La fin du journalisme ?
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La fin du journalisme ?

Dérives numériques, désinformation et manipulation

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La fin du journalisme ?

Dérives numériques, désinformation et manipulation

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L'information traverse une crise majeure. Alors que la presse et l'audiovisuel perdent des recettes et une grande partie de leur audience, les plate-formes numériques attirent un vaste public et diffusent massivement des nouvelles sans contrôle ni vérification, donnant libre cours à de multiples formes de manipulation. Qui plus est, elles collectent des ressources considérables en exploitant des millions de données appartenant aux internautes.En France et en Europe, la réflexion sur la révolution numérique ne fait que commencer alors que celle-ci bouleverse déjà la vie sociale. Antoine de Tarlé propose, en s'appuyant notamment sur des études de chercheurs américains, une analyse neuve et stimulante d'une situation d'une gravité extrême. Car au-delà du journalisme, c'est la démocratie qui est menacée.

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Informations

ISBN
9782708252783

Chapitre 1
Un peu d’histoire

On date de 1995 l’arrivée d’Internet dans le monde de l’information. Jusqu’alors, ce système mis en place en 1974 grâce à un protocole élaboré par deux chercheurs américains, Vint Cerf et Robert Kahn, et financé par le Pentagone, servait essentiellement à des échanges entre scientifiques. L’aménagement de ces protocoles permit leur ouverture au public et amorça une révolution dont personne à l’époque, ne mesura l’ampleur et qui continua pendant des années à être financée par le Département américain de la Défense par l’intermédiaire de son agence spécialisée, le Darpa. Contrairement à ce qu’imaginaient les premiers apôtres du Web, libertaires assumés, Internet n’a pas été le produit des initiatives du capitalisme libéral ou d’aventuriers de la science mais s’est constamment développé et adapté avec l’appui des plus hautes instances américaines et surtout des services de la Défense{5}.
Les journaux européens et américains adoptèrent le nouveau dispositif très vite et avec enthousiasme. Ils y virent tout naturellement un prolongement peu coûteux du papier. Il suffisait de mettre sur la Toile les articles et les photos déjà rassemblés et numérisés pour la publication et de financer cette offre complémentaire par une publicité spécifique complémentaire elle aussi du papier. La plupart des titres estimèrent que dans ces conditions on pouvait se permettre d’offrir ce service gratuitement. Pourquoi faire payer aux lecteurs un complément qui ne coûtait rien ? Les journaux français, pour leur part, étaient déjà habitués au minitel mis en place à partir de 1980 et qui se révéla très profitable pour eux grâce à un mode de rémunération de leurs services organisé à leur demande par les pouvoirs publics et grâce aussi, pour de nombreux titres, à l’exploitation du minitel rose, ancêtre des sites de rencontre d’aujourd’hui. Le Web leur apparut comme un progrès indéniable en raison de sa souplesse et de sa facilité d’accès. Ils opérèrent donc en quelques années le transfert de la télématique{6} au numérique d’Internet.
Cette démarche de la presse se déroula en parallèle avec les initiatives des premiers utilisateurs du Web dont la vision était différente. Ces derniers se considéraient en effet comme des pionniers ouvrant la voie à un vaste champ d’expérimentation fondé sur la liberté totale des échanges et des contenus. Pour beaucoup d’entre eux, un contrôle de l’État ou d’une éventuelle instance de régulation était l’équivalent d’un acte criminel, une forme de fascisme qu’il fallait combattre impitoyablement. Le Web apparaissait comme la terre promise de tous les aspirants libertaires qui disposaient d’un espace illimité et gratuit pour s’exprimer. Il ne manqua pas de prophètes californiens, opérant autour des universités de Stanford et de Berkeley et de ce lieu qu’on baptisa alors la Silicon Valley pour annoncer le triomphe imminent de l’information libre et universelle. En 2010, un de ces observateurs, Larry Diamond, expliquait encore que « les nouveaux instruments numériques allaient permettre aux citoyens d’apporter des informations, d’exposer des abus, de mobiliser les protestataires, de surveiller les élections... d’élargir l’horizon de la démocratie{7} ».
Cette euphorie fut de brève durée. Dès le début du xxie siècle, il apparut aux observateurs les plus lucides que le fonctionnement d’Internet était plus compliqué que prévu et que son exploitation débouchait plus naturellement sur une révolution que sur une simple réforme des modes de communication permettant un essor sans fin de la libre expression. À l’époque, on citait volontiers le sénateur américain Howard Dean qui déclarait qu’« Internet c’était Gutenberg sur stéroïdes ». En fait, c’était beaucoup plus que cela. Non pas le simple remplacement du texte imprimé comme l’avaient imaginé les journaux mais un changement du fonctionnement de la société affectant toutes les activités humaines.
