Ce que nous dit François
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Ce que nous dit François

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Le pape François ne cesse d'impressionner par sa détermination et l'audace de la révolution douce qu'il opère. Mais, au-delà des réformes amorcées, quel est son projet pour l'Église catholique?Víctor Manuel Fernández, théologien argentin, connaît bien le pape François. Considéré comme l'un de ses très proches collaborateurs, il examine dans cet ouvrage les grandes lignes du pontifi cat actuel à la lumière de l'exhortation Evangelii gaudium.« Où ce pape veut-il nous emmener? » l'interroge Paolo Rodari, le journaliste qui conduit l'entretien. C'est en fin connaisseur des préoccupations du pape – il a travaillé avec lui lors de la Ve Conférence générale de l'épiscopat latino-américain en 2007 – que Víctor Manuel Fernández lui apporte des éléments de réponse, en soulignant et commentant les idées fortes du texte: l'importance de l'annonce de l'Évangile et la mise à distance de principes moralisateurs; la nécessité d'une Église missionnaire et ouverte à tous, et notamment aux plus éloignés; les résistances ecclésiastiques face aux propositions de changement du pape; la notion de « peuple » qui structure toute la pensée de François et permet de comprendre son attention indéfectible envers les plus pauvres.Les nombreuses clés de lecture données dans cet entretien pour comprendre Evangelii gaudium et percevoir le sens des mutations engagées par ce pape « venu du bout du monde » font toute la richesse de cet ouvrage.Víctor Manuel Fernández est recteur de l'Université catholique pontificale de Buenos Aires. Il a été parmi les premiers à être nommé archevêque par le pape François. Il a rédigé avec le futur pape François le Document d'Aparecida lors de la Conférence épiscopale d'Amérique latine qui avait pour objectif de défi nir l'orientation pastorale de l'Église catholique sur le continent latino-américain.Paolo Rodari est journaliste au quotidien italien La Repubblica.

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Informations

ISBN
9782708244368

Chapitre 1
L'inspiration de François d'Assise

Le 16 mars 2013, trois jours après son élection au Siège de Pierre, Jorge Mario Bergoglio a révélé, au cours d'une rencontre avec des journalistes au Vatican dans la salle Paul VI, que nombre de cardinaux, dans la chapelle Sixtine, lui avaient fait des suggestions de noms : « Untel me disait : “Tu devrais t'appeler Adrien comme le grand réformateur.” Et, en effet, l'Église doit être réformée... Un autre me disait : “Tu devrais t'appeler Clément XV. – Pourquoi ? – En guise de revanche sur Clément XIV qui avait aboli la Compagnie de Jésus !”, etc. » Et puis, quand le cardinal Claudio Hummes, en l'embrassant, lui a demandé de ne pas oublier les pauvres, il a choisi de s'appeler François, comme le saint de la pauvreté.
Qui est saint François pour le pape Bergoglio ? Pourquoi a-t-il voulu porter son nom ? À plusieurs reprises, le pape a parlé de saint François. Et en en parlant, il a fait comprendre quels étaient pour lui les traits significatifs de sa personnalité. Mais peut-être est-ce justement à Assise, pendant la visite pastorale qu'il a faite le 4 octobre 2013, qu'il a prononcé les paroles les plus claires et les plus incisives sur le saint de la ville ombrienne.
Quel témoignage ressort aujourd'hui de la vie de saint François ? C'est la question que le pape s'est posée devant la foule des fidèles venus avec lui en pèlerinage. Bergoglio a expliqué que « la première chose qu'il nous dit est qu'être chrétien, c'est avoir un rapport vital avec la personne de Jésus, c'est se revêtir de Lui, c'est s'assimiler à Lui. D'où part le chemin de saint François vers le Christ ? Il part du regard de Jésus sur la croix : il faut savoir se laisser regarder par Lui au moment où il donne sa vie pour nous et nous attire à Lui. François a fait cette expérience d'une façon particulière dans la petite église de Saint-Damien à Assise, en priant devant le crucifix que moi aussi je suis venu vénérer. Sur ce crucifix, Jésus n'apparaît pas comme mort, mais comme vivant ! Le sang coule des plaies de ses mains, de ses pieds et de son côté, mais ce sang dit la vie. Jésus n'a pas les yeux fermés, mais ouverts, grands ouverts, un regard qui parle au cœur. Et le Crucifié ne nous parle pas de défaite, d'échec : de façon paradoxale, il nous parle d'une mort qui est vie, qui engendre la vie, parce qu'il nous parle d'amour, parce qu'il est l'Amour du Dieu incarné, et l'Amour ne meurt pas, au contraire, il détruit le mal et la mort. Celui qui se laisse regarder par Jésus crucifié est recréé, il devient une “créature nouvelle”. C'est là que se trouve le point de départ : dans l'expérience de la grâce qui transforme, dans le fait d'être aimés sans mérite, bien que pécheurs ».
