Les six chantiers de la transformation digitale
Introduction à la matrice du HUB Institute
L’expression « transformation digitale » est désormais dans toutes les conversations. Des médias en passant par les directions d’entreprise, des experts aux vendeurs de logiciels, beaucoup n’ont pas pris le sujet du numérique au sérieux suffisamment tôt. Pourtant, ils sont soudain devenus des apôtres du concept sans vraiment savoir ce qu’il renferme. Bref, le changement, tout le monde est pour… surtout si l’on en reste aux apparences… et qu’au final on en revient au statu quo. Heureusement, certaines organisations plus visionnaires ont bien pris conscience de l’urgence et de l’importance de l’enjeu pour leur futur… voire leur survie ! Loin de s’en tenir à un « hackathon » (concours d’innovation avec les start-up), à une page Facebook et à un incubateur, elles ont une vision bien plus ambitieuse et « long-termiste », soutenue par le top management et de vrais moyens humains et financiers. AXA, AccorHotels ou la SNCF, par exemple, ont ainsi envoyé un vrai signe au marché en lançant des programmes de transformation digitale de plusieurs centaines de millions d’euros et impliquant quasiment tous les échelons de l’entreprise.
Après avoir échangé, ces dernières années, avec plus de 300 grandes et moyennes entreprises, le HUB Institute a été le témoin de nombreuses stratégies de transformation numérique. Chaque organisation, chaque société est différente par sa taille, son marché, son envergure locale ou internationale, son industrie, sa chaîne de valeur. Pourtant, il nous semblait indispensable de pouvoir arriver à organiser et à modéliser une approche logique des différents chantiers.
Comment piloter une mutation complexe sans plan de bataille ? Comment partager les défis variés avec des décideurs, issus de départements différents, de formations différentes, et qui utilisent des vocabulaires, des indicateurs de mesure spécifiques ?
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », nous rappelle la maxime de Nicolas Boileau-Despréaux. Voici donc la matrice de la transformation digitale conçue par le HUB Institute. Telle la pierre de Rosette1, elle devrait vous aider à échanger avec l’ensemble des départements de votre organisation pour identifier et prioriser les six chantiers clés et cinq étapes de la transformation numérique :
- le leadership qui nécessite un management informé, visionnaire, volontaire et exemplaire ;
- la culture et l’organisation qui vont devoir être repensées avec l’aide des RH en termes d’expertise, de formation et d’accompagnement au changement ;
- la technologie qui va nécessiter une grande mise à jour et une nouvelle approche pour rester le plus agile, le plus performant et le plus innovant possible ;
- la maîtrise des données qui deviennent le cœur des entreprises, mais nécessitent une plomberie complexe et subtile ;
- le marketing et l’expérience client qui doivent répondre aux nouvelles attentes du client connecté et gagner en efficacité et en réactivité ;
- l’enjeu de la mesure de la performance à travers toute l’organisation.
Cette matrice générique donne les grands principes et étapes pour structurer votre démarche de transformation digitale. Conçue après plus de trois ans d’échanges et de recherche avec les experts du HUB Institute, elle devrait s’avérer pertinente dans 90 % des cas. Comme tout modèle, il sera néanmoins nécessaire de l’adapter aux enjeux de votre organisation et de son marché.
Premier chantier : leadership et management
Comme à l’armée, c’est aux généraux de définir la stratégie et de décider du lancement de l’assaut. Pourtant, si ce chantier est clairement la priorité numéro un, conditionnant toute mutation profonde, les profils du top management sont souvent plus un handicap qu’un élément moteur. Les succès passés n’offrent aucune garantie pour le futur. Au contraire, « la personne qui a été la star de l’ère précédente est souvent la dernière à s’adapter au changement, la dernière à embrasser la logique d’un point de transition et tend à chuter plus durement que la plupart2 ».
Auditer – Développer une compréhension et une vision
Quand certains leaders ont abandonné l’idée de leadership
Au niveau culturel, imaginerait-on demander à un commandement formé pendant trente ans dans le contexte de la guerre froide de piloter la nouvelle stratégie post-Perestroïka ? Aujourd’hui, le top management d’une grande partie des grandes entreprises françaises est malheureusement trop souvent issu des mêmes moules : des hommes surtout, âgés souvent, formés aux mêmes grandes écoles, promus pour avoir appliqué avec excellence des modèles éprouvés et pas toujours au fait des nouvelles réalités et pratiques de l’ère digitale. Quand on encourage et promeut des approches traditionnelles de plus en plus dépassées, quand on ne s’intéresse pas, ne pratique pas, ou ne comprend pas les nouvelles technologies, il n’est alors pas étonnant de voir certaines organisations foncer dans le mur ou juste reculer faute d’avancer et d’innover assez vite… Comme nous l’avons montré au début de cet ouvrage, le monde a changé et continue d’évoluer chaque jour plus vite. Les modèles et recettes du succès se périment aussi vite que des fruits frais et l’instabilité devient la norme. Avoir un modèle établi et statique devient alors mortifère.