Dans un livre publié en 2009 qui fit date, le journaliste Bernard Poulet exprima de façon très juste les premiers doutes sur les ambiguïtés d’Internet : « Il y a pourtant quelque chose de troublant dans ce mariage des rêves les plus utopiques, libertaires, égalitaires et ultra démocratiques avec des entreprises qui sont avant tout de fabuleuses machines à cash{8}. » Après avoir cité les témoignages enthousiastes de Français de la Silicon Valley, il soulignait déjà l’ampleur de la crise qui ravageait les médias traditionnels en Europe et aux États-Unis et qui justifiait le titre de son ouvrage : La Fin des journaux.
Deux phénomènes distincts mais complémentaires marquèrent les esprits à partir de 2000-2001. Le premier fut le lancement aux États-Unis du site d’annonces gratuites Craigslist. Son succès foudroyant eut pour conséquence de vider littéralement les pages des quotidiens des annonces classées qui faisaient jusqu’alors leur fortune mais qui étaient coûteuses pour les usagers et difficiles à consulter en raison de leur présentation peu ergonomique. Le cahier dominical de 400 pages du Sunday New York Times diminua de 80 % en quelques années, mettant le prestigieux journal de la côte Est dans une situation proche de la faillite dont il peine encore aujourd’hui à se relever. D’autres titres disparurent ou réduisirent drastiquement leurs équipes rédactionnelles.
Il apparut de manière de plus en plus évidente que non seulement les annonces classées mais aussi la publicité commerciale n’étaient plus le monopole quasi exclusif des médias mais pouvaient être exploitées par un nombre croissant d’acteurs n’ayant aucun lien avec l’information et aucune préoccupation humaniste ou philanthropique. Il en résultait une remise en cause radicale de l’économie des supports d’information telle qu’elle avait fonctionné depuis un siècle et demi lorsqu’Émile de Girardin avait créé la presse à un sou financée par la « réclame »{9}. Or, ce n’était qu’une première étape de la remise en cause d’une multitude de positions qu’on croyait acquises pour toujours et qui s’effondrèrent les unes après les autres en quelques années.
L’autre phénomène fut illustré par la couverture des attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington. Ceux-ci étant par définition imprévisibles, les chaînes de télévision et les sites Internet des médias firent appel aux films et photos enregistrés par les témoins avant que leurs propres équipes arrivent sur les lieux du drame. Pour la première fois, une forme de journalisme citoyen fit son apparition, grandement facilitée par la souplesse du Web. Un second monopole, celui des journalistes professionnels, en fut durablement ébranlé. Analysant ces changements, Bernard Poulet observait que : « C’est la démocratisation supposée de l’information et le triomphe d’un relativisme journalistique qui ont donné une légitimité à l’explosion des blogs, sites animés en général par des journalistes amateurs{10}. »
Bien évidemment, l’Europe ne pouvait rester à l’écart de ces mutations. En 2005, les attentats de Londres suscitèrent une masse importante de vidéos et photos prises par des amateurs et achetées souvent au prix fort par les médias traditionnels soucieux de répondre le plus vite possible à une soif d’images réclamées par des millions d’internautes. Désormais, des millions d’images fixes ou mobiles, vraies ou falsifiées, circulèrent en permanence sur la Toile. Avec l’arrivée du smartphone équipé d’une caméra en 2007, la captation d’images digitales liées à l’actualité cessa d’être le privilège des photojournalistes et fut à la portée de n’importe quel passant témoin d’une scène spectaculaire.
De même, l’apparition de sites d’annonces gratuites dont l’exemple le plus connu est Leboncoin créé en 2007 en France par le groupe norvégien Schibsted entraîna avec quelques années de décalage par rapport aux États-Unis la fuite des annonces classées du papier, faisant perdre des dizaines de millions d’euros à des titres comme Le Figaro, l’Express ou Ouest-France. Pour prendre le seul exemple du Figaro, ses recettes d’annonces classées passèrent de 95 millions en 2003 à 25 millions en 2007 ce qui l’obligea, comme ses concurrents, à augmenter fortement son prix de vente en prenant le risque de perdre des dizaines des milliers de lecteurs découragés par le coût croissant de la presse écrite.
Des deux côtés de l’Atlantique, la crise économique de la presse prit donc une ampleur croissante, provoquant des disparitions de titres et la suppression de milliers de postes de journalistes. Entre 2008 et 2017, la population des journalistes, aux États-Unis, est passée de 114 000 à 88 000, et cela à un moment où le rôle de ceux-ci recommençait à être reconnu comme indispensable par tous ceux qui se souciaient de la sauvegarde du débat démocratique et qui s’exprimaient notamment dans la Columbia Journalism Review et le Nieman Lab{11}. La presse régionale aux États-Unis, les magazines d’information en Europe et en Amérique comme le Spiegel, l’Express ou Newsweek furent particulièrement frappés, perdant simultanément des lecteurs et des recettes publicitaires venant s’ajouter à l’hémorragie des annonces classées qui était antérieure et qui affecta particulièrement l’Express.
Il était évident qu’Internet, loin d’apporter un élan nouveau à la presse traditionnelle, détruisait ses bases économiques par la combinaison de la circulation gratuite des nouvelles et de la disparition de la publicité commerciale partie sur les grandes plateformes numériques. Quant aux sites Internet des journaux qui semblaient à la fin des années 1990 constituer une solution idéale de diversification, ils bénéficiaient d’une bonne audience mais n’apportaient que de faibles recettes, loin de compenser les pertes du papier.
