Du besoin au dĂ©sir, lâĂ©nergie pulsionnelle | Chapitre 1 |
De quoi traitent la psychanalyse et plus gĂ©nĂ©ralement les sciences humaines, si ce nâest des origines et des dĂ©placements des diffĂ©rentes Ă©nergies en prĂ©sence dans le corps humain et des conflits engendrĂ©s lorsquâelles sont confrontĂ©es les unes aux autres ?
Ces Ă©nergies peuvent se manifester sous forme de pensĂ©es, de dĂ©sirs ou dâaversions. Deux dĂ©sirs de sens contraires peuvent gĂ©nĂ©rer des conflits (par exemple, la faim et le dĂ©sir de faire un rĂ©gime ou la rencontre de quelquâun que lâon prĂ©fĂ©rerait Ă©viter). Si le conflit est externe, il nous atteint rapidement. Sâil est interne, il peut tout aussi rapidement ĂȘtre gĂ©rĂ© ou projetĂ© vers les autres (comme il peut ĂȘtre parfois tentant, par exemple, de partager sa mauvaise humeur avec les autres).
La psychanalyse tente une Ă©tude de ces Ă©nergies. Par la topique, Freud inventera une Ă©tude « cartographique » du psychisme. Par lâĂ©conomie ou la dynamique, il sâagira dâessayer de comprendre la qualitĂ©, la quantitĂ© et les diffĂ©rents dĂ©placements de ces Ă©nergies. Puis, par lâĂ©tude des mĂ©canismes psychiques, dâobserver comment on gĂšre cette Ă©nergie, de distinguer parmi ces mĂ©canismes ceux qui sont appropriĂ©s, ceux qui sont pathologiques et ceux qui sont pervers.
LâĂ©nergie du dĂ©sir
Pour comprendre ce quâest la perversion, nous aborderons en premier lieu la notion de pulsion. Si nous admettons communĂ©ment lâexistence dâune Ă©nergie physique, nous pouvons, de la mĂȘme maniĂšre, isoler une Ă©nergie psychique. La pulsion est justement constituĂ©e de cette Ă©nergie psychique. Câest une excitation endogĂšne : « Elle est une charge Ă©nergĂ©tique qui fait tendre lâorganisme vers un but. » Si nous devons porter un poids, notre muscle produit une Ă©nergie et cette Ă©nergie va se dĂ©penser dans lâeffort fourni. De la mĂȘme façon, une pensĂ©e, un dĂ©sir ou une aversion formulĂ©s pour rĂ©pondre Ă un besoin, produiront une Ă©nergie psychique quâil sera nĂ©cessaire de dĂ©penser. Tout besoin, toute production mentale en gĂ©nĂ©ral, crĂ©ent donc une tension dans le corps et câest par le passage Ă lâacte vers un but et vers un objet dĂ©signĂ© par le psychisme que nous retrouverons un Ă©tat sans tension.
Mais chaque pensĂ©e, chaque dĂ©sir, chaque aversion nâont pas le mĂȘme « poids ». Certaines de nos pensĂ©es pĂšsent plus lourd que dâautres. De plus, il existe une interdĂ©pendance entre lâĂ©nergie physique et lâĂ©nergie psychique : trop de soucis nous mettent Ă plat, nous vident de notre Ă©nergie physique disponible.
Heureux et fort
Lors dâun atelier, un confĂ©rencier fait venir une personne Ă la tribune. Pour une expĂ©rience, il lui demande de tendre son bras et de rĂ©sister Ă une pression quâil applique sur son poignet pour lui faire baisser le bras dans une sorte de bras de fer. Le confĂ©rencier lui demande alors de penser Ă une chose heureuse, un bon souvenir. Il lui sera trĂšs difficile de lui faire plier le bras. Puis, il lui demande de penser Ă un Ă©vĂ©nement triste qui lui est arrivĂ©. La personne devient incapable de rĂ©sister Ă la pression appliquĂ©e sur son bras. Cette expĂ©rience montre bien lâinteraction entre lâĂ©nergie psychique et lâĂ©nergie physique.
