Le pari de la fraternité

François Soulage, Guy Aurenche, Aimé Savard

• Éditeur: Éditions de l'Atelier
• Année: 2012
• ISBN:
  9782708244016
• Sujet: Théologie et religion

« Aidons l'argent à quitter les paradis fiscaux. » « Le vivre ensemble c'est bien sauf à huit dans une même pièce. » Ces slogans du Comité catholique contre la faim (CCFD)-Terre Solidaire et du Secours Catholique défont les clichés misérabilistes et bouleversent le rôle habituellement assigné aux chrétiens et aux humanitaires: porter secours aux blessés sur le champ de bataille, soigner et repartir chez eux en attendant la prochaine catastrophe. Mais quand elles se mêlent des questions d'immigration, de fraude fiscale et qu'elles combattent les causes de l'injustice, ces deux associations sont-elles vraiment dans leur rôle? Pourquoi continuent-elles de s'appeler « catholique »? Pourquoi persistent-elles à avoir comme partenaires des femmes et des hommes qui ne sont pas chrétiens? Pourquoi, enfin, insistent-elles autant pour donner la parole et du pouvoir aux personnes qu'elles accompagnent? Interrogés par Aimé Savard, Guy Aurenche et François Soulage, respectivement président du CCFD-Terre Solidaire et du Secours Catholique, racontent l'aventure de leurs associations dont les modalités d'action sont à la fois différentes et complémentaires. La présence auprès des plus vulnérables, la prise en compte de leur parole et le nécessaire combat pour la justice, bien loin de s'opposer, se rejoignent dans le service du frère inscrit dans l'Évangile. Cette dynamique inspire Diaconia, une démarche qui invite les communautés chrétiennes à découvrir que le service de la fraternité n'est pas l'appendice, mais le cœur de leur foi. Avec les dizaines de milliers de membres de leurs associations, Guy Aurenche et François Soulage témoignent de l'espérance dans un à-venir commun pour tous les habitants de la planète. Par passion. Par amour de la vie. Avocat, Guy Aurenche s'est très tôt investi dans la défense des droits de l'Homme en présidant l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), puis la fédération internationale liée à ce mouvement. Il a été membre de la Commission Justice et Paix (Église catholique de France) et il est président du CCFD-Terre Solidaire depuis 2009. Économiste, François Soulage s'est engagé dans l'économie sociale. De 1989 à 1992, il a été délégué interministériel de ce secteur dans le gouvernement de Michel Rocard. Engagé au sein de l'Église catholique du diocèse de Nanterre, François Soulage a été élu président du Secours Catholique en 2008. Aimé Savard est journaliste. Il a été rédacteur en chef de l'hebdomadaire La Vie.

Préambule
par Guy Aurenche{1}, François Soulage{2}

Le Secours Catholique et le Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre Solidaire (CCFD-Terre Solidaire) ont une source d'inspiration fondamentale : l'Évangile, la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Ils partagent la même conviction évangélique : le pauvre est aimé de Dieu. Depuis le XIXe siècle et les profondes transformations politiques, économiques, sociales, techniques et culturelles que le monde a connues, l'Église catholique a développé un enseignement social – certains préfèrent dire une pensée sociale – pour apporter une réponse chrétienne aux défis de la société moderne. Fondé sur le message évangélique et nourri des réflexions de multiples penseurs chrétiens du social, mais aussi de mouvements et d'organisations chrétiennes diverses, cet enseignement est contenu en priorité dans les grandes encycliques sociales des papes depuis Léon XIII et dans les documents adoptés par le concile Vatican II, en particulier dans la constitution Gaudium et spes sur « L'Église dans le monde de ce temps ». Pour conduire leur action quotidienne, le CCFD-Terre Solidaire et le Secours Catholique se réfèrent à l'Évangile et à cet enseignement social qu'ils contribuent aussi à enrichir de leur expérience.

Le Secours Catholique et le CCFD-Terre Solidaire ont donc une mission commune : témoigner de la solidarité, dans le souffle de la Bonne Nouvelle de Jésus. Ils agissent selon des modalités bien différentes. Fondé en 1946, le Secours Catholique est un service d'Église en France dont le but premier est d'éveiller à la solidarité et de lutter contre la misère et ses causes. Il n'entend pas se limiter à une aide d'urgence ponctuelle : il a le souci de s'associer aux personnes pauvres qu'il rencontre, de proposer un accompagnement et d'agir avec elles sur les causes de la pauvreté. Dès sa création, il a eu le souci de la solidarité internationale en lien avec le réseau mondial Caritas. Le CCFD-Terre Solidaire est mobilisé contre le mal développement au niveau international. Sa mission première fut de lutter contre la faim dans le monde. En effet, il a été créé en 1961 en réponse à un appel de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), appel relayé dans l'Église catholique par le pape Jean XXIII. Pour combattre la faim et la misère, il est essentiel de contribuer à un développement harmonieux des pays pauvres, ce qui est devenu très tôt la mission centrale du CCFD. Ces dernières années, en raison du contexte de la mondialisation et devant la nécessité de promouvoir un développement durable afin de préserver la Création, l'association a ajouté à son nom la mention : « Terre Solidaire ».