C'est seulement en le suivant Lui sur la croix que nous connaissons la vraie vie et que nous sommes transformés malgré notre péché. La pauvreté de saint François n'est donc pas avant tout matérielle. Elle est spirituelle, c'est une pauvreté du cœur : c'est perdre sa vie en prenant sur soi la croix de Jésus. Certes, se dépouiller de ses biens est nécessaire. Cela apporte une aide, mais c'est inutile si on n'ouvre pas son cœur à Jésus-Christ.
Le second enseignement que le saint veut donner au monde est, comme l'a expliqué le pape, que « celui qui suit le Christ reçoit la véritable paix, celle que Lui seul, et non pas le monde, peut nous donner. Beaucoup associent saint François à la paix, et c'est juste, mais peu vont en profondeur. Quelle est la paix que François a accueillie et vécue et qu'il nous transmet ? Celle du Christ, passée par le plus grand amour, celui de la Croix. C'est la paix que Jésus Ressuscité donna aux disciples quand il apparut au milieu d'eux (cf. Jean 20, 19-20). La paix franciscaine n'est pas un sentiment doucereux. Je vous en prie, ce saint François n'existe pas ! Elle n'est pas non plus une espèce d'harmonie panthéiste avec les énergies du cosmos... cela non plus n'est pas franciscain ! C'est une idée que certains ont construite ! La paix de saint François est celle du Christ, et la trouve celui qui “prend sur soi” son “joug”, c'est-à-dire son commandement : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés (cf. Jean 13, 34 ; 15, 12). Et on ne peut pas porter ce joug avec arrogance, avec présomption, avec orgueil, on ne peut le porter qu'avec douceur et humilité du cœur ». Voici le second trait de la personnalité de saint François, un homme voué à la paix mais non à un pacifisme sans Christ. La vraie paix entre dans le cœur de l'homme, dit le pape, si on laisse entrer en celui-ci Jésus-Christ, dont le commandement suprême est la charité. Voici donc ce François en l'honneur de qui Bergoglio, le 13 mars 2013, a choisi son nom, ce saint qui s'est fait dernier parmi les derniers, pauvre parmi les pauvres, non par amour de la pauvreté comme fin en elle-même, mais parce que, en suivant les pauvres et en les aimant, il suivait et servait le Christ crucifié.
Paolo Rodari : Père Victor, Par « Église des pauvres », on entend habituellement le mouvement de pensée qui, à partir du concile Vatican II, a poussé l'Église catholique à retrouver, dans sa réflexion et son action, un engagement cohérent de solidarité avec les peuples opprimés et à formuler ce qui sera appelé une « option préférentielle pour les pauvres ». Cette expression, reprise aussi par l'Assemblée des évêques du Conseil épiscopal latino-américain à Medellín (Colombie) en 1968, fut développée en Amérique latine par les théologiens Gustavo Guttiérez et Leonardo Boff, donnant naissance à la théologie de la libération. Que pense François de la théologie de la libération ? Est-ce aussi à elle qu'il se réfère quand il parle d'« Église des pauvres » et « pour les pauvres » ?
Víctor Manuel Fernández : À l'intérieur de l'Église, il y a toujours eu de grandes discussions au sujet des pauvres et de la « libération » mais, au siècle dernier, deux positions extrêmes sont apparues : la première voulait tout réduire à une analyse marxiste et soumettre complètement la réflexion à des analyses sociologiques déterminées. L'autre, au contraire, soupçonnait tout discours social et taxait de marxiste toute personne prenant la défense des pauvres. Les deux positions dégénérèrent en Amérique latine, l'une jetant les jeunes dans les bras de la guérilla et l'autre les conduisant à apporter un appui à des gouvernements autoritaires et assassins. Le cardinal Bergoglio refusa toujours l'une et l'autre de ces deux positions extrêmes. Toute sa vie, il se rangea du côté des pauvres et agit avec force contre le mépris de la dignité des « rejetés » de la société. Pour lui, en effet, les pauvres sont le cœur de l'Église.
