Lâurgence de Coexister
Câest dans lâurgence que Coexister sâest fondĂ© et dĂ©veloppĂ©, parce que dĂšs le dĂ©part ses membres ont senti lâurgence de crĂ©er du lien social pour contrer les divisions et mĂ©comprĂ©hensions entre communautĂ©s. Aujourdâhui encore, leur projet demeure souvent incompris. On les prend souvent Ă tort pour des naĂŻfs, des idĂ©alistes, des bien-pensants ou des contempteurs de la laĂŻcitĂ©. Pourtant, lâidĂ©e quâil est nĂ©cessaire de vivre ensemble nâest pas acquise. Et mĂȘme quand on en est convaincu, il ne suffit pas de le dĂ©crĂ©ter. Tous les coexistants ont fait lâexpĂ©rience que le vivre-ensemble sâapprend. Câest donc animĂ©e de ce mĂȘme sentiment dâurgence que lâassociation dĂ©sire aujourdâhui proposer lâexpĂ©rience Coexister Ă toujours davantage de jeunes, qui nâont pas encore eu lâoccasion de vivre une expĂ©rience positive de la diversitĂ©.
Et les membres ont fait lâexpĂ©rience que la coexistence active est non seulement nĂ©cessaire pour tisser du lien, combattre les prĂ©jugĂ©s, faire progresser la paix, mais quâelle est aussi un puissant levier dâaction pour prendre en charge les questions de justice sociale et dâĂ©cologie. Restaurer la fraternitĂ© est une urgence sociale et environnementale : câest seulement par la rencontre et la dĂ©couverte des personnes les plus diffĂ©rentes et Ă©loignĂ©es de nous que peuvent naĂźtre un rĂ©el dĂ©sir de solidaritĂ© et une volontĂ© de prendre la responsabilitĂ© du soin de notre monde commun.
Révolutions intérieures
Au cours de ces dix annĂ©es, ce sont dix mille membres qui sont passĂ©s par Coexister, au sein de quarante-cinq groupes locaux. Tous ont fait lâexpĂ©rience dâune transformation intĂ©rieure. Les rencontres, les actions de solidaritĂ©, les sensibilisations : toutes les actions quâils ont pu engager Ă Coexister viennent dâabord combattre en eux-mĂȘmes ce qui tend Ă la division, Ă lâindiffĂ©rence ou Ă lâhostilitĂ©. Ce sont aussi cent dix mille jeunes qui ont Ă©tĂ© sensibilisĂ©s Ă la richesse de lâaltĂ©ritĂ© et Ă la nĂ©cessitĂ© de vivre ensemble.
Amitiés
Le ferment des transformations vĂ©cues Ă Coexister, ce sont les amitiĂ©s entre ses membres. Tous dĂ©crivent la chaleur des relations, lâouverture dâesprit lors des discussions, la confiance dans des valeurs partagĂ©es dâacceptation de la diffĂ©rence et de bienveillance, qui font que lâon peut trĂšs vite entrer dans lâintimitĂ©. Samir est une des premiĂšres personnes que Safaa a rencontrĂ©es Ă Coexister : « Il mâa donnĂ© envie dâentrer dans lâassociation et il mâa poussĂ© Ă mây engager. Câest une personne avec une gĂ©nĂ©rositĂ©, une chaleur, une ouverture dâesprit comme jâen ai jamais rencontrĂ© chez quelquâun. On a trĂšs vite pu parler de choses trĂšs personnelles, partager sur nos familles, notre foi. Câest une amitiĂ© trĂšs forte et complĂštement inattendue. »
Ce dont beaucoup font lâexpĂ©rience par ces amitiĂ©s, câest la joie dâĂȘtre soi-mĂȘme et profondĂ©ment libre de lâexprimer avec quelquâun dâextrĂȘmement diffĂ©rent. Certaines de ces amitiĂ©s sont presque improbables, entre des personnes qui ne se seraient pas connues ailleurs. Il y a Marie et Belsame, Anne et Emna, Tsilla et Marie, Paul-Antoine et InĂšs, Benjamin et Fatoumata...
