La rage et la lumière
eBook - ePub

La rage et la lumière

Un prêtre dans la révolution syrienne

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

La rage et la lumière

Un prêtre dans la révolution syrienne

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Installé au monastère de Mar Moussa (80 km de Damas) depuis les années 1980, Paolo Dall'Oglio est un jésuite italien fortement engagé dans le dialogue islamo-chrétien. Il a pris parti pour la révolution syrienne en mars 2011 et ses idéaux de liberté, n'hésitant pas, notamment, à exhorter les pays occidentaux à intervenir. Expulsé de Syrie en juin 2012 par le régime de Bachar Al Assad, il a pu quitter le pays grâce à l'escorte du nonce apostolique... avec un fort sentiment d'impuissance et de colère.C'est en témoin que Paolo Dall'Oglio se situe dans cet ouvrage: un témoin solidaire qui raconte la volonté et les espoirs du peuple syrien en lutte pour sa liberté, le durcissement du combat, le rôle de l'islamisme dans le mouvement révolutionnaire, le positionnement des chrétiens, la détermination des jeunes à vaincre malgré la torture et les assassinats, les silences ou l'impuissance de l'Occident. Une solidarité qui fait tenir, et puis la colère, sourde, violente - au risque du cynisme contre lequel il faut sans cesse lutter - devant cette guerre qui tragiquement ne trouve pas de solutions et conduit la population syrienne au désespoir voire à la haine.Un récit fort et tendre, à l'image de son auteur, pour mobiliser les consciences sur le drame syrien et rappeler les nécessaires liens de fraternité au-delà des frontières et des traditions.Un livre qui est aussi, surtout, un hommage à tous ces jeunes Syriens, musulmans et chrétiens, qui ont dépassé leur peur pour se lancer dans la bataille en criant Horriya, Liberté! Paolo Dall'Oglio, né à Rome en 1954, est un prêtre jésuite italien. Dans les années 1980, il a refondé le Monastère syriaque catholique de Mar Moussa el-Habachi (saint Moïse l'Abyssin), situé dans le désert au nord de Damas en Syrie, pour défendre le dialogue islamo-chrétien. Suite à sa dénonciation ouverte des crimes commis par le régime de Bachar el-Assad dans le contexte de la guerre civile syrienne, il est expulsé du pays le 16 juin 2012. Il est l'auteur d'un premier livre, Amoureux de l'Islam, croyant en Jésus, préfacé par Régis Debray (Éditions de l'Atelier, 2009). Églantine Gabaix-Hialé est journaliste. Elle a vécu deux ans au monastère de Mar Moussa entre 2004 et 2006 et a déjà collaboré au premier livre de Paolo Dall'Oglio.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à La rage et la lumière par Paolo Dall'Oglio, Eglantine Gabaix-Hialé en format PDF et/ou ePUB. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

