Préface
La dĂ©marche de « Diaconia 2013 : servons la fraternitĂ© » nous invite d'abord, lĂ oĂč nous sommes, Ă faire une sorte d'« Ă©tat des liens » que nous avons les uns avec les autres. Les moyens de communiquer avec ceux qui nous sont proches ou lointains n'ont jamais Ă©tĂ© aussi dĂ©veloppĂ©s. En mĂȘme temps, le risque d'isolement, de dĂ©liaison, de fragmentation des liens n'a peut-ĂȘtre jamais Ă©tĂ© aussi fort. Il s'amplifie avec les effets de la crise Ă©conomique et sociale qui se durcit et s'installe dans la durĂ©e.
En incitant les communautĂ©s chrĂ©tiennes et les divers groupes dans l'Ăglise Ă Ă©crire « les livres des merveilles et les livres des fragilitĂ©s », Diaconia nous appelle Ă ĂȘtre attentifs Ă ce qui fait « la vie des hommes et des femmes de ce temps ». L'Ă©criture de ces livres est comme un acte de rĂ©sistance. Elle donne l'occasion Ă des personnes de milieux sociaux diffĂ©rents de s'exprimer sur ce qu'elles vivent comme difficultĂ©s, mais aussi comme solidaritĂ©s, joies, espĂ©rances. Ces livres donnent la parole Ă nombre de personnes qui sont de « celles qui n'ont rien Ă dire ». Et cette prise de parole transforme : « Quand on a la parole, tout s'ouvre et alors on est vivant ! » nous disait l'une d'entre elles.
Ces livres nous révÚlent en fait les ressorts cachés de la cohésion de notre société. Des gestes simples, d'attention à l'autre, de service gratuit qui rendent possible la vie ensemble malgré les difficultés, les injustices, les inégalités.
ĂmerveillĂ©e de leur richesse, la Coordination nationale Diaconia 2013 a senti la nĂ©cessitĂ© d'en diffuser quelques fragments : des tĂ©moignages, des textes, des priĂšres, des poĂšmes, des rĂ©cits de vie dont nous sommes devenus dĂ©positaires.
Le recueil Ăclats de vies prĂ©sente, dans une grande diversitĂ©, quelques-uns de ces tĂ©moignages spontanĂ©s, en gĂ©nĂ©ral trĂšs brefs. Nous avons aussi demandĂ© Ă Chantal Joly d'interviewer quelques-unes de ces personnes pour qu'elles nous racontent leur maniĂšre d'ĂȘtre en lien, qu'elles feuillettent le livre des merveilles et des fragilitĂ©s de leur propre vie.
Ces textes nous permettent de découvrir la vie spirituelle d'hommes et de femmes simples, incarnée dans les liens fraternels réciproques qui se tissent. Ils expriment la valeur infinie de tout homme, toute femme qui, malgré ou plutÎt avec ses fragilités, devient encore plus précieux.
Les textes de ce recueil sont comme des merveilles au cĆur des fragilitĂ©s, de petits diamants que l'on trouve dans des vies ordinaires ne s'offrant au regard que si l'on prend le temps de regarder, d'ĂȘtre attentif aux petites choses.
Ăclat de vies est une invitation Ă remonter Ă la source des Ă©vangiles, Ă changer de regard sur nos frĂšres, proches ou lointains, amis ou ennemis, riches ou pauvres, et Ă entendre cette parole que Dieu dit Ă chacun : « Tu as du prix Ă mes yeux et, moi, je t'aime » (IsaĂŻe 43, 4).
Vivre cette expĂ©rience de l'Amour transfigure notre maniĂšre de voir, de vivre, de servir. Elle transforme en profondeur notre maniĂšre d'ĂȘtre en lien.
LĂ est le cĆur de la dĂ©marche Diaconia...
La coordination nationale Diaconia 2013 Daniel Maciel, diacre, Sr Elisabeth Drzewiecki, ssfa, Charlotte Thiollier, HĂ©lĂšne Pinazo Canales
Jules et Daniel
Un homme, sans travail et sans domicile, avait trouvé refuge dans l'encoignure d'un immeuble inhabité, n'ayant pour tout bien qu'un chien ébouriffé et malingre, un baluchon inconsistant et un carton. Nous l'appellerons « Jules ».
Il était là depuis plusieurs semaines, attendant, chaque jour, les piÚces que quelques passants charitables déposeraient dans sa sébile et qui lui permettraient de s'offrir, le soir venu, l'unique repas de la journée.
Un beau jour de printemps, il vit trois ouvriers d'une entreprise de bùtiment dresser un échafaudage contre la façade de la maison voisine. Le plus jeune, le moins aguerri à la maçonnerie, que nous prénommerons « Daniel », était relégué aux tùches secondaires, ce qui n'échappa pas à Jules.
à l'heure de la pause, Daniel, un homme ordinaire mais attentif aux autres, donna à boire au chien et offrit la moitié de son casse-croûte au vagabond.