Déjà, étant jeune, il visitait les quartiers pauvres de la ville et s'arrêtait pour parler avec les plus démunis. Il l'a toujours fait et, certainement, n'a pas cessé de le faire quand il a été nommé cardinal. Nous savons tous qu'il consacrait beaucoup de temps aux prêtres qui travaillaient dans les quartiers les plus misérables de Buenos Aires et qu'il les accompagnait dans leurs visites.
Mais, en même temps, il a toujours refusé de réduire la vision de la réalité à une analyse purement sociologique. À la Conférence générale des évêques latino-américains, réunie en 2007 au sanctuaire d'Aparecida, au Brésil, il a demandé dès le début de la préparation du document final qu'on évite de donner une vision aseptisée de la réalité. En effet, pour un pasteur, le regard est toujours pastoral. Il a répété la même chose dans son discours du 27 juillet 2013 prononcé devant les évêques latino-américains pendant son voyage au Brésil et l'a réaffirmé dans Evangelii gaudium : « Un regard purement sociologique, qui ait la prétention d'embrasser toute la réalité avec sa méthodologie d'une façon seulement hypothétiquement neutre et aseptisée, ne nous servirait pas non plus. Ce que j'entends offrir va plutôt dans la ligne d'un discernement évangélique. C'est le regard du disciple-missionnaire. » (EG 50.)
Le débat le plus important de ces cinquante dernières années s'est concentré sur ce que devait être le point de départ de la réflexion de l'Église. Les interventions magistérielles ont toujours souligné que c'est la foi de l'Église et non la condition des pauvres qui est le point de départ fondamental de sa réflexion. François le rappelle aussi : « De notre foi au Christ qui s'est fait pauvre, et toujours proche des pauvres et des exclus, découle la préoccupation pour le développement intégral des plus abandonnés de la société. » (EG 186.) Le cardinal Bergoglio n'a jamais mis en cause cette affirmation, même si elle lui a toujours semblé insuffisante. Car si un chrétien est entouré de pauvres, ce sera toujours cette réalité qui l'interrogera, et ce sera de là que naîtra sa réflexion.
La doctrine ne doit donc pas être la perspective unique et exclusive d'où part notre réflexion initiale, parce qu'il existe d'autres réflexions complémentaires qui peuvent accompagner et enrichir le regard de la foi : la situation des pauvres est le « contexte immédiat inéluctable » de la théologie dans les lieux où existe la pauvreté. Ce n'est pas la même chose de réfléchir dans une situation confortable et de le faire en étant constamment interpellés par la souffrance de beaucoup de pauvres qui souvent sont chrétiens. Dans un tel contexte, on comprend la nécessité d'une théologie qui surgisse d'une forte inégalité et de la marginalisation, d'une théologie préoccupée par la libération intégrale de tant de fils et de filles de l'Église qui vivent dans la misère. C'est alors qu'apparaît clairement jusqu'à quel point la foi catholique est capable de promouvoir le développement intégral des peuples. Le document Libertatis nuntius – instruction signée par le cardinal Joseph Ratzinger le 6 août 1984 et consacrée à certains aspects de la théologie de la libération – rappelait qu'aux « défenseurs de “l'orthodoxie” on fait parfois le reproche de passivité, d'indulgence ou de complicité coupables à l'égard de situations d'injustice intolérables et de régimes politiques qui entretiennent ces situations » (Libertatis nuntius, XI, 5-18). Ces paroles sont aussi citées par le pape dans son exhortation.
Cependant, il y a quelque chose de fondamental pour François : en Amérique latine, les pauvres sont des croyants et beaucoup d'entre eux sont catholiques. Dès lors, partir des pauvres signifie aussi partir de leur foi, de leur religiosité, de leur culture imprégnée de foi. Notre regard sur les pauvres ne peut être purement sociopolitique. Il ne suffit pas de connaître leurs besoins pour leur apprendre à lutter, comme si nous étions les glorieux sauveurs de personnes ignorantes et sans cervelle. Si nous devons vraiment partir des pauvres, nous devons les considérer comme des sujets inventifs, respecter leur style, leur langage, leur façon de regarder la vie, leur culture, leurs priorités et aussi leur religiosité. Il est logique de lutter pour eux, pour défendre leurs droits et les aider à aller de l'avant, non pas en restant extérieurs ou au-dessus, mais en étant avec eux. Le cardinal Bergoglio estimait que ces aspects n'étaient pas pris en considération par certains théologiens de la libération, et c'est pourquoi leurs propositions ne parvinrent jamais à l'enthousiasmer. C'est pour cette raison que, dans Evangelii gaudium, il donne une telle place au développement d'une théologie et d'une spiritualité de l'option pour les pauvres, affirmant qu'« Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux » et que nous accueillions « la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux » (EG 198). Et il ajoute : « Cela implique de valoriser le pauvre dans sa bonté propre, avec sa manière d'être, avec sa culture, avec sa façon de vivre la foi. » (EG 199.)