Tout dĂ©sir, toute pensĂ©e, toute aversion provoquent donc un Ă©tat de tension dans notre corps. Or lâorganisme peut supporter la pression jusquâĂ une certaine limite. Il tend naturellement Ă lâabaisser car un Ă©tat de tension trop important conduirait Ă la souffrance et mettrait en danger lâorganisme, tant dâun point de vue physique que psychique. Comment sâentendent notre corps et notre psychisme pour Ă©vacuer ces pulsions ? Comment passe-t-on du besoin au dĂ©sir et comment dĂ©charge-t-on notre trop-plein dâĂ©nergie ? Comment se dĂ©brouille la personne saine et comment sây prend le pervers ?
Du besoin au désir
La pulsion sâorganise selon trois pĂŽles : sa source, son but et son objet. La source est le lieu oĂč apparaĂźt le besoin. Il sâagit des fondements de notre corps. Le but est Ă©laborĂ© par le psychisme en rĂ©ponse Ă la demande physiologique et lâobjet est la chose grĂące Ă laquelle nous pourrons assouvir notre besoin.
Par exemple, si la faim nous tenaille, notre corps se met sous tension et envoie un signal, alors notre psychisme Ă©labore un dĂ©sir « jâai envie dâun gĂąteau » et câest par le passage Ă lâacte dans lâobjet dĂ©signĂ©, ici le gĂąteau, que nous pourrons retrouver un Ă©tat de satiĂ©tĂ© et que les tensions sâapaiseront. Pour rĂ©pondre Ă un mĂȘme besoin, chacun pourra Ă©laborer un dĂ©sir diffĂ©rent : envie de sucrĂ©, de salĂ©, de faire un rĂ©gime, etc. Mais câest lâorganisme qui impose au psychisme dâĂ©laborer un dĂ©sir.
La structure de la pulsion
Lâexemple citĂ© prĂ©cĂ©demment sâappuie sur une pulsion dâautoconservation câest-Ă -dire sur un besoin nĂ©cessaire Ă la conservation de la vie (boire, manger, dormirâŠ). Freud identifie trois sortes de pulsions : les pulsions dâautoconservation, les pulsions sexuelles (libido) et les pulsions de mort (auto ou hĂ©tĂ©ro destructrices). Chacune cherchant Ă ĂȘtre assouvie car lâorganisme tend naturellement vers lâapaisement de ses tensions.
Le désir peut-il générer de la souffrance ?
Comme nous lâavons vu, tout dĂ©sir, toute aversion, toute production mentale crĂ©ent des tensions. Lâorganisme ne peut en tolĂ©rer quâun certain niveau. Notre capacitĂ© de tolĂ©rance Ă la frustration dĂ©pend de notre structure psychique et de lâĂ©tat de tension prĂ©existant. Plus nous sommes matures, plus nous sommes aptes Ă supporter un certain Ă©tat de tension. Plus nous sommes dĂ©tendus, plus nous pouvons accueillir un nouveau besoin ou une nouvelle frustration.
Souffrance et addition des tensions
Le plancher du diagramme reprĂ©sente un Ă©tat de basse tension psychocorporelle. Cet Ă©tat de dĂ©tente pourrait correspondre par exemple Ă celui que nous ressentons quand nous sommes en vacances au bord de la mer. Le plafond du schĂ©ma reprĂ©sente le seuil de tolĂ©rance Ă la pression que nous pourrions aussi nommer seuil de souffrance (nâoublions pas que certaines tensions rĂ©sultent de dĂ©sirs inconscients, qui remontent souvent Ă la petite enfance).
Pour mieux comprendre ce diagramme, imaginons quâen vacances, une personne veuille prendre sa voiture et sâaperçoive quâun des pneus est crevĂ©. Cela nâest pas trĂšs grave. Elle change la roue et le soir raconte ses dĂ©boires en riant Ă lâapĂ©ritif. Imaginons maintenant que cette personne apprend quâelle est licenciĂ©e et que son conjoint la quitte. Elle bascule dans un Ă©tat de tension trĂšs important. SimultanĂ©ment, elle arrive Ă sa voiture et dĂ©couvre que le pneu est crevĂ©. LĂ , câest la crise de nerfs. Un tĂ©moin ne comprendra pas quâelle sâeffondre pour si peu (ce qui, dâailleurs, montre bien la difficultĂ© quâil y a Ă juger ce que vivent les autres).
