Aung San Suu Kyi, l'armée et les Rohingyas
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Aung San Suu Kyi, l'armée et les Rohingyas

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Aung San Suu Kyi, l'armée et les Rohingyas

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À partir du mois d'août 2017, une offensive de l'armée birmane a provoqué le départ de plus de 624 000 Rohingyas vers le Bangladesh. Tandis que les Nations unies qualifiaient les violences à l'origine de cet exode de nettoyage ethnique, le monde entier découvrait le sort de cette minorité musulmane de Birmanie.Comment comprendre l'attitude d'Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix et figure centrale de la lutte pour la démocratie en Birmanie, aujourd'hui à la tête du gouvernement birman, passée d'un quasi silence à un discours mensonger ayant pour effet de couvrir les exactions de l'armée? Car elle est également à l'origine de la mise en place d'une commission consultative, présidée par l'ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, qui a demandé le rétablissement des Rohingyas dans leurs droits.Resituant les événements dans le contexte historique de la Birmanie, pays obsédé par la question de l'ethnicité, cet ouvrage offre un éclairage précieux sur la situation actuelle. Attentif aux ambiguïtés de la « Dame », il s'attache à montrer de quelle marge de manoeuvre elle dispose réellement, et quelle stratégie elle semble conduire. Une stratégie des petits pas?

