CHAPITRE 1
UNE DISCIPLINE ĂMERGENTE : LA NEUROĂDUCATION
- ApprĂ©hender le cadre historique rĂ©cent de lâĂ©mergence de la neuroĂ©ducation.
- Identifier les courants favorables et les principaux contradicteurs.
- Se repérer parmi les sources fiables disponibles : experts, conférences et formations.
- DĂ©couvrir le concept de NeuroLearning.
Avant dâaborder lâapport des neurosciences Ă la formation pour adultes, il est nĂ©cessaire de bien comprendre le cadre historique de cette discipline Ă©mergente quâest la neuroĂ©ducation. Vous dĂ©couvrirez ainsi les grandes lignes de lâapproche, les courants de pensĂ©e qui la confortent ou sây opposent, et la nĂ©cessaire distance Ă prendre envers les premiĂšres dĂ©marches applicatives pratiques qui se dĂ©gagent.
La prise de conscience de lâimportance de relier science du cerveau et mĂ©thodes Ă©ducatives est en effet rĂ©cente. Lâexistence officielle de la neuroĂ©ducation date de quelques annĂ©es seulement. Câest en 2007 que paraĂźt un rapport trĂšs attendu de lâOCDE sur le sujet. Il couronne sept annĂ©es dâune collaboration multidisciplinaire et internationale pour Ă©valuer lâintĂ©rĂȘt du rapprochement des deux communautĂ©s. Au terme de ce travail colossal, la puissante organisation conclut : « La neuroscience de lâĂ©ducation dĂ©bouche sur des connaissances prĂ©cieuses et neuves, qui permettent dâinformer politiques et pratiques Ă©ducatives. »
QUâEST-CE QUE LA NEUROĂDUCATION ?
Bien quâelle bĂ©nĂ©ficie aujourdâhui du soutien de plusieurs gouvernements et de sociĂ©tĂ©s savantes prestigieuses, la jeune discipline nâa pas encore un statut acadĂ©mique Ă part entiĂšre. Son origine multidisciplinaire lui vaut depuis ses dĂ©buts une crise dâidentitĂ© qui nâest pas encore rĂ©solue. Son intitulĂ© et sa dĂ©finition mĂȘme ne font pas encore complĂštement consensus.
En France, les termes les plus frĂ©quemment utilisĂ©s sont ceux de « neuroĂ©ducation », « neuropĂ©dagogie » et de « neurosciences Ă©ducatives ». Le rapport de lâOCDE, dans sa version française, lâintitule « neuroscience de lâĂ©ducation » et la situe au carrefour des neurosciences cognitives et de lâapprentissage.
Les Anglo-saxons, de leur cĂŽtĂ©, utilisent les termes de neuroeducation, brain-based education et, plus rĂ©cemment, Mind, Brain and Education Science (MBE) avec la prĂ©cision « the science of teaching and learning ». Le dernier intitulĂ© met lâaccent sur sa double mission : informer scientifiquement lâapprentissage et lâenseignement. Les Anglo-saxons situent la neuroĂ©ducation au carrefour de trois disciplines : neurosciences, psychologie et pĂ©dagogie.
MalgrĂ© ces variantes, un objectif consensuel se dessine : faire Ă©voluer les bonnes pratiques dâapprentissage et dâenseignement Ă travers les preuves scientifiques de la façon dont le cerveau apprend.
Lâambition de la neuroĂ©ducation ne se limite pas Ă Ă©tablir des passerelles entre les disciplines. Elle vise lâintĂ©gration de connaissances issues de ces champs pour aboutir Ă une mĂ©tadiscipline hiĂ©rarchiquement supĂ©rieure Ă celles qui lui ont donnĂ© naissance. Restent Ă dĂ©finir les contours de cette science, notamment son cadre de rĂ©fĂ©rence.
DES BUTS, DES PERSPECTIVES ET DES LANGAGES DIFFĂRENTS
Le rapprochement de disciplines aussi diffĂ©rentes que les neurosciences, la psychologie et lâĂ©ducation ne va pas de soi, dâautant quâil en intĂšgre dâautres. Des champs comme la gĂ©nĂ©tique ou lâanthropologie y trouvent leur place. Dâautres sâintĂ©ressant Ă lâintelligence et Ă la connaissance comme la philosophie ou lâĂ©pistĂ©mologie sây croisent aussi. Ce brassage qui en fait toute la richesse nâen facilite pas lâapprĂ©hension.
Chaque discipline mĂšre se penche sur lâapprentissage Ă sa façon. Les neuroscientifiques sâintĂ©ressent Ă ce qui se passe dans le cerveau, les psychologues se penchent sur lâesprit, et les enseignants, face aux apprenants, recherchent des approches et des outils pĂ©dagogiques efficaces.
