Un dispositif d’autovidéographie réflexive en soutien aux pratiques de régulation et d’autorégulation des apprentissages des stagiaires en enseignement
Salem AMAMOU et Glorya PELLERIN
La formation universitaire à l’enseignement au Québec privilégie une approche d’alternance intégrative (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2001) qui implique un va-et-vient entre le milieu universitaire et le milieu scolaire, entre la théorie et la pratique (Chaubet et al., 2018). Cette approche, qualifiée également de professionnalisante (Wittorski, 2014), suppose d’abord une réflexion pédagogique et organisationnelle sur la typologie des formes d’alternance pour favoriser une articulation entre les pratiques en milieu scolaire et la formation universitaire. Cette réflexion prend également une dimension de nature instrumentale pour choisir des dispositifs pédagogicodidactique dans l’optique d’une articulation entre la théorie et la pratique (Caron et Portelance, 2017). Dans cette visée, les futurs enseignants sont amenés à analyser les situations éducatives vécues dans un contexte authentique de travail à la lumière des connaissances théoriques acquises. Ils sont incités à porter un jugement critique afin d’appuyer leur agir professionnel par des choix fondés sur des connaissances actuelles propres au domaine de l’enseignement, ce qui constitue un des principes à la base de l’enseignement (MEQ, 2020). À cet effet, une analyse réflexive régulière est essentielle pour permettre aux stagiaires de réfléchir à ce qu’ils font, de comprendre pourquoi ils le font et comment ils peuvent et doivent le faire (MEQ, 2020).
Dans cette visée, les formateurs ont un rôle important à jouer dans l’accompagnement des futurs enseignants au développement et à l’adoption d’une posture réflexive vis-à-vis de leur pratique enseignante. Encouragés à devenir des facilitateurs de la réflexion et non des évaluateurs de performance, ils ont la possibilité d’adopter différentes stratégies de régulation qui permettront aux stagiaires de bonifier leur pratique réflexive (Guillemette et Lapointe, 2011). Que ce soit par questionnement, par retour oral ou écrit, les rétroactions offertes devraient contribuer notamment à favoriser les remises en question et l’identification de nouvelles pistes d’action, ce qui s’avère nécessaire au développement d’une identité professionnelle (Gohier et al., 2001). D’ailleurs, cette dimension est attendue, car elle est essentielle au développement de la compétence 11 du référentiel : « S’engager dans un développement professionnel continu et dans la vie de la profession ».
Dans ce chapitre, les auteurs, aussi superviseurs de stage, ont fait le choix de proposer un récit de pratique qui relate leur expérience d’utilisation du dispositif d’autovidéographie réflexive (Pellerin et al., 2018) en soutien aux pratiques de régulation et d’autorégulation des apprentissages des stagiaires en enseignement. Le choix de ce type de recherche s’est arrêté sur le fait que la rédaction de ce texte leur permet non seulement de poser un regard autoréflexif sur leur propre pratique, c’est-à-dire d’examiner et de clarifier leurs pensées et leurs actions, mais également de développer des connaissances relatives à celles-ci (Mäkelä et Nimkulrat, 2011, cités dans Paquin, 2018). Le récit de pratique permet également de « définir des dimensions souvent implicites, intuitives, mais qui ne sont pas moins importantes » (Bell, 2009, p. 260).
Suivant la structure traditionnelle d’un récit, les auteurs de ce chapitre décrivent d’abord un « début ». Ce dernier correspond à la situation conflictuelle initiale qui a justifié la mise en place du dispositif et de ce qui en constitue le cadre de référence. Par la suite, le récit se poursuit par un « milieu », soit la description du développement du dispositif, sa mise en place, ses spécificités, les ajustements apportés. Enfin, le récit se termine par la « situation finale », soit celle qui permet une introspection et une identification de pistes d’amélioration du dispositif.
1 Le contexte de la mise en place du dispositif d’analyse réflexive vidéographiée
Adopter une posture réflexive est considéré comme étant une nécessité pour la profession enseignante (Fischer, Dantinne et Charlier, 2019 ; MEQ, 2020). Les professionnels de l’enseignement ayant développé cette posture seraient davantage en mesure de réguler leurs actions et d’ainsi favoriser leur capacité d’adaptation aux multiples situations auxquelles ils font face quotidiennement (Paquay et al., 2012). En formation initiale, les possibilités de développer cette posture sont multiples et variées. Les moments de rétroaction en stage avec la personne enseignante associée ou superviseure, les échanges avec les professeurs ou les collègues étudiants dans le cadre des cours ou des séminaires de stage, les travaux écrits qui incluent des analyses réflexives, etc., sont quelques exemples de modalités offertes aux futurs enseignants pour leur permettre de développer un regard réflexif sur leur pratique. Or, peu de ces modalités prévoient des allers-retours entre les essais des étudiants et les rétroactions des formateurs, ce qui permettrait ainsi un réajustement accompagné et continu des pratiques réflexives (Vacher, 2011). S’il arrive qu’un nombre limité d’analyses réflexives soit parfois exigé pour un stage, les rétroactions données par la personne superviseure le sont souvent à la fin du stage. Ces rétroactions sont souvent réinvesties une année plus tard et non au stage suivant.
