Catherine Blum
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À propos de ce livre

Foret de Villers-Cotterets, mai 1829. Les époux Watrin, dont le mari est garde-chasse du duc d'Orléans, ont élevé trois enfants: Bernard, leur fils, maintenant garde-chasse lui aussi, Catherine, leur niece, dont le pere était un prisonnier allemand blessé recueilli par la famille, et Mathieu, un enfant abandonné qu'ils ont recueilli. Catherine et Bernard ont peu a peu appris a s'aimer, d'abord comme frere et soeur, puis comme des amants. Apres dix-huit mois passés a Paris en apprentissage, Catherine revient chez les Watrin pour s'établir comme modiste a la ville toute proche. La longue séparation a conforté les deux jeunes gens dans leur amour. Mathieu, qui a un fond méchant et une rancune tenace envers Bernard, va inventer un piege diabolique pour faire échouer leur projet de mariage en manipulant l'honnete famille et en provoquant habilement la jalousie du jeune amant.
Catherine Blum tient a la fois du théùtre, de l'étude de moeurs, du conte et du roman policier. Dumas s'y essaye avec bonheur au roman contemporain, sans dimension historique, et s'implique intimement en décrivant avec émotion, dans un long premier chapitre, les lieux de son enfance.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635255580

Chapitre 1 AVANT LE RÉCIT

Tu me disais hier, mon enfant :
– Cher pùre, tu ne fais pas assez de livres comme Conscience.
Ce Ă  quoi je t’ai rĂ©pondu :
– Ordonne : tu sais bien que je fais tout ce que tu veux. Explique-moi le livre que tu dĂ©sires, et tu l’auras.
Alors, tu as ajouté :
– Eh bien ! je voudrais une de ces histoires de ta jeunesse, un de ces petits drames inconnus du monde, qui se passent Ă  l’ombre des grands arbres de cette belle forĂȘt dont les profondeurs mystĂ©rieuses t’ont fait rĂȘveur, dont le mĂ©lancolique murmure t’a fait poĂšte ; un de ces Ă©vĂ©nements que tu nous racontes parfois en famille, pour te reposer des longues Ă©popĂ©es romanesques que tu composes ; Ă©vĂ©nements qui, selon toi, ne valent pas la peine d’ĂȘtre Ă©crits. Moi, j’aime ton pays, que je ne connais pas, que j’ai vu de loin Ă  travers tes souvenirs, comme on voit un paysage Ă  travers un rĂȘve !
– Oh ! et moi aussi, je l’aime, mon bon pays, mon cher village ! car ce n’est guĂšre autre chose qu’un village, quoiqu’il s’appelle bourg et s’intitule ville ; je l’aime Ă  en fatiguer, non pas vous autres, mes amis, mais les indiffĂ©rents. Je suis, Ă  l’endroit de Villers-CotterĂȘts, comme mon vieux Rusconi est Ă  l’endroit de Colmar. Pour lui, Colmar est le centre de la terre, l’axe du globe ; l’univers tourne autour de Colmar ! c’est Ă  Colmar qu’il a connu tout le monde : Carrel ! « OĂč avez-vous donc connu Carrel, Rusconi ? – J’ai conspirĂ© avec lui Ă  Colmar, en 1821. » Talma ! « OĂč avez-vous donc connu Talma, Rusconi ? – Je l’ai vu jouer Ă  Colmar, en 1818. » NapolĂ©on ! « OĂč avez-vous donc connu NapolĂ©on, Rusconi ? – Je l’ai vu passer Ă  Colmar, en 1808. » Eh bien ! tout date pour moi de Villers-CotterĂȘts, comme tout date de Colmar pour Rusconi.
Seulement, Rusconi a sur moi cet avantage ou ce dĂ©savantage de n’ĂȘtre pas nĂ© Ă  Colmar : il est nĂ© Ă  Mantoue, la ville ducale, la patrie de Virgile et de Sordello, tandis que moi je suis nĂ© Ă  Villers-CotterĂȘts.
