Mon odyssée dans l'espace
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Mon odyssée dans l'espace

  1. 368 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Mon odyssée dans l'espace

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Avec presque une année en apesanteur, l'astronaute américain Scott Kelly détient le record absolu du plus long séjour jamais réalisé à bord de la Station spatiale internationale (ISS). Ce livre est le récit
de cette aventure exceptionnelle. Né en 1964, Scott Kelly a été pilote dans la marine américaine avant d'être sélectionné et recruté en même temps que son frère jumeau par la Nasa. Il a effectué quatre vols spatiaux, dont deux séjours à bord de l'ISS.
Dans son livre, il revient sur l'ensemble de son parcours, de son enfance turbulente dans le New Jersey à la plus extraordinaire des missions, en passant par une partie de
l'histoire de la conquête spatiale, à laquelle il a contribué. Il nous fait vivre le quotidien d'un astronaute à bord de la Station spatiale (repas, toilette, réparations diverses,
sorties extravéhiculaires, expériences scientifiques, problèmes de ravitaillement, peur d'une collision avec des déchets spatiaux, beauté infinie de la galaxie...).

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Les Arènes
Année
2018
ISBN
9782352048862
1
17 mars 2015
Il faut aller au bout du monde pour quitter la Terre. Depuis le retrait des navettes spatiales, en 2011, nous dépendons des Russes pour le lancement dans l’espace et nous devons d’abord nous rendre au cosmodrome de Baïkonour, dans le désert du Kazakhstan. Je commence par prendre l’avion pour un vol de onze heures de Houston à Moscou et, de là, un car pour la Cité des étoiles, qui se trouve à cinquante-six kilomètres, soit un voyage de quarante-cinq minutes à quatre heures selon l’état de la circulation. La Cité des étoiles est l’équivalent russe du centre spatial Johnson : c’est là que les cosmonautes s’entraînent depuis cinquante ans (et, plus récemment, les astronautes qui voyagent dans l’espace avec eux).
La Cité des étoiles est une ville qui a son maire, son église, ses musées et ses immeubles d’habitation. On y voit une statue géante de Iouri Gagarine, premier homme dans l’espace, en 1961, esquissant simplement l’humble pas en avant du réalisme socialiste et tenant un bouquet de fleurs derrière son dos. Il y a des années, l’agence spatiale russe a construit un ensemble de villas spécialement pour nous, les Américains. Quand on y habite, on a l’impression d’être immergé dans un décor de film correspondant à l’idée stéréotypée que se font les Russes du mode de vie américain. Il y a d’énormes réfrigérateurs et d’immenses postes de télévision, mais tout cela est un peu déplacé. J’ai passé beaucoup de temps à la Cité des étoiles, entre autres en tant que directeur des opérations de la Nasa, mais je me suis toujours senti étranger, surtout au cœur du froid glacial de l’hiver russe. Après plusieurs semaines d’entraînement en février, j’ai hâte de m’en aller.
De la Cité des étoiles, nous franchissons encore en avion les 2 500 kilomètres qui nous séparent de Baïkonour, qui était autrefois la base de lancement secrète des programmes spatiaux soviétiques. On dit parfois d’un endroit qu’il est « au milieu de nulle part ». S’il en est un qui répond à cette expression, c’est Baïkonour. La base de lancement a été construite dans un village appelé Tiouratam, en hommage à un descendant de Gengis Khan, mais elle a été rebaptisée Baïkonour, du nom d’une ville située à des centaines de kilomètres de là, pour tromper le monde. Elle est maintenant seule à porter ce nom. Autrefois, les soviétiques l’appelaient aussi Cité des étoiles pour mieux leurrer les États-Unis. Pour un Américain qui a grandi et suivi la formation de pilote de la Marine pendant les dernières années de la guerre froide, il est toujours sur-prenant d’être invité dans le saint des saints du programme spatial soviétique et initié à ses secrets. Les habitants de Baïkonour sont maintenant surtout des Kazakhs, descendants des tribus mongoles et turques d’Asie centrale, avec une minorité de Russes de souche qui sont restés sur place après l’éclatement de l’Union soviétique. La Russie loue le site au Kazakhstan. Le rouble y est la monnaie principale et tous les véhicules ont des plaques d’immatriculation russes.
