Le train comme vous ne l'avez jamais lu
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Le train comme vous ne l'avez jamais lu

Paroles de cheminots

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Le train comme vous ne l'avez jamais lu

Paroles de cheminots

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Citations

À propos de ce livre

« Installée dans ma cabine, je dois me concentrer sur plusieurs choses à la fois. D ?abord, regarder la voie, évidemment. Ensuite, surveiller la pendule qui affiche en temps réel l ?évolution du train et les horaires à respecter. Surtout, ne pas louper une gare! Un signe au chef de gare et me voilà repartie. »Embarquer le lecteur dans une cabine de conduite, l'entraîner dans le mouvement incessant des trains qui se croisent, des contrôleurs qui circulent de voiture en voiture, des agents qui « cheminent » le long des voies pour vérifier les rails, charrier des traverses et entretenir les caténaires. Le plonger dans le tourbillon des usagers qui vont et viennent devant les guichets, se perdent parfois sur les quais. Puis l'emmener derrière le décor, dans quelques-uns des bureaux et ateliers où s'organise la vie quotidienne des agents de la SNCF: c'est le voyage proposé par ce livre, à l'heure où le chemin de fer se privatise...Le train, raconté par les cheminots. Le train comme vous ne l'avez jamais lu.Sous la coordination de Christine Depigny-Huet et Pierre Madiot.

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Informations

ISBN
9782708252936

Chapitre 1

À bord{2}

À l’origine, le conducteur d’un train est un mécanicien. Il a une locomotive attitrée dont il est responsable. Non seulement il la conduit, mais il est également chargé de l’entretenir et de la réparer. Le mécanicien est accompagné d’un chauffeur, « celui qui chauffe », qui est chargé de mettre du charbon dans la machine afin qu’elle produise de la vapeur pour faire avancer le train. Le mécanicien hérite d’un sobriquet à la mesure de son importance dans l’inconscient de l’usager qu’il transporte, c’est un « baron du rail ».
Le train à vapeur a disparu du paysage. Après le gasoil, c’est l’électricité qui désormais alimente les machines. Même s’il veille à ce qu’elle fonctionne bien, le conducteur n’entretient plus vraiment sa locomotive qui regorge de systèmes informatiques complexes. Le mécanicien est devenu un « pousse-manette ». Bien sûr, aucun cheminot ne croit qu’il suffit d’actionner une manette pour qu’un train effectue son trajet mais, dans la famille, se moquer des uns et des autres renforce les liens. Les « barons du rail » sont donc toujours présents avec, pour le grand public, en tête d’affiche, les conducteurs de TGV. Les images sont pourtant trompeuses, il est bien plus difficile de conduire une locomotive tirant un train de marchandises de plus d’un kilomètre qu’un TGV...
Jusqu’à maintenant, le conducteur n’est jamais le seul cheminot à bord du train. Il est accompagné des contrôleurs. Au début de l’aventure ferroviaire, ces derniers s’appellent les « bottes de paille ». Dans le fourgon des trains de voyageurs où ils séjournent est en effet entreposé du fourrage, destiné au bétail, que les contrôleurs se chargent de dispatcher au fil des gares. Les temps ont là aussi changé. Les bottes de paille ont disparu des trains et les contrôleurs sont devenus des « araignées de fourgon ». L’espace qu’ils occupent, distinct de celui des voyageurs, sert aussi à entreposer les vélos et, comme les araignées, les contrôleurs s’y accrochent... Leur métier ne se limite pas à vérifier si tous les usagers disposent d’un billet. Ils veillent sur les voyageurs, assurent leur sécurité, repèrent les signes avant-coureurs de tensions, renseignent les usagers, etc.
Mais aujourd’hui, les dirigeants de la SNCF voudraient supprimer les araignées de fourgon, au nom de la réduction des coûts et au prétexte que le contrôle des billets peut se faire avant d’accéder au train. Et pourquoi pas supprimer les hôtesses et stewarts dans les avions ?

