Revenue de l'enfer (nouvelle édition)
eBook - ePub

Revenue de l'enfer (nouvelle édition)

Quatre ans dans les camps khmers rouges

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Revenue de l'enfer (nouvelle édition)

Quatre ans dans les camps khmers rouges

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Avril 1975, les Khmers rouges deviennent les maîtres du Cambodge. Une femme, sa mère et ses deux enfants prennent la route de la Thaïlande. Leur fuite est bientôt stoppée par les soldats de Pol Pot. Commence alors un long calvaire: camp de travail à la campagne, exécutions sommaires, endoctrinement des enfants, malnutrition, chasse aux bourgeois et aux intellectuels. Dans un récit bouleversant et rare, Claire Ly raconte sa lutte obstinée pour la survie. Que peut faire une jeune femme contre la folie génocidaire de soldats et de militants qui ontsciemment décidé d'éliminer les ennemis du peuple?Les principes de l'éducation cambodgienne fondés sur une certaine conception du bouddhisme enseignent l'impassibilité, « la voie du milieu », le détachement à l'égard des souffrances endurées. Pourtant, pour survivre, Claire Ly ne peut plus taire sa haine et sa révolte. Bousculant ces valeurs ancestrales, elle choisit de demander des comptes au Dieu des Occidentaux. Pourquoi a-t-il permis ces horreurs? Peu à peu, ce Dieu étranger devient un compagnon qui la conduira vers une voie étonnante.Réédition d'un ouvrage paru pour la première fois en mars 2002, ce témoignage est un document exceptionnel sur la façon dont une femme a vécu l'un des plus grands drames du XXe siècle.Claire Ly est enseignante à l'ISTR (Institut de sciences et théologie des religions) de Marseille. Son premier livre, Revenue de l'enfer, publié pour la première fois aux Éditions de l'Atelier en 2002, traduit en italien et en polonais, lui a donné l'occasion d'évoquer, dans toute la France, l'histoire du Cambodge et son parcours de foi exceptionnel, au travers de plus de huit cents conférences. Claire Ly est également l'auteur de Retour au Cambodge (Éditions de l'Atelier, 2007) et de La Mangrove (Éditions Siloë, 2011).

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Revenue de l'enfer (nouvelle édition) par Claire Ly en format PDF et/ou ePUB. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

