Pourquoi joindre l'inutile au désagréable ?
eBook - ePub

Pourquoi joindre l'inutile au désagréable ?

En finir avec le nouveau management public

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Pourquoi joindre l'inutile au désagréable ?

En finir avec le nouveau management public

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

En février 2018, le Sunday Times révèle que près de 2 300 enseignants ont apporté une « aide inappropriée » à des élèves lors de plusieurs sessions d'un examen prestigieux. Ces enseignants étaient évalués et rémunérés en fonction de la réussite de leurs élèves, système imaginé pour les inciter à s'investir davantage...Obsession de l'évaluation, rémunération au mérite, mise en concurrence, réduction des coûts... Le nouveau management public, inspiré des méthodes anglo-saxonnes, a des conséquences graves, aussi bien sur le fonctionnement des services publics que sur les agent·es, mis·es en souffrance sans que leur efficacité soit accrue. Il conjugue ainsi le désagréable et l'inutile...Au moment où le gouvernement s'attaque aux services publics avec l'objectif annoncé de supprimer 120 000 emplois et de développer l'emploi précaire, cet ouvrage, qui se nourrit de nombreux témoignages, propose des outils critiques pour remettre en question les logiques managériales à l'œuvre et inventer des pratiques alternatives. Un livre pour qu'on laisse enfin aux agent·es de la fonction publique la possibilité de bien faire leur travail!

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Pourquoi joindre l'inutile au désagréable ? par Évelyne Bechtold-Rognon en format PDF et/ou ePUB. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

ISBN
9782708251373

Chapitre 1
Changer, mais pourquoi ?

« On est toujours en train de tout changer. Quand est-ce qu’ils vont enfin nous laisser travailler ? »
Une professeure de lycée professionnel d’Angers.
« Ça n’a aucun sens. La seule logique, c’est de tout changer tout le temps. On se moque de savoir si ça marche, comment on vit ce mouvement perpétuel. Il faut juste que ça bouge sans arrêt. »
Une agente de Pôle emploi.
Changer le système, faire bouger les lignes, moderniser, abolir les archaïsmes... La rhétorique du changement est une constante des politiques gouvernementales et managériales de ces dernières années, au point qu’il est difficile d’interroger cet impératif, tant il semble marqué du sceau de l’évidence. Dans le management moderne, la critique est par définition archaïque. Vous ne comprenez pas que tout change sans cesse. Les gens qui n’adhèrent pas sont considérés comme dépassés.
Pourtant, pourquoi faudrait-il tout changer tout le temps ? N’y a-t-il pas une différence entre les changements incessants et les changements pertinents ?
Un éducateur du SNPES-PJJ{13} confirme : « Se remettre en question de temps en temps, c’est bien. Être contraint de le faire tous les ans crée un grand malaise. » Un agent de Pôle emploi parle de « l’enfer du changement permanent ».
Nous nous heurtons à une croyance naïve dans les vertus du mouvant et de la vitesse, à l’ère d’internet et d’Uber, en oubliant peut-être trop vite que les choses importantes demandent du temps pour se développer et que la hâte n’est pas nécessairement synonyme de qualité. Qu’il faille lutter contre des plis fâcheux qui ont pu être pris est sans doute nécessaire. Mais céder à l’obsession du changement pour le changement, c’est négliger que tout travail se réalise dans la durée, et que les métiers de l’humain, du service, du soin, de l’enseignement n’ont aucun sens si on empêche celles et ceux qui les pratiquent de déployer leurs compétences et leur expérience.
Nos missions s’inscrivent dans un temps long, le temps de l’humain, le temps de la vie. Une éducatrice du SNPES-PJJ, chargée du suivi de détenus, écrit ainsi : « On doit suivre des parcours de vie qui peuvent aller de 18 mois à 20 ans. »
Mais quelles sont les lignes de force qui sous-tendent ces changements incessants qui déferlent ? D’où viennent-ils et que visent-ils ?