Vue du ciel, Baïkonour a l’air d’un amas hétéroclite répandu au hasard dans la steppe désertique. C’est un curieux mélange de vilains bâtiments en béton, affreusement chauds en été et horriblement froids en hiver, et d’entassements épars de vieilles machines rouillées, abandonnées au petit bonheur la chance. Des hordes de chiens sauvages errent au milieu d’engins aérospatiaux. Ce lieu âpre et désolé est le seul port d’envol vers l’espace qui existe au monde.
Nous entamons la descente à bord d’un Tupolev 134, un vieil appareil de transport militaire russe. Ces avions, qui pouvaient être équipés autrefois de râteliers à bombes et jouer le rôle de bombardiers en cas de besoin, faisaient partie de l’arsenal conçu par les Soviétiques pendant la guerre froide pour attaquer mon pays, les États-Unis. Ils transportent maintenant les voyageurs de l’espace de toutes nationalités : Russes, Américains, Européens, Japonais et Canadiens. Nous sommes d’anciens ennemis réunis en équipages pour rejoindre la station spatiale que nous avons construite ensemble.
L’avant de l’avion est réservé aux spationautes (mes deux coéquipiers russes et moi) et aux VIP. Je vais parfois faire un tour à l’arrière, où j’ai déjà voyagé lors de précédents vols à destination de Baïkonour. Depuis que nous avons quitté la Cité des étoiles, ce matin, tout le monde boit. Les employés russes font la fête au fond de l’appareil. Les Russes ne boivent jamais sans grignoter quelque chose. Outre le cognac et la vodka, ils servent des tomates, du fromage, des saucisses, des concombres au vinaigre, des lamelles de poisson séché et des tranches de lard de porc salé appelées salo. Lors de mon premier voyage au Kazakhstan, en 2000, alors que je me faufilais entre les fêtards à l’arrière de l’avion pour me rendre aux toilettes, ils m’ont intercepté et obligé à boire des coups de samogon, l’alcool illicite des Russes. Les gens étaient tellement soûls qu’ils en renversaient sur eux et autour d’eux tout en allumant cigarette sur cigarette. Nous avons eu de la chance d’arriver au Kazakhstan sans terminer en boule de feu nourrie à la gnôle et au kérosène.
Aujourd’hui, ils boivent encore comme des trous et nous sommes bien imbibés lorsque l’appareil perce la couche de nuages pour plonger vers le désert glacé et se poser sur l’unique piste de Baïkonour. À notre descente d’avion, dans le froid qui nous pique les yeux, nous sommes attendus par un comité d’accueil : des officiels de Roscosmos, l’agence spatiale russe, et d’Energia, l’entreprise qui construit les vaisseaux spatiaux Soyouz. C’est l’un de ces véhicules qui nous emportera pour nous placer en orbite et nous arrimer à la Station spatiale internationale. Le maire de Baïkonour est là aussi, ainsi que quelques notables locaux. Mon coéquipier russe Guennady Padalka s’avance et leur parle avec sérieux tandis que nous restons en retrait, presque au garde-à-vous. « My gotovy k sleduyushchim shagam nashey podgotovki » (« Nous sommes prêts pour la phase suivante de notre préparation. »)
C’est un rituel, comme il en existe beaucoup dans l’aérospatiale. Les Américains ont aussi des cérémonials de ce genre avant un lancement. Il n’y a pas loin du rituel à la superstition et, dans un métier aussi dangereux, les superstitions sont rassurantes, même pour ceux qui n’y croient pas.
À l’extrémité du tarmac, nous apercevons un spectacle étrange et sympathique : un groupe d’enfants kazakhs, petits ambassadeurs du bout du monde. Des gamins aux bonnes joues, aux cheveux noirs, aux traits asiatiques pour la plupart, vêtus de costumes aux couleurs vives couverts de poussière, et tenant des ballons. Le médecin russe nous a recommandé de nous tenir à l’écart : on soupçonne une épidémie de rougeole dans la région et si l’un de nous l’attrape, cela pourrait avoir de graves conséquences. Nous sommes tous vaccinés, mais les médecins russes sont prudents ; personne ne veut aller dans l’espace avec la rougeole. En général, nous obéissons au médecin, d’autant qu’il a le pouvoir de nous empêcher de partir. Pourtant Guennady s’avance sans hésiter.