« Fatoumata est franco-malienne, porte un voile long, nâa pas fait dâĂ©tudes trĂšs longues. Et moi je suis le blanc-bec qui a une thĂšse en sociologie des religions, qui a grandi dans un milieu assez favorisĂ©, juif. Sur le papier, jamais on nâaurait dĂ» se rencontrer. La diffĂ©rence nâest pas seulement convictionnelle mais aussi sociale. Mais on rigole Ă©normĂ©ment ensemble, et je peux me confier Ă elle de façon intime. »
DĂ©couverte de lâaltĂ©ritĂ©
Par ces amitiĂ©s, les coexistants apprennent toujours davantage Ă sâouvrir Ă lâaltĂ©ritĂ©. Parfois, ils font lâexpĂ©rience dâune mise Ă lâĂ©preuve de leur ouverture dâesprit, et ils apprennent Ă la travailler Ă nouveau. Radia se souvient de son arrivĂ©e Ă Coexister. « Je me disais de maniĂšre assez prĂ©tentieuse que je pouvais apporter quelque chose aux autres, car jâavais dĂ©jĂ Ă©tudiĂ© pas mal la question de lâinterreligieux, et que je revenais dâun an en IsraĂ«l et Palestine. Mais je me suis rendu compte que tout Ă©tait Ă faire ! Jâavais ma bienveillance Ă travailler, mon ouverture dâesprit Ă exercer. En fait, on nâa jamais fini dâĂȘtre choquĂ© et Ă©tonnĂ© par la diffĂ©rence. Ce qui mâa le plus surpris, câest la diffĂ©rence au sein mĂȘme de ma propre confession. Jâai dĂ©couvert de nombreuses maniĂšres de croire et de pratiquer. Jâai appris aussi que des musulmans priaient en français. Jâai grandi au Maroc et pour moi câĂ©tait Ă©vident que lâon priait en arabe, je ne savais pas quâon pouvait prier dans une autre langue. »
Victor a revisitĂ© tous ses a priori nĂ©gatifs sur les religions : « Je mâinscrivais dans une mouvance dâathĂ©isme militant, par mĂ©connaissance des religions, entre lâindiffĂ©rence et la tentation parfois du rejet de toute forme de religion. Jâai dĂ©couvert aussi que la foi nâest pas une adhĂ©sion facile Ă un ensemble de dogmes prĂ©Ă©tablis, et quâelle nâexclut pas le doute. Pendant le tour du monde, jâai aussi constatĂ© que la religion est un moteur pour faire le bien pour des milliards de gens. Il est compliquĂ© quand on voit ça de conserver un jugement nĂ©gatif sur toute forme de croyance diffĂ©rente de la mienne ! »
Anne fait lâexpĂ©rience que si elle Ă©tait dĂ©jĂ dans la dĂ©marche de rencontrer des personnes diffĂ©rentes et de respecter toutes les identitĂ©s, Coexister lui a apportĂ© des outils pour le vivre vĂ©ritablement. « Câest avant tout une pĂ©dagogie. Il y a plein de choses auxquelles penser pour que personne ne se sente Ă part. Par exemple pour les repas. Certains musulmans ne voudront pas sâasseoir Ă table sâil y a de lâalcool. Il y a des juifs qui observent des rĂšgles trĂšs strictes de kashrout, et ils peuvent se sentir rejetĂ©s sâils arrivent Ă un repas et quâils ne peuvent rien manger. Je pense aussi Ă Farah qui rĂ©cemment Ă©tait invitĂ©e Ă un dĂźner officiel dans une institution, oĂč il nây avait que du vin et de la charcuterie ! Avec Coexister, jâai appris Ă ĂȘtre fiĂšre de mon identitĂ© et de ne pas avoir peur dâen parler. De le vivre en mĂȘme temps de maniĂšre plus sereine et dâĂȘtre moins sur la dĂ©fensive sur qui je suis. Si je laissais parler mes peurs je me dirais que tout le monde est anticlĂ©rical. Mais jâai tout le temps des discussions incroyables sur la foi, dans la rue, dans les bars. Dans un bistrot pas loin du siĂšge de Coexister, jâai eu rĂ©cemment une discussion avec un habituĂ©, qui Ă©tait avec son copain. Je lui ai dit oĂč je travaillais, et que jâĂ©tais catholique. Il mâa rĂ©pondu : âSuper, moi aussi, jâai fait ma confirmation, et je cherche une Ă©glise, tu en connais une inclusive ?â »