Savoir et pouvoir

Comme le montre Danièle Linhart, « la dictature du changement perpétuel est le nouvel instrument de soumission des salariés{14} ». Le management moderne s’inscrit dans la lignée du travail à la chaîne théorisé par Taylor et Ford pour asservir les salarié·es, en les dépossédant de leurs savoirs et de toute forme de pouvoir. Taylor avait bien compris qu’au sein des entreprises, le savoir, c’est aussi le pouvoir. À la fin du XIXe siècle, lorsqu’un individu décide de créer une entreprise, il détient l’argent, mais pas la connaissance ni les savoir-faire. Il doit donc faire appel à des ouvriers et des compagnons, qui organisent eux-mêmes le travail
Avec le taylorisme{15}, les salarié·es ne peuvent plus travailler sans les préconisations de leurs supérieurs : comment organiser la fabrication, quels protocoles, dans quels délais... Le nouveau management public utilise la même méthode, pour les mêmes motifs. Il s’agit aujourd’hui comme hier de mettre la main sur le travail des salarié·es, de les empêcher de développer le contre-pouvoir lié à leur savoir professionnel, au nom de la sacro-sainte productivité. Les objectifs sont définis par les directions, assistées par d’éventuel·les expert·es, qui prônent des « bonnes pratiques ». Tout est constamment remis en cause : les objectifs à atteindre, les procédures, l’organigramme, les responsabilités... On va pendant deux ans expliquer qu’il est vital d’externaliser un service, puis juste après expliquer avec autant de conviction qu’il est capital de le réinternaliser. Pourtant, l’expérience du taylorisme a montré que si ce type d’organisation accroît l’efficacité dans un premier temps, il est rapidement contre-productif, puisque les personnels développent des pathologies physiques et psychiques qui les rendent inaptes à un travail de qualité. Pour autant, l’objectif est atteint, puisque l’obsession du changement incessant sape les bases de l’autonomie des travailleurs. « On arrive à transformer de bons professionnels en apprentis à vie. Les salariés sont totalement déstabilisés, se sentent en permanence sur le fil du rasoir et se rabattent sur les procédures et les méthodes standard, comme sur une bouée de sauvetage. Mais ces procédures et méthodes standard ne sont définies et maîtrisées que par les directions... Les salariés se sentent impuissants, incompétents. Leur image de soi est altérée. Ils ont peur de la faute, de faire courir des risques à autrui. Ces méthodes les jettent dans un profond sentiment d’insécurité{16}. »

Le sens du changement

Le nouveau management public opère une transformation en profondeur de l’administration publique. Cependant, son appréhension est souvent difficile, car ce changement se manifeste par des actions apparemment contradictoires de décentralisation et de centralisation. Trois axes de transformation sont constants : la mise en concurrence, la révision des procédures budgétaires et le primat de la performance.
L’idée initiale est difficilement réfutable, puisqu’il s’agit de rationaliser et de rendre plus efficace le service public. Aucun de nous n’a envie que les services publics soient irrationnels et inefficaces. Pourtant, tel qu’on nous le dit, c’est un peu l’impression que cela donne : avant c’était n’importe quoi, aucun fonctionnaire ne travaillait, aucun n’était jamais noté et le public était mécontent. À partir de maintenant, on va rationaliser et appliquer au public les modalités d’évaluation du privé.

Les origines

Le nouveau management public vient des pays anglo-saxons : les États-Unis de Ronald Reagan{17} et la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher et – davantage encore – de Tony Blair. Car de fait, la mise en œuvre du NMP au Royaume-Uni a été pour l’essentiel l’œuvre du Parti travailliste qui a repris, accentué et généralisé – avec quelques spécificités – le processus initié par les conservateurs, en l’étendant aux secteurs de l’éducation, de la recherche et des hôpitaux.

Le New public management en Grande-Bretagne

Dans le monde anglo-saxon, cette reconstruction de l’État a d’abord été largement portée par les forces politiques et l’idéologie de la Nouvelle Droite, fortement hostiles à l’aide sociale et à l’État{18}. Par la suite, bon nombre de gouvernements de droite comme de gauche ont été convaincus de la nécessité de réduire les dépenses publiques en engageant des mesures de privatisation, mais aussi en réinventant l’État, par l’introduction de nouveaux principes de management inspirés du secteur privé. Pour la Nouvelle Droite, les dépenses sociales sont improductives et entretiennent une culture de l’assistance, alors que les mécanismes du marché permettraient une meilleure allocation des ressources. Une fois arrivés au pouvoir, les néoconservateurs ont soumis les services publics à la compétition marchande, en encourageant des entreprises et des associations à fournir les mêmes prestations, pendant que l’administration s’engageait dans des formes contractuelles pour répondre à la mise en concurrence avec le secteur privé. Par la suite, la frontière entre les deux secteurs s’est progressivement abolie et une seconde forme de privatisation s’est mise en place par un transfert des responsabilités et des charges de l’État vers les individus et les familles.
Les services publics ont connu alors une restructuration profonde : les organisations jugées trop bureaucratiques ont été démantelées et soumises à de nouvelles règles. Une économie mixte a été créée au sein de l’administration publique à travers la diversification des fournisseurs au profit du secteur privé ou associatif.
Compétiteurs ou modernisateurs{19} ?
Selon les pays et les domaines, les formes du NMP sont extrêmement radicales ou plus nuancées.
Dans certains pays, les dépenses publiques sont considérées comme improductives. Le but est alors de les réduire totalement et de privatiser tout ce qui est fait par le public. Ces pays sont qualifiés de « compétiteurs ».
Dans d’autres pays, on pense qu’il faut « mélanger », appliquer au public certaines logiques du privé : ce sont les « modernisateurs ».
Les « compétiteurs », parmi lesquels on trouve le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande, donnent de l’importance à la concurrence dans le secteur public et favorisent les quasi-marchés, les nominations sur contrat des fonctionnaires et leur rémunération à la performance. Ils importent de façon enthousiaste les techniques de management du privé, comme l’assurance-qualité et le benchmarking{20}. Leur projet est de réduire fortement les services de l’État et de privatiser tout ce qui peut l’être, comme ce fut le cas pendant la période Thatcher au Royaume-Uni au début des années 1980 et quand le Parti national était au pouvoir en Nouvelle-Zélande au début des années 1990.
Les « modernisateurs » croient que l’État doit jouer un rôle mais veulent des changements importants dans la façon dont les systèmes administratifs sont organisés. Ces changements impliquent des réformes budgétaires axées sur la mesure des résultats et de la performance, l’assouplissement des « rigidités statutaires » dans les services publics, davantage de décentralisation ou de déconcentration des ministères vers des agences ou des collectivités locales, et une implication plus forte des citoyens. La nécessité d’une planification stratégique s’est aussi progressivement imposée. À l’intérieur de ce groupe de modernisateurs, certains pays comme la France donnent plus d’importance à la modernisation managériale dans un cadre hiérarchique et technocratique (en se centrant sur les systèmes, les outils et les techniques), alors que d’autres, comme les pays scandinaves, insistent davantage sur une modernisation participative, donnant plus de poids aux gouvernements locaux et à la mobilisation des citoyens. Le mouvement vers la privatisation des organisations étatiques est sélectif et gradué, donnant priorité à des formes intermédiaires entre public et privé.