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Informations

Chapitre 1
L’armée, protectrice autoproclamée de la nation

Comprendre les évolutions politiques de la Birmanie nécessite de s’intéresser aux revendications de ses minorités{4}. Ce pays de 676 552 km2, en effet, n’est pas peuplé que de Birmans{5}. Il faut compter avec les Shans, les Karens, les Rakhines, les Môns, les Chins, les Kachins, les Kayahs (ou Karennis) et d’autres qui, contrairement à ceux que l’on vient de citer, ne bénéficient pas d’États{6} portant leurs noms.
La population est donc répartie entre une majorité birmane qui habite la plaine centrale et les nombreuses minorités nationales établies plutôt dans les régions frontalières. La question de la coexistence des membres de l’ethnie birmane et des autres habitants du pays est, depuis l’indépendance, au cœur des difficultés de l’ancienne colonie britannique. Cette question cruciale avait tôt mobilisé celui que l’on présente volontiers comme le père de la nation birmane : le général Aung San, issu d’un mouvement indépendantiste surgi dans les années 1930. Aung San s’était allié aux Japonais pour expulser les Britanniques avant de s’associer à ceux-ci pour mettre fin à l’occupation japonaise. Négociateur des accords qui allaient mener à l’indépendance, il avait convaincu les Britanniques de ne pas séparer la plaine centrale des régions frontalières et se souciait d’obtenir l’adhésion des minorités à un projet d’union nationale transcendant les origines ethniques. Une conférence fut donc mise sur pied à Panglong, dans l’État shan, près d’un an avant l’indépendance. Le résultat n’en était certes pas parfait : parmi les représentants des minorités, seuls les Shans, les Kachins et les Chins signèrent l’accord du 12 février 1947 qui prévoyait le fédéralisme{7}. Mais c’était déjà un pas dans la bonne direction.
L’esprit de Panglong ne serait finalement pas respecté. Le 19 juillet 1947, Aung San était assassiné avec les membres de son cabinet{8}. U Nu, qui avait milité à ses côtés dès l’université, lui succéda, et l’une de ses premières décisions fut de confier à un nouveau rédacteur la tâche de réécrire la Constitution. Le fédéralisme n’y fut plus qu’apparent : la nouvelle version du texte constitutionnel comprenait des clauses couvrant toutes les affaires des États constituants. En bref – comme le confiait le nouveau rédacteur U Chan Htun à l’historien Hugh Tinker{9} –, le pays, bien qu’en théorie fédéral, était en pratique unitaire.
La jeune démocratie birmane fut rapidement minée par les conflits internes : rébellions communistes{10}, mais aussi organisations armées issues des minorités et décidées à faire valoir leurs droits, « l’esprit de Panglong, qui contenait la promesse d’une démocratie fédérale multiethnique [ayant] été entièrement abandonné{11} ». Le gouvernement birman finit ainsi par ne plus être considéré, rapportent Claude Delachet-Guillon et Emmanuel Guillon, alors expatriés, que comme un simple « gouvernement de la ville de Rangoun{12} ». Les insurgés, en effet, arrivèrent jusqu’aux portes de la capitale. U Nu finit par faire appel à l’armée, semble-t-il sous la pression de celle-ci.
Les Birmans apprirent donc le 26 septembre 1958 qu’ils étaient passés sous contrôle militaire. Dix-huit mois passèrent, avant que les élections de 1960 ne ramènent U Nu au pouvoir. Sa gestion des affaires publiques, précise l’universitaire David I. Steinberg, ne pouvait cependant que favoriser une prise de pouvoir définitive par l’armée : « L’administration était faible et inefficace. L’économie se portait mal, les rébellions se multipliaient, et l’armée, qui était l’institution la mieux organisée de l’État, était préoccupée{13}. » L’attachement du Premier ministre au bouddhisme n’arrangeait pas les choses, U Nu partant « s’enfermer [...] dans un monastère, chaque fois qu’un problème [était] trop grave{14} » – sa volonté d’imposer le bouddhisme comme religion d’État contribuant en outre à déclencher de nouveaux conflits armés.
Le coup d’État eut lieu le 2 mars 1962. Sa justification était la volonté de préserver l’unité nationale : U Nu devait, ce jour-là, rencontrer les représentants de différentes minorités pour discuter de la possibilité qui leur avait été accordée par la Constitution de 1947 de faire sécession au terme de dix ans d’appartenance à l’Union de Birmanie. Raison véritable ou prétexte ? David I. Steinberg estime que les militaires « pensaient que U Nu accorderait aux minorités leur droit de sécession et que cela aboutirait au “chaos”. La perspective du chaos a été et est toujours à la fois une peur réelle et une excuse pour les militaires. D’autres ont fait valoir que le gouvernement n’avait pas l’intention de permettre à l’Union de se dissoudre, mais aurait pu être prêt à offrir davantage d’autonomie aux États constituants, et que la question des minorités n’était pas la cause réelle mais seulement une excuse pour la prise du pouvoir{15} ». Si la volonté de pouvoir du général Ne Win ne saurait être sous-estimée, c’est sa crainte de voir le fédéralisme entraîner la destruction de l’Union de Birmanie qu’il invoqua comme motif de l’action entreprise{16}.
Ne Win mena le pays – qu’on estimait alors promis à un grand avenir – à la ruine. Sa « voie birmane vers le socialisme » – « un mélange éclectique d’idées abstraites incorporant souches bouddhistes, socialistes et autres dans un pot-pourri difficile à comprendre » selon Steinberg – en fit l’une des nations les plus pauvres du monde, et ce bien que la Birmanie n’ait pas manqué d’atouts, étant notamment riche de ses matières premières. Les militaires s’employèrent en outre à soumettre par la force les groupes armés issus des minorités en appliquant la stratégie des « quatre privations » : privation d’accès à la nourriture, aux financements, à l’information et aux possibilités de recrutement. Un désastre pour les populations civiles des régions concernées, soumises à l’étroite surveillance – et à l’arbitraire – de soldats agissant en véritables forces d’occupation.
En 1988, le gouvernement retira soudainement de la circulation les billets de 25, 35 et 75 kyats. Une décision motivée, rappelait le journaliste Win Tin (aujourd’hui décédé), par la volonté « d’enrayer le développement du marché noir, qui [profitait] notamment aux mouvements rebelles{17} ». Aucune compensation n’étant prévue pour les épargnants, le milieu des trafiquants ne fut pas le seul à être touché. À cette mesure s’ajoutèrent les conséquences d’une rixe survenue dans un salon de thé, l’enchaînement des événements aboutissant à la mort d’un étudiant, Phone Maw, abattu par la police antiémeute. Désormais « la révolution était dans l’air », se souvient le journaliste Aung Zaw, alors étudiant{18}.
De fait, l’année 1988 fut marquée par d’importantes manifestations, à Rangoun d’abord puis dans tout le pays. En juillet, Ne Win annonça qu’il renonçait à la direction du parti au pouvoir – le Parti du programme socialiste birman (BSPP), qu’il avait lui-même mis en place. « S’il s’agissait là de calmer le pays, l’effet fut inverse », se souvient Aung Zaw. Car Ne Win, dans son discours de résignation, déclara de façon provocante : « Je veux que la nation entière [...] sache que s’il se produit davantage de désordres, l’armée tirera, et [...] qu’il ne s’agira pas de tirs en l’air{19}. »
La suite montra que Ne Win avait dit vrai, un important massacre se produisant le 8 août 1988{20}. « Parmi les étudiants ayant pris part aux manifestations [...], nombreux étaient ceux qui arboraient le portrait d’Aung San », se rappelle Aung Zaw. « L’un des slogans que nous ne cessions de crier était : “Aung San n’a pas entraîné l’armée à tuer sa propre population !”{21} »
Or la fille du général, mariée à un tibétologue britannique et établie à Oxford, était de retour au pays pour assister sa mère mourante. Elle se rendit à l’hôpital général de Rangoun, où les soldats avaient ouvert le feu, avant de délivrer son premier discours public à la pagode Shwedagon devant une foule immense. Ce 26 août 1988, elle déclara qu’elle ne pouvait pas, au nom de son père, rester neutre devant ce qui se passait.