Aussi, tu le vois, mon enfant, ne faut-il pas me presser beaucoup pour me faire parler de ma bien-aimĂ©e petite ville, dont les maisons blanches, groupĂ©es dans le fond du fer Ă  cheval que forme son immense forĂȘt, ont l’air d’un nid d’oiseaux que l’église, avec son clocher au long col, domine et surveille comme une mĂšre. Tu n’as qu’à ĂŽter de mes lĂšvres le sceau qui y clĂŽt mes pensĂ©es et y enferme mes paroles, pour que pensĂ©es et paroles s’en Ă©chappent vives et pĂ©tillantes comme la mousse du cruchon de biĂšre, qui nous fait jeter un cri et nous Ă©carte les uns des autres Ă  notre table d’exil, ou comme celle du vin de Champagne, qui nous arrache un sourire et nous rapproche en nous rappelant le soleil de notre pays.
En effet, n’est-ce pas lĂ  que j’ai vĂ©ritablement vĂ©cu, puisque c’est lĂ  que j’ai attendu la vie ? On vit par l’espĂ©rance bien plus que par la rĂ©alitĂ©. Qui fait les horizons d’or et d’azur ? HĂ©las ! mon pauvre enfant, tu sauras cela un jour : c’est l’espĂ©rance !
LĂ , je suis nĂ© ; lĂ , j’ai jetĂ© mon premier cri de douleur ; lĂ , sous l’Ɠil de ma mĂšre, s’est Ă©panoui mon premier sourire ; lĂ , j’ai couru, tĂȘte blonde aux joues roses, aprĂšs ces illusions juvĂ©niles qui nous Ă©chappent ou qui, si on les atteint, ne nous laissent aux doigts qu’un peu de poussiĂšre veloutĂ©e, et qu’on appelle des papillons. HĂ©las ! c’est encore vrai et Ă©trange ce que je vais te dire : on ne voit de beaux papillons que lorsqu’on est jeune ; plus tard viennent les guĂȘpes, qui piquent ; puis les chauves-souris, qui prĂ©sagent la mort.
Les trois pĂ©riodes de la vie peuvent se rĂ©sumer ainsi : jeunesse, Ăąge mĂ»r, vieillesse ; papillons, guĂȘpes, chauves-souris !
C’est lĂ  que mon pĂšre est mort. J’avais l’ñge oĂč l’on ne sait pas ce que c’est que la mort, et oĂč l’on sait Ă  peine ce que c’est qu’un pĂšre.
C’est lĂ  que j’ai ramenĂ© ma mĂšre morte ; c’est dans ce charmant cimetiĂšre, qui a bien plus l’air d’un enclos de fleurs Ă  faire jouer des enfants que d’un champ funĂšbre oĂč coucher des cadavres, qu’elle dort cĂŽte Ă  cĂŽte avec le soldat du camp de Maulde et le gĂ©nĂ©ral des Pyramides. Une pierre que la main d’une amie a Ă©tendue sur leur tombe les abrite tous deux.
À leur droite et Ă  leur gauche gisent les grands-parents, le pĂšre et la mĂšre de ma mĂšre, des tantes dont je me rappelle le nom, mais dont je ne vois le visage qu’à travers le voile grisĂątre des longues annĂ©es.
C’est lĂ  enfin que j’irai dormir Ă  mon tour, le plus tard possible, mon Dieu ! car ce sera bien malgrĂ© moi que je te quitterai, mon cher enfant !
Ce jour-lĂ , je retrouverai, Ă  cĂŽtĂ© de celle qui m’a allaitĂ©, celle qui me berça : la maman Zine, dont je parle dans mes MĂ©moires, et prĂšs du lit de laquelle le fantĂŽme de mon pĂšre est venu me dire adieu !