ISBN
9782708244184

VII
Envisager l'à-venir

Mars 2013. Comment, après deux ans de guerre fratricide, esquisser des perspectives quand l'issue est encore incertaine ? Il est possible que la révolution syrienne tombe dans l'islamisation et s'éloigne de l'espérance révolutionnaire démocratique du début. Jusqu'à quel point risque-t-elle d'être mise en morceaux et de se trouver sous la coupe de l'islamisme radical en s'enlisant durablement dans le conflit civil ? Ce n'est pas un constat pour l'instant mais une peur. Pourtant, j'espère garder une pensée plutôt positive et je cherche surtout à savoir comment harmoniser le principe de l'autodétermination d'un peuple avec la défense de la démocratie et des droits de l'Homme ?
Je préfère qu'un peuple s'autodétermine et que, par la suite, la communauté internationale lui enjoigne de respecter et de mettre en œuvre, de manière sage et progressive, les droits de l'Homme. Mais on ne peut pas nier, dès le départ, la possibilité d'une autodétermination parce que l'on présuppose qu'une fois au pouvoir, ce peuple ne respectera pas ces droits ! Je crois aussi que l'harmonie est faite de communion de différences. La collectivité mondiale a plutôt intérêt à promouvoir les tendances à la fédération, à garder l'unité régionale, à proposer des constitutions pluralistes pour protéger la constitution en mosaïque d'un peuple, comme c'est le cas, au plus haut degré, pour la Syrie.
Pourtant aujourd'hui, les Syriens de la révolution ont une « peur bleue » du mot fédération. D'une part, parce qu'une majorité sunnite, à qui l'on a longtemps nié ses droits, pour protéger les minorités, veut récupérer le pays tout entier et non un morceau. D'autre part, car les révolutionnaires patriotes qui croient à la Syrie entière, quelle que soit leur appartenance religieuse ou communautaire, ne veulent pas entrer dans une logique cantonale de nature confessionnelle ou ethnique. Cette logique ne conduirait qu'à l'affaiblissement définitif du pays, par la perte de l'unité nationale et de la dynamique du renouvellement démocratique et civil. Pour cela, il n'est pas populaire dans la révolution de parler de fédération et je dois utiliser ce concept avec précaution.
Mais les faits sont têtus et la crise du pouvoir central syrien profite, notamment, au désir d'autodétermination kurde au nord-est du pays. Cette région, la Djézireh, constitue un point de fracture ethno-économique car elle est aussi la région pétrolière de la Syrie. Il y a une continuité dans le conflit arabo-kurde depuis l'Irak jusqu'à la Syrie. Les Kurdes poursuivent leur rêve national et les Arabes le leur. Il faut insister sur le fait que la grande majorité des Kurdes syriens est dispersée dans le pays, en particulier, à Alep et Damas, et n'est donc pas concentrée dans la région au nord-est. Ainsi, le pluralisme démocratique à l'échelle nationale est-il plus marquant qu'une éventuelle « cantonisation » qui promouvrait leurs intérêts « nationaux ». La même chose vaut pour les Druzes et encore plus pour les chrétiens. Les alaouites aussi... mais la situation actuelle rend difficile de concevoir une vie commune en perspective.
Dans le nord-ouest, la victoire de la révolution pourrait pousser la région montagneuse alaouite depuis l'Oronte jusqu'à la mer à créer une enclave protégée par la Russie et l'Iran et alliée du canton chiite libanais et de l'Irak chiite. Il n'est pas étonnant non plus que tous prêtent attention aux positions des Druzes, soit au Liban, soit au sud-ouest syrien à la frontière avec Israël, car on entend parler tout le temps, mais tout bas, d'une possible sécession, promue par Israël. À mon sens, le sentiment d'appartenance arabe de la population druze est suffisamment fort et leur dispersion sur le territoire assez vaste pour garantir leur participation sincère à la construction d'une Syrie démocrate et unie. Mais si l'islamisme radical fait la loi et si des efforts constitutionnels pour une Syrie islamiste se dessinent, on peut s'attendre à une dérive sécessionniste, promise par les Israéliens.
Je ne fais que répéter que la constitution fédérale est un remède et qu'elle n'est pas en contradiction avec la résistance aux forces de désintégration nationale. Elle est aussi compatible avec une protection des diversités qui ne se caractériseraient pas, ou pas assez, par une concentration territoriale, comme c'est le cas pour les chrétiens, bien répartis sur toute la Syrie. Il faut prendre acte des pressions régionales. Tous voudraient la Syrie dans sa totalité pour eux, dans leur camp, mais c'est aux Syriens de dire : une Syrie pour tous et tout le monde pour la Syrie !