Au même moment, on vit apparaître des sites d’information sans lien avec la presse écrite, des « pure players », dans un climat de concurrence exacerbée. En France, le lancement de Mediapart en 2007 fut un signal fort, révélateur d’un changement d’époque. Edwy Plenel, l’ancien directeur de la rédaction du Monde, renonça en effet à créer un journal sur papier comme il en avait eu initialement l’intention et prit le pari risqué de lancer Mediapart en refusant la publicité et en se finançant uniquement par abonnements. Sa décision, motivée surtout par des motifs idéologiques et par la volonté de ne pas dépendre des annonceurs, se révéla finalement très judicieuse sur le plan économique dans la mesure où, de toute façon, la publicité désertait les sites de presse. En 2018, Edwy Plenel indiquait que le site comptait 140 000 abonnés et dégageait des bénéfices importants d’environ 2 millions d’euros par an.
Aux États-Unis, le succès d’entreprises comme Politico, Vox ou le Huffington Post montra qu’on pouvait proposer une offre éditoriale de qualité avec d’excellents journalistes, souvent issus de la presse écrite, sans passer par le papier. Cependant, Mediapart ou Politico ne s’adressent qu’à un public limité, passionné d’enquêtes et prêt à payer pour bénéficier d’un meilleur service. Ils ne constituent donc qu’une solution partielle à la crise globale de l’information des citoyens. Un rapport du Reuters Institute soulignait déjà en 2011 que la révolution numérique risquait d’accroître dangereusement l’écart entre les personnes bien informées, abonnées à la presse papier et simultanément, aux meilleurs sites sur Internet et le grand public dépendant des sites gratuits de moins bonne qualité et, de plus en plus, des réseaux sociaux et des messageries. Cette observation est toujours d’actualité en 2018. Le développement des services payants n’a fait que creuser l’écart entre une minorité nantie et surinformée et une majorité réduite à des bribes de nouvelles souvent manipulées par des opérateurs anonymes et sans scrupules.
Dix ans après le début de l’exploitation du réseau Internet par les médias traditionnels, il était devenu évident que les mécanismes de la création et de la distribution de l’information étaient en train de changer de nature dans des conditions que personne n’avait vu venir. De nouveaux pôles de création et d’échange se mettaient en place sans qu’on puisse en mesurer la viabilité et donc la pérennité. Le principe de gratuité de l’information sur la Toile, plébiscité par les internautes, était remis en cause. On commença en effet à s’apercevoir que la qualité d’une rédaction faisait aussi la différence sur le Web et qu’il fallait donc accepter de payer les journalistes à un juste prix, ce que la gratuité ne permettait pas.
Le premier grand ordonnateur de ce nouvel état de choses fut Google qui vint assez vite à bout de Yahoo, son principal concurrent. Ce moteur de recherche, ultra puissant puisqu’il concentre en France comme aux États-Unis 90 % des requêtes, proposa une sélection d’informations baptisée Google News, à l’instar de Yahoo News. Ce service fournissait les titres et le début des articles puisés dans des centaines de médias, à charge pour le lecteur de se reporter à la publication en question pour lire l’ensemble du texte. Ce dispositif qui en 2006 bénéficiait déjà de l’apport de 4 500 publications fut très vite contesté par les médias. Ceux-ci constatèrent que trop souvent les lecteurs se contentaient de lire l’accroche fournie gratuitement par Google et ne prenaient pas la peine d’aller sur leur site pour lire le reste et donc apporter des recettes publicitaires bien nécessaires à la survie du support. Des tentatives de boycott de Google furent même engagées par les médias allemands et espagnols. Les Allemands y renoncèrent rapidement quand ils constatèrent que l’audience de leurs sites chutait de 30 à 50 %. Aujourd’hui, Google News est encore utilisé sur une base hebdomadaire par 13 % des usagers aux États-Unis et 10 % en Europe{12}.
On prêta en revanche moins attention à l’usage massif du moteur de recherche pour trouver l’information précise sur un sujet donné en faisant totalement abstraction du support de presse concerné. On découvrit alors que le tout-numérique effaçait en quelque sorte les marques de presse. On commença à entendre « cette information, je l’ai trouvée sur Google » alors que la plateforme n’employait aucun journaliste et se contentait d’exploiter les richesses des médias. Dans ce cas aussi, le monopole des marques de presse était remis en cause d’une manière définitive. On estime qu’en Europe, seuls 37 % des utilisateurs des moteurs de recherche se souviennent de la marque des médias dont les informations se trouvent sur ces moteurs{...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Avant-propos
  4. Chapitre 1 Un peu d'histoire
  5. Chapitre 2 Les données humaines sont une marchandise
  6. Chapitre 3 Manipulations politiques et crise de l'information
  7. Chapitre 4 La destruction de l'information
  8. Chapitre 5 Vers un nouveau régime de l'information
  9. Conclusion