Organisme d'Église en France, le CCFD-Terre Solidaire est membre du réseau catholique CIDSE (Coopération internationale pour le développement et la solidarité). Dès le début, selon le souhait de l'épiscopat, le CCFD a voulu reposer sur une « collégialité », qui est constituée de différents mouvements et services de l'Église catholique en France. Ce sont les représentants de ces organisations membres de la collégialité qui composent la majorité de son conseil d'administration et de son assemblée générale. La collégialité n'est pas une technique de gouvernement, mais un modèle d'ecclésialité qui manifeste l'unité de l'Église dans sa diversité. Le CCFD-Terre Solidaire exerce une responsabilité particulière à l'égard des services et mouvements membres de sa collégialité, en favorisant leur implication dans la solidarité internationale à travers ses dimensions tant matérielles que sociales et spirituelles. Il souhaite amplifier et déployer les richesses de cette collégialité et en permettre de nouvelles expressions.

En France, le Secours Catholique noue des conventions bilatérales de partenariat avec certains mouvements et services d'Église en vue de renforcer son action de lutte contre la pauvreté ou d'éveil à la solidarité en France. Parmi ces partenaires, citons la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), l'Action catholique des enfants (ACE), le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), la Pastorale des migrants, le Service des relations avec l'islam...

Le partenariat est un principe cher aux deux organismes. Pour agir dans le monde, en effet, le Secours Catholique comme le CCFD-Terre Solidaire choisissent non pas d'intervenir eux-mêmes, mais de soutenir des partenaires locaux qui œuvrent pour le développement, en association avec les plus pauvres.

Le Secours Catholique-Caritas France appartient au réseau mondial catholique de solidarité Caritas Internationalis qui dépend du Conseil pontifical Cor Unum. La mise en réseau des Caritas contribue à construire une fraternité universelle, à enrichir les pratiques locales de solidarité et à renforcer l'action globale sur les causes de pauvreté dans le monde. À l'étranger, le Secours Catholique s'efforce de répondre aux demandes des Caritas locales qui, toutes, sont institutionnellement liées à l'Église catholique de leur pays. Il travaille en partenariat avec ces Caritas locales qu'il soutient dans leurs projets en termes d'urgence humanitaire, de développement et de plaidoyer.

Pour sa part, le CCFD-Terre Solidaire pratique une grande diversité de partenariats dont près de la moitié n'est pas institutionnellement liée à l'Église. De plus, il passe des conventions particulières avec l'enseignement catholique, les scouts et guides de France, la Pastorale des migrants, la Délégation catholique à la coopération...

C'est à travers la lutte contre la misère en France et les interpellations des Caritas à l'étranger que les membres du Secours Catholique s'ouvrent généralement à la solidarité internationale. L'engagement ici invite à l'engagement là-bas. Les bénévoles du réseau du CCFD-Terre Solidaire mobilisés pour la solidarité par l'action internationale, découvrent et participent souvent à des lieux d'implication solidaires en France. Par exemple, à travers le problème des migrations ou la lutte contre l'évasion fiscale vers les paradis fiscaux soit par des dirigeants de pays pauvres, soit par de grandes multinationales qui devraient servir au développement. De cette façon, le cheminement de ces bénévoles avec le CCFD-Terre Solidaire les renvoie, dans un deuxième temps, à des engagements en France. L'engagement là-bas invite à l'engagement ici.

Au plan juridique, le Secours Catholique et le CCFD-Terre Solidaire sont des associations nationales reconnues d'utilité publique.

Le Secours Catholique et le CCFD-Terre Solidaire, se concertent régulièrement, tant au niveau national qu'au niveau diocésain, afin de s'informer mutuellement de leurs actions en France et dans le monde, et de porter des projets en commun, notamment auprès des communautés chrétiennes. Les deux organismes se retrouvent fréquemment au niveau national ou local dans des collectifs ou des plates-formes liées à des thématiques ou à la situation de certains pays, en vue de mener des démarches communes d'information et de plaidoyer. Pratiqué par le Secours Catholique comme par le CCFD-Terre Solidaire, le plaidoyer est une action de mobilisation de l'opinion et de pression sur les pouvoirs publics pour dénoncer des injustices ou promouvoir des réformes en faveur de la solidarité et du développement.