Comment n’aimerais-je point Ă  parler de cet immense berceau de verdure oĂč chaque chose est pour moi un souvenir ? Je connaissais tout, lĂ -bas, non seulement les gens de la ville, non seulement les pierres des maisons, mais encore les arbres de la forĂȘt ! Au fur et Ă  mesure que ces souvenirs de ma jeunesse ont disparu, je les ai pleurĂ©s. TĂȘtes blanches de la ville, cher abbĂ© GrĂ©goire, bon capitaine Fontaine, digne pĂšre Niguel, cher cousin Deviolaine, j’ai essayĂ© parfois de vous faire revivre ; mais vous m’avez presque effrayĂ©, pauvres fantĂŽmes, tant je vous ai trouvĂ©s pĂąles et muets malgrĂ© ma tendre et amicale Ă©vocation ! Je vous ai pleurĂ©s, pierres sombres du cloĂźtre de Saint-RĂ©my, grilles colossales, escaliers gigantesques, cellules Ă©troites, cuisines cyclopĂ©ennes, que j’ai vus tomber assise par assise, jusqu’à ce que le pic et la pioche dĂ©couvrissent au milieu des dĂ©bris vos fondations, larges comme des bases de remparts, et vos caves, bĂ©antes comme des abĂźmes ! Je vous ai pleurĂ©s, vous surtout, beaux arbres du parc, gĂ©ants de la forĂȘt, familles de chĂȘnes au tronc rugueux, de hĂȘtres Ă  l’écorce polie et argentĂ©e, de peupliers trembleurs, et de marronniers aux fleurs pyramidales, autour desquelles bourdonnaient, dans les mois de mai et de juin, des essaims d’abeilles au corps gonflĂ© de miel, aux pattes chargĂ©es de cire ! Vous ĂȘtes tombĂ©s tout Ă  coup en quelques mois, vous qui aviez encore tant d’annĂ©es Ă  vivre, tant de gĂ©nĂ©rations Ă  abriter sous votre ombre, tant d’amours Ă  voir passer mystĂ©rieusement et sans bruit sur le tapis de mousse que les siĂšcles avaient Ă©tendu Ă  vos pieds ! Vous aviez connu François Ier et madame d’Étampes, Henri II et Diane de Poitiers, Henri IV et Gabrielle ; vous parliez de ces illustres morts sur vos Ă©corces creusĂ©es ; vous aviez espĂ©rĂ© que ces croissants triplement enlacĂ©s, que ces chiffres amoureusement tordus les uns aux autres, que ces couronnes de lauriers et de roses vous sauvegarderaient d’un trĂ©pas vulgaire et de ce cimetiĂšre mercantile qu’on appelle un chantier. HĂ©las ! vous vous trompiez, beaux arbres ! Un jour, vous avez entendu le bruit retentissant de la cognĂ©e et le sourd grincement de la scie
 C’était la destruction qui venait Ă  vous ! c’était la mort qui vous criait : « À votre tour, orgueilleux ! »
Et je vous ai vus couchĂ©s Ă  terre, mutilĂ©s des racines au faĂźte, avec vos branches Ă©parses autour de vous ; et il m’a semblĂ© que, plus jeune de cinq mille ans, je parcourais cet immense champ de bataille qui se dĂ©roule entre PĂ©lion et Ossa, et que je voyais Ă©tendus Ă  mes pieds ces titans aux trois tĂȘtes et aux cent bras qui avaient essayĂ© d’escalader l’Olympe, et que Jupiter avait foudroyĂ©s !
Si jamais tu te promĂšnes avec moi et appuyĂ© Ă  mon bras, cher enfant de mon cƓur, au milieu de tous ces grands bois ; si tu traverses ces villages Ă©pars, si tu t’assieds sur ces pierres couvertes de mousse, si tu inclines la tĂȘte vers ces tombes, il te semblera d’abord que tout est silencieux et muet ; mais je t’apprendrai le langage de tous ces vieux amis de ma jeunesse, et alors tu comprendras quel doux murmure ils font Ă  mon oreille, vivants ou morts.
Nous commencerons par l’orient, et c’est tout simple : pour toi, le soleil se lĂšve Ă  peine ; ses premiers rayons font encore cligner tes grands yeux bleus oĂč le ciel se mire. LĂ , nous visiterons, en appuyant un peu au midi, ce charmant petit chĂąteau de Villers-HĂ©lon, oĂč j’ai jouĂ©, tout enfant, cherchant au milieu des massifs, Ă  travers les vertes charmilles, ces fleurs vivantes que nos jeux Ă©parpillaient et qui s’appelaient Louise, Augustine, Caroline, Henriette, Hermine. HĂ©las ! aujourd’hui, deux ou trois de ces belles tiges si souples sont brisĂ©es sous le vent de la mort ; les autres sont mĂšres, quelques-unes grand-mĂšres. Il y a quarante ans de l’époque dont je te parle, mon cher enfant, Ă  toi qui, dans vingt ans seulement, sauras ce que c’est que quarante ans.