« Conductrice de train, c’est le métier qui me faisait rêver petite »

Fabienne, conductrice de TER

Surtout, ne pas louper une gare ! Installée dans ma cabine de pilotage, je dois me concentrer sur plusieurs choses à la fois. D’abord, regarder la voie, évidemment. Ensuite, surveiller la pendule qui affiche en temps réel l’évolution du train et les horaires à respecter. Avoir un œil sur le cadran de vitesse et sur le cadran du frein. C’est un système à air comprimé : vérifier que les pressions sont toujours nickel, qu’il n’y a pas de fuite. Si je n’ai pas d’air, je ne peux pas rouler. À chaque arrêt et à chaque départ, des ordinateurs m’indiquent toutes les informations qui concernent la sécurité des voyageurs, l’ouverture et la fermeture des portes. Un signe au chef de gare, et me voilà repartie.
Toute mon attention doit être concentrée sur la conduite du TER. Je n’ai pas le droit au téléphone... pas de musique, pas de FM, rien. On ne peut même pas communiquer entre conducteurs. En cas de nécessité absolue, j’ai juste le contact avec l’agent de circulation par la radio du bord. Pour être conductrice, il faut donc que j’accepte de vivre seule des journées entières, les yeux rivés sur les rails et sur les instruments. Les gens ne se rendent pas compte de cette solitude. En plus, je pars sur deux jours, sans pouvoir rentrer à la maison. Le soir, je suis hébergée dans un foyer ou dans un hôtel prévu pour les personnels de la SNCF dans chaque « gare d’origine », là d’où démarrent les premiers trains du matin.
En réalité, je ne me contente pas de conduire. Je dois sentir mon train. Quand une panne arrive, ce n’est pas le moment d’appeler quelqu’un pour qu’il me dise : « Fais ci ou fais ça. » Le train avance, il y a des voyageurs dedans. Il faut que je prenne instantanément la bonne décision. Alors, les procédures extrêmement strictes, apprises par cœur pendant mon année de formation, répétées dans des simulateurs où j’ai été confrontée à toutes les situations possibles et imaginables, ressortent d’un coup comme si j’avais été programmée. Ce sont des automatismes. Et si quelqu’un à la radio me dit : « Non, non ! Il faut faire autrement ! », c’est moi qui pilote la machine. C’est moi qui décide, seule. Donc, c’est une sacrée responsabilité !
Une fois, j’ai perdu un morceau de mon train : une partie mécanique s’est tout d’un coup désolidarisée de la machine. Ça surprend... Une autre fois, j’ai eu une voiture bloquée en plein milieu de la voie. Par chance, j’ai réussi à m’arrêter avant de la percuter. J’ai rencontré aussi un passage à niveau ouvert. Là, j’ai quand même eu peur. J’étais lancée « pleine balle » et puis, d’un seul coup, j’ai vu que les barrières étaient levées. Je ne pouvais pas savoir si une voiture allait arriver et s’engager en toute insouciance... J’ai fait tout ce qu’il y avait à faire dans l’urgence et j’ai prévenu aussitôt l’agent de conduite du poste d’aiguillage pour empêcher qu’un train n’arrive de l’autre côté au même moment. À ce moment-là, c’est le palpitant qui s’emballe. Une grosse montée d’adrénaline ! Heureusement, je n’ai jamais eu d’accident grave. Surtout, j’ai eu la chance de ne pas avoir un « accident de personne ». C’est ce que je redoute le plus. Au niveau de la procédure, ce n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué à gérer, mais c’est un choc psychologique terrible. Nombre de conducteurs qui ont eu ce genre d’accident disent : « J’ai écrasé quelqu’un. » Ce n’est pas anodin. Et ça arrive en moyenne une fois par carrière. Entre novembre et Noël, au moment où les gens ne vont pas bien, où les jours raccourcissent, c’est une éventualité qui nous hante...
S’il y a du retard, je ne peux pas faire grand-chose pour le combler. Chaque train a une « marche tracée ». Par exemple pour un Saint-Nazaire-Nantes, tout est prévu pour que j’arrive à une heure donnée, avec des vitesses de référence. De toute façon, l’engin doit respecter une vitesse limite, et la voie comporte des tronçons à vitesse imposée. Chez nous, quand on dit qu’on roule à 140 à l’heure, ce n’est pas 141. Si jamais je dépasse d’un seul km/h, mon supérieur viendra me signifier que j’ai commis une faute. Quand la « marche tracée » est basée sur la vitesse limite, impossible de gagner la moindre seconde. En fait, pour rattraper du temps, il faut avoir une marche de base souple. Par exemple, quand deux trains partent à peu près à la même heure sur les lignes de Redon et de Saint-Nazaire qui se rejoignent à Savenay, on va demander à l’un de rouler plus lentement pour pouvoir passer derrière l’autre. Au lieu d’une vitesse de base de 140, il roulera à 120. Ainsi, s’il a du retard, il pourra en rattraper un peu en roulant au-dessus de 120. Mais c’est de plus en plus rare parce qu’il y a de plus en plus de trains. Il faut que ça dégage. On n’est pas dans un avion qui peut voler en dessous, au-dessus, à droite ou à gauche des autres. Les trains, c’est vraiment tous à la queue leu leu. Donc, toutes les marges sont au taquet. C’est mathématique.
Conductrice de train, c’est le métier qui me faisait rêver petite. Quand j’ai commencé, je partais à midi et je revenais le lendemain pour midi après avoir dormi à l’extérieur. Aujourd’hui, je peux partir à 5 heures du matin et revenir à 22 heures le lendemain puis changer complètement d’horaires le jour suivant. Dans ces conditions, gérer la vie de famille devient compliqué. À la fatigue s’ajoutent la pression d’un management agressif et la lassitude d’être corvéable à merci. Au début de ma carrière, aucun cheminot n’émettait même l’hypothèse de quitter la SNCF. Aujourd’hui, je ne sais pas si on peut en dire autant.