PR : Autour de la personne de François d'Assise sont nés des mouvements pacifistes formés aussi de beaucoup de non-croyants. Le pape, dans son pèlerinage à Assise le 4 octobre 2013, a déclaré ne pas partager la vision de ceux qui croient que la paix réside dans la recherche d'une certaine harmonie panthéiste avec les énergies du cosmos. Il a rappelé qu'il n'y a pas de véritable paix sans le Christ et sa croix. Cependant, saint François parvient à faire comprendre beaucoup de choses à un incroyant. Tant et si bien que, ces dernières années, interrogés sur le nom que le futur pape devait prendre, nombreux étaient ceux qui répondaient immédiatement : François. Comment concilier ces deux mondes qui, l'un comme l'autre, se réfèrent à la figure du saint d'Assise ?
VMF : Saint François d'Assise est entièrement réhabilité. C'est le saint de la communion avec toutes les créatures de l'univers, mais aussi le saint de la pauvreté, de la fraternité, de l'amour pour les derniers, de l'union passionnée avec Jésus-Christ, de l'accueil de la souffrance comme forme de don au Seigneur. Tout cela contribue à la beauté de la figure de François. En prenant son nom, ce pape reprend tous ces aspects sans en écarter un seul.
Voyons comment, malgré le refus du panthéisme, dans Evangelii gaudium, il s'approprie certaines richesses des mouvements écologistes et orientalistes, comme l'union intime avec la création entière, dont nous ne devrions pas nous sentir séparés. Il dit : « Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun ; et nous pouvons nous lamenter sur l'extinction d'une espèce comme si elle était une mutilation. » (EG 215.)
À travers cette expression transparaissent une grande sensibilité écologique et une capacité de dialogue avec tous ceux qui se consacrent à ces questions avec passion. En vérité, ce qui inquiète surtout le pape chez certains mouvements de type « new age » qui sont assez peu franciscains, c'est le développement d'un style de vie obsédé par le bien-être, la recherche d'« énergies » pour se soigner et se sentir bien. Cela correspond à un style de vie individualiste de complet repli sur soi, qui ne donne pas la possibilité de guérir le cœur des personnes. Pour cette raison, plusieurs paragraphes de l'exhortation nous invitent à la générosité missionnaire, au service, à la joie du don de soi. Mais François évoque aussi la tentation de s'en tenir à une religiosité légère, peu engagée. Puis, vers la fin du document, il développe, dans plusieurs paragraphes, la proposition d'une spiritualité qui est aussi « le goût d'être peuple ». C'est donc beaucoup plus qu'une simple harmonie avec la nature.
PR : Saint François a tout quitté pour suivre le Christ. Nous savons que sa conversion fut authentique. Elle eut lieu en 1205. Pendant qu'il priait dans l'église de Saint-Damien à Assise, il raconta avoir entendu parler le crucifix qui lui dit à trois reprises : « François, va et répare ma maison qui, comme tu le vois, est en ruine. » François se saisit des étoffes du commerce de son père et se rendit à Foligno pour les vendre. Il vendit aussi le cheval, revint chez lui à pied et fit don de l'argent récolté au prêtre de Saint-Damien pour qu'il répare la petite église. Son père, Pierre de Bernardone, le prit mal. Il voyait s'envoler les projets d'avenir qu'il avait formés pour son fils. Mais, désormais, François avait pris sa décision. Il renonça, pour le Christ, au bien-être, aux privilèges, aux richesses.
Père Victor, est-ce bien cela, le dépouillement demandé à chaque homme et à l'Église aujourd'hui ? Beaucoup sont touchés, chez le pape François, par sa recherche de l'essentiel et, aussi, d'une certaine austérité. Il circule dans des voitures utilitaires, il n'aime pas la pompe et le luxe, il visite les réfugiés et parle avec les pauvres. Dans l'interview à Civiltà Cattolica citée plus haut, il a déclaré être proche du courant mystique de Louis Lallemant et de Jean-Joseph Surin. L'un et l'autre prêchaient la nécessité de « se dépouiller » pour arriver à Dieu. Est-ce la route que Bergoglio entend suivre ?