Il apparaît également que les étudiants considèrent les tâches d’analyse réflexive en formation initiale comme un défi, voire un exercice ardu qui ne favorise pas nécessairement leur autonomie (Karsenti et al., 2012 ; Pellerin et Araújo-Oliveira, 2012). Vanhulle (2005) note aussi des difficultés à structurer, à l’écrit, les aspects qui guident l’analyse de leur pratique. À cet effet, les superviseurs de stage pourraient proposer des alternatives novatrices à la production de ce type d’analyse et ainsi permettre aux étudiants de se concentrer sur le contenu, ce qui limiterait l’obstacle occasionné par la forme écrite. La forme orale pourrait être une de ces solutions, notamment par le recours à la vidéographie, qui permettrait par le fait même l’intégration pédagogique du numérique.
1.1 Un prétexte à l’intégration pédagogique du numérique
En plus de la volonté d’offrir aux étudiants une nouvelle formule pédagogique pour réaliser leur analyse réflexive, il est apparu pertinent d’offrir aux futurs enseignants cette occasion pour parfaire leur compétence à intégrer le numérique dans leur formation professionnelle. D’ailleurs, la compétence 12, Mobiliser le numérique (MEQ, 2020, p. 79), prévoit que le professionnel de l’enseignement sera en mesure d’« adopter une perspective de développement personnel et professionnel avec le numérique dans une posture d’autonomisation ». Dans le contexte qui nous intéresse, le numérique devient un moyen de partage et d’analyse de situations professionnelles. La vidéo ayant déjà fait ses preuves en tant qu’outil porteur pour stimuler l’autoévaluation des pratiques (Abell et Cennamo, 2003 ; Sherin, 2004) et pour favoriser l’établissement de liens entre théorie et pratique (Oonk, Goffree et Verloop, 2004), le choix de ce moyen de communication a été privilégié comme outil pour la réalisation d’une analyse réflexive.
1.2 Un outil favorable au développement de différents niveaux de réflexivité
Dans la littérature scientifique, la pratique réflexive est présentée selon différents modèles. Derobertmasure (2012, p. 74) l’opérationnalise en trois niveaux distincts de réflexivité qui permettent de guider le stagiaire vers un certain « degré d’aboutissement de la démarche réflexive ». Le premier niveau permet de mettre à jour les faits. On y retrouvera les éléments suivants : narrer, décrire, questionner, prendre conscience, pointer ses difficultés, ses problèmes. Le second niveau permet de positionner les faits retenus, de prendre une distance, de faire des liens entre l’action et une théorie. Pour illustrer le deuxième niveau, Derobertmasure (2012) énonce les éléments suivants : légitimer sa pratique en fonction d’une tradition, d’une préférence, d’arguments conceptuels, d’arguments pédagogiques ou éthiques, évaluer sa pratique, intentionnaliser sa pratique, diagnostiquer. Enfin, le dernier niveau de réflexivité permet de se projeter dans l’avenir. Les processus réflexifs mobilisés permettent une certaine théorisation de la pratique : proposer ou explorer des solutions de rechange à sa pratique, théoriser.
C’est donc à la lumière de ces constats qu’un groupe de chercheurs/superviseurs (Lira-Gonzales et al., 2021 ; Pellerin et al., 2018) ont mis en place un dispositif qui allie les outils du numérique et qui s’harmonise aux travaux d’analyses réflexives écrites déjà exigés dans le stage concerné par ce récit de pratique. Le choix de ce dispositif repose également sur le fait qu’il permet un déploiement de différents niveaux de réflexivité par les stagiaires et qu’il offre une occasion de régulation des pratiques en continu tout au long du stage. En effet, les étudiants stagiaires sont amenés à analyser oralement, et sur vidéo, un certain nombre de situations observées ou vécues en stage et à bénéficier d’une évaluation formative après le dépôt de chacune d’elles. Des analyses réflexives écrites complètent le dispositif lié au développement de la pratique réflexive chez ces stagiaires.
2 Une description du dispositif
La pratique réflexive, selon Schön (1994), implique que l’enseignant arrive à réfléchir in situ, c’est-à-dire au moment où l’action se déroule. On parle alors de réflexion dans l’action. Mais pour y arriver, il doit être en mesure de réfléchir hors de l’action, après celle-ci, ce qui constitue une réflexion sur l’action. Pour Lenoir (s. d., p. 6),
la réflexion sur l’action […] permet de questionner et de comprendre l’action, mais aussi d’apprendre et d’intégrer de nouveaux savoirs objectivés qui vont orienter, guider et soutenir de nouvelles manières de faire. La réflexion rétrospective et prospective sur l’action sert ainsi à évaluer l’action, à éclairer les motifs qui l’animaient et à prendre des décisions au regard de nouvelles actions. Elle paraît donc nécessaire pour la réflexion dans l’action, car elle sert de référent pour l’action.
À l’instar de ce qui est avancé par Schön (1994) et Lenoir (s. d.), le dispositif d’autovidéographie réflexive (Pellerin et al., 2018) est un moyen d’accompagnement du stagiaire – par le superviseur universitaire – à l’analyse réflexive sur sa pratique. Cela permet de revoir des situations passées en prévision de celles prévues.
Ainsi, à l’aide de l’outil de son choix (tablette, téléphone intelligent, ordinateur) et en suivant une démarche qui lui est présentée, le stagiaire décrit oralement une situation vécue ou observée au cours d’une journée de stage. À la suite de cet exercice, le stagiaire est alors en mesure de dégager des apprentissages en lien avec les différentes compétences professionnelles à développer (p. ex. gérer la classe, soutenir le plaisir d’apprendre, tenir compte de l’hétérogénéité des él...