« Tu as un peu des yeux dans le dos »

François, conducteur TA

Un train, c’est beaucoup plus traître qu’une voiture. Ça ne s’arrête pas pareil. Il faut toujours anticiper, repérer ton point d’arrêt, te le mettre dans la tête, parce que si tu dépasses ce point de freinage, c’est foutu ! Il faut anticiper de deux à trois cents mètres. Les jeunes conducteurs, souvent, je les reprends là-dessus. Ils n’anticipent pas assez. Évidemment, un train, ça suit les rails ; tu n’as pas le côté « coup de volant » comme en voiture. Tu n’en as pas non plus qui te doublent à gauche ou à droite, mais tu as une vitesse à respecter ; tu dois connaître tes voies. Si c’est en pente ou en rampe, ça réagit vraiment différemment. Ça demande beaucoup d’anticipation ; il faut une marge de sécurité, car si tu commences à empiéter là-dessus, quoi qu’il arrive, un jour ou l’autre, vu le temps que tu vas passer sur les rails dans ta carrière, tu vas te faire piéger. Le côté traître, il est là.
Dans le réseau Île-de-France, il y a beaucoup de feux, et il faut donc rester vigilant en permanence. En fait, chaque feu que je franchis et qui n’est pas au vert, il faut que je l’acquitte, il faut que je signale que je l’ai bien vu, sinon le train s’arrête. Tout est fait pour qu’en cas de somnolence ou de non-vigilance du conducteur, le train s’arrête. Tous les systèmes de sécurité sont faits comme ça. Tu ne tombes pas directement sur un feu rouge ; tu es d’abord sur un feu vert, puis un jaune et ensuite un rouge. Au moment où tu franchis un feu jaune qui t’avertit que tu vas avoir un feu rouge ou autre, ça « bipe » dans ta cabine ; il y a une lumière qui clignote ; il va y avoir une vingtaine de clignotements. Si tu ne l’acquittes pas, au bout de vingt clignotements, le train s’arrête.
Il y a la pédale aussi. Je suis en permanence en train de tenir un arceau. Tu peux te servir de tes pieds ou de tes mains. Si j’ai cinq secondes de relâchement, si je lâche tout, si je ne fais rien, ça va se mettre à sonner cinq secondes et après le train va s’arrêter. Il faut que j’appuie régulièrement. Inversement, si je reste longtemps appuyé, au bout d’une minute, ça va faire la même chose. C’est pour le cas où tu t’endors et que tu tiens machinalement ton arceau. C’est plus rare évidemment. Ça peut être un malaise ou n’importe quoi.
Tout ça se fait machinalement. Tu n’y penses pas. C’est comme dans une voiture, tu ne penses pas à embrayer. Donc, tu ne t’endors pas, ce n’est pas possible. Tu es vigilant : les voies, la vitesse, les feux, le bruit aussi. Tu surveilles ton bruit inconsciemment, tu as un peu des yeux dans le dos.
L’incident, ça peut être un accident voyageur. De ce côté-là, surtout en début de carrière, il y a un cap à passer. Tu en as qui ne le passent pas ; ils ont un stress par rapport à ce risque-là. Même si tu roules avec des trains sans passagers, quelqu’un peut tomber sur les voies quand tu longes un quai. L’incident, ça peut être aussi un signal fermé que tu franchis parce que tu t’es loupé dans ton freinage ou parce qu’il y a eu un problème sur ton frein ; ou bien encore le dépassement de la zone protégée. Dans ce cas, tu dois t’arrêter. Et il y a un autre train qui va arriver. Si tu as le malheur d’être là juste avant que le train suivant arrive, les mesures de sécurité exigent que tu fasses une alerte radio qui est diffusée dans tous les trains. Quand on entend ça, tout le monde s’arrête. Ensuite, celui qui a posé l’alerte radio explique ce qui s’est passé. Le régulateur renvoie les trains qui peuvent circuler. Il centralise la zone où il y a eu l’incident. Tout ça, c’est une question de règlement.