Effet boomerang
Cette dĂ©couverte quâĂȘtre confrontĂ© Ă une altĂ©ritĂ© parfois radicale permet de renforcer et dâexplorer son identitĂ© est partagĂ©e par tous les coexistants. Ce quâils appellent « lâeffet boomerang » est une rĂ©ponse pleine dâespĂ©rance Ă tous ceux qui ont peur que lâaltĂ©ritĂ© vienne dĂ©truire les identitĂ©s. Il nây a pas dâouverture vĂ©ritable Ă lâautre quand on ne sait pas qui lâon est, et inversement pas dâidentitĂ© authentique â qui ne soit pas un repli sur soi ou la facilitĂ© dâun refuge dans une catĂ©gorie figĂ©e â sans rapport Ă lâaltĂ©ritĂ©. Ătre qui lâon est, câest se dĂ©couvrir diffĂ©rent Ă travers lâautre.
Câest le contact avec dâautres convictions qui a dĂ©clenchĂ© en NoĂ©mie une rĂ©flexion sur ce en quoi elle croit : « Je me suis beaucoup interrogĂ©e sur ce qui mâanime. Aujourdâhui, je peux dire que je crois dans le hasard et lâharmonie. Je crois que le hasard est Ă lâorigine du monde, mais câest pour moi une source dâĂ©merveillement ! Il y avait peu de chances quâon soit lĂ ! Et lâharmonie, câest le fait quâau cĆur du hasard, deux choses entrent en symbiose Ă un moment donnĂ©. Câest grĂące Ă lâharmonie quâil y a de la vie et câest ce qui fait que nous sommes tous interdĂ©pendants. Je crois donc quâil faut ĂȘtre porteur dâharmonie. »
Marie aussi a fait cette expĂ©rience de comprendre quelque chose de son identitĂ© dans lâĂ©change avec lâaltĂ©ritĂ© : « ConnaĂźtre le sens du shabbat, câest ce qui mâa permis de mieux vivre la communion Ă la messe. Et câest Samir, musulman, qui mâa appris Ă mieux comprendre et expliquer la TrinitĂ©. Il dit que la TrinitĂ© est comme le soleil, que lâon peut dĂ©crire par sa masse, ses rayons, ou sa chaleur. Ce sont trois expressions diffĂ©rentes dâune mĂȘme chose. »
Les coexistants reçoivent aussi beaucoup de tĂ©moignages suite aux sensibilisations dans les Ă©tablissements scolaires. Lâan dernier, suite Ă une intervention dans un lycĂ©e privĂ© catholique de FougĂšres, une jeune fille vient trouver lâĂ©quipe pour les remercier et leur confier quâelle est catholique pratiquante mais ne lâa jamais dit Ă ses amis, et quâil est difficile pour elle de cacher une partie de son identitĂ©. Un des coexistants, GĂ©rald, lui conseille dâutiliser lâintervention de Coexister pour en discuter avec ses amis. Deux semaines plus tard, elle lui envoie un mail : « Jâai pu en parler, ça a transformĂ© ma vie, aujourdâhui je peux ĂȘtre moi-mĂȘme ! »
Ătre vraiment lui-mĂȘme, câest aussi lâexpĂ©rience quâa faite Paul-Antoine, responsable du groupe de Paris Nord : « Coexister a changĂ© le rapport Ă mon image, et aux objectifs que je poursuivais. JâĂ©tais individualiste, carriĂ©riste, je voulais une Tesla et collectionner les femmes... En 2015, je travaillais aux Ătats-Unis, dans une boĂźte qui mâoffrait de supers opportunitĂ©s. Mais jâĂ©tais en pleine fuite en avant. Je ne savais pas qui jâĂ©tais ni ce que je voulais faire. Le 13 novembre, il Ă©tait 15 heures aux Ătats-Unis quand on a eu les premiĂšres nouvelles des attentats. Jâai passĂ© la soirĂ©e seul, chez moi Ă New York. Je ne pouvais rien faire. Quand je suis rentrĂ© en France, il mâa fallu du temps pour faire face au vide que jâavais en moi, et pour accepter de lĂącher le personnage que jâavais crĂ©Ă©. Jâen ai parlĂ© Ă mon meilleur ami, qui mâa dit : âRegarde tout ce que tu reçois, mais quâest-ce que tu donnes ?