Le lendemain, Ă la mĂȘme heure, il apporta de l'eau Ă l'animal et une poignĂ©e de croquettes. Une nouvelle fois, il partagea son repas avec le marginal.
Le surlendemain, Daniel renouvela son geste et s'assit Ă cĂŽtĂ© de Jules pendant le temps du dĂ©jeuner. Et chaque jour suivant, il fit de mĂȘme.
Petit Ă petit, des relations s'instaurĂšrent entre le jeune ouvrier et le clochard.
Jules, qui avait franchi, depuis bien longtemps, la « ligne jaune » de la sociĂ©tĂ©, Jules auquel personne n'adressait la parole, ou si peu, se mit Ă parler, Ă se confier, Ă exprimer ce qu'il avait sur le cĆur.
« Tu sais, dit-il Ă Daniel, depuis que je suis dans la rue, bien des personnes sont venues apporter de l'eau Ă mon chien, certaines lui ont donnĂ© Ă manger, comme toi-mĂȘme l'as fait. Quelques autres m'ont offert une piĂšce. Certaines ont envoyĂ© leurs enfants me faire la charitĂ© comme si elles craignaient de m'approcher ou d'Ă©changer une parole avec moi. Mais jamais personne ne s'Ă©tait, avant toi, assis Ă mes cĂŽtĂ©s, pour partager son repas. C'est le plus beau des cadeaux qui m'ait Ă©tĂ© fait depuis longtemps ! »
Daniel Ă©tait-il croyant ? Nous l'ignorons. Ce n'Ă©tait qu'un homme simple, peut-ĂȘtre sans grande culture, mais qui possĂ©dait l'essentiel : la richesse du cĆur. Il avait su reconnaĂźtre, Ă travers ce pauvre parmi les pauvres, un frĂšre devant Dieu.
Ce fait divers l'a beaucoup marqué et nul doute qu'il a reçu en retour bien plus que la valeur du simple casse-croûte offert à Jules chaque jour du mois qu'a duré le chantier.
Lorsque, dĂ©sormais, nous passerons devant un sans domicile fixe assis Ă mĂȘme le trottoir, saurons-nous, nous aussi, avoir pour lui le regard qu'eut Daniel pour Jules ?
P. P. (d'aprÚs une anecdote de René F.), Cambrai
Je suis au milieu de vous
Seigneur, maintenant je ne vais plus oser te le demander, mais j'aurais bien aimé, quand nous serons dans ton Royaume, avoir une place pas trop loin de Toi.
C'est important pour moi d'essayer d'ĂȘtre proche de Toi, je fais des efforts pour prier mieux ou plus souvent pour te rencontrer, je fais des efforts pour ĂȘtre attentif Ă ta Parole, pour entendre ce que tu as Ă me dire.
Tu le sais, Seigneur, ce n'est pas toujours facile pour nous de te trouver, ce n'Ă©tait pas facile il y a deux mille ans quand les disciples te demandaient : « OĂč est-ce que tu demeures ? »
Alors tu nous as donnĂ© une adresse prĂ©cise : « Je suis au milieu de vous, Ă la place de celui qui sert », c'est dans l'Ă©vangile de Luc, le soir du dernier repas, c'est le lavement des pieds, ce mĂȘme soir, tel que nous le raconte Jean.
Aujourd'hui encore, tu viens nous donner un rendez-vous : « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour ĂȘtre servi, mais pour servir », « Si quelqu'un veut ĂȘtre grand, qu'il soit le serviteur de tous », « Si quelqu'un veut ĂȘtre le premier, qu'il soit l'esclave de tous ».
Merci, Seigneur, de me proposer ce terrain de rencontre, donne-moi le courage de venir te rejoindre lĂ oĂč tu m'attends.
DiocĂšse du Puy-en-Velay
Clandestin
Que regardes-tu Ă travers la fenĂȘtre
Tu es du cĂŽtĂ© pluie oĂč te saisit le froid
Pas un morceau de pain sous la dent Ă te mettre
Et dans tes gants usés, tu te gÚles les doigts
Clandestin, je t'offre mon bois
Tu passes des jours Ă saluer les gens
Ils t'ignorent ou, gĂȘnĂ©s, changent de trottoir
La voiture est garée tout prÚs des commerçants
Et dans ta main se glisse une obole de comptoir
Clandestin, les gens sont bizarres
Tu es parti de loin pour arriver Ă rien
Ă rien, c'est beaucoup dire quand on connaĂźt la loi
Tu as quitté ton chez toi de l'argent dans les mains
Dépouillé de tes biens, il ne reste que toi
Clandestin, je t'offre des droits
De mourir ou de vivre, il t'a fallu choisir
Le passeur promettait une terre d'asile
Tu as tout rĂ©uni, mĂȘme tes souvenirs
Il te reste aujourd'hui bien des jours difficiles
Clandestin, tu marches sur un fil
Tu chantes ta chanson avec tes mots Ă toi
La musique est jolie, mais je ne comprends rien
Il est vrai, ton pays est bien loin de chez ...