Il nâexiste pas encore de standards formels pour la neuroĂ©ducation. Au-delĂ de son intitulĂ© et de sa dĂ©finition, restent encore Ă dĂ©finir son vocabulaire et sa mĂ©thodologie.
« NEURO », UN LABEL QUI AGACE PARFOIS
Le terme mĂȘme de « neuroĂ©ducation » est un point de contention. Le label « neuro » donne explicitement la vedette aux neurosciences. Cela tĂ©moigne de lâessor extraordinaire de la science du cerveau au cours des derniĂšres annĂ©es, ainsi que de lâengouement gĂ©nĂ©ral quâelle suscite. Ce nâest pas sans irriter les acteurs dâautres disciplines impliquĂ©es comme la psychologie et les sciences de lâĂ©ducation.
David Souza, psychologue amĂ©ricain, auteur de plusieurs ouvrages de rĂ©fĂ©rence sur le sujet, rappelle que les contributions les plus nombreuses et les plus directement utilisables en pratique sont issues des sciences cognitives. « Il est plus pertinent sur le terrain de savoir quelle façon dâapprendre est plus efficace que lâautre plutĂŽt que de savoir ce qui se passe dans le cerveau Ă ce moment-là », dit-il dans son dernier ouvrage.
UNE NAISSANCE MOUVEMENTĂE
Quatre dĂ©cennies de recherches scientifiques, dâĂ©changes et de dĂ©bats parfois houleux constituent lâhistoire de la neuroĂ©ducation. Câest Ă la fin des annĂ©es 1970 et au dĂ©but des annĂ©es 1980 que lâon trouve les premiĂšres publications proposant dâintĂ©grer les connaissances scientifiques Ă la pĂ©dagogie. Le biologiste amĂ©ricain Howard Gardner est lâun des premiers Ă en avoir lâintuition. Ses contemporains Hunter, Posner, Gazzaniga et Hart font Ă©galement partie des pionniers.
Leslie Hart Ă©crit en 1983 quâenseigner sans connaĂźtre le fonctionnement du cerveau revient Ă Ă©laborer un gant sans savoir Ă quoi ressemble une main. Selon elle, si la classe est le lieu de lâapprentissage, alors le cerveau qui est lâorgane de lâapprentissage doit ĂȘtre pris en compte.
La mĂȘme annĂ©e, Howard Gardner publie sa thĂ©orie des intelligences multiples. Ses travaux ne sont pas issus des neurosciences mais ils contribuent Ă mettre le projecteur sur le fonctionnement du cerveau en matiĂšre dâapprentissage. Le terme de brain-based education Ă©merge Ă cette Ă©poque. LâidĂ©e est nĂ©e de traduire la science du cerveau pour lâutiliser sur le terrain de la salle de classe.
Les annĂ©es 1990 sont marquĂ©es par lâexplosion des connaissances en neurosciences. Les scientifiques sâintĂ©ressent alors peu Ă lâapplication potentielle de leurs dĂ©couvertes Ă la pĂ©dagogie. Mais le monde de lâĂ©ducation sâempare de cette idĂ©e. Une dĂ©ferlante dâouvrages grand public inspirĂ©s par ce sujet voit le jour.
La communautĂ© des sciences cognitives sâalarme de ce phĂ©nomĂšne et ne tarde pas Ă le faire savoir. Les plus modĂ©rĂ©s admettent que lâidĂ©e de relier la science du cerveau Ă la salle de classe est bonne mais incitent Ă la prudence. Dâautres, plus critiques, clament que lâenseignant, nâĂ©tant pas scientifique, nâest pas qualifiĂ© pour juger des applications possibles des neurosciences pour lâapprentissage. Des interprĂ©tations erronĂ©es de la science ou des utilisations inappropriĂ©es de rĂ©sultats valides sont dĂ©noncĂ©es. Le terme de « neuromythe » voit le jour. Il dĂ©signe des croyances sur le cerveau dĂ©nuĂ©es de rĂ©alitĂ© scientifique et pourtant trĂšs rĂ©pandues en pĂ©dagogie comme : « Tout se joue avant 3 ans », « On est cerveau gauche ou cerveau droit » ou « Ăcouter Mozart rend intelligent »⊠Ces mythes sont revus en dĂ©tail au chapitre suivant.
Progressivement, certains neuroscientifiques, des psychologues cognitivistes et des enseignants reconnaissent quâil existe un terrain commun oĂč il est possible de dĂ©battre des implications de la science pour la pĂ©dagogie.
OFFICIALISATION ET CONSĂCRATION AU XXIe SIĂCLE
En 2002, la neuroĂ©ducation est lĂ©galement entĂ©rinĂ©e aux Ătats-Unis dans un texte de rĂ©forme de lâĂ©ducation : lâEducation Science Reform Act. ...