Croire, mais en quoi ?
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Croire, mais en quoi ?

Quand Dieu ne dit plus rien

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Croire, mais en quoi ?

Quand Dieu ne dit plus rien

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À propos de ce livre

Que signifie croire dans un monde qui n'est plus sĂ©parĂ© en deux, d'un cĂŽtĂ© le profane et ses contingences matĂ©rielles et de l'autre le sacrĂ© et ses prĂ©occupations spirituelles? De quoi peut tĂ©moigner la foi chrĂ©tienne dans une sociĂ©tĂ© oĂč « la Bourse est devenue un temple et le foot une grande messe »? C'est Ă  cette question essentielle que se confronte Albert Rouet, celle de la sĂ©cularisation.En se dĂ©marquant de la volontĂ© de constituer des citadelles chrĂ©tiennes pour faire face Ă  l'indiffĂ©rence, l'ancien archevĂȘque de Poitiers trace une voie autre: faire du dialogue avec Dieu, le lieu oĂč l'existence se creuse, une expĂ©rience oĂč l'insatisfaction du dĂ©sir n'est pas comblĂ©e par la possession et la consommation toujours plus grandes d'objets. Car, « quand les hommes disent ne plus croire Ă  rien, il leur reste encore Ă  mieux devenir des humains ».Dans un climat oĂč l'indiffĂ©rence massive Ă  l'Ă©gard de la religion suscite l'exaltation identitaire, Albert Rouet propose une voie singuliĂšre: vivre la foi chrĂ©tienne dans des gestes quotidiens, dĂ©sirables, c'est-Ă -dire bons pour vivre.