Puis, continuant le pĂ©riple, nous traverserons Lorcy. Vois-tu cette pente rapide parsemĂ©e de pommiers, et qui trempe sa base dans cet Ă©tang Ă  l’eau et aux herbes vertes ? Un jour, trois jeunes gens, emportĂ©s dans un char Ă  bancs par un cheval imbĂ©cile ou furieux, ils n’ont jamais bien su si c’était l’un ou l’autre, roulaient comme une avalanche, se prĂ©cipitant tout droit dans cette espĂšce de Cocyte ! Par bonheur, une des roues accrocha un pommier ; ce pommier fut presque dĂ©racinĂ© ! Deux des jeunes gens furent lancĂ©s par-dessus le cheval ! l’autre, comme Absalon, resta suspendu Ă  une branche, non point par la chevelure, quoique sa chevelure eĂ»t fort prĂȘtĂ© Ă  cette pendaison, mais par la main ! Les deux jeunes gens qui avaient Ă©tĂ© lancĂ©s par-dessus le cheval Ă©taient, l’un mon cousin Hippolyte Leroy, dont tu m’as quelquefois entendu parler, l’autre mon ami Adolphe de Leuven, dont tu m’entends parler toujours ; le troisiĂšme, c’était moi.
Que serait-il arrivé de ma vie, et, par conséquent de la tienne, mon pauvre enfant, si ce pommier ne se fût trouvé là, à point nommé, sur ma route ?
À une demi-lieue Ă  peu prĂšs, toujours en nous avançant de l’est au midi, nous devons trouver une grande ferme. Tiens, la voilĂ  avec son corps de logis couvert de tuiles, et ses dĂ©pendances coiffĂ©es de chaume : c’est Vouty.
LĂ , mon enfant, demeure encore, je l’espĂšre, quoiqu’il doive avoir aujourd’hui plus de quatre-vingts ans, un homme qui a Ă©tĂ© Ă  ma vie morale, si je puis m’exprimer ainsi, ce que ce bon pommier que je te montrais tout Ă  l’heure, et qui arrĂȘta notre char Ă  bancs, a Ă©tĂ© Ă  ma vie matĂ©rielle. Cherche dans mes MĂ©moires, et tu trouveras son nom : c’est ce vieil ami de mon pĂšre qui est entrĂ© un jour chez nous revenant de la chasse, une moitiĂ© de la main gauche emportĂ©e par son fusil qui avait crevĂ©. Quand la rage me prit de quitter Villers-CotterĂȘts et de venir Ă  Paris, au lieu de me mettre, comme les autres, des lisiĂšres aux Ă©paules et des entraves aux jambes, il me dit : « Va ! c’est la destinĂ©e qui te pousse ! » et il me donna, pour le gĂ©nĂ©ral Foy, cette fameuse lettre qui m’ouvrit l’hĂŽtel du gĂ©nĂ©ral et les bureaux du duc d’OrlĂ©ans.
Nous l’embrasserons bien fort, ce bon cher vieillard à qui nous devons tant, et nous continuerons notre chemin, qui nous conduira sur une grande route, au faüte d’une montagne.
Regarde, du haut de cette montagne, cette vallée, cette riviÚre et cette ville.
Cette vallĂ©e et cette riviĂšre sont la vallĂ©e et la riviĂšre d’Ouroy.
Cette ville, c’est La FertĂ©-Milon, la patrie de Racine.
Il est inutile que nous descendions cette pente et que nous entrions dans la ville : personne ne saurait nous y montrer la maison qu’habita le rival de Corneille, l’ingrat ami de MoliĂšre, le poĂšte disgraciĂ© de Louis XIV.
Ses Ɠuvres sont dans toutes les bibliothùques ; sa statue, Ɠuvre de notre grand sculpteur David, est sur la place publique ; mais sa maison n’est nulle part, ou plutît la ville tout entiùre, qui lui doit sa gloire, est sa maison.
Enfin, on sait que Racine naquit Ă  La FertĂ©-Milon, tandis qu’on ignore oĂč naquit HomĂšre.