Performance et concurrence

Les politiques conduites par le nouveau Parti travailliste et le gouvernement de Tony Blair au Royaume-Uni entre 1997 et 2007 présentent un système mixte de NMP. Elles se sont nourries des principes du nouveau management public tout en donnant une place plus importante à la dimension sociétale, à travers des politiques d’inclusion sociale et l’association plus grande des groupes d’intérêts et des citoyens dans des partenariats et des procédures de consultation publique.
Dans l’éducation, le management des établissements scolaires s’est développé en reprenant une conception de la performance fondée sur la concurrence et la quête de l’excellence héritée de la droite anglaise. Le système des League tables (comparaison de performances) et le système de financement des établissements en fonction des résultats ont été repris. Les travaillistes ont aussi accéléré la diversification du statut des établissements publics et renforcé le financement public des établissements privés pour stimuler la concurrence et donner le choix aux familles.
La priorité est donnée aux résultats et à la performance au détriment d’une gestion administrative des moyens. Les organismes publics doivent être surveillés et encadrés par des mécanismes contractuels. Cela entraîne aussi la réduction de la taille des unités administratives et leur mise en concurrence afin de faciliter le libre choix des usager·ères, la décentralisation des budgets et la délégation du pouvoir de décision à des managers locaux.
Comme la droite, le New Labour a décentralisé les budgets et créé des systèmes d’incitation à l’échelon local, mais il est demeuré plus interventionniste afin de ne pas laisser la régulation publique au seul marché. La fixation des résultats à atteindre s’est enrichie d’autres indicateurs et de benchmarks, alors qu’une stratégie nationale pour la littératie et la numératie{21} était mise en œuvre afin d’améliorer les compétences de base des élèves dans les disciplines fondamentales. La mesure de la valeur ajoutée par l’inspection systématique des établissements s’est renforcée alors que ces derniers étaient placés sous un régime étroit de surveillance et de sanctions par l’OFSTED{22}, l’agence pour l’évaluation et les standards, qui avait préalablement remplacé les corps d’inspection. Des exigences plus fortes ont été réaffirmées à l’égard des établissements scolaires « défaillants » en termes d’obligation de résultat. C’est une politique de l’obligation de rendre compte (accountability) qui s’est mise en place, non seulement en termes de résultats à atteindre mais aussi de responsabilisation des acteurs de l’éducation dans leurs actions et leurs décisions quotidiennes, tandis que davantage de pouvoir était confié aux chef·fes d’établissements et aux autorités locales.
Le salaire au mérite en Grande-Bretagne
Le Merit pay a été mis en œuvre au Royaume-Uni à partir des années 1980 dans le cadre d’une rémunération à la performance (Performance-Related Pay).
Afin d’attirer et de stabiliser une main-d’œuvre qualifiée et efficace, on a imaginé que de fortes récompenses donneraient l’occasion aux enseignant·es de s’investir davantage et de démontrer leurs compétences. L’objectif était d’attirer les meilleurs étudiant·es, de les retenir dans le système et de les motiver. Là-bas comme ici, hier comme aujourd’hui se posaient des problèmes importants de recrutement, que les étudiant·es attribuaient spontanément à la charge de travail, au comportement des élèves, mais aussi à la pression des méthodes managériales,...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Introduction
  4. Chapitre 1 – Changer, mais pourquoi ?
  5. Chapitre 2 – Les effets pervers de l'évaluation obsessionnelle et du salaire au mérite
  6. Chapitre 3 – Bien faire son travail
  7. Chapitre 4 – Construire aujourd'hui le commun
  8. Conclusion