Ce livre, dû à une initiative d'Aimé Savard, veut exprimer à la fois la commune mission confiée à nos deux associations par l'Église de France et la diversité de leurs modes d'action. L'urgence de la mise en œuvre de véritables « programmes » de solidarité tant en France qu'à travers le monde, la mobilisation la plus large possible des communautés chrétiennes ainsi que leur formation, la reconnaissance heureuse des différences dans les modalités d'action, sont autant de motifs qui nous poussent à parler et à agir au service de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

Septembre 2012

Introduction
Deux voix pour témoigner de la fraternité
par Bernard Stephan{3}

« Aidons l'argent à quitter les paradis fiscaux. »

« Le vivre ensemble, c'est bien, sauf à huit dans une même pièce. »

À la radio, sur les murs, dans les pages des magazines, leurs slogans s'affichent mordants et impertinents. Les messages respectifs du Secours Catholique et du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre Solidaire provoquent, défont les clichés, incitent à changer de regard. Sur le monde tel qu'il va ou plutôt tel qu'il ne va pas, sur les personnes, celles qui subissent les inégalités et le mal développement en particulier.

Dans ces messages, des inconnus d'ici et d'ailleurs affirment haut et fort leur dignité, leurs capacités à vivre et à inventer un avenir solidaire. Étonnant par ces temps de crise financière mondiale où défilent en boucle les chiffres de suppression d'emploi, les prévisions de croissance en berne, les atermoiements des marchés, les coupes budgétaires impératives et la dégradation de la note financière des États.

Pourquoi donc des associations catholiques osent-elles déranger par des campagnes décalées le flux d'informations qui nous raconte en direct le monde tel qu'il se fait et se défait ? Au nom de qui et de quoi ont-elles décidé de quitter le rôle que l'opinion commune concède aux croyants des religions et aux militants des grandes causes humanitaires : porter secours aux blessés sur le champ de bataille, réconforter, soigner et repartir chez eux, le devoir accompli, en attendant la prochaine catastrophe ? Tout en étant quotidiennement présents auprès des personnes les plus vulnérables, pourquoi ces deux organismes catholiques s'attachent-ils aussi à combattre les causes de la bataille économique et financière qui déchirent le tissu des sociétés ? Pourquoi donc invitent-ils leurs partenaires dans les débats habituellement réservés aux grands de ce monde : dirigeants politiques, banquiers, managers des groupes transnationaux, économistes ?

Par l'action qu'ils mènent, le CCFD-Terre Solidaire et le Secours Catholique suscitent l'intérêt et le respect d'un large public, ce qui n'empêche pas des questions de surgir : le qualificatif catholique pour mener ce type d'actions est-il nécessaire ? Les nombreuses ONG qui travaillent dans l'urgence ou le développement et qui n'affichent pas d'appartenance confessionnelle, ne seraient-elles pas compétentes pour soulager les maux de la planète ?

D'autres interrogations s'expriment dans des sphères catholiques. Que vient faire le Secours Catholique sur le terrain de l'immigration alors qu'on lui donne de l'argent pour porter secours aux plus pauvres ? Pourquoi le CCFD-Terre Solidaire, mouvement chrétien, met-il en œuvre des projets de développement avec des hommes et des femmes qui ne partagent pas sa foi ? Comment expliquer cette insistance à travailler avec des associations non chrétiennes ? Et pourquoi donc s'attaquer à des questions aussi complexes que le mal logement, la persistance des paradis fiscaux ou les biens mal acquis par des dirigeants africains ? En intervenant de la sorte, ces deux organisations ne mettent-elles pas les pieds dans une arène politique où elles n'ont rien à faire ? Après tout, estiment certains, la mission des catholiques est de témoigner de l'amour de Dieu, pas de tenter d'arbitrer les dossiers infiniment complexes qui ont trait à la répartition des richesses sur terre. Laissez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu !

Cette pluie de questions peut agacer les militants des deux associations qui se donnent souvent sans compter et se sentent jugées par des procureurs aux gants blancs plus prompts à donner des leçons qu'à mettre la main dans le cambouis de la solidarité. Ces interpellations prouvent au moins une chose : agir pour la solidarité dérange.

Ce sont ces raisons qui ont incité Aimé Savard, journaliste, ancien rédacteur en chef de La Vie, à s'entretenir conjointement avec Guy Aurenche, président du CCFD-Terre Solidaire, et François Soulage, président du Secours Catholique.