Sur le terrain, il faudra trouver des solutions adaptées car les populations sont mélangées, et des médiations seront donc nécessaires. Des forces de résistance non-violente et d'interposition doivent être capables d'assister ces processus vers une autodétermination qui ne passe pas par les armes, mais soit l'expression d'une volonté populaire autant que nationale et locale. C'est là que nous mesurons la portée de notre responsabilité en ce moment. Nous devons essayer de faciliter l'agrégation nationale au-delà des clivages idéologiques. Dans la Syrie de demain, des parties seront liées à l'Iran, d'autres aux sociétés turque, irakienne, saoudite, aux Frères musulmans ou liées à l'Europe. Assumer tout cela dans une volonté d'unité dans la diversité, c'est l'essence de la démocratie.
Par la suite, le travail nécessaire de négociation, d'échange de prisonniers, de réorganisation de la vie pour les victimes civiles demandera une force de retour à la vie et d'engagement dans les tranchées de la reconstruction, pour ceux qui n'auront pas été tués au combat. Je pense aussi à l'immense effort de réhabilitation et de réintégration des mutilés de guerre et de ceux qui seront devenus handicapés. Encore plus vaste sera le travail pour soigner les cœurs malades de violence. L'assistance d'organismes internationaux spécialisés sera primordiale.
Il y a vingt ans, nous avions essuyé une agression grave au monastère, plus morale que physique, mais qui avait pour but de nous chasser du lieu. Nous avions résisté d'une façon parfaitement non violente en nous asseyant par terre. Nos agresseurs essayèrent alors de nous traîner, puis ils jetèrent par la fenêtre nos livres et nos biens sans que nous réagissions, même verbalement.
À ce moment-là, a jailli dans mon âme la conscience d'avoir vécu un instant de vérité, el-Haqq, qui vaut ce monde et l'autre aussi, source de la vie et de l'au-delà de la vie. Après, on peut imaginer le paradis comme on veut. Les amoureux se donnent souvent des rendez-vous dans l'au-delà de la mort. Mais plus fort que la mort est l'amour, annonce le Cantique de Salomon.
Comment négocier avec des groupes humains lancés dans l'absolu de leurs revendications ou dans l'enfer de leur enfermement ? En août 2012, Bernard-Henri Lévy, dans le journal Le Monde, se demandait si Bachar al-Assad était déjà dans le Viva la muerte{39}. Certainement du côté du régime, nombreux sont aussi ceux qui se font tuer avec l'espoir de rencontrer la miséricorde divine. À leurs funérailles, ils seront appelés martyrs et seront accueillis par Dieu. D'ailleurs, une fois que la paix est faite, les deux camps reconnaissent tous les morts comme des martyrs.
Il y a eu un débat sur le devoir et sur la possibilité d'une négociation avec le régime, à l'intérieur de l'opposition syrienne. Le problème est que la révolution démocratique est entre deux feux. Le premier est la forte résistance du régime – qui implique et explique qu'une grande partie de la population y soit restée favorable – combinée à une solidarité internationale sourde. Le second est animé par la rhétorique anti-islamique du régime, qui a porté ses fruits, puisque l'islamisme djihadiste a pris la tête de l'insurrection armée et a confirmé les peurs de tous les autres. Dans le journal Le Monde, qui relayait une enquête sur la défiance marquée des Français envers l'islam, le journaliste, Gérard Courtois, concluait ainsi son article : « Mais si l'Histoire ne se répète jamais, elle invite à souligner le rôle dangereux de ceux qui, loin de les apaiser, attisent ces peurs. Ils trouveront dans cette enquête la justification de leurs philippiques. Ils feraient mieux d'y voir le résultat de leur travail d'incendiaires{40}. » Ainsi en est-il également du régime syrien...
J'appuie le cheikh Moaz al-Khatib dans son ouverture aux négociations qui pourraient repousser cette impression que la révolution syrienne s'est installée dans le maximalisme radical, illustré par le cri de guerre des révolutionnaires : « La mort mais pas l'humiliation. » Nous sommes certainement dans une bataille de valeurs non négociables. Mais le salut de la Syrie demande une capacité de dialogue dans toutes les directions, pour assurer une transition du pouvoir la moins sanglante possible et qui puisse sauvegarder les ressources et les structures de l'État appartenant au peuple syrien.
On ne peut pas, pour donner un exemple, négocier avec une mafia d'assassins dans un quartier de Palerme. Il y a une négociation de fait qui a lieu sur les territoires où la police laisse du terrain, mais ce n'est pas de cette négociation-là dont nous voulons. Le choix de la démocratie italienne par rapport à quelques parties de la Sicile semble avoir été le suivant : « Si vous, les citoyens, n'avez pas la volonté et les ressources nécessaires pour combattre la mafia, alors débrouillez-vous ! » Ce choix est proprement suicidaire et corrosif. La société civile doit être prise en compte avec ses particularismes et au même temps protégée et assistée dans son combat d'émancipation démocratique.
En Syrie, lors des négociations, les acteurs démocrates devront trouver les moyens de s'exprimer diplomatiquement afin de convaincre les partenaires régionaux et internationaux d'accepter le changement. Car l'insupportable s'est déjà réalisé et le pire est toujours possible.