ISBN
9782708244306

XV
L'adieu à la fleur de lotus

Nous n'avons pas pu rejoindre vraiment Battambang-ville. Notre enthousiasme est vite tombé car le désordre qui suit cette libération est à son comble. Pour ne pas dire que c'est l'anarchie. N'importe qui peut prendre la maison de n'importe qui ; il suffit d'être le premier à occuper les lieux. Le centre-ville proprement dit est encore fermé à la population. Le nouveau gouvernement prétend vouloir le réserver à des fonctionnaires de l'État. Ce dernier lance des appels à tous les anciens fonctionnaires de la République khmère pour qu'ils se fassent connaître en envoyant aux autorités de leur province leur curriculum vitae ; ils pourront ensuite réintégrer leur poste.
Je ne suis pas trop pressée de soumettre mon CV aux autorités. Mon entourage ne comprend pas du tout mon attitude. Ma mère me répète chaque jour que je suis en train de tuer son espoir de retrouver sa maison. Hélas, dans ma famille, je suis la seule fonctionnaire survivante. Je suis sa seule chance de pouvoir récupérer sa maison... si le nouveau gouvernement tient sa parole.
Les Cambodgiens ne sont pas habitués à la notion de personne. Pour eux, l'individu n'est que le fruit d'un hasard, il fait partie d'un grand ensemble d'êtres qui vivent, meurent, renaissent au gré d'un déterminisme rigide. Un individu existe en entrant dans la lignée de ses parents, de ses ancêtres. Les parents peuvent ainsi prétendre avoir droit à une soumission totale de leurs enfants. On existe en tant que fils ou fille d'un tel ou d'une telle.
Comme d'habitude, ma personne n'intéresse les autres que dans la mesure où elle peut être utilisée par eux. Ma mère, par exemple, ne se demande pas pourquoi moi, je ne suis pas pressée de retrouver ma maison. Il est vrai que celle-ci se situe beaucoup plus loin du lieu où nous nous trouvons, elle est à Phnom-Penh, bien plus difficile à atteindre. Mais elle représente une autre vie qui me semble presque irréelle. Je n'ai aucune confiance dans le nouveau gouvernement. Je ne vois pas leur ligne politique. Mes années avec les Khmers rouges m'ont appris à me méfier de tout.
Le doute et la blessure psychologique font que je reporte toujours l'envoi de mon CV ; et que je me laisse vivre avec Sâk, plein de prévenance depuis qu'il a appris que j'étais haut fonctionnaire sous le régime de la République khmère. Encore un qui est amoureux d'une étiquette. C'est ainsi que je suis tombée enceinte au moment où je ne le souhaitais pas du tout. Mais quand on n'a pas « la liberté des pilules », aucune femme n'est à l'abri de surprises, à moins de renoncer à tous les impondérables de la vie comme une nonne bouddhiste.
Par lassitude devant la pression de mon entourage, je finis par soumettre mon CV aux autorités vietnamiennes du village. Je n'ai aucune peine à l'établir car j'ai conservé tous les documents nécessaires : les diplômes, les décrets de nomination... Avec ce CV j'obtiens donc très vite l'autorisation de me rendre à Battambang-ville dans un camion militaire.
Je demande au militaire vietnamien de me déposer juste à l'entrée de la ville. Là se trouve une petite bourgade où habitait Sameth, le garde du corps de mon père, fusillé avec ce dernier et mon époux par les Khmers rouges à O Traman. Je tiens à ce que la première visite soit une visite amicale à la femme de Sameth et à ses enfants. À la rigueur, je peux arriver à expliquer le massacre des membres de ma famille par la logique de la lutte des classes, mais la mort de Sameth m'est absolument révoltante. Il n'avait pas goûté aux plaisirs des bourgeois durant sa vie, et il est mort comme un nanti. Quelle absurdité !
Dans cette bourgade, je suis reçue comme une princesse. La plupart connaissent mes parents. La femme de Sameth s'est remariée, ses trois enfants ont bien grandi, l'aîné travaille à la scierie. On m'apprend aussi la mort de tonton Yim, ce vieux compagnon de papa qui m'avait accompagné sur la route de l'exil le 24 avril 1975. Je profite de leur hospitalité ce soir-là. Le frère de Sameth se propose de m'accompagner demain voir l'ancien contremaître de papa qui est maintenant responsable de sa scierie.
Le matin nous arrivons au premier chant du coq au centre-ville de Battambang. Je me sens saisie d'un écœurement et d'une tristesse profonds. C'est une ville fantôme ; ce n'est plus la ville que j'ai connue, que j'ai aimée. Il y a des saletés partout, des cimetières de climatiseurs, de frigidaires, de télévisions, de... je ne sais quoi. J'ai l'impression de me trouver dans un film d'horreur. La plupart des maisons sont inoccupées, les volets battent au gré de la mousson...