VMF : Il est nécessaire d'apporter quelques subtiles précisions sur cette question, afin de ne pas interpréter de travers l'enseignement du pape François, un enseignement où l'amour n'a pas pour fin le sacrifice en tant que tel et où l'austérité n'est pas une obsession. Il s'agit d'un dépouillement intérieur, d'un renoncement à se concentrer sur soi-même pour pouvoir mettre Dieu et les autres au centre de sa propre vie. Cela a une signification pastorale, parce que cela implique d'être plus disponibles, plus proches des pauvres, de leurs limites, de leur condition sociale, de leurs humiliations. C'est précisément pour cette raison que Bergoglio n'aime pas les prêtres princes, les évêques « d'aéroport », les ecclésiastiques qui portent des bijoux en or, ou encore ceux qui apprécient les visites continuelles de personnes bien placées, et qui parlent constamment d'eux-mêmes avec un sentiment de supériorité. Il ne s'agit là que de mondanités spirituelles qui empoisonnent l'Église.
Quoi qu'il en soit, je le répète, il ne faut pas se focaliser sur la question de l'austérité. Dans l'enseignement moral et spirituel de l'Église, cela fait partie de la tempérance, l'une des vertus dont on s'occupe le moins. Or, la vertu la plus importante est la charité, le don de l'amour. Le problème se pose donc surtout quand l'attachement aux plaisirs mondains enferme les personnes en elles-mêmes, affaiblit leur générosité et leur disponibilité. En vérité, pour le pape, ce n'est pas un problème que les prêtres mangent bien, mais c'en est un qu'ils soient obsédés par la gloire mondaine, l'argent et d'autres formes de pouvoir. Cela ne gêne pas le pape que les gens soient heureux et aiment la vie. Au contraire, comme tout bon père, il désire que les personnes souffrent le moins possible et jouissent de leur existence sur cette terre. Regardons ce qu'il dit à ce sujet dans Evangelii gaudium : « Nous savons que Dieu désire le bonheur de ses enfants, sur cette terre aussi, bien que ceux-ci soient appelés à la plénitude éternelle, puisqu'il a créé toutes choses “afin que nous en jouissions” (I Timothée 6, 17), pour que tous puissent en jouir. » (EG 182.)
Un pape qui nous dit que Dieu veut notre bonheur sur cette terre ne nous demandera jamais d'être obsédés par le sacrifice et de chercher la souffrance comme des masochistes, mais il nous demandera de partager, de servir, d'être proches de ceux qui ne vont pas bien, d'être prêts à ouvrir notre porte aux autres. Le problème, c'est l'égocentrisme. C'est pour cela que, comme j'ai pu le vérifier, il dédaigne profondément les privilèges, aussi bien politiques qu'ecclésiastiques. Il est agacé par ceux qui recherchent le pouvoir, le prestige ou le luxe pour se sentir « plus importants » que les autres, et qui mettent les autres au service de leur vanité, oubliant que le but du pouvoir est de s'abaisser et de se salir les mains en servant le prochain. Bien qu'il soit peu adepte des commérages, je l'ai entendu parfois se lamenter de certains prêtres et hommes politiques qui péchaient par cet égocentrisme qui déforme la mission de service que Dieu attendait d'eux.
PR : Toujours à Assise, le pape a parlé de la mondanité spirituelle, un danger qui semble menacer l'Église en premier lieu. Il en a parlé dans la Salle du dépouillement de l'archevêché, lieu qui évoque le geste violent du dépouillement de saint François, et dans lequel aucun pape n'était jamais entré auparavant. Il s'est...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Sigles des textes du magistère cités dans cet ouvrage
  4. Introduction
  5. Chapitre 1 L'inspiration de François d'Assise
  6. Chapitre 2 Les nouveautés de Evangelii gaudium
  7. Chapitre 3 D'abord l'Évangile, ensuite les principes
  8. Chapitre 4 « Sortir ». La mission vers les périphéries
  9. Chapitre 5 La réforme interne de l'Église. Les structures et les privilèges
  10. Chapitre 6 Le peuple... mais en quel sens ?
  11. Chapitre 7 Nouveaux pas en avant dans le dialogue interreligieux et dans l'œcuménisme
  12. Chapitre 8 L'Église, la politique et l'économie
  13. Chapitre 9 Le père Jorge. Un souvenir personnel