« Nous devons aller saluer les enfants, » déclare-t-il d’un ton ferme en anglais.
Je connais Guennady et Micha depuis la fin des années quatre-vingt-dix, quand je suis allé pour la première fois en Russie afin de collaborer au projet de station spatiale de nos deux pays. Guennady a une épaisse chevelure argentée et un regard perçant auquel rien n’échappe. Il a cinquante-six ans et sera le commandant de notre Soyouz. C’est un chef né, capable de hurler ses ordres d’un ton rogue quand c’est nécessaire, mais aussi d’écouter attentivement quand un membre de son équipage est d’un avis différent. J’ai en lui une confiance absolue. Une fois, à Moscou, près du Kremlin, je l’ai vu s’écarter du groupe de ses collègues cosmonautes pour aller se recueillir à l’emplacement où un opposant politique avait été assassiné, sans doute par des sbires de Vladimir Poutine. De la part d’un cosmonaute, donc d’un employé du gouvernement Poutine, ce geste n’était pas sans risque. Les autres Russes évitaient ne serait-ce que d’évoquer cet assassinat, pas Guennady.
Mikhaïl Kornienko, qui sera mon compagnon de voyage pendant un an, a cinquante-quatre ans. Il est très différent de Guennady — réservé, silencieux et contemplatif. Son père était pilote d’hélicoptère militaire, affecté aux unités de récupération des cosmonautes. Il est mort dans un crash alors que Micha n’avait que cinq ans. Cette perte irréparable n’a fait que renforcer son désir de voler dans l’espace. Après un service militaire dans les parachutistes, il lui fallait obtenir le diplôme de mécanicien navigant de l’Institut aéronautique de Moscou. Il ne pouvait y être admis parce qu’il ne résidait pas dans la région de Moscou. Il est entré dans la police de Moscou pour y fixer sa résidence et pouvoir ainsi s’inscrire à l’Institut. Il a été sélectionné pour être cosmonaute en 1998.
Quand Micha pose son regard bleu clair sur celui qui lui parle, il donne l’impression que rien n’est plus important pour lui que de comprendre pleinement ce qu’on lui dit. Il se livre plus facilement que les autres Russes que je connais. S’il était américain, je le verrais bien en hippy chaussé de Birkenstock et vivant dans le Vermont.
Nous nous approchons des petits Kazakhs venus nous accueillir. Nous les saluons, serrons des mains et recevons des fleurs infestées de rougeole, si ça se trouve. Guennady bavarde joyeusement avec eux, le visage éclairé par un large sourire qui n’appartient qu’à lui.
Puis nous nous répartissons tous — l’équipage en titre, l’équipage de réserve et le personnel d’assistance technique — dans les deux bus qui nous emmènent au centre de quarantaine où nous passerons les deux prochaines semaines. (L’équipage principal et l’équipage de réserve voyagent toujours séparément, comme le président et le vice-président des États-Unis, pour les mêmes raisons.) En montant à bord, Guennady s’installe pour rire à la place du chauffeur. Nous le prenons en photo avec nos téléphones. Autrefois, les équipages allaient à Baïkonour, y passaient une journée pour vérifier l’état du Soyouz puis retournaient à la Cité des étoiles pour y passer les deux semaines précédant le lancement. Désormais, les réductions de budget n’autorisent qu’un seul voyage. Nous allons donc devoir rester sur place pendant tout ce temps. Je m’installe près d’une fenêtre, mets mes écouteurs et appuie ma tête contre la vitre en espérant dormir un peu avant d’arriver au pseudo-hôtel qui fait office de centre de quarantaine. La route est en très mauvais état. Elle l’a toujours été, mais cela ne fait qu’empirer. Les ornières et les nids-de-poule me secouent assez pour me tenir éveillé.
Nous longeons des immeubles d’habitation datant de l’ère soviétique, d’immenses antennes satellites communiquant avec le vaisseau spatial russe, des tas d’ordures jetées au hasard, d’éventuels chameaux. Le temps est clair, ensoleillé. Nous passons devant la statue de Baïkonour à la gloire de Iouri Gagarine, le présentant cette fois les bras levés — ce n’est pas le V de la victoire d’un gymnaste fier de sa performance, mais le geste enjoué d’un enfant s’apprêtant à faire un saut périlleux. Sur cette statue, il sourit.