Leurs deux itinéraires et leurs engagements respectifs diffèrent. Avocat, né en 1946, au Creusot dans une famille chrétienne où la foi n'a jamais posé problème, Guy Aurenche s'est très tôt investi dans la défense des droits de l'Homme en présidant l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), puis la fédération internationale liée à ce mouvement. Il est président du CCFD-Terre Solidaire depuis 2009.

François Soulage, né en 1943 à Nanterre d'une mère immigrée italienne et d'un père dirigeant d'une petite entreprise, tous deux catholiques, a obtenu un doctorat d'économie et s'est engagé dans le monde de l'économie sociale où il a assumé diverses responsabilités dont la délégation interministérielle de ce secteur dans le gouvernement de Michel Rocard de 1989 à 1992, avant de prendre la présidence de l'Institut de développement de l'économie sociale (IDES). Engagé au sein de l'Église catholique du diocèse de Nanterre, François Soulage a été élu président du Secours Catholique en 2008.

L'avocat engagé dans le combat pour les droits de l'Homme et l'économiste militant de l'économie sociale et solidaire ont pris leurs nouvelles responsabilités en s'impliquant totalement. La fonction différente des associations qu'ils président – rôle qu'ils définissent précisément dans le préambule qu'ils signent au début de cet ouvrage – et la complémentarité de leurs parcours rendent leurs échanges d'autant plus riches. Ils s'appuient pour cela sur l'expérience de deux associations solidement implantées et dont la crédibilité est largement reconnue.

Le Secours Catholique, créé en 1946, est une association loi 1901 qui accueille et aide chaque année, « à l'exclusion de tout particularisme national ou confessionnel », plus de 1 450 000 personnes dans ses 2 440 lieux d'accueil. Ses 62 000 bénévoles sont présents dans tous les départements de métropole et d'Outre-mer. Par ailleurs, le Secours Catholique soutient 480 projets d'urgence ou de développement avec ses partenaires du Sud dans 69 pays au sein du réseau Caritas Internationalis. Reconnu d'utilité publique, il publie chaque année, au mois de novembre, un rapport sur l'état de la pauvreté en France qui fait autorité et recueille un grand écho dans les médias.

Le CCFD-Terre Solidaire, association loi 1901 fondée en 1964, est la plus importante ONG de développement en France. Il a choisi de ne pas mener lui-même d'action à l'étranger, mais de soutenir plus de 450 projets dans 70 pays au monde. Ces projets sont le fait de partenaires locaux. Ils favorisent la souveraineté alimentaire, la prévention et la résolution des conflits, l'économie sociale et solidaire, les migrations internationales, l'éducation, la promotion des femmes... Composé d'une part de 29 associations, mouvements et services de l'Église catholique en France, et d'autre part de plusieurs milliers d'adhérents directs, il a aussi pour mission d'éduquer les Français au développement.

Forts de leur légitimité, Secours Catholique et CCFD-Terre Solidaire pourraient se contenter de gérer leurs dossiers respectifs sans faire de bruit. En matière de lutte contre la pauvreté et de solidarité internationale, il y a suffisamment à faire. Alors pourquoi dérangent-ils ? Sans doute parce qu'il est difficile de les classer. Ils sont catholiques, mais accompagnent – et travaillent également avec – des personnes et des organismes qui ne le sont pas. Ils sont reconnus pour leur expertise dans leurs domaines respectifs, mais se fixent pour objectif de s'associer avec les bénéficiaires de leurs actions pour en codécider le contenu et les modalités.

Les propos de Guy Aurenche et François Soulage témoignent de fait de la posture singulière de leurs deux associations au sein de la société française et de l'Église catholique. Un laïcisme intransigeant voudrait reléguer leur action dans la sphère confessionnelle ; ils occupent au contraire l'espace public et interpellent les pouvoirs quelles que soient leurs couleurs politiques. Une conception tribale de l'Église et d...

Table des matières

• Page de titre
• Sommaire
• Préambule par Guy Aurenche{1}, François Soulage{2}
• Introduction Deux voix pour témoigner de la fraternité par Bernard Stephan{3}
• Chapitre 1 Dans un monde qui change vite
• Chapitre 2 Agir au service de nos convictions
• Chapitre 3 Des associations de militants bénévoles : une chance et une contrainte
• Chapitre 4 L'accès de tous à leurs droits, condition de l'exercice d'une vraie liberté
• Chapitre 5 Vivre sa foi dans l'exercice de la solidarité
• Chapitre 6 Un autre monde est-il vraiment possible ?
• Chapitre 7 Construire un monde plus fraternel