Quand il y a un incident, tout le monde arrive. Que ce soit grave ou pas, rien n’est traité à la légère. Si un conducteur a franchi un signal, qu’il ne l’a pas vu, tout est pris en compte. Par exemple, si c’est un matin avec un temps ensoleillé, le soleil rasant, en plein contre-jour, le mécano ne va pas chercher d’autres justifications. Il va dire : « J’avais le soleil en face ; j’étais persuadé que le feu était vert. » Voilà. S’il y a un problème de freinage sur les derniers mètres, ça peut être un jour où il y avait de la grêle ou de la neige. En cas d’incident, un bilan de la situation doit être fait : « À quelle heure es-tu parti de chez toi ? Est-ce que tu n’avais pas un manque de sommeil ? As-tu des soucis de famille ? » Si ça vient du matériel : « Qui est-ce qui a travaillé dessus avant ? Quel est le mec des ateliers ? » Ils remontent ainsi la chaîne et, quoi qu’il arrive, ils sauront la vérité. Il n’y a pas de mystère.
Mais ce stress de l’incident, je ne l’ai plus vraiment. Je sais ce que j’ai à faire. Au début, tu n’es pas à l’aise quand même. Tu as eu l’examen, mais tu es hyper attentif ; tu te poses plein de questions sur ce que tu sais, sur ce que tu as appris. Mais tu n’as pas forcément eu d’exercices d’application. Par exemple, pour l’accident de personne, tu ne vas pas mettre quelqu’un sur la voie pour montrer comment ça se passe ! Tout ça, c’est compliqué. Quand ça arrive, c’est un choc qui te marque. Avec le temps, tu n’en fais pas abstraction, mais tu te soulages de ça. Tu ne peux pas conduire en ayant la crainte de tout.
Chaque journée est différente. Et sur mon bulletin de service (BS), tout est prévu d’avance. Par exemple : Paris Est 15 h 53, marche à pied depuis la salle des pas perdus pour rejoindre Magenta où je dois prendre le RER pour Pantin. C’est prérempli. Tout est calculé dans ma journée : mes temps de conduite, mais aussi mon temps de marche à pied ou le temps de transport quand je monte en voyageur. Il y a parfois des litiges entre les syndicats et la direction quand il y a un changement dans les roulements ou dans la composition des journées et qu’ils s’aperçoivent qu’elle essaye de gratter un petit peu...
La SNCF a donné un iPad à tous les agents de conduite de la Gare de l’Est. Ça permet d’avoir une communication beaucoup plus rapide qu’à une certaine époque. Avant, ça se passait par courrier, par un petit casier, une boîte aux lettres à ton nom. Dedans, tous les jours ils te balançaient le courrier et le règlement, les travaux qu’il y avait sur les voies, etc.
Du coup, il y a quelqu’un qui est chargé de la logistique des tablettes, car ça représente du boulot, 400 iPad qui se promènent avec des mecs qui ont des problèmes comme moi : « Il ne marche plus... La batterie est morte... Je n’arrive pas à le faire démarrer... » Au début d’ailleurs, il y avait des anciens qui n’en voulaient pas : « C’est quoi, cette merde ? » Ils ne voulaient pas changer leur façon de travailler. Mais l’histoire aussi, c’est qu’elle a supprimé plein de postes administratifs. Avant, les bulletins de service, on les remplissait sur papier. On les a toujours d’ailleurs, car si ta tablette ne fonctionne pas, tes journées tu les remplis avec. Les BS papier étaient traités dans les bureaux. Là, tout était repris. Le travail des agents, là-bas, consistait à regarder si la déclaration correspondait bien à la journée, à voir si c’était bien rempli, si tu n’avais pas oublié de signer. Après, ils passaient ça dans une machine pour le scanner. Tout ça devait être fait pour établir les paies à la fin du mois. La tablette a remplacé tout ça.