Une rampe de lancement se dresse à l’horizon, au-dessus de la plate-forme de béton d’où Gagarine a quitté la Terre, celle d’où sont lancés presque tous les cosmonautes russes, celle d’où je m’envolerai dans deux semaines. Les Russes sont parfois plus soucieux de préserver la tradition que de soigner les apparences ou la fonctionnalité. Cette aire de lancement, qu’ils ont baptisée Aire Gagarine, est imprégnée des succès du passé et ils n’ont aucune intention de la remplacer.
Notre mission, passer un an dans la Station spatiale internationale, est sans précédent. Les missions durent habituellement cinq à six mois et les scientifiques disposent d’une bonne manne de données sur les effets d’un séjour de cette durée sur le corps humain. Mais on ne sait rien ou presque de ce qu’il se passe après le sixième mois. Peut-être que les symptômes empirent de façon dramatique à partir du neuvième mois ou que, au contraire, ils se stabilisent. Nous l’ignorons et il n’y a qu’une seule façon de le savoir.
Micha et moi devrons collecter un certain nombre d’informations nous concernant. Cela occupera une grande partie de notre temps. Comme Mark et moi sommes de vrais jumeaux, identiques, je participe aussi à une étude approfondie visant à comparer notre évolution au fil des ans depuis le tout premier stade génétique. La Station spatiale internationale est un laboratoire en orbite au service de la planète entière. En plus des études anatomiques dont je suis l’un des principaux sujets, j’emploierai aussi une partie de mon temps à d’autres expérimentations, concernant la physique des fluides, la botanique, la combustion et l’observation de la Terre.
Quand je parle de la station spatiale devant un auditoire, je souligne toujours l’importance des travaux scientifiques qui y sont réalisés. Pour moi, le fait que la station serve de marchepied à notre conquête de l’espace est tout aussi important. Elle nous permet de mieux comprendre comment nous aventurer plus loin dans le cosmos. Le prix est élevé, le risque aussi.
Lors de mon dernier séjour dans la station spatiale, pour une mission de cent cinquante-neuf jours, j’ai subi une perte de ma masse osseuse, mes muscles se sont atrophiés et mon sang s’est réparti dans mon corps, provoquant un stress et un rétrécissement du cœur. Plus gênant, j’ai eu des problèmes de vision, comme beaucoup d’autres astronautes. J’ai été exposé à un niveau de radiation plus de trente fois supérieur à celui que connaissent les gens sur terre, soit l’équivalent de dix radiographies des poumons par jour. Cela augmente le risque de cancer chez moi de façon irréversible. Mais tout cela n’est rien comparé au risque le plus redoutable : qu’il arrive quelque chose à ceux que j’aime pendant que je suis dans l’espace sans que j’aie la possibilité de rentrer chez moi.
En regardant par la fenêtre l’étrange paysage qu’offre Baïkonour, je me rends compte que, pendant tout le temps que j’ai passé ici, des semaines et des semaines, je n’ai jamais vraiment vu la ville elle-même. Je n’ai connu que les lieux réservés où j’exerçais mes activités professionnelles : les hangars où les ingénieurs et les techniciens préparent notre véhicule spatial et la fusée de lancement ; les salles aveugles éclairées au néon où nous enfilons nos combinaisons Sokol ; le bâtiment où logent nos instructeurs, interprètes, médecins, cuisiniers, personnels administratifs et autres assistants ; et le bâtiment voisin, affectueusement surnommé Palais de Saddam par les Américains, où nous sommes hébergés. Cette opulente demeure a été construite pour recevoir le directeur de l’agence spatiale russe, son personnel et ses invités, et il la met à la disposition des équipages lorsque nous sommes sur place. Elle est bien plus agréable à habiter que l’autre résidence et cent fois plus chaleureuse que les appartements de style militaire aménagés dans un immeuble de bureaux où les astronautes des navettes passaient leur quarantaine au centre Kennedy, en Floride. Dans le Palais de Saddam, il y a des chandeliers en cristal, des sols en marbre et des suites de quatre pièces avec Jacuzzi pour chacun de nous. Il comporte aussi un banya, unsauna russe, et une piscine d’eau froide dans laquelle on plonge à la sortie. Au début de nos deux semaines de quarantaine, en sortant du banya, je suis tombé sur Micha, nu comme un ver, en train de battre un Guenndy tout aussi nu que lui avec des branches de bouleau. La première fois, ce spectacle m’a quelque peu déconcerté, mais après avoir moi-même expérimenté le banya, suivi d’un bain dans l’eau glacée et arrosé pour finir d’une bière russe maison, j’en ai compris tous les bienfaits.