Nous arrivons enfin à la maison du contremaître qui se met à sangloter dès qu'il me reconnaît. Je respecte ses émotions et j'attends sagement qu'il se remette. En voyant ses larmes couler, je pense soudain que depuis avril 1975, je n'ai versé aucune larme. C'est peut-être grave, je n'ai plus de « source intérieure ». Mes yeux ne savent plus pleurer. Quelle réflexion saugrenue !
« Viens, je t'amène visiter la scierie » dit le contremaître en me prenant par le bras.
Ce jour-là, la scierie ne fonctionne pas, on ne m'a pas donné le motif. Cela ne m'intéresse guère. Je le suis partout, en silence, lui aussi. Le bureau de mon père est resté à peu près intact. Je visite l'atelier de débit, l'atelier de montage des meubles, le hall d'exposition vente. Je regarde chacune des machines et vois surtout leur marque « Socolest Valdois ». Ces mots français me rappellent la France, la région de l'Alsace où se trouve le fournisseur de ces machines. Cette visite me fait penser à mon père. Il a passé toute sa vie à monter cette scierie menuiserie, classée parmi les plus importantes du pays. Deux balles ont eu raison de sa vie et de son œuvre, confisquée au nom d'une idéologie qui se veut juste mais qui prône la haine des classes comme moteur. Mon père est mort, son œuvre est confisquée, mais la société nouvelle promise n'est pas là. Quel gâchis ! Et dire que ces chefs khmers rouges ont appris cette idéologie en France, le pays des droits de l'Homme{11}. Un comble !
« Si tu veux, on ira demain voir la villa de ton père », cette phrase me ramène au présent. Je lui dis « oui » par un signe de tête, je n'ai plus aucune envie de parler. Le silence du ressentiment me reprend si fort que ma vie me paraît trop petite pour crier l'absurdité des choses.
La villa de mes parents se trouve dans la zone de l'état-major vietnamien. Après avoir parlementé longuement avec les deux sentinelles placées à l'entrée de la rue qui y mène, nous pouvons enfin y pénétrer. Ce quartier de la ville aussi est désert. Le portail de la villa n'est même pas fermé. Le jardin est dans un état sauvage, les herbes folles envahissent même les allées cimentées. Je m'avance doucement vers le bassin à lotus où, jeune fille, je restais des heures et des heures à contempler les poissons rouges, à respirer l'odeur des fleurs de la sagesse. Ces fleurs de lotus, selon la croyance bouddhiste, sortent spontanément de la terre sous les pas du Bouddha afin de préserver ses traces de pas de tout sacrilège. C'est en pensant qu'il peut y avoir des hommes qui n'ont besoin que d'une petite aide pour arriver au Nirvana, comme les fleurs de lotus prêtes à émerger de l'eau n'ont besoin que d'un petit rayon de soleil, que Bouddha a décidé de mettre à leur disposition son enseignement. La légende dit aussi que dans la vie antérieure du Bouddha, une fleur de lotus était la cause de sa souffrance.
« Dans cette vie-là, Bouddha était un oiseau mâle qui quitta le nid le matin pour aller chercher de la nourriture pour sa famille. L'oiseau mâle se posa sur une fleur de lotus sans faire attention que le soir commençait à tomber. Quand le soleil se coucha, la fleur de lotus se ferma en emprisonnant l'oiseau téméraire. Elle ne s'ouvrit qu'au lever du soleil et l'oiseau mâle ne put rejoindre son nid qu'à ce moment-là. Or, pendant la nuit, un feu de forêt avait détruit le nid, la femelle toute seule n'avait pu sauver les deux petits oisillons qui avaient péri. La femelle avait accusé l'oiseau mâle d'infidélité à cause de l'odeur de fleur qu'il portait sur lui. Elle s'était jetée dans le feu... » (Légende typique du Cambodge tirée des multitudes de vies antérieurs du Bouddha avant son éveil.)
Les fleurs de lotus sont encore là, mais les poissons n'y sont plus. Je coupe une fleur de lotus et me mets à examiner bêtement ses pétales. Pouvait-elle garder pour moi les souvenirs des jours lumineux de ma vie, comme elle avait gardé l'oiseau mâle de la vie antérieure du Bouddha ?
Une fleur de la sagesse à la main, je m'aventure à pousser la porte d'entrée principale de ma maison natale. L'obscurité qui y règne entretient encore en moi l'illusion d'une retrouvaille. Une fois ouvertes portes et fenêtres et chassée l'obscurité, cette maison s'arrête d'être celle de mes parents. Elle m'est complètement étrangère, car il n'y a plus rien. Tous les meubles ont disparu. Il ne reste que les quatre murs. Je circule lentement d'une pièce à l'autre. Ma chambre de jeune fille, celle de mes parents, celle de mon frère, celle de ma sœur sont entrées dans l'anonymat. Plus rien ne dit que cette maison a été habitée par notre famille. Ma maison natale m'a rayée de son souvenir. Elle ne veut plus de moi.
Curieusement, je me sens comme libérée d'un passé. Un passé plein de bonheur certes, mais un passé qui pèse quand même lourd sur ma nouvelle vie. On a toujours tendance à s'attacher à des clichés que la société vous donne, même quand on sait que la vie prend un nouveau tournant. Dans le changement, on essaie de retrouver quelques points de repère... Posant doucement ma fleur de sagesse sur le bord du bassin, je quitte ce lieu qui m'a vue naître, ce lieu où l'on a célébré mon mariage en grande pompe, je dis au revoir définitivement à ma vie de fille de la grande bourgeoisie de la province de Battambang.
Je quitte ma maison, ma ville avec un cœur presque léger. Tout m'est devenu étranger, plus rien ne me retient. Le contremaître m'a conseillé de quitter le pays. Car selon lui, rien n'a vraiment changé avec l'arrivée des Vietnamiens. C'étaient les communistes khmers rouges qui gouvernaient, ce sont maintenant les communistes pro-vietnamiens qui commandent. Il m'invite à chercher le moyen de quitter le pays. D'après lui, le peu de nouvelles qu'il a pu avoir de la capitale, Phnom-Penh, n'est pas très rassurant pour ceux qui travaillaient sous le régime de la République khmère comme moi. Voilà, c'est un prolétaire qui me conseille de ne pas rester dans ce pays communiste, alors que tout mon entourage d'anciens bourgeois khmers souhaite à tout prix que je rentre à Phnom-Penh.
Je fais un compte rendu succinct de mes deux jours à Bat-tambang-ville à ma mère, tout en insistant sur le fait qu'il n'y a aucun espoir pour elle de récupérer ses biens. Je garde pour moi les conseils du contremaître.
Pendant le dernier mois de ma grossesse, je vois défiler beaucoup de connaissances qui se dirigent vers la frontière thaïlandaise. Certains s'arrêtent une nuit chez nous pour reprendre des forces. L'hospitalité khmère fait que, malgré le peu de riz que nous avons, nous partageons quand même avec joie nos repas avec ces gens de passage. Mon état physique m'empêche de suivre ces exilés. Je me donne un mois pour réfléchir.
La vie quotidienne dans ce Cambodge libéré me pèse de plus en plus chaque jour. Je ne peux discuter sérieusement avec personne. Beaucoup sont comme poussés par une soif frénétique de vivre qui les amène à ne raisonner que par le poids de l'or. L'or qui sert de monnaie d'échange, l'or qui vous permet d'avoir un nouveau standing. Je suis écœurée, je pense que les Khmers rouges ont vraiment tué l'âme de leur pays. On ne retrouve plus cette insouciance, cette joie de vivre qui caractérisaient le Cambodge d'avant ; insouciance et joie qui lui avaient donné auprès des étrangers la réputation, d'être une sorte de paradis terrestre. Mon pays est mort, vidé de son âme. C'est logique, deux millions de personnes supprimées pour un pays peuplé de sept millions d'habitants.
C'est en enterrant mon pays dans mon cœur que mon corps a donné naissance à un petit garçon. Il a reçu comme prénom Borey qui veut dire « ville de bonheur », par défi à la mort qui enserre le Cambodge.
Une semaine après l'accouchement, je prends avec mes enfants la route de l'exil, saisissant l'opportunité de la sensibilité internationale au drame du Cambodge. Pendant quatre ans, la communauté internationale avait ignoré complètement les atrocités vécues par le peuple khmer. Était-ce vraiment un manque d'informations ? Au début de l'année, la première vague de réfugiés cambodgiens vers la Thaïlande avait connu un sort tragique : les militaires thaïlandais les avaient refoulés vers le Cambodge d'une manière inhumaine. Les Cambodgiens passent toujours la frontière dans la région Poipet qui est une région de plaine. Les militaires thaïlandais les embarquaient alors dans des camions pour aller les relâcher à une centaine de kilomètres de leur point de chute, dans les régions montagneuses, le Phnom Dank Réak, sans vivres, sans eau. Plus de la moitié de ces personnes, déjà affaiblies par la famine et la peur, n'arrivaient pas à traverser ces montagnes pour rentrer au pays. C'était une hécatombe. Une famille amie est parvenue à revenir dans le village, complètement traumatisée par tout ce qu'elle avait vécu. L'ampleur du drame a fini par réveiller l'Occident et par le rendre ainsi plus sensible à ce qui se passait dans cette partie de l'Asie. L'ONU a fait pression sur le gouvernement thaïlandais pour assouplir les mesures de contrôle et d'accueil des réfugiés à la frontière. C'est en apprenant la mise en place d'une structure d'accueil que je décide de quitter le Cambodge.
Après une nuit et une journée de marche, nous arrivons à la frontière thaïlandaise. Ce jour-là, la Croix-Rouge internationale a affrété trois camions pour venir chercher les réfugiés. Le hasard fait que je tombe sur un de mes anciens élèves, actuellement militant dans la FANLPK (Force armée nationale de libération du peuple khmer). La FANLPK est une des composantes de la Résistance anti-vietnamienne présidée par le prince Sihanouk encouragé par les USA, la Chine et la Communauté européenne. Mon ancien élève me reconnaît et essaie de me rallier à sa cause. Devant mon refus systématique, il me traite de sale bourgeoise qui ne connaît pas le sens du mot « patriotisme » et m'avertit qu'il fera tout pour m'empêcher de quitter le Cambodge. Je comprends bien que la FANLPK, comme les Khmers rouges d'ailleurs, a besoin de retenir à la frontière le plus possible de population civile, afin de pouvoir bénéficier de la manne de l'aide internationale. Les Khmers rouges m'ont guérie de toute utopie idéologique, je peux comprendre n'importe quelle réalité matérielle, mais qu'on ne me parle pas d'idéologie telle que le patriotisme ; j'ai vécu dans ma chair les « dérapages » de la grande idéologie marxiste. L'éducation politique de ces chers camarades rouges m'a rendue allergique à toute idéologie. Je suis devenue une femme désenchantée qui n'a plus aucune envie de se sacrifier à des « soi-disant grandes causes » : aider le Cambodge à survivre..., sauvegarder la Tradition Angkorienne... ou reconstruire une société nouvelle...
Toute la matinée, je guette le moment où ces chers patriotes sont occupés par d'autres personnes pour vite aller voir le responsable de la Croix-Rouge. Ce jour-là, c'est un Américain qui accompagne le convoi des camions. En me voyant avec un bébé d'une semaine dans les bras et après m'avoir écoutée, il fait démarrer tout de suite le car dès que ma petite famille est montée, sans attendre qu'il soit rempli.
Une heure après, mes trois enfants, Sâk, sa fille et moi sommes arrivés en Thaïlande. Nous faisons partie des premiers arrivants à Khao I Dang, le grand camp de l'ONU gardé par les soldats thaïlandais. La première semaine, nous manquons de tout, nous dormons à la belle étoile. Heureusement que la saison des pluies est passée. L'organisation se met en place petit à petit. On nous distribue des morceaux de bambou et le chaume pour construire notre abri. Les représentants de quelques grands pays commencent à arriver, ainsi que les ONG. Chaque famille doit établir un tracing card qui décrit son parcours, ses capacités, son savoir-faire, sa profession afin que les pays riches puissent recruter leurs immigrés. Les États-Unis d'Amérique s'engagent à accepter sur leur sol tous les anciens fonctionnaires de la République khmère. Ayant gardé tous les papiers officiels concernant la fonction que j'occupais au sein du ministère de l'Éducation nationale de la République khmère, je n'ai aucune difficulté à constituer mon dossier d'immigration pour les USA. Je suis immédiatement inscrite sur leur liste...
La France a pour critère de recrutement : le regroupement familial. J'ai donc écrit à ma belle-mère par l'intermédiaire des missionnaires catholiques lui signalant notre présence dans le camp Khao I Dang. Ma belle-mère a quitté le Cambodge en 1972, et s'est installée dans la région parisienne. Ce sera mon seul et unique contact avec les représentants de la religion chrétienne, durant mon séjour dans le camp en Thaïlande.
Je ne fréquente pas plus les b...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Préface
  4. Introduction
  5. I L'ordre des soldats noirs
  6. II Fuir vers Bangkok
  7. III Mon fils devant le charnier
  8. IV La dictature du « peuple nouveau »
  9. V Avec Thira devant la rizière
  10. VI Un village dans une ville fantôme
  11. VII Une révolte sans limite
  12. VIII Une naissance en enfer
  13. IX La requête du camarade Sakhœn
  14. X Survivre dans la rizière
  15. XI Une paysanne expérimentée
  16. XII La ration des malades
  17. XIII Un mouroir dans la pagode
  18. XIV La défaite des Khmers rouges
  19. XV L'adieu à la fleur de lotus
  20. XVI Un avion pour Paris
  21. XVII Une terre d'accueil
  22. XVIII Quand la haine se tait
  23. XIX La folie du Nazaréen
  24. XX Une parole dans un désert d'amour
  25. Postface