalgie. Pas de ce pays, pas de ce village, comment regretter ce que l’on ignore ? Mais une nostalgie abstraite, blanche, sans cause, sans objet.
Je venais au monde, et le monde et le jour finissaient. Je perdais une terre que je n’avais pas foulée, dont j’ignorais tout, et un soleil mythique. Les jours de soleil me plongent encore aujourd’hui dans l’angoisse et la dépression. Le début du printemps met chaque année ma vie en danger. Sous mes yeux, les gens en profitent, se vautrent sur les terrasses de café, s’allongent sur des pelouses. Revenir, je voudrais revenir… Mais pour retrouver quoi ? Ce que je n’ai pas connu, ce que je n’ai pas perdu, mais que d’autres autour de moi ont perdu. Si je le retrouvais, je le retrouverais pour les autres, et moi, je le découvrirais. Ma naissance est littéralement perdue.
Je ne sais pas pourquoi j’ai voulu défendre des criminels, moi qui ai peur de commettre la moindre transgression. J’ai passé des nuits d’angoisse en pensant à ceux qu’on allait juger et au nom desquels je devais prendre la parole. J’ai tremblé de savoir qu’ils risquaient des années de prison alors qu’eux-mêmes parfois y étaient résignés.
On m’a chassé de ma vie et il m’a fallu devenir un serviteur zélé de la vie des autres.
En vérité, j’ai grandi dans l’injonction de l’obéissance et du respect. Un père fait de loi, comme on peut être fait de chair ou de sang, un père en uniforme et sa voix magistrale au-dessus de moi. Je le revois, nous faisons tous, je l’imagine, ce mouvement qui, à un moment, nous écarte de nos parents, nous permet de les voir comme de l’extérieur, de loin. Et alors je vois mon père comme un monument, mon père policier, maniant la menace et l’affection avec le même naturel, mon père incapable de comprendre ou de supporter l’incartade, mon père-loi. Et moi, sans jamais vouloir enfreindre la limite, j’ai éprouvé une infinie compassion pour ceux qui la franchissent, je les ai enviés, qui sait. Ou j’ai craint pour eux, j’ai redouté les effets de la loi, de l’erreur, de l’égarement. J’ai compris la faiblesse et j’ai commencé à défendre.
L’histoire commence enfant. Je suis dans la chambre, assis sur mon lit. C’est un décor invraisemblable. L’arrangement est maladroit : une armoire trop grande a été disposée dans un coin pour forcer la configuration de la pièce et permettre d’y faire tenir mon lit et celui de mon frère.
Une mère institutrice, un père policier, ce sont les définitions que j’apposais sur les fiches de renseignements que les instituteurs nous demandaient de remplir.
J’étais un élève docile et studieux. Ma mère enseignait dans mon école. J’ai toujours refusé d’être dans sa classe, je ne voulais pas de privilèges. Je voulais être assis avec les autres, de la même manière, et cela n’avait rien à voir avec un glorieux souci d’égalité, cela n’était que le signe d’une confiance incertaine en moi-même. Je voulais qu’on me juge avec impartialité et que mes bons résultats ne soient en rien discutables.
Cette école était au cœur d’un quartier méprisé construit pour nous accueillir, nous, les rapatriés. Mille trente-trois logements répartis dans quatorze bâtiments, dont une tour de quarante-cinq mètres de haut.
Le décor, est-ce cela que l’on désigne par « identité » ? Car je l’ai aimé, ce décor, j’ai aimé ce monde, j’ai aimé ceux que j’y croisais, j’ai aimé le parcours entre mon immeuble et celui de ma grand-mère, tout proche. Je ne sais plus au juste la part vérit...

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