Les défis de la révolution et de la reconstruction à venir sont aujourd'hui les suivants :
– Comment garder l'unité du pays quand les Kurdes, qui s'affirment démocrates, voudraient en garder une partie ? Et quand le régime est à même de créer une enclave de sauvetage pour le clan alaouite ?
– Comment parvenir à une démocratie mûre quand le fond de la société est clanique et tribal et s'organise sur une autre logique ?
– Comment construire la démocratie avec certains des combattants qui ne sont pas démocrates ? Quand les démocraties du monde ne sont pas cohérentes dans leur appui ? Quand la minorité chrétienne se déclare démocrate, en principe, et reste liée au régime de façon plus ou moins affichée, entraînant avec elle une partie de l'opinion, de la diplomatie et du monde occidental et oriental, orthodoxe et catholique ?
Nous avons souvent eu l'impression que les diplomates qui nous reçoivent acquiescent aux affirmations de principe, mais qu'ensuite avec leurs collaborateurs, ils font la liste de toutes les raisons liées à la real politik qui conseilleraient de nous abandonner. Ou encore de nous aider à moitié car il faut quand même ménager l'opinion des démocrates et le politiquement correct de l'Occident. De même, les arguments répétés par les alliés idéologiques du régime en Occident (dont la Russie) conduisent de façon indirecte à des mots d'ordre faciles. On dira par exemple : « Mohamed Morsi est devenu un dictateur, la révolution en Égypte est terminée, pourquoi recommencer le même processus en Syrie pour atteindre le même résultat ? » Mais c'est parfaitement faux ! L'Égypte est une marmite sur le feu et personne ne peut prévoir comment cela va se développer ! Mais, penser qu'une minorité de casseurs a le droit d'enlever la souveraineté populaire à ceux qui ont voté une constitution et entériné un parlement, serait se fourvoyer. Cela dit, le travail de l'opposition séculaire et laïque doit être reconnu et reste nécessaire pour sauver la démocratie égyptienne et ne pas tomber dans un marécage de dictatures religieuses à l'iranienne.
On entend également : « C'est l'Arabie saoudite et d'autres pays non démocratiques qui sont derrière la révolution syrienne. » Cette affirmation est erronnée car dans l'islam politique syrien, il y a un panorama complexe, et les Frères musulmans sont plutôt les alliés des Frères musulmans tunisiens, égyptiens, libyens ou palestiniens que des Saoudiens.
L'à-venir serait de tenter, par une solidarité souple et une vision évolutive des actions politiques et des corps sociaux, de promouvoir ces oasis de démocratie réelle qui se font jour dans les différentes régions du monde musulman, en Asie ou en Afrique. L'équilibre entre autodétermination d'un peuple, coopération et contestation critique de la collectivité internationale par rapport à ce même peuple est une alchimie dynamique et non un parti pris définitif.
Il est inutile et contreproductif de s'accrocher à des systèmes politiques voués à la faillite pour éviter la montée islamiste, parce que c'est le conflit lui-même qui la produit. En un sens, les rois du Maroc et de Jordanie, d'une façon anglo-saxonne, l'ont compris et essaient de concilier islamisme et monarchie constitutionnelle. Avec l'avantage peut-être qu'ils peuvent compter sur une disponibilité traditionnelle à reconnaître une certaine sacralité aux rois musulmans croyants, descendants du Prophète. La dialectique égyptienne et tunisienne est d'harmoniser démocratie et projet musulman.
Autant je suis pour la démocratie mondiale, autant je suis pour la prophétie. La démocratie sans valeurs se vide de tout intérêt. Il revient aux élites intellectuelles, aux artistes, aux éducateurs, aux avant-gardes de produire une offre de valeur.
En tant que moine, je crois au témoignage, en dehors de toute logique de manipulation des masses, même de la part du clergé, des imams ou autres guides religieux. Pour moi, le moine exprime quelque chose par sa vie même, qui fonctionne automatiquement dans l'imaginaire populaire. Il agit par le fait d'exister. N'étant pas destiné à créer un effet social, car il est magnifiquement égoïste et veut seulement être, il en produit un de grande qualité ! Mais quand il y a le feu dans la forêt, les moines travaillent aussi à l'éteindre... Pour le reste, il tente de faire un travail plus en profondeur, soit pour intercéder pour le monde, soit pour l'initiation et l'éducation spirituelles des personnes. Dans un contexte civil donné, des moines chrétiens peuvent exercer une médiation culturelle, animés par l'Évangile, grâce à une capacité d'exprimer la dimension spirituelle du combat social, de l'engagement environnemental, de la réflexion anthropologique. Ils fournissent des outils de réflexion sur la rive spirituelle des problématiques sociales et culturelles. Cela doit être vécu selon l'esprit, la passion de l'Évangile.