Le Palais de Saddam a aussi une salle à manger sophistiquée, avec des nappes blanches empesées, de la porcelaine fine et un écran plat adossé au mur, sur lequel passent sans arrêt les vieux films russes qui plaisent apparemment aux cosmonautes. La nourriture russe est bonne, mais les Américains peuvent finir par la trouver lassante au bout d’un moment — bortsch à tous les repas ou presque, de la viande et des pommes de terre, une autre sorte de viande et de pommes de terre, le tout toujours assaisonné d’une tonne d’aneth.
« Guennady, dis-je un soir à table, quelques jours après notre arrivée. C’est quoi, cette frénésie d’aneth ?
— Quel est le problème ?
— Vous en mettez partout. Certains de ces plats seraient très bons s’ils n’étaient pas noyés sous l’aneth.
— Ah, d’accord, je vois, répond Guennady en hochant la tête, son sourire caractéristique pointant déjà sur ses lèvres. Ça date du temps où les Russes se nourrissaient essentiellement de pommes de terre, de choux et de vodka. L’aneth empêche de péter. »
J’ai cherché sur Google. C’est vrai. Tout bien réfléchi, ce n’est pas une mauvaise idée de lutter contre les flatulences avant de s’enfermer dans une petite boîte de conserve pour plusieurs heures. J’ai donc cessé de me plaindre de l’abus d’aneth.
Le lendemain de notre arrivée à Baïkonour, nous sommes soumis à notre premier « test d’aptitude ». C’est l’occasion de pénétrer dans la capsule Soyouz encore stationnée dans le hangar, avant qu’elle soit arrimée à la fusée qui nous expédiera dans l’espace. Dans le vaste hangar connu sous le nom de bâtiment 254, nous revêtons nos combinaisons spatiales Sokol — ce qui n’est pas une mince affaire. La seule ouverture se trouve au niveau de la poitrine. C’est donc par là que nous devons glisser le bas de notre corps et enfiler ensuite difficilement les manches tout en passant la tête à l’aveugle dans l’anneau du col. Je m’en sors souvent avec des égratignures sur le crâne. Dans ce cas précis, l’absence de cheveux est un inconvénient. L’ouverture du torse est alors refermée par un système extraordinairement rudimentaire qui consiste à rapprocher les deux bords du tissu synthétique et à les maintenir avec des rubans élastiques. Quand j’ai découvert ce système de fermeture pour la première fois, il m’a semblé incroyable que ces bouts de caoutchouc puissent à eux seuls me protéger dans l’espace. Je me suis aperçu par la suite que les Russes se servaient des mêmes élastiques pour fermer leurs sacs-poubelle dans la station spatiale. Je trouve cela plutôt comique et, en même temps, je respecte le pragmatisme des Russes en matière de technologie. Si ça marche, pourquoi changer ?
La combinaison Sokol est, à l’origine, destinée à assurer notre survie, c’est-à-dire qu’elle a pour seule utilité de nous protéger en cas d’incendie ou de dépressurisation accidentelle dans le Soyouz. Elle est différente de la combinaison dédiée aux activités extravéhiculaires que je porterai lors de mes sorties dans l’espace ; cette dernière, beaucoup plus robuste et fonctionnelle, est un petit vaisseau spatial à elle seule. La combinaison Sokol a les mêmes fonctions que la combinaison pressurisée orange de la Nasa que je portais dans la navette spatiale. La Nasa ne l’a mise en service qu’après la catastrophe de Challenger en 1986 ; avant cela, les ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Prologue
  5. 1
  6. 2
  7. 3
  8. 4
  9. 5
  10. 6
  11. 7
  12. 8
  13. 9
  14. 10
  15. 11
  16. 12
  17. 13
  18. 14
  19. 15
  20. 16
  21. 17
  22. 18
  23. 19
  24. 20
  25. Épilogue : la vie sur terre
  26. Remerciements
  27. Les auteurs
  28. Cahier photos
  29. Les contributeurs