Autre exemple, certaines personnes que lâon nomme clinomaniaques, passent tout leur temps dans leur lit. Elles sont dans un Ă©tat de tension intĂ©rieure tel, que toute action, tout dĂ©sir risqueraient de les propulser vers la souffrance. Le neurasthĂ©nique, lui aussi, Ă©vite dâagir. Il semble vidĂ© de toute Ă©nergie. En fait, ses Ă©nergies sont dĂ©jĂ Ă lâĆuvre dans son inconscient pour retenir sans doute des dĂ©sirs inconscients qui entrent en inadĂ©quation avec ses valeurs morales. Leur niveau de tension est si fort que le moindre dĂ©sir, la moindre contrariĂ©tĂ© pourrait leur faire passer le seuil de tolĂ©rance et les propulser vers la souffrance. Le pervers, lui, par des mĂ©canismes qui lui sont propres et que nous allons observer, fait porter Ă lâautre ses propres travers et Ă©vite ainsi de souffrir.
Des expĂ©riences sur des rats ont Ă©tĂ© menĂ©es au cours desquelles on leur inflige une dĂ©charge Ă©lectrique. Ăvidemment, chaque dĂ©charge augmente leurs tensions jusquâĂ ce quâelles deviennent intolĂ©rables. Si les rats sont plusieurs dans la cage, ils en viennent Ă sâagresser les uns les autres, chacune de leurs attaques leur permettant de se dĂ©charger dâune partie de leur tension. Si le rat est seul, il finira par sâautomutiler en se rongeant la patte.
Donc, les dĂ©sirs mĂšnent-ils Ă la souffrance ? MĂȘme si tout dĂ©sir ou aversion est susceptible de faire monter notre tension interne, il est certain que si ce dĂ©sir est conscient et rĂ©aliste, il ne pourra pas nous mettre sous une tension que nous ne pourrions supporter.
Sommes-nous tous Ă©gaux face Ă la pulsion ?
Quand un nourrisson a un besoin, il exige dâĂȘtre satisfait dans lâinstant. Sans rĂ©ponse immĂ©diate, il hurle et projette sa colĂšre. En cas de frustration, la psychanalyste anglaise Melanie Klein parle de haine pour son objet dâamour (le sein), objet grĂące auquel lâenfant entend assouvir son besoin mais dont lâabsence momentanĂ©e est gĂ©nĂ©ratrice de tensions internes. Plus tard, le petit enfant Ă qui lâon refuse son objet de dĂ©sir, trĂ©pigne et pleure. Ce nâest que vers six ou sept ans, lorsquâil entre dans la pĂ©riode dite de latence, quâil apprendra Ă remettre ses dĂ©sirs Ă plus tard.
Or nous nous sommes structurĂ©s durant notre petite enfance. Freud explique dâailleurs que tout se joue avant six ans, que « lâenfant est le pĂšre de lâhomme ». Tout dĂ©sir non reconnu ou non satisfait entraĂźne un conflit interne et fait naĂźtre les tensions y affĂ©rents. La plupart dâentre nous avons appris Ă gĂ©rer ces appĂ©tences et ces aversions, Ă composer avec ou Ă remettre Ă plus tard nos besoins. Pour gĂ©rer nos pulsions inconscientes, nous aurons souvent recours Ă des mĂ©canismes inconscients, les mĂ©canismes de dĂ©fense du moi.
Mais certaines personnes ne supportent pas leurs conflits internes et sâempressent de les expulser vers lâextĂ©rieur sous forme de dĂ©lires, de projections ou de passages Ă lâacte. Les pervers en font partie. Par des mĂ©canismes de dĂ©fense particuliers que nous allons Ă©tudier, ils parviennent Ă projeter leurs pulsions dans lâautre et ainsi Ă sâen dĂ©barrasser Ă ses dĂ©pens.
Pulsion et perversion
Le terme de perversion provient du latin per vertare qui signifie invertir, changer le sens. Il peut y avoir perversion lorsque lâon change le but ou lâobjet « normal » dâune pulsion. Nous parlerons alors de perversion du but ou de lâobjet.