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Informations

ISBN
9782708252776

Seconde partie

Regards croisés sur la sécularisation

AprĂšs un bref parcours historique, la sĂ©cularisation, au sens propre, apparaĂźt comme un fait nouveau, liĂ© aux conditions culturelles et sociales de la modernitĂ©. La percevoir plus haut dans l’histoire est excessif Ă  cause de la forte prĂ©sence du sacrĂ© et d’une organisation sociale collective voire unanimiste. Le monde sĂ©cularisĂ© n’est pas uniforme. D’abord, la sĂ©cularisation y revĂȘt trois formes diffĂ©rentes, la sĂ©cularisation installĂ©e, triomphante et involutĂ©e, qui peuvent coexister et se mĂȘler. Ensuite, la perception de la sĂ©cularisation varie beaucoup selon les approches qui en sont faites.
En effet, les analyses vont depuis l’acceptation de cette rĂ©alitĂ© jusqu’à son dĂ©ni. Il arrive que des croyants la perçoivent simplement suivant les vieux schĂ©mas de l’incroyance ou de l’indiffĂ©rence religieuse, c’est-Ă -dire selon une absence de foi plus ou moins hostile, ou un dĂ©sintĂ©rĂȘt pour une religion spĂ©cifique. Au xixe siĂšcle, l’indiffĂ©rence caractĂ©risait non pas l’absence de toute curiositĂ© religieuse et de toute attention Ă  la question du divin, mais l’attitude qui estimait indiffĂ©rente l’appartenance Ă  telle ou telle religion, puisqu’elles Ă©taient tenues pour Ă©quivalentes.
Les stratĂ©gies pastorales face Ă  la sĂ©cularisation dĂ©pendent donc de l’analyse de la situation actuelle. Pour ceux qui ne voient aujourd’hui que la continuation ou la rĂ©pĂ©tition de combats anciens, l’attitude pastorale consiste Ă  reprendre, sous une forme juste modernisĂ©e, les arguments et les pratiques qui, aprĂšs la RĂ©volution française, avaient pour objectif de restaurer le christianisme. C’est oublier que les temps ont profondĂ©ment changĂ©. C’est, en outre, se faire illusion sur les rĂ©elles transformations des cƓurs que peuvent entraĂźner de spectaculaires manifestations. Car – autre fait nouveau – d’autres religions, Ă  commencer par l’islam, remplissent, dit-on, leurs temples et dĂ©bordent sur les voies publiques. Mesure-t-on alors qu’en rĂ©agissant comme les autres cultes, le christianisme se banalise Ă  se comporter comme eux ? Ce qui fut valable jusqu’à l’apparition de la sĂ©cularisation dĂ©cline en pertinence quand elle est prĂ©sente. Un exemple pris au loin illustrera ce dĂ©calage. Il date d’avant la sĂ©cularisation, mais son Ă©clairage rĂ©side en ce que, face Ă  une question posĂ©e Ă  la foi, aucune rĂ©ponse appropriĂ©e n’est apportĂ©e. C’est ce mĂȘme dĂ©calage qui se rĂ©pĂšte aujourd’hui.
Un auteur canadien, Michel Langlois, dĂ©crit l’histoire d’une famille de QuĂ©bec, entre 1888 et 1940. Dans la ville, l’Église rĂšgne en maĂźtresse incontestable. Elle y gĂšre des Ɠuvres de charitĂ© efficaces. Elle s’oppose Ă  la libertĂ© d’expression, Ă  la culture moderne et Ă  la promotion fĂ©minine, tout cela au nom de la « morale ». Dans le chapitre 1918-1924, l’auteur rapporte qu’une des premiĂšres femmes mĂ©decins cherche Ă  ouvrir un dispensaire pour les enfants des familles les plus pauvres. Pendant ce temps, un incendie criminel consume la basilique de QuĂ©bec qui est rapidement rebĂątie grĂące Ă  la gĂ©nĂ©rositĂ© publique. Le chroniqueur conclut ainsi :
On se prĂ©occupe du bien-ĂȘtre de Dieu, qu’on ne voit pas et qui, en tant que pur esprit, n’a certainement pas besoin de chauffage, et on ne se soucie pas d’une foule de gens qui nous entourent. Je dĂ©plore que nos prĂȘtres ne semblent mĂȘme pas s’inquiĂ©ter Ă  ce sujet. Dire que si j’osais parler de cela dans le journal, on me prendrait en grippe et je risquerais mĂȘme de perdre ma place. Il y a des situations dĂ©plorables et honteuses qu’il faut malheureusement taire et je me demande bien pourquoi{43}.
L’argument est ancien, trĂšs ancien mĂȘme. Le prĂȘtre de la famille trouve que « c’est la volontĂ© de Dieu » : premier dĂ©calage entre la question sociale aiguĂ« et un prĂȘtre ligotĂ© au culte et Ă  son propre statut. Ensuite, le chroniqueur-journaliste risque sa place s’il pose cette question : deuxiĂšme dĂ©calage avec la libertĂ© d’expression. La basilique est reconstruite encore plus belle, quand, sur un fond d’inĂ©galitĂ©s sociales, se dĂ©veloppent les trains, les avions, les automobiles, le tĂ©lĂ©phone ; Ă  ces progrĂšs rĂ©pond l’immobilisme de clercs qui font de leur mieux ce qu’ils ont toujours fait : troisiĂšme dĂ©calage.
À distance de dĂ©cennies, il est Ă©videmment plus facile de montrer ces Ă©carts entre une sociĂ©tĂ© qui avance et un clergĂ© qui se crispe sur ses positions dominantes. On allait vers la rupture. Il convient de se demander si, devant la sĂ©cularisation, l’Église n’est pas en train de crĂ©er un dĂ©calage analogue, en cherchant Ă  remĂ©dier aux problĂšmes nouveaux par des solutions obsolĂštes, faute de percevoir et d’accepter la nouveautĂ© de ce qui se passe. Une rĂ©action dangereuse consiste Ă  ramener le prĂ©sent Ă  une problĂ©matique d’hier. Il est vrai que les ministres de l’Église sont submergĂ©s par les demandes rituelles d’offices, au point de s’y extĂ©nuer et de ne plus avoir le recul indispensable. Il serait judicieux que les pratiquants s’interrogent sur la pression qu’ils imposent Ă  nos prĂȘtres. Un curĂ© du Jura suisse avouait : « Parce qu’ils paient l’impĂŽt [religieux] cantonal, les chrĂ©tiens disent avoir droit aux sacrements quand ils le veulent. » On arrive Ă  une exigence identique, mĂȘme sans impĂŽt...
C’est donc l’Église entiĂšre qui est interrogĂ©e par la sĂ©cularisation, de son type de prĂ©sence Ă  ses activitĂ©s, de l’annonce de l’Évangile jusqu’à sa foi elle-mĂȘme. De temps Ă  autre, je reçois, sous enveloppe kraft, des lettres de vingt Ă  trente pages, posant Ă  peu prĂšs les mĂȘmes questions : la toute-puissance de Dieu, la virginitĂ© de Marie, la descente aux enfers... bref, les Ă©noncĂ©s de la foi dans le Credo. Les auteurs de ces missives appartiennent presque tous Ă  la catĂ©gorie des retraitĂ©s, souvent de formation scientifique, interrogatifs devant l’absence de pratique religieuse de leurs enfants et petits-enfants. Ils sont mal Ă  l’aise devant le vocabulaire de la foi. Mais il y a une foi. Elle bute sur les mots et le manque de connaissance de l’histoire qui a choisi ces termes.
Ce n’est plus la situation des plus jeunes. De l’éducation transmise, ils ont retenu des « valeurs », comme on dit : altruisme, honnĂȘtetĂ©, primat de l’amour... Donc une morale. Ce serait trop vite parler que de conclure « qu’ils n’ont pas la foi ». Ils adhĂšrent Ă  ces vertus et sont capables de les mettre en action. Mais ils croient – c’est-Ă -dire font confiance – Ă  autre chose. Leur foi s’est dĂ©portĂ©e vers les relations rĂ©ciproques. Elle cherche une alliance. Si le mot « Dieu » est absent de leur vocabulaire, cela ne signifie pas que le dĂ©sir d’infini et le goĂ»t de sortir de soi les aient abandonnĂ©s{44}. Ils vivent dans la sĂ©cularisation.
À cette situation, il n’existe pas de solution unique et gĂ©nĂ©rale. Seulement des approches, des attitudes nouvelles, une posture diffĂ©rente. Il faut donc inventer. C’est pourquoi cette seconde partie ne se prĂ©sente pas sous forme d’une thĂ©orie pastorale complĂšte. Elle propose des dĂ©buts de dĂ©frichages avant de tracer des pistes sĂ»res, des tentatives de-ci de-lĂ  avant de bĂątir une synthĂšse encore impossible. D’ailleurs, les conclusions assurĂ©es ne s’esquissent qu’aprĂšs un long parcours, le plus souvent quand les problĂšmes s’extĂ©nuent et disparaissent !