Au niveau politique et personnel, comment en vouloir à certains et certaines, qui ont mis une vie professionnelle à atteindre le sommet d’une organisation, de ne pas vouloir prendre de risque ? À deux ou trois ans de la retraite ou d’un autre poste de top management dans une entreprise concurrente, pourquoi tenter le diable en se lançant dans des initiatives hasardeuses ? Réinventer un modèle alors que rien n’est encore totalement prouvé et que ces nouvelles approches sont instables ? Pourquoi initier des refontes technologiques coûteuses en pleine crise et réduction des dépenses ? Risquer la bronca des syndicats et la résistance de salariés déjà sous pression, avec une nouvelle organisation ? Entreprendre un changement de plusieurs années qui pénalisera la rentabilité des prochains trimestres en bénéficiant finalement au mieux à la prochaine direction ? Il est tellement plus simple de ne rien changer ou alors le minimum syndical pour sauver les apparences. Quand, en plus, on dépasse la cinquantaine et qu’on a vite compris qu’il serait dur de retrouver une place en cas d’échec ; qu’il faut finir de payer ses crédits sur vingt-cinq ans, financer les études de la petite dernière en MBA aux États-Unis, ou anticiper le financement d’une retraite à l’heure d’une Sécurité sociale en déficit… Sans tomber dans la morosité et le cynisme, il est compréhensible qu’il y en ait pour jeter l’éponge avant même le combat.
Et pourtant les organisations (et leurs actionnaires) qui laissent à leur tête un management tétanisé par la peur ou la paresse sont juste en train de se tirer une balle dans le pied. La disruption digitale est un tsunami mondial qui n’attendra pas les retardataires, et ne fera pas de quartier pour ceux qui auront une âme de vieillard.
Il est plus que jamais l’heure d’écouter
Écouter vos clients et leurs nouvelles attentes. Manager et diriger à l’heure du digital commence d’abord par développer une curiosité, une compréhension et une vision des nouvelles règles du monde. Si la société est en plein changement, si ces évolutions se font à l’échelle mondiale et de plus en plus rapidement, alors le management a un rôle vital de vigie pour toute l’organisation. Il s’agit de capter le Zeitgeist, cet esprit du temps. Entre science et art, il faut détecter les nouveaux usages, anticiper les futurs besoins des consommateurs et imaginer les nouvelles réponses à inventer. Cette veille ne peut pas se faire depuis une tour d’ivoire à coups de tableaux de bord, de rapports et d’échanges avec des profils identiques issus des mêmes cercles.
Il faut au contraire sortir de sa zone de confort, aller sur le terrain, rencontrer ses clients, les start-up innovantes, échanger et ne pas snober de nouvelles approches qui pourraient paraître saugrenues ou tabous. L’ex-PDG d’Intel l’avait déjà compris dès 1998 en nous prévenant que « seuls les paranoïaques survivent ». Bref il est vital de challenger les idées établies, de secouer les modèles et de traquer la disruption avant qu’elle ne nous disrupte. Havas ou Accor ont ainsi choisi de lancer des « Shadow Comex3 » de moins de 35 ans. L’idée ? Consulter la nouvelle génération de collaborateurs sur les différents métiers de l’entreprise de manière régulière et organisée. Sébastien Bazin, le PDG d’AccorHotels, explique comment ce comité exécutif des moins de 35 ans qu’il a créé et qui réunit 13 cadres de l’entreprise âgés de moins de 35 ans fonctionne : « On se voit tous les deux mois, ils ont accès à tous les documents confidentiels du groupe. […] Nous n’avons jamais reçu autant de candidatures de jeunes que depuis que nous avons lancé cette initiative. Cela a généré une fierté, une envie dans le groupe4. » Cette approche s’est diffusée à toute l’organisation : « Désormais, nous avons probablement une cinquantaine de “Shadow Comex” différents à travers le groupe, car les pays répliquent ce que nous faisons en central5. » Pourtant, comme toute expérimentation en termes de management, rien n’est si simple. Malgré un grand succès, cette initiative a aussi eu des effets de bord. Sébastien Bazin regrettait ainsi, quelques mois après, avoir « commis une grosse erreur, parce que les plus de 35 ans, les 38 ans, les 42 ans, les 54 ans me disent : “Et moi, je sers à quoi dans le groupe ?” […] Les plus de 35 ans ont de la sagesse par rapport aux jeunes6 ». L’enfer est pavé de bonnes intentions, mais l’important reste d’oser changer les choses et de tester de nouveaux dispositifs, quitte à devoir optimiser au fur et à mesure.
Quand avez-vous passé une ou deux journées complètes avec vos clients pour la dernière fois ? Vous pensez bien les connaître ? Alors, dites-moi quelles sont les cinq applications mobiles qu’ils utilisent le plus sur leur smartphone… Savez-vous ce qu’ils disent de votre marqu...