VoilĂ  maintenant que nous marchons du midi au couchant. Ce joli village qui semble ĂȘtre sorti il n’y a qu’un instant de la forĂȘt pour venir se chauffer au soleil, c’est Boursonne. Te rappelles-tu la Comtesse de Charny, un des livres de moi que tu prĂ©fĂšres, cher enfant ? Eh bien ! alors, ce nom de Boursonne t’est familier. Ce petit chĂąteau, habitĂ© par mon vieil ami Hutin, c’est celui d’Isidore Charny ; de ce chĂąteau, le jeune gentilhomme sortait furtivement le soir, courbĂ© sur le cou de son cheval anglais, et, en quelques minutes, il Ă©tait de l’autre cĂŽtĂ© de la forĂȘt, sous l’ombre projetĂ©e par ces peupliers : de lĂ , il pouvait voir s’ouvrir et se fermer la fenĂȘtre de Catherine. Une nuit, il rentra tout sanglant : une des balles du pĂšre Billot lui avait traversĂ© le bras ; une autre lui avait labourĂ© le flanc. Enfin, un jour, il sortit pour ne plus rentrer ; il allait accompagner le roi Ă  MontmĂ©dy, et resta couchĂ© sur la place publique de Varennes, en face de la maison de l’épicier Sausse.
Nous avons traversĂ© la forĂȘt du midi au couchant, en passant par Le Plessis-aux-Bois, La Chapelle-aux-Auvergnats, et Coyolles ; encore quelques pas, et nous sommes en haut de la montagne de Vauciennes.
C’est Ă  cent pas derriĂšre nous qu’un jour, ou plutĂŽt une nuit, en revenant de CrĂ©py, je trouvai le cadavre d’un jeune homme de seize ans. J’ai racontĂ©, dans mes MĂ©moires, ce sombre et mystĂ©rieux drame. Le moulin Ă  vent qui s’élĂšve Ă  gauche de la route, et qui fait lentement et mĂ©lancoliquement tourner ses grandes ailes, sait seul, avec Dieu, comment les choses se sont passĂ©es. Tous deux sont restĂ©s muets ; la justice des hommes a frappĂ© au hasard : par bonheur, l’assassin en mourant a avouĂ© qu’elle frappait juste.
La crĂȘte de montagne que nous allons suivre, et qui domine cette grande plaine Ă  notre droite, cette belle vallĂ©e Ă  notre gauche, c’est le thĂ©Ăątre de mes exploits cynĂ©gĂ©tiques. LĂ , j’ai dĂ©butĂ© dans la carriĂšre des Nemrod et des Levaillant, les deux plus grands chasseurs, Ă  ce que je me suis laissĂ© dire, des temps antiques et des temps modernes. À droite, c’était le domaine des liĂšvres, des perdrix et des cailles ; Ă  gauche, celui des canards sauvages, des sarcelles et des bĂ©cassines. Vois-tu cet endroit plus vert que les autres, qui semble un charmant gazon peint par Watteau ? C’est une tourbiĂšre oĂč j’ai failli laisser mes os ; je m’y enfonçais tout doucement : par bonheur, j’eus l’idĂ©e de passer mon fusil entre mes deux jambes ; la crosse d’un cĂŽtĂ©, le bout du canon de l’autre, rencontrĂšrent un terrain un peu plus solide que celui oĂč je commençais Ă  m’engloutir ; je m’arrĂȘtai dans cette descente verticale, qui ne pouvait manquer de me conduire tout droit aux enfers. Je criai : le meunier de ce moulin que tu aperçois d’ici, couchĂ© prĂšs de la vanne de ce grand Ă©tang, accourut Ă  mes cris ; il me jeta la corde de son chien ; j’attrapai la corde ; il me tira Ă  lui, et je fus sauvĂ©. Quant Ă  mon fusil, auquel je tenais beaucoup, qui tuait de trĂšs loin, et que je n’étais point assez riche pour remplacer, je n’eus qu’à serrer les jambes, et il fut sauvĂ© avec moi.
Poursuivons notre chemin. Nous allons maintenant de l’occident au nord. LĂ -bas, cette ruine, dont un fragment se dresse pareil au donjon de Vincennes, c’est la tour de Vez, seul reste d’un manoir fĂ©odal abattu depuis longtemps. Cette tour, c’est le spectre en granit des temps passĂ©s ; elle appartient Ă  mon ami Paillet. Tu te rappelles cet indulgent maĂźtre clerc qui venait avec moi, en chassant de CrĂ©py Ă  Paris, et dont le cheval, quand nous apercevions un garde champĂȘtre ou particulier, avait la bontĂ© d’emporter le chasseur, son fusil, ses liĂšvres, ses perdreaux, ