La parole sorcière
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La parole sorcière

Littérature, magie, émancipation

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La parole sorcière

Littérature, magie, émancipation

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À propos de ce livre

Il existe plusieurs formes de sorcellerie. L'une agit dans le sens de la destruction de la santé des êtres vivants et des milieux; une autre, dans le sens de son amélioration. Ce livre se range résolument du côté de cette dernière. La lumière des sorcières y brille comme la lumière de vies affranchies, en porte-à-faux avec les normes hétérocis et l'ordre patriarco-colonial. Pourtant, ce n'est pas sur la figure de la sorcière que porte cet essai, mais sur une grande variété de textes littéraires en tant que contributions à une sorcellerie anti-oppressive appelée ici sorcellerie de l'émancipation.

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Informations

Année
2022
ISBN
9782924834213

¡ Sí, se puede !

Voici comment ça se passe : quelqu’un·e a une vision. Donald se rend sur le site des Bear Mounds et il entend : « Faites des spirales. Des spirales en matériaux éphémères […]. » […] Quelqu’un·e a une vision qui surgit d’un amour féroce et passionné. Pour la rendre réelle, nous devons aimer ce que nous accomplissons à chaque minute. Les spirales éphémères s’ancrent dans l’asphalte, le béton, la poussière. Lentement, lentement, elles grignotent les fondations des structures du pouvoir. Les transformations profondes prennent du temps. La régénération naît de la décadence. ¡ Sí, se puede ! Cela peut être fait.
Starhawk100
Mais la vie réfractaire autodéterminée ne suffit pas à faire la sorcière. Le domaine des sorcelleries commence véritablement avec les pouvoirs effectifs, ces ensembles d’opérations cognitives, imaginatives, perceptives, affectives, énergétiques, spirituelles dont l’action principale, éventuellement redoutable, est d’affecter les autres et soi-même en produisant dans la conscience des connexions, nouvelles ou anciennes, tristes ou joyeuses, et ainsi d’induire des comportements. Il existe toutefois des types antagoniques de sorcellerie. Un classique pour enfants me permettra d’illustrer le sens que la notion revêtira ici.
Dans Le magicien d’Oz de L. Frank Baum, quatre sympathiques personnages parviennent, à force d’entraide et de collaboration, à la Cité d’Émeraude. Ils souhaitent adresser des demandes spécifiques au célèbre magicien. Dorothée souhaite revenir chez elle au Kansas d’où l’a chassée une puissante tornade ; l’Épouvantail, avoir un cerveau qui lui assurerait de n’être pas sot ; le Bûcheron en fer-blanc, avoir le cœur qui lui ferait recouvrer l’amour qui le réjouissait jadis ; le Lion enfin, avoir le courage qui lui rendra la vie supportable. Chacun des personnages doit vaincre des forces toxiques qu’ils ont internalisées. Deux bonnes sorcières les aident dans leur quête, les sorcières du Nord et du Sud, alors que leur nuit la sorcière de l’Ouest, malfaisante comme l’était la sorcière de l’Est avant de mourir au début du récit – c’est cette dernière, par exemple, qui a amené le Bûcheron à se mutiler à maintes reprises jusqu’à ce qu’il perde son cœur101. Ce qui oppose ici sorcières bienveillantes et créatures maléfiques, c’est l’action qu’elles exercent sur le sentiment de soi-même et le sentiment de son pouvoir d’action. Témoin la terreur dans laquelle vécut le magicien d’Oz de nombreuses années, affect le plus nuisible sur le sentiment de soi et de sa capacité d’agir. Toutes les interventions de ces deux sorcières sont autant de violences qui détruisent intérieurement les êtres. La sorcière de l’Ouest fait de vous son esclave si vous croisez son chemin à moins qu’elle ne vous réduise en miettes si vous n’êtes pas taillé·e pour le travail. Elle menacera de faire valser Dorothée avec le vieux parapluie. Elle tentera enfin de lui ravir ses chaussures d’argent et le pouvoir qu’elles lui procurent102. Si la dévalorisation qui ronge l’Épouvantail au sujet de son intelligence n’est pas l’œuvre de l’une d’elles mais d’un vieux corbeau mesquin, c’est que la figure du corbeau reste un auxiliaire de la sorcière de l’Ouest, notamment quand viendra le temps de se débarrasser des quatre ami·es103. Les autres sorcières, celles du Nord et du Sud donc, aident Dorothée et indirectement ses trois amis : la marque ronde et brillante laissée par le baiser de la sorcière du Nord l’a protégée tout au long de son périple et Glinda, la sorcière du Sud, finit par révéler le pouvoir latent que possèdent les souliers d’argent qui lui permettront de rentrer au Kansas.
Mais où donc se situe, au sein de ces axes, le magicien d’Oz ? Le « Grand et Terrible Charlatan104 » a deux fonctions. La première est d’ordre diégétique, inscrite dans l’intrigue, dans l’enchaînement des actions (la diégèse) ; la seconde est d’ordre narrative, relevant de l’instance narratrice, plus précisément du sens donné aux événements racontés. Sur le plan diégétique (ou de l’intrigue), le magicien d’Oz relance la quête des quatre ami·es en posant une condition à leur demande : tuer la sorcière de l’Ouest. Les personnages réussiront à s’acquitter de cette exigence à première vue herculéenne. Sur le plan narratif, le magicien est celui qui donne une intelligibilité particulière au rôle de l’action, des épreuves et des expériences dans l’acquisition de ce à quoi aspirent les personnages. L’intelligence, la capacité d’aimer, le courage ne se gagnent pas comme le croient les amis de Dorothée, grâce à l’incorporation d’un objet tout puissant, mais bien par l’action qui implique que les êtres se dépassent et mobilisent les qualités qu’ils pensent ne pas posséder. Mais ce n’est pas tout. Le « brave homme » vient bouleverser les a priori qui conduisent les esprits à se sentir déficitaires, insatisfaits d’eux-mêmes. À l’Épouvantail qui désire un cerveau : « Vous n’en avez pas besoin. Chaque jour vous apprenez de nouvelles choses. Un bébé a un cerveau, mais il est ignorant. Seule l’expérience apporte la connaissance et plus vous vivez longtemps, plus vous acquerrez de savoir. » Au Lion convaincu d’être poltron : « Vous êtes plein de courage, j’en suis sûr. Vous avez juste besoin de confiance en vous. Il n’existe aucune créature qui n’éprouve pas de la peur face au danger. Le véritable courage, c’est d’affronter le danger quand on a peur. Ce courage-là, vous le possédez en abondance. » Au Bûcheron en fer-blanc : « Je pense que c’est une erreur de désirer un cœur. Cela rend la plupart des gens malheureux. Si seulement vous saviez la chance que vous avez de ne pas avoir de cœur105. » En ce qui concerne la quête de Dorothée, le magicien rate son coup, car c’est lui qui s’envole dans le dirigeable. Son aboutissement procède d’une autre logique : le retour de l’enfant à la maison est assuré par le réveil qui met fin au rêve – ou au voyage chamanique ? – dans lequel a eu lieu toute cette aventure.
Dans la mesure où son action permet aux personnes de courber leur conscience et de recouvrer leur pouvoir-du-dedans, il agit bel et bien comme un véritable magicien, auxiliaire des bonnes sorcières du Nord et du Sud. Le magicien d’Oz est celui qui à la fois implique et explique (ou réplique). Explique, réplique : aucun de ces mots n’est le bon, au-delà de l’écho sonore. Meilleur serait le terme qui signifierait change la représentation du monde, redispose le pensable ou bouleverse les manières reçues de présenter les réalités, de les lier entre elles et d’en tirer des conséquences. Dans cet axe donc, magicien et sorcières ont pour fonction de faire agir de manière à ce qu’on se découvre capable de ce dont on ne se pensait pas capable. Telle est leur magie : contribuer à redonner la confiance en soi et en ses forces. Avec cette seule différence que le pouvoir du magicien, dit charlatan, ne tient nullement du surnaturel106.
Les sorcelleries peuvent donc se concevoir comme tous ces pouvoirs dont l’action principale est de produire des changements dans la conscience, d’y activer des connexions, voire des potentialités, et d’ainsi nous induire, nous tenter dans des directions antipathiques :
ou bien capturer notre âme, nous sidérer, nous et le monde ; nous imposer la plus grande des souffrances symboliques : de n’être pas libre de disposer de nous-mêmes ; nous inoculer les plus toxiques des passions tristes, la peur, la honte, le découragement, la rage se tournant éventuellement contre nous ou nos semblables, le sentiment de notre impuissance, l’impression que toute tentative de renverser la vapeur est vaine ;
ou bien opérer un déblocage mental et affectif, régénérer le pouvoir-du-dedans, nous mettre en mouvement dans le sens d’un surcroît d’autodétermination, d’alignement intime et de courage, nous remettre dans l’exercice de ce que nous pouvons et que nous voulons comme possible et devenir pour nous et pour les autres.
D’un côté, l’axe est-ouest : la sorcellerie qui jette sur les existences une chape d’impuissance ; qui asservit, qui assujettit, parfois dans une agitation, un travail ou une production identique à un enfermement, une paralysie ; une sorcellerie qui sépare les êtres de ce qu’ils peuvent faire cherchant à démontrer qu’on ne peut vivre sans qu’un pouvoir extérieur ne nous dirige. De l’autre, l’axe nord-sud : une sorcellerie qui reconnecte les êtres à leur propre autodétermination, à un alignement avec eux-mêmes, à un pouvoir qui n’est pas hiérarchique, ni compétitif, ni exclusif ; un pouvoir qui donne une prise et engage une modalité d’être, de pensée et d’action dans la direction d’une autonomie ou issue d’une autonomie individuelle et/ ou collective.
Les sorcières maléfiques de l’imaginaire occidental – sorcières de papier, projection misogyne au service d’un féminicide historique et d’un pouvoir-sur masculin dont on ne s’est pas encore débarrassé·es – se différencient des sorcières bienveillantes sur ce point précisément que les unes agissent généralement dans le sens de la pétrification et du rétrécissement de la puissance d’agir des êtres qu’elles envoûtent, générant ainsi des passions tristes que Spinoza définissait en ces termes, et que les autres contribuent à rétablir la puissance d’agir, voire à l’augmenter, produisant des passions joyeuses. Bien plus, les sorcières bienveillantes comme Glinda diffusent l’accès à un pouvoir-du-dedans arrimé au bien de la collectivité. Et dans un monde où ce pouvoir est partagé, nul besoin d’une figure tutélaire protectrice, comme l’était auparavant le Grand Magicien.
*
Il existe bien d’autres types de sorcier-magicien, comme le personnage de Soaphead Church dans le roman de Toni Morrison L’œil le plus bleu. Opère-t-il une magie sur la petite Pecola qui lui demande des yeux bleus parce qu’elle sait que, dans son monde, tout est plus facile avec des yeux bleus et la couleur de la peau qui vient avec ? Si on consent à appeler magie son action, il importe d’en cerner la nature. Le charlatan est depuis longtemps passé maître dans « l’art merveilleux de se tromper soi-même » et de tromper les autres107. Si la transformation qu’il provoque procède certes d’un nouveau regard (« je l’ai regardée et je l’ai aimée108 », dira-t-il plus tard en parlant de l’enfant), la différence avec la sorcellerie libératrice vient d...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de copyright
  3. Page de titre
  4. Notes biographiques
  5. Liste des œuvres utilisées aux fins de la réflexion
  6. Avant-propos
  7. Un mot sur les traces de ma subjectivité
  8. Avertissement
  9. Vie de sorcières
  10. Intermède: Entretien avec sceptique et cartésien
  11. De la récalcitrance
  12. ¡ Sí, se puede !
  13. Puissance de refus, puissance de vie
  14. Tisser le cercle
  15. Épilogue: La préparation à l’affrontement
  16. Postface par Camille Ducellier