Chapitre 4
Y a-t-il un lieu pour dire Dieu ?

« Les mots, pour circonscrire l’élĂ©ment inconnu, manquent de sens – ou, plutĂŽt, ils ont Ă©tĂ© si souvent utilisĂ©s qu’ils ont perdu une partie de leur force de conviction. Les mots sont usĂ©s par le temps, comme les galets de la riviĂšre Tescou qui coulait au bas de la maison de mon enfance, polis par le flot de la littĂ©rature, la philosophie, la religion. Leur usure fait leur qualitĂ©, elle trace leur limite. »
Philippe Labro, Le Flûtiste invisible,
Paris, Gallimard, 2013, p. 84.
Avec les galets de la riviĂšre, les habitants tapissaient les ruelles et les porches des villages, ou ils les incrustaient dans le crĂ©pi de leurs maisons. Des ornements. Ce qu’on appelle « la langue de bois » n’indique pas tant la complexitĂ© des propos que cette vaine ornementation goĂ»tĂ©e seulement par ceux qui la plaquent sur la nuditĂ© de leur sol ou de leurs murs.
C’est ainsi que la sĂ©cularisation traite de Dieu, en s’avançant en deux directions. PremiĂšrement, sur le terrain oĂč elle progresse, sol livrĂ© aux analyses ou bĂ©tonnĂ© de technique, elle se passe de Dieu, n’en voit pas l’intĂ©rĂȘt, ne redoute plus les Ă©clats de ses sectateurs. Ces agitations la laissent indiffĂ©rente. Comme ornements, ensuite, elle y prend un certain plaisir, celui des Ă©motions et de l’histoire. Elle apprĂ©cie les « prĂȘtres Ă  l’ancienne » (comme la moutarde !) qui font revivre sous ses yeux les beautĂ©s fanĂ©es que goĂ»tĂšrent les Ăąges passĂ©s.
Dieu ne dit rien. Ce qu’on pourrait en dire doit se fier aux antiques canons d’un hier imaginĂ©. Tout est donc en place et doit le rester. Ceux qui souhaiteraient annoncer l’Évangile ne trouvent devant eux qu’un silence d’oĂč ne pointe nulle prise, ou un discours convenu qu’avec raison ils refusent. On revient aux druides, parce que la tribu ressent le besoin de festivitĂ©s et – sait-on jamais ? – de protection : ça ne peut pas faire de mal... Dans les choses sĂ©rieuses, on ne tient pas Ă  croiser une divinitĂ© qui, d’ailleurs, n’a rien Ă  y faire. Progressivement, les efforts religieux pour contrer le cours public des choses ont perdu leurs combats successifs : la limitation des naissances, le catĂ©chisme du mercredi, le mariage homosexuel... et maintenant la famille prĂ©sente le dernier tournoi. Non point que ces causes n’aient eu des raisons, et parfois simplement elles ont eu raison, mais leur maniĂšre juridique, traditionnelle et pĂ©remptoire apparaissait comme une surcharge apprĂȘtĂ©e et excessive de l’ornementation sur la simplicitĂ© de l’architecture. Qui, par exemple, s’est avisĂ© qu’en cent cinquante ans, l’amour familial est passĂ© du devoir d’honorer Ă  l’affection, parce que la famille avait effectuĂ© une mue considĂ©rable ?
De cet Ă©cart, ici Ă  propos de Dieu, tĂ©moigne l’incident suivant. Pendant une soirĂ©e-dĂ©bat sur « Dieu dans la bande dessinĂ©e », alors que l’auditoire majoritairement composĂ© de jeunes visiblement peu « Ă©glisiers » (comme on dit en Berry) lançait ses objections et ses refus, un chrĂ©tien, pourtant Ă©clairĂ©, s’exclama : « Pour nous, Dieu est Amour. » La dĂ©claration est admirable et elle constitue sans nul doute ce qu’un homme peut avancer de plus beau sur Dieu. HĂ©las ! l’intervention est tombĂ©e Ă  plat. « Dieu », le mot Ă©tait inconnu. Quant Ă  l’amour, ce sentiment volatil et subit, il n’était pas plus clair. C’était donc chercher Ă  expliquer l’inconnu par l’incertain : une langue de bois.
Sommes-nous dĂšs lors condamnĂ©s au mutisme ? Ou faut-il se rabattre sur le seul tĂ©moignage et l’engagement ? N’est-ce pas Ă  l’amour que se reconnaissent les disciples du Christ ? Alors, il suffit d’aimer... Ce n’est probablement pas aussi simple. Qu’on se rappelle ici le cas de ces nombreux militants chez qui la foi fut la raison de leurs engagements et de leur dĂ©vouement. Leur gĂ©nĂ©rositĂ© a poursuivi sa course, mais sans la foi qui n’avait donc servi que de fusĂ©e porteuse dont les Ă©tages Ă©puisĂ©s retombaient dans la mer. La limite de tout tĂ©moignage rĂ©side dans la fidĂ©litĂ© explicite de son parcours aux motifs initiaux. On en reçoit encore l’éclat quand la source s’est tarie, ainsi que pour ces trĂšs lointaines Ă©toiles mortes dont la lumiĂšre nous parvient encore. Il n’est pas possible de ne jamais plus interroger l’origine et la validitĂ© de la raison premiĂšre.