Chapitre 2
Aung San Suu Kyi et la nécessité d’écouter les minorités

Aung San Suu Kyi n’a pas connu son père, mort alors qu’elle avait deux ans. Mais sa réflexion s’est nourrie du parcours de celui-ci, de ses écrits et de ses déclarations. Au terme d’une enfance passée en Birmanie et après avoir accompagné sa mère, alors ambassadrice, en Inde, elle s’établit brièvement en Angleterre pour étudier la philosophie, la politique et l’économie à l’université d’Oxford avant de travailler un temps aux Nations unies puis de suivre le chercheur Michael Aris, qu’elle avait épousé, au Bhoutan. Elle retourna en Grande-Bretagne pour la naissance de ses deux fils{22} et commença à travailler sur une biographie de son père, qui parut en 1984. On y lit : « Aung San avait toujours attaché une grande importance à l’entente entre les différents groupes ethniques, il savait qu’elle était essentielle pour l’unité de la nation. Dans son “Plan pour la Birmanie” rédigé [...] en 1940, il soulignait déjà la nécessité de “combler les abîmes creusés par les machinations britanniques{23} entre la principale ethnie birmane et les tribus des montagnes, les États shan et de l’Arakan, et de les unir tous en une seule nation, sur un pied d’égalité”{24}. » Cette attention à la question des minorités, héritage de son père, se retrouvait dans son discours inaugural du 26 août 1988 : « J’aimerais aborder la question de l’union des États qui composent la Birmanie. Les différents peuples de Birmanie doivent [...] rester unis. Certes, le peuple majoritaire est celui des Birmans. Mais il faut qu’il parvienne à coexister harmonieusement avec les autres peuples. Cela demande beaucoup de persévérance. Et son statut de peuple majoritaire devrait justement l’inciter à redoubler d’efforts pour réaliser ce qui nous est si nécessaire, l’unité, l’amitié et l’entente cordiale entre les différents groupes ethniques du pays{25}. »
Avec ce discours – qui n’était cependant pas centré sur la question des minorités –, Aung San Suu Kyi se fit connaître d’une population qui, jusque-là, ne savait pas grand-chose d’elle. Aung Zaw se rappelle qu’un étudiant qui se rendait à ses côtés à la pagode Shwedagon se demandait même si la fille d’Aung San était capable de parler le birman{26}. « Comme j’ai passé la plus grande partie de ma vie à l’étranger et que je me suis mariée à un étranger, certains disent que je connais mal l’imbroglio politique de ce pays », déclara Suu Kyi, consciente des interrogations la concernant{27}. « Certains peuvent donc me demander pour quelle raison je me suis finalement engagée dans le mouvement démocratique. Je leur répondrai que la crise actuelle concerne la nation tout entière et qu’en tant que fille de mon père je ne saurais rester indifférente aux événements. Car la crise nationale que nous traversons est une sorte de second combat pour l’indépendance{28}. » Il fallait que, face à l’oppression militaire, le peuple soit uni dans l’objectif d’obtenir la démocratie.
L’effet de cette première grande intervention publique fut immédiat. « En arrivant ce jour-là à la pagode Shwedagon, Suu Kyi n’était peut-être rien de plus qu’une simple curiosité. Mais lorsqu’elle repartit, elle était devenue la dirigeante d’un mouvement d’opposition revigoré », se souvient Aung Zaw{29}. Ce qui n’avait rien d’évident au vu des mœurs birmanes, les f...

Table des matières

  1. Sommaire
  2. Introduction
  3. Chapitre 1 L'armée, protectrice autoproclamée de la nation
  4. Chapitre 2 Aung San Suu Kyi et la nécessité d'écouter les minorités
  5. Chapitre 3 Une ouverture politique spectaculaire et limitée
  6. Chapitre 4 L'apparente métamorphose d'Aung San Suu Kyi : un extrême pragmatisme ?
  7. Chapitre 5 Une minorité privée de tous ses droits
  8. Chapitre 6 L'embrasement
  9. En guise de conclusion
  10. Remerciements