Les Ames errantes
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Les Ames errantes

  1. 138 pages
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Les Ames errantes

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À propos de ce livre

Depuis trois ans, dans le secret de son cabinet, le psychologue Tobie Nathan accueille des jeunes en danger de radicalisation. Il écoute. Leurs histoires, leurs mÚres éplorées, leurs pÚres perdus. Et tout ce qu'ils ont à nous apprendre sur le monde tel qu'il est.
' Je veux comprendre: comment un lycĂ©en studieux peut-il devenir en quelques mois un djihadiste en route pour la Syrie? Une coquette des beaux quartiers, l'arrogante fiancĂ©e d'un guerrier? Un dĂ©linquant de citĂ©, un prĂȘcheur philosophe? L'histoire des jeunes radicalisĂ©s est faite de mĂ©tamorphoses. Elle est souvent imprĂ©visible. '
Tobie Nathan soigne des migrants depuis quarante-cinq ans. Cette fois, il met les connaissances d'une vie au service des extrémistes de l'islam. Lui, le Juif, l'étranger, l'enfant des cités.
Aucun penseur ne les a connus de si prĂšs. Aucun n'a osĂ© dire qu'il leur ressemblait. Se raconter, se mettre Ă  nu pour faire revenir ' les Ăąmes errantes ', est un pari risquĂ©. Le seul qui lui semblait valoir la peine d'ĂȘtre tentĂ©.

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Informations

Éditeur
Iconoclaste
Année
2017
ISBN
9791095438533

1.

Laïcité et guerre des dieux
« La multitude des dieux antiques sortent de leurs tombes, sous la forme de puissances impersonnelles parce que dĂ©senchantĂ©es, et ils s’efforcent Ă  nouveau de faire retomber notre vie en leur pouvoir tout en reprenant leurs luttes Ă©ternelles. D’oĂč les tourments de l’homme moderne qui se rĂ©vĂšlent tout particuliĂšrement pĂ©nibles pour la jeune gĂ©nĂ©ration. »
Max Weber, Le Savant et le politique (1919), Paris, 10/18, 1963
Nous Ă©tions des enfants, des garçons ! Nos jeux Ă©taient souvent faits d’affrontements. Quelquefois, les disputes tournaient Ă  l’insulte. Nous savions que les mots attaquant la famille, la race ou la religion Ă©taient la derniĂšre injure avant le coup de poing. Et lorsqu’un mĂ©diateur, un pion ou un enseignant, tentait de nous raisonner, il en appelait au droit. « Tu n’as pas le droit de le traiter de sale Juif
 », rappelait-il alors. « Pourquoi ? se rĂ©voltait l’autre, nous sommes en RĂ©publique ! » En ces temps, la RĂ©publique n’était pas de contrainte mais de droits. Elle n’interdisait pas, elle autorisait ; elle n’entravait pas, elle dĂ©liait. Il est vrai que nous nous aventurions aux limites de ces droits, poussant nos Ă©ducateurs dans leurs ultimes retranchements. Il n’en demeure pas moins que nous percevions la « RĂ©publique », cette entitĂ© que nous ne savions dĂ©finir, comme une sorte de divinitĂ© qui mettait sur le mĂȘme plan le riche et le pauvre, le fort et le faible, le chef et le sujet, le maĂźtre et l’élĂšve. NaĂŻvetĂ© d’enfants
 Candeur d’un temps des possibles, aussi.
L’école m’était une terreur – elle l’est restĂ©e. Je percevais viscĂ©ralement sa volontĂ© de combattre les appartenances, de les tourner en dĂ©rision. Le principe en Ă©tait simple : il fallait que, Ă  force de critiques, de quolibets, de dĂ©risions, on finisse par se sentir seul en sa judĂ©itĂ© – seul en son arabitĂ©, aussi sans doute, ou en son « auvergnatetĂ© » – et dĂ©sireux de venir se fondre dans la masse commune de la « laĂŻcitĂ© ». Alors on taisait sa singularitĂ©, souvent Ă©vidente, pourtant. On dissimulait. On dĂ©veloppait mĂȘme des comportements critiques, des « formations rĂ©actionnelles ». On se faisait plus français que les Français, plus laĂŻcs que la laĂŻcitĂ©. En ce temps-lĂ , on prononçait peu le mot « laĂŻcitĂ© », c’est venu plus tard