Une parole du Christ

Avant de scruter les nappes souterraines de la sĂ©cularisation, un dĂ©tour peut s’avĂ©rer nĂ©cessaire par l’évangile de Matthieu, en un passage cĂ©lĂšbre qui paraĂźtra Ă  premiĂšre vue aller trop vite en besogne. Parmi les rudes controverses qui, Ă  JĂ©rusalem, opposent le Christ aux responsables de son peuple, il y a celle qui concerne le plus grand commandement. DiffĂ©rentes Ă©coles en discutaient Ăąprement. Le piĂšge cherche Ă  pousser JĂ©sus vers telle ou telle tendance, donc Ă  le banaliser en le rĂ©duisant Ă  un maĂźtre parmi les autres. Chez Matthieu (22, 34-40), le Christ relĂšve le dĂ©fi et rĂ©pond directement : le premier commandement consiste Ă  aimer Dieu de tout son cƓur ; un second lui est semblable : aimer son prochain comme soi-mĂȘme. Une abondante littĂ©rature commente ces quelques versets. Deux mots mĂ©ritent attention : il s’agit de commandements et le second est semblable au premier.
Un commandement : en français, ce terme Ă©quivaut Ă  ordre, prescription, injonction. L’usage s’est imposĂ©. Mais Ă©tymologiquement, ce n’est pas exact. Un ordre vient de l’extĂ©rieur et s’impose sans la participation active de l’autoritĂ© qui l’émet : elle fait faire sans avoir Ă  se salir les mains. Le commandement vient du verbe « mander » qui signifie en premier : confier quelque chose Ă  quelqu’un (d’oĂč : demander). S’y ajoute le prĂ©fixe « com » (de cum, avec). Par consĂ©quent, dans le commandement, celui qui le donne est partie prenante de son effectuation. Les deux partenaires agissent ensemble, chacun Ă  sa place, dans une solidaritĂ©. Par leur mutuelle implication, les deux agents se comportent selon une mĂȘme logique interne qui les rĂ©unit : ce qu’ils sont coopĂšre pour un but commun. Ni extĂ©rioritĂ© ni confusion n’interviennent ici.
Le mot grec de l’évangile, entolĂš, traduit par commandement, se montre tout aussi surprenant. Le verbe dont il provient indique un mouvement, une tension en vue de produire un effet, d’oĂč accomplir et finalement, au passif, ĂȘtre, au sens de rĂ©sulter d’une opĂ©ration. En grec comme en français, c’est donc une maniĂšre d’exister qui est en cause, un dynamisme crĂ©ateur. Cette conclusion n’est pas sans incidence sur la maniĂšre de parler de Dieu Ă  un monde sĂ©cularisĂ©.
Ensuite, le second commandement est semblable au premier. La similitude est de l’ordre de la qualitĂ© et non de la quantitĂ©. Semblable n’a rien Ă  voir avec les notions de plus grand ou de plus petit. Autre chose est en cause. Puisque semblable souligne ce qui n’est pas identique, ce mot indique que Dieu n’est pas identique au prochain. On objectera que le Christ a dit : « Ce que vous faites au plus petit des miens, c’est Ă  moi que vous le faites » (Mt 25, 40). C’est oublier que le fait de proclamer cette phrase pose celui qui la dit de maniĂšre particuliĂšre, diffĂ©renciĂ©e. C’est Lui qui l’affirme. Autrement dit, le Christ ne se perd pas dans l’autre. Sa relation Ă  nous diffĂšre de notre relation aux autres. Toute confusion serait nĂ©faste Ă  chaque personne concernĂ©e. La phrase du Christ dĂ©signe donc les petits qui sont les siens comme frĂšres : il se place au fondement de la fraternitĂ©. Il en est la source et le terme. C’est en ceux qui Ă©coutent sa voix et mettent sa parole en actes que se vĂ©rifient sa pertinence et sa fĂ©conditĂ©. Dieu ne veut donc pas agir sans nous. En Marc 6, 7, JĂ©sus envoie ses apĂŽtres pour guĂ©rir. Ce sont eux qui, Ă  leur retour, parlent de conversion (v. 12).