Sur le réseau, les conducteurs sont TA ou TB : TB, tu conduis des trains avec voyageurs ; TA, tu conduis les mêmes trains, mais sans les voyageurs. Moi, je suis TA : j’achemine les RER entre Paris et Vaires-sur-Marne, depuis les ateliers ou les grands chantiers où on les entretient, les répare, les nettoie, jusqu’à leur gare de départ ou inversement.
Quand on crée une « marche », c’est-à-dire un train qui, au départ, n’est pas prévu, il faut que l’agent qui me fournit le travail le prépare, qu’il monte toute la partie administrative pour que le train puisse rouler. Il commande un horaire, il commande les voies, il commande les postes pour leur expliquer qu’il va y avoir un train qui va s’appeler « tel numéro », qui va passer sur cette voie à telle heure. Quand je suis en dispo, il m’appelle et me dit : « Je prépare un train pour toi. » Une demi-heure après, quand il a passé toutes les étapes requises, il me donne une charge de travail avec l’horaire, le train, la circulation, le point A, le point B.
En fait, j’ai choisi d’être TA pour les horaires. Dans mon cas, c’est un choix purement personnel, sans même parler de famille. Un conducteur TB commence souvent à 3 ou 4 heures du matin. Avec le premier horaire, il va finir à 10 heures. Il peut repartir à 19 heures et finir à 22 ou 23 heures. Il peut faire des extrêmes en matinée et enchaîner sur des extrêmes en soirée. C’est beaucoup plus désorganisé pour la vie de famille et le temps de sommeil. Quand tu dois te lever à 3 heures du matin, dans l’idéal, il faudrait te coucher à 8 ou 9 heures. Pas très évident ! Et avec le roulement Grande ligne ou le roulement TGV, il y a en plus les « découchés ». Comme je suis maintenant un des plus anciens, on m’a proposé d’intégrer le roulement TGV. J’aurais gagné plus d’argent. Mais j’ai vu qu’ils travaillent tous les week-ends et beaucoup de soirées. J’ai dit non. Voilà.
Il y a beaucoup de divorces, quand même, chez les conducteurs. Mon père était cheminot et ma mère ne travaillait pas. Avec les horaires de mon père, s’il avait fallu qu’elle travaille, ils ne se seraient pas vus souvent. C’est aussi pour ça que j’ai fait ce choix car ma femme travaille. Mais, même avec ce roulement, nos horaires ne correspondent pas vraiment. Si je faisais TB, ce serait encore plus compliqué. Pourtant, les TB sont mieux rémunérés ; ils ont plus de repos pendant l’année ; ils ont moins d’heures travaillées dans une journée. La veille de repos, ils ne peuvent pas finir après 19 heures alors que moi, je peux travailler jusqu’à 23 h 59. Ça leur garantit le soir à la maison et les deux repos qui suivent. Ils ont quand même ces compensations-là.
Cette semaine, je viens de faire trois nuits de suite : samedi, dimanche, lundi. Généralement, les nuits, j’ai une charge de travail qui m’est attribuée. Donc je connais mes trains, mes horaires, mes départs, mes arrivées. Sauf que, pendant la période de grève, les trains ne circulent pas comme d’habitude. Du coup, on est dispos. Dans ces circonstances-là, j’attends à la Gare de l’Est dans ce qu’on appelle la « salle des pas perdus ». Ce n’est pas un hébergement...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Préface La parole libérée
  4. Avant-propos
  5. Chapitre 1 À bord
  6. Chapitre 2 Ne pas s’emmêler les aiguilles
  7. Chapitre 3 Sur les voies et autour des machines
  8. Chapitre 4 Derrière les guichets
  9. Chapitre 5 La gare et les quais
  10. Chapitre 6 Bureaux et services
  11. Remerciements