Aujourd’hui, on le rĂ©pĂšte Ă  l’envi, comme si le sens en Ă©tait Ă©vident – mot ambigu, pourtant, dont l’analyse rĂ©vĂšle une polysĂ©mie inattendue.
Le mot français « laĂŻc » provient du grec laos qui signifie « peuple ». Si l’on se rĂ©fĂšre Ă  son Ă©tymologie, « laĂŻc » renverrait Ă  « populaire », et donc Ă  « commun ». Le sens n’est pas trĂšs Ă©loignĂ© du mot « vulgaire », qui, lui, dĂ©rive d’une racine latine, vulgus, la « foule » ou la « multitude »6. « Vulgaire » est restĂ© proche de sa racine, dĂ©signant encore ce qui est du plus grand nombre et qui, par consĂ©quent, est « primaire ». « LaĂŻc », plus savant, a pris un sens particulier par son opposition Ă  « clerc ». On comprend qu’au Moyen Âge « laĂŻc » signifiait « ignorant », non instruit en matiĂšre religieuse, le contraire d’un clerc qui, lui, Ă©tait un lettrĂ©, censĂ© connaĂźtre les Écritures. Il nous faut garder cette premiĂšre distinction Ă  l’esprit – le laĂŻc, l’« ignorant », opposĂ© au clerc, l’« initiĂ© » –, on verra qu’elle n’a pas totalement disparu !
À la suite des guerres de Religion qui ont dĂ©vastĂ© la France au XVIe siĂšcle, le mot a pris d’autres significations. « LaĂŻc » en est venu Ă  dĂ©signer une rĂ©alitĂ© institutionnelle. Le mot impliquait non pas que tout Français devait ĂȘtre un laĂŻc (un ignorant du religieux), mais que l’État, les lois du pays, leur philosophie et surtout l’enseignement devraient ĂȘtre libĂ©rĂ©s de toute influence religieuse. Cette signification, qui faisait de « laĂŻc » un adjectif s’appliquant aux organisations, cette signification pourtant robuste est contredite aujourd’hui par les glissements sĂ©mantiques que charrie la sociĂ©tĂ© qui va

À l’orĂ©e du XXe siĂšcle, durant les grands moments de la IIIe RĂ©publique, l’État rĂ©ussit pour la premiĂšre fois Ă  unifier le pays en normalisant les Ăąmes par l’entremise de l’école publique, laĂŻque et obligatoire. En l’espace d’une gĂ©nĂ©ration, on voit disparaĂźtre les langues rĂ©gionales7 et une grande partie des rituels paĂŻens qui survivaient dans les « pays », comme les cultes aux fontaines et les rituels aux morts. La RĂ©publique voit alors s’imposer une connotation plus agressive du mot « laĂŻc », qui se rapproche de plus en plus d’« anticlĂ©rical ». DĂšs lors, un laĂŻc n’est plus seulement un ignorant en matiĂšre religieuse, plus seulement un militant de l’indĂ©pendance des institutions de l’État, libĂ©rĂ©es de la tutelle de l’Église, il commence Ă  devenir un « bouffeur de curĂ©s ». Reprenant Rabelais, on le dĂ©finira parfois comme un « papefigue8 », un « prĂȘtrophobe », mot du XVIe siĂšcle signifiant un homme ayant la « phobie » des prĂȘtres. « PrĂȘtrophobe »  On n’est pas loin de certains termes que l’on voit apparaĂźtre de nos jours lorsqu’il s’agit de critiquer une attitude rĂ©pandue dans la population, comme « homophobe » ou « islamophobe ».
Plus encore, une notion implicite est venue se coller Ă  cette laĂŻcitĂ© de combat Ă  l’insu des locuteurs, une sorte de double inconscient qui surgit avec la violence exacerbĂ©e d’avoir Ă©tĂ© longtemps contenue. Si, aprĂšs avoir combattu avec la sauvagerie que l’on sait les hĂ©rĂ©sies, les cathares, les Juifs et les sorciĂšres jusqu’aux derniers moments de l’Inquisition, puis dĂ©vastĂ© des rĂ©gions entiĂšres pour Ă©radiquer calvinistes et protestants
 Si, aprĂšs avoir dĂ©ferlĂ© dans les campagnes durant la Terreur, dĂ©capitant, noyant, incendiant hommes, bĂȘtes et rĂ©coltes pour anĂ©antir nobliaux et ecclĂ©siastes
 Si, aprĂšs tout cela, il a encore fallu que la RĂ©publique lĂ©gifĂšre, impose la paix sociale par la fameuse « sĂ©paration de l’Église et de l’État », c’est que les forces Ă  l’Ɠuvre, celles qui ont si souvent failli disloquer le pays, ne sont pas maĂźtrisables. En un sens, la loi de 1905 sur la laĂŻcitĂ© dĂ©coule d’un constat d’échec : la RĂ©publique ne peut pas – ne sait pas – laisser ces forces s’exprimer
 Trop brutales, trop archaĂŻques, sans doute. La RĂ©publique ne peut se permettre de les laisser s’épanouir, s’emparer des institutions et des appareils
 Il ne lui reste qu’à leur interdire toute intrusion dans les sphĂšres de pouvoir.
Mais ces forces ont un nom. On les connaĂźt depuis toujours : il s’agit des dieux – non pas des religions, mais des dieux ! Ce sont eux les vĂ©ritables acteurs. Et je parle de tous les dieux, tant des divinitĂ©s paĂŻennes que des dieux monothĂ©istes, chacun singulier dans ses exigences, du Dieu des catholiques, des protestants, des musulmans ou des juifs. Et l’on doit convenir que la loi de 1905 signe non seulement l’échec de la RĂ©publique, mais aussi la faillite des religions. Par cette loi, on prenait acte que les promesses de toutes ces religions de connaĂźtre leurs dieux, de contenir leurs humeurs et, de ce fait mĂȘme, de protĂ©ger les populations de leur violence, de leur goĂ»t pour le sang
 que ces promesses n’étaient pas crĂ©dibles. Toutes les religions avaient Ă©chouĂ© dans leurs tentatives de maĂźtriser leurs dieux.
Ainsi, tapie derriĂšre la notion de laĂŻcitĂ©, sommeille depuis les premiĂšres annĂ©es du XXe siĂšcle son nĂ©gatif, ce contre quoi elle constitue une digue : l’incontrĂŽlable violence des dieux. Et ce sont ces mĂȘmes dieux qui rĂ©apparaissent aujourd’hui, rendus d’autant plus cruels qu’ils se trouvent, du fait de la mondialisation, du dĂ©placement accĂ©lĂ©rĂ© des populations, en concurrence directe les uns avec les autres.
Cette guerre suspendue, qui a dĂ©jĂ  eu lieu bien des fois et qui ne demande qu’à Ă©clater encore, il nous faut la dĂ©signer sous son vĂ©ritable nom : la « guerre des dieux ». Alors, lorsque les politiques annoncent que « nous sommes en guerre » sans l’avoir pourtant dĂ©clarĂ©e Ă  quiconque, lorsque nous rencontrons des jeunes gens prĂȘts Ă  en dĂ©coudre, cherchant comme des Ă©cervelĂ©s le lieu du combat, c’est bien cette guerre innommĂ©e qui les anime9.
Alors qu’ils semblent s’échapper de la laĂŻcitĂ©, on comprend ici que les jeunes gens radicalisĂ©s rĂ©activent son inverse, son double grimaçant. Il est inutile de les raisonner en leur rappelant les valeurs de la RĂ©publique, comme s’ils ne les avaient pas comprises, ou comme s’ils les avaient oubliĂ©es. Ils les habitent, au contraire, au point d’en explorer les fondements, au point de rĂ©activer les conditions de leur crĂ©ation. Ils cherchent Ă  ĂȘtre initiĂ©s Ă  cette part cachĂ©e de notre monde, cette guerre des dieux dont notre sociĂ©tĂ© a tentĂ© de se protĂ©ger, prĂ©cisĂ©ment par la laĂŻcitĂ©, et que leur engagement rĂ©vĂšle en pleine lumiĂšre.
Se poser la question des personnes, de leurs motivations individuelles, des problĂšmes qu’ils ont pu traverser dans leur enfance ou leur adolescence en ignorant les forces qui les investissent et qui, selon leur propre discours, littĂ©ralement, les possĂšdent, est une erreur intellectuelle, une mauvaise façon d’aborder la question, mais plus encore : une lĂąchetĂ©.
Lorsqu’un jeune homme de vingt-cinq ans affronte la police et la gendarmerie rĂ©unies, offrant sa poitrine Ă  leurs balles en hurlant Allahou Akbar (« Allah est le plus grand »), il inscrit dans le monde un surplus d’existence divine. Il faut nommer correctement les choses. L’effroi que l’on Ă©prouve est d’ordre mythologique. Dans cette sĂ©quence, la mort d’un homme qui se sacrifie en toute conscience renforce l’existence de son dieu10, selon un dĂ©compte inversĂ© : un homme en moins, de la divinitĂ© en plus. Il ne s’agit ni de suicide ni mĂȘme de promesse d’éternitĂ©, mais d’une imparable logique religieuse : la transmutation des vies humaines en puissance divine.
Les forces – les dieux – qui se sont emparĂ©es de ces jeunes gens, qui les ont capturĂ©s, soumis Ă  leur service, nous entourent et, quelles que soient nos rĂ©actions, nous concernent. TĂŽt ou tard notre existence, notre vie sera Ă©galement en question – si ce n’est en tant que victime, au moins en tĂ©moins politiques, contraints de repenser nos institutions, mais aussi notre ĂȘtre au monde.
Certes, ces forces se manifestent aussi de maniĂšre plus concrĂšte, par l’existence de groupes rĂ©els, constituĂ©s de militants, de combattants – plus matures, plus aguerris, plus actifs –, de recruteurs aussi, ciblant des fragilitĂ©s individuelles, se livrant Ă  de vĂ©ritables rapts d’ñmes, et d’activistes politiques ayant des stratĂ©gies de type rĂ©volutionnaire, de dĂ©stabilisation de l’espace social et de prise de pouvoir
 À ces ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Présentation
  3. Du mĂȘme auteur
  4. Prologue
  5. 1. Laïcité et guerre des dieux
  6. 2. Le voile, une membrane
  7. 3. Filiation et affiliation
  8. 4. Conversion, initiation
  9. 5. Apocalypse
  10. 6. Haschich et assassins
  11. 7. Terreur
  12. 8. Les enfants abandonnĂ©s sont des ĂȘtres politiques
  13. 9. L’étrangetĂ© des enfants de migrants
  14. 10. Générations
  15. Épilogue
  16. Remerciements
  17. Achevé