OĂč Dieu se dit-il ?

Ces remarques Ă  partir de deux mots, commandement et semblable, conduisent Ă  rĂ©flĂ©chir au fait suivant : avec le Christ, le mot Dieu change de sens. Ou plutĂŽt, Dieu Ă©tant indĂ©finissable, la gĂ©ographie oĂč aligner les termes, le climat de la prise de parole et l’environnement des propos sont considĂ©rablement modifiĂ©s. Le vocabulaire devient poĂ©tique, une crĂ©ation symbolique qui Ă©voque l’indicible au-delĂ  des mots. Pour autant, ce n’est pas pure inventivitĂ© ni errance, car un point fixe cloue le langage dans l’humanitĂ© : la figure du CrucifiĂ©.
Sans composer ici une brĂšve thĂ©ologie de la croix, il suffit de rappeler un seul aspect. Les systĂšmes religieux et politiques Ă©tablis et sĂ»rs d’eux, dont la sĂ©cularisation se tient soigneusement Ă  distance, ce sont eux qui ont tuĂ© JĂ©sus de Nazareth. L’évangile de Jean ira jusqu’à Ă©crire : « L’heure vient oĂč quiconque vous fera mourir croira rendre un culte Ă  Dieu » (16, 2 – HĂ©las, c’est toujours vrai !). Pourquoi ? « Parce qu’ils n’ont connu ni le PĂšre ni moi » (16, 3). Le propre de tout systĂšme religieux, du seul fait d’ĂȘtre un systĂšme qui fonctionne indĂ©pendamment des individus, est de donner des ordres et de s’imposer. Il ne se prĂ©occupe pas de commander au sein d’un mutuel objectif. Comme l’écrivait le pape LĂ©on X dans sa lettre condamnant Luther, « l’obĂ©issance est la mĂšre de toutes les vertus » – et non plus la charitĂ©. Les personnes ne sont alors perçues qu’à travers leur fonction (ordonner ou obĂ©ir) et non plus par leurs relations rĂ©ciproques. La sĂ©cularisation refuse un tel systĂšme : puisque les personnes souffrent du poids de trop de structures, elles n’entendent pas se soumettre Ă  une organisation qui s’ingĂ©rerait dans leur vie privĂ©e. Jusqu’ici, le sentiment partagĂ© du sacrĂ© reliait les structures et les personnes. Il tenait lieu de ciment social. Sur lui pouvait mĂȘme s’appuyer un discours sur Dieu : une base commune servait d’assise, Ă  l’encontre de saint Paul qui place le Christ au fondement (1 Co 3, 10-11).
Rendre crédibles des propos sur Dieu oblige à partir de la ...

Table des matiĂšres

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Introduction Partir
  4. Premiùre partie Coup d'Ɠil dans l'histoire
  5. Transition La sécularisation, une chance à saisir ?
  6. Seconde partie Regards croisés sur la sécularisation
  7. Envoi Un nouveau comportement
  8. Références bibliques