Par exemple, pour dĂ©gager la notion de perversion sexuelle, nous devons dâabord dĂ©finir le but et lâobjet dâun rapport amoureux. Certaines religions exigent quâun rapport sexuel ait pour seul but la procrĂ©ation Ă lâintĂ©rieur des liens sacrĂ©s du mariage. DĂšs lors, selon leurs points de vue, tout rapport amoureux qui Ă©chapperait Ă ce but ou qui serait consommĂ© en dehors du mariage serait pervers. On le voit, la morale et la rĂšgle ne suffisent pas Ă dĂ©finir la perversion et il convient Ă chacun dâen explorer ses limites. Si lâon retient comme dĂ©finition du rapport sexuel « une recherche de plaisir entre deux adultes consentants », soit il y aurait perversion du but dĂšs lors que lâobjectif serait autre que la recherche de plaisir partagĂ© (souffrance, domination, asservissement, etc.), soit, il y aurait perversion de lâobjet dĂšs lors quâil ne sâagirait pas dâun adulte consentant.
OĂč vont nos pulsions ?
Dans la topique freudienne, les mĂ©canismes de dĂ©fense sont une partie du moi, plus prĂ©cisĂ©ment la partie inconsciente du moi. Le nĂ©vrosĂ© refoule ses pulsions hors du champ de la conscience, « il les oublie », dĂšs lors quâelles entreraient en conflit avec ses valeurs morales. Elles sont refoulĂ©es dans la partie inconsciente du psychisme. Mais les pulsions menacent de sâinfiltrer de nouveau dans la conscience. Les mĂ©canismes de dĂ©fense peuvent permettre de gĂ©rer inconsciemment les pulsions, voire de les dĂ©gager sans avoir recours au but initial.
Apprendre Ă maĂźtriser ses pulsions
Lors dâune dispute conjugale violente, au lieu de refouler son agressivitĂ©, on peut casser des assiettes plutĂŽt que frapper son partenaire. Ă lâobjet partenaire, est substituĂ© lâobjet assiette : on utilise alors un mĂ©canisme de dĂ©fense appelĂ© substitution. On peut aussi changer le but et lâobjet de notre violence, on utilise alors le mĂ©canisme de dĂ©fense nommĂ© dĂ©placement. On peut dĂ©monter lâappareil mĂ©nager qui est en panne, sortir les piĂšces dĂ©fectueuses et les rĂ©parer ou encore faire le mĂ©nage, sâen prendre Ă la poussiĂšre et jeter les objets qui nous semblent inutiles. Le but et lâobjet sont alors interchangeables Ă volontĂ©. Ce qui compte, câest de dĂ©gager de lâĂ©nergie sans avoir recours au but initial et de ne pas entrer en conflit avec nos valeurs morales inconscientes. Certains mĂ©canismes sont adaptĂ©s Ă une attitude « correcte », certains sont pathologiques. Certains permettent de dĂ©gager de lâĂ©nergie psychique, dâautres non.
Lors dâun conflit, une personne peut fantasmer sa pulsion et revivre de façon rĂ©currente une scĂšne gĂ©nĂ©ratrice dâangoisse. Par exemple, aprĂšs sâĂȘtre fait agresser par son chef de service et ĂȘtre restĂ© muet, Salvador, de retour chez lui, revit la scĂšne, mais dans son imagination, dit tout le mal quâil pense de lui Ă son supĂ©rieur. Dans son fantasme, Salvador se donne alors le beau rĂŽle. Mais ce mĂ©canisme de dĂ©fense ne lui permet pas de se dĂ©gager de son angoisse et de plus, est coĂ»teux en Ă©nergie.
Nous utilisons tous des mĂ©canismes de dĂ©fense qui peuvent ĂȘtre typiques de la nĂ©vrose, de la psychose ou des perversions. Toutefois, le nĂ©vrosĂ© peut ponctuellement utiliser des mĂ©canismes pervers ou psychotiques. Le pervers, quant Ă lui, utilise gĂ©nĂ©ralement le mĂȘme type de dispositifs, des mĂ©canismes souvent projectifs ou fondĂ©s sur le dĂ©ni.
Le moi compose entre les désirs du ça, les interdits du surmoi et le monde extérieur. Pour décharger de la pulsion, le moi utilise des mécanismes inconscients : les mécanismes de défense du moi.
⹠Le ça (instance pulsionnelle) est to...