â Il avait raison. Jâavais une expĂ©rience depuis plusieurs annĂ©es Ă Coexister, mais je nâavais jamais Ă©tĂ© bĂ©nĂ©vole. Jâai appelĂ© Coexister Paris Nord et ils mâont accueilli Ă bras ouverts. Jâai entamĂ© une grande remise en question : est-ce que je vis pour moi ou pour les autres ? Quâest-ce qui me rend heureux ? Je sais aujourdâhui par expĂ©rience que ce qui rend heureux est de se mettre au service dâautrui, et dâaider les autres Ă sâĂ©panouir et Ă dĂ©velopper leurs capacitĂ©s. Aujourdâhui, je suis moi-mĂȘme. »
Les transformations personnelles vĂ©cues au sein de Coexister rejaillissent aussi sur les proches. Farah a constatĂ© lâĂ©volution dans son entourage. « Ma mĂšre mâa dit : âTu ne te rends pas compte Ă quel point tu nous as changĂ©s, tu nous as permis dâaller plus loin dans lâacceptation de la diffĂ©rence et de continuer Ă changer notre regard.â Mon pĂšre a assistĂ© Ă mon Ă©volution, mon engagement, il a vu comment je me suis construite. Il a constatĂ© que lâon peut cĂŽtoyer la diffĂ©rence sans que cela change qui lâon est, et mĂȘme au contraire que cela a approfondi mon identitĂ©. »
Samuel est reconnaissant pour le chemin parcouru : « Le cĆur de notre mission, câest de former des jeunes Ă ĂȘtre crĂ©ateurs de liens. Dans cet apprentissage, les coexistants ont vĂ©cu des transformations vertigineuses, autant ceux qui Ă©taient convaincus quâil fallait le faire mais qui nâavaient pas les outils, que ceux qui avaient des rĂ©sistances et se sont laissĂ©s dĂ©placer par Coexister. Je veux remercier tous ces jeunes qui ont acceptĂ© de se laisser transformer et de grandir par la mĂ©thode de la coexistence active. »
Restaurer le lien Ă soi, aux autres et Ă la nature
Forts de cette transformation intĂ©rieure, les coexistants dĂ©sirent approfondir lâexigence de la coexistence active, et propager cette expĂ©rience.
Pour Emmanuel, crĂ©er du lien social permet aussi de se battre pour la justice et lâĂ©galitĂ©. « On pourrait nous dire quâil est illusoire de promouvoir le vivre-ensemble sans rĂ©soudre les questions dâinĂ©galitĂ©s sociales. Et câest vrai quâon ne pourra pas vivre ensemble tant quâil y aura autant de disparitĂ©s et de rapports de domination sociale et Ă©conomique. Mais le lien social est lui-mĂȘme indispensable pour rĂ©soudre la question des inĂ©galitĂ©s.
Il faut quâon aille plus loin encore dans cet engagement. Aujourdâhui, on ne touche pas encore tous les milieux sociaux. Nous devons toucher ceux qui sont victimes dâinĂ©galitĂ©s, qui ont comme prĂ©occupation centrale de trouver des moyens pour vivre, pour quâils sentent quâil est aussi nĂ©cessaire de se prĂ©occuper de vivre avec son voisin. Parce quâen luttant contre les prĂ©jugĂ©s, on lutte aussi contre les discriminations sociales. Et il faut aussi toucher les populations les plus favorisĂ©es, faire en sorte que les dominants se rendent compte de le...