Comment concevoir aujourd'hui la résurrection, sans prétendre ici entrer dans la réflexion théologique chrétienne en profondeur ? Dans mon langage, je pense qu'en ressuscitant le corps de Jésus de Nazareth, le corps même de l'incarnation, Dieu commence à achever le monde, à l'accomplir ; Il le porte à la condition matérielle physique qui correspond à son but spirituel. Beaucoup d'entre nous sont attirés par la mort car elle exprimerait la conviction radicale : finis les calculs, finie la négociation, finie la prudence, finis les raisonnements sur le moindre mal, sur la nécessité de faire avec, etc. Nous sommes branchés sur : « ça vaut le coup », « c'est une fois pour toutes », « c'est l'occasion historique ». J'ajouterais : c'est le kaïros, le temps prédestiné, attendu. C'est le jour du jugement en un sens, le jour de la vérité, el-Haqq, qui signifie aussi le jour de Dieu lui-même...
Il y a dix ans, en pleine deuxième intifada palestinienne, j'avais écrit : Un jour, il y aura une grande fête à laquelle participeront des enfants devenus adultes et des adultes redevenus enfants. Ce sera une fête sur toute la Terre – Sainte, disent les chrétiens, Bénie, proclament les musulmans, Promise, espèrent les Juifs –, de l'Hermon à Gaza, de Tibériade au Néguev, de la mer au fleuve, à Jérusalem, à Hébron, à Ramallah, à Nazareth... Le mur sera abattu et on ne saura plus où il se trouvait. Les voies de cantonnement des colonies seront des allées, et les grilles, des haies fleuries. Ismaël prendra dans ses bras Isaac et ce dernier baignera de larmes de joie la poitrine de son frère. Ils se tiendront par la main et ils s'assiéront ensemble près de la tombe d'Abraham de laquelle jaillira un chant de louange, un hymne de jubilation. Seul l'amour exclusif pour la Maison du Seigneur, l'Ami des hommes, habitera le cœur de Sarah et seules des larmes de joie de consolation sillonneront les joues d'Agar. L'hospitalité réciproque sera la loi du Pays. On ne comptera plus les mariages mixtes. Les enfants joueront ensemble, ils ne se lanceront plus de pierres ni d'insultes ; ils ne les comprendront même plus, tant en arabe qu'en hébreu. Le vendredi et le samedi seront un seul Jour du Seigneur, début d'une semaine de paix de sept cent mille ans, couronné d'éternité. À Gaza, on entendra jurer par le Dieu de Moïse et à Tel-Aviv par celui de Muhammad. Celui qui revient de La Mecque rencontrera celui qui descend de Jérusalem, et les habitants du monde entier s'exclameront : « Regardez comme ils s'aiment ! » Même les disciples du Nazaréen se seront départis de l'orgueil et se seront mis au service des pèlerins : ils les accompagneront en louant Dieu en Esprit et en vérité. Les os des suicidés et des martyrs seront lavés par le pardon, les meurtriers succomberont de contrition et tous renaîtront dans l'unique étreinte du Père.
Dans les derniers mois de cette terrible année 2012, j'ai senti un appel intérieur fort à rentrer en Syrie, même pour peu de temps. L'idée phare était d'aller visiter les fosses communes dans les régions broyées par la mécanique infernale de la guerre civile. Je voulais donner corps à un désir de solidarité radicale, mystique, mais toujours en quête d'une incarnation. Rencontres, prières, intercession, questionnement sur le futur... Mais aussi pour témoigner, témoigner dans les médias et faire boule-de-neige. C'était aussi une façon d'exprimer ma préoccupation pour les familles des victimes et pour ces régions en danger. Faire entendre également les paroles, le cri, les angoisses, le désarroi de ces personnes auprès d'un public le plus vaste possible. Je voulais produire un changement par la communication.
Depuis octobre 2012, j'anime une émission télévisée pour Orient News TV{41}, chaîne privée syrienne diffusée par le satellite, en exil, qui émet désormais depuis Dubaï. L'émission a pour nom Résidence temporaire. Ce sont des débats publics que nous avons enregistrés dans les camps de réfugiés en Jordanie, en Turquie, en Irak et avec les acteurs de la société civile syrienne en exil au Liban et en Égypte, mais aussi à l'intérieur du territoire syrien. Cette émission m'a été proposée parce que j'étais déjà connu au sein de la révolution. Les réalisateurs estimaient que je pouvais avoir un rôle fédérateur entre les communautés pour sauvegarder le pluralisme syrien. Au fil du temps et des émissions, elle est devenue populaire et s'est transformée en un instrument de médiation politique, un tremplin d'idée, avec un impact possible sur le terrain.
Un des débats a été réalisé début février 2013, juste avant mon départ pour la Syrie, à Sulaymānīyah, au Kurdistan irakien, dans les locaux d'une ancienne priso...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Avertissement au lecteur
  4. Remerciements
  5. Introduction
  6. Lettre à un jeune Européen
  7. I S'engager
  8. II Comprendre et endurer
  9. III Accepter ou fuir
  10. IV Combattre
  11. V Œuvrer pour la médiation
  12. VI Au risque de l'islamisation
  13. VII Envisager l'à-venir
  14. La Syrie au cœur
  15. La Syrie, du mandat français à nos jours