Le Bûcher des innocents

Laurence Lacour

• Éditeur: Les Arènes
• Année: 2016
• ISBN:
  9782352045403
• Sujet: Politique et relations internationales
• Sous-sujet: Géopolitique

En 1984, jeune journaliste à Europe 1, Laurence Lacour arrive dans la vallée de la Vologne pour couvrir l'assassinat de Grégory Villemin, 4 ans, enlevé, tué et jeté dans la rivière. ' J'espère que tu mourras de chagrin, le chef ', a écrit l'assassin dans une lettre anonyme adressée au père de l'enfant. Ce drame bouleversant et la présence d'un mystérieux corbeau qui harcèle cette famille depuis des années donnent naissance à un feuilleton national retentissant. Celui-ci engendre une suite de dérapages judiciaires et médiatiques qui en feront une histoire tristement exemplaire. Le Bûcher des innocents est une enquête de haut vol, minutieuse et haletante. Il apporte la preuve que lorsque les institutions sont défaillantes, la société moderne peut renouer avec les crises de sorcellerie et rallumer les bûchers. C'est aussi le récit, humain et tendre, de l'initiation d'une jeune journaliste confrontée à une affaire hors norme. Salué par la critique lors de sa parution en 1993, ce livre a été réédité en 2006 dans une version enrichie et constitue le livre référence de cette tragédie. Le Bûcher des innocents a fait l'objet d'une adaptation à la télé¬vision par Raoul Peck et Pascal Bonitzer: L'Affaire Villemin.

TROISIÈME PARTIE

La traque

3 avril 1985 – 30 août 1985

1

Il n’y aura pas de trêve pour cause de deuil.

L’enterrement de Bernard Laroche, tout de sourde douleur, ébranle la société et ses corps constitués. Tous ont failli. Pas une institution – gendarmerie, police, magistrature, barreau, Chancellerie, presse, élus locaux, Église – n’est exempte de reproches, même si les degrés de responsabilité sont divers. Tous ont les mains sales et la tête basse pour avoir fait « autre chose que ce qu’ils devaient faire257 », comme l’écrit Casamayor258 dans L’Événement du jeudi. Par une conjonction exceptionnelle du destin, les engrenages antagonistes qui se sont mis en place dès les premières semaines du drame n’ont cessé de s’entraîner les uns les autres, broyant Jean-Marie Villemin puis Bernard Laroche dans leur mécanique folle. Le père de Grégory est bien sûr responsable de son acte de vengeance pure et l’a toujours assumé. Mais, pour qui a suivi sa chute fulgurante, il est clair que sa responsabilité est partagée. L’apitoiement qui l’entoure en est la preuve. À l’apathie qui précéda ce meurtre et à la vacance qui l’a suivi va succéder un emballement, une hystérie collective à la recherche d’un coupable dont la découverte laverait tout le monde de ses fautes. Il n’y aurait que deux solutions pour stopper le désastre. D’une part, dessaisir Jean-Michel Lambert d’un dossier dans lequel il est désormais juge et partie. D’autre part, dépayser l’instruction dans une autre région, moins soumise aux passions et aux liens pervers entre presse et police. Mais personne n’y songe. Au contraire, il faut vite désigner et arrêter le responsable de cet enchaînement de malheur. Ce sera une coupable, Christine Villemin, la seule rescapée du drame, la seule suspecte immédiatement disponible. La traque qui s’annonce, d’une violence inouïe, est l’une des pages les plus noires de la société française et du journalisme du début des années quatre-vingt.

Comment l’atteindre ? Il existe, pour l’heure, deux voies judiciaires possibles : d’un côté le dossier Grégory, de l’autre le dossier Bernard Laroche. Jean-Michel Lambert, saisi des deux enquêtes, laisse au SRPJ de Nancy toute latitude pour découvrir une implication de Christine dans l’une ou l’autre affaire. Le juge d’instruction dispose d’un éventail de chefs d’inculpation assez large pour neutraliser la mère de Grégory. Soit il l’inculpe de complicité avec Bernard Laroche dans l’assassinat de Grégory, selon un scénario et des motivations qui resteraient à élucider. Soit il l’inculpe d’assassinat sur son propre enfant, dans des circonstances et pour un mobile tout aussi obscurs. Soit il l’implique pour complicité avec son mari dans la mort de Bernard Laroche, mais l’impact serait plus faible. Cette dernière hypothèse est par ailleurs hautement improbable puisqu’il est acquis, depuis leurs interrogatoires simultanés et celui de certains témoins, que ce jour-là elle ignorait tout du projet de son époux. À moins d’éléments nouveaux, cette troisième solution est une impasse. Enfin, l’idée de l’accident maquillé en crime répandue par Me Prompt doit être écartée, car incompatible avec les éléments du dossier et le laps de temps trop court dont Christine aurait disposé pour mettre en scène la mort soudaine de son fils. Quelle que soit la solution retenue, elle découle d’un processus aberrant. On désigne un coupable et on s’acharne ensuite à prouver sa culpabilité. C’est de l’antijustice.

Jean-Michel Lambert, poussé par les événements, les policiers et une poignée de journalistes, navigue désormais à vue entre ces différents scenarii. Il supervise deux dossiers distincts mais imbriqués au point de dérouter les spécialistes du droit pénal. Cependant, la présence d’un second juge nommé au début de l’année va lui permettre de se consacrer entièrement à l’affaire Grégory et à ses suites. Il prend une première précaution de procédure en s’accordant un délai de deux semaines avant de déclarer éteinte l’action publique engagée contre Bernard Laroche le 5 novembre dernier. Si Christine avouait, par exemple, avoir été sa maîtresse et avoir commis le crime avec lui, elle se trouverait inculpée dans le cadre de cette information-là. La piste Laroche reste donc ouverte jusqu’à la mi-avril malgré la mort du seul inculpé. Si les policiers échouent dans leur mission, le juge l’abandonnera et se verra contraint d’ouvrir une autre voie encore hasardeuse. Pour l’heure, Lambert se concentre uniquement sur l’instruction de l’assassinat de Bernard Laroche, interroge Jean-Marie Villemin sur ses relations avec Jean Ker et les ­gendarmes, puis prend enfin sa semaine de vacances. Le commissaire Corazzi se repose également dans sa famille à Marseille où Pierre Richard, le grand patron, vient d’être nommé préfet de police. Ce qui ne l’empêche pas de surveiller de près, par téléphone et fax, l’évolution de l’affaire Grégory. Au cours d’un déjeuner, le préfet lui demande un exposé complet sur le dossier.

« Il l’aura, mais il veut aussi savoir qui renseigne Bezzina. Alors, là, il n’aura pas son renseignement. D’ailleurs, comment Coco pourrait savoir où Bezzina “pêche” ses infos. Il a tellement de correspondants259 […] »

Sans pare-feu pour l’arrêter, le vaste mouvement hypocrite va donc s’étendre et, de campagne de presse en campagne de presse, prendre toujours plus d’ampleur.

À ce jour, le dossier ne recèle pas d’éléments matériels probants. Les enquêteurs, soumis à une obligation de résultat, savent qu’on n’obtient pas des aveux avec des politesses mais en soumettant le suspect à une pression psychologique maximale. Aussi, pendant des semaines et des mois, au fur et à mesure que Christine Villemin leur résistera, vont-ils alimenter la presse en réflexions, certitudes, fausses informations, etc. Les journalistes sont tous rentrés dans leurs rédactions, pourtant la presse va être plus délirante que jamais, les Bezzina et Lionel Raux de L’Est républicain s’acharnant, au-delà de toute raison, à détruire le couple Villemin. Cette implication personnelle et outrancière dans l’instruction, au point d’accepter de n’être que des courroies de transmission, ressemble fort à une fuite devant leurs propres erreurs. Ils ont mesuré l’influence de leurs reportages écrits ou parlés sur le geste meurtrier de Jean-Marie Villemin. Une seule chose pourrait effacer la tache que constituent leurs articles et leurs propos depuis six mois : l’inculpation de Christine Villemin.

Selon le schéma pyramidal déjà expérimenté, RTL, France-Soir, Le Parisien libéré et ...

Table des matières

• Couverture
• Présentation
• Copyright
• Titre
• Dédicace
• Exergue
• Avant-propos
• Prologue
• PREMIÈRE PARTIE. La foudre. 16 octobre 1984 – 5 novembre 1984
• DEUXIÈME PARTIE. L’engrenage. 6 novembre 1984 – 2 avril 1985
• TROISIÈME PARTIE. La traque. 3 avril 1985 – 30 août 198
• QUATRIÈME PARTIE. La nuit. 1er septembre 1985 – 31 décembre 1986
• CINQUIÈME PARTIE. L’espoir. 1er janvier 1987 – 31 décembre 1993
• Insaisissable épilogue…
• Genèse d’un téléfilm
• Remerciements
• Arbre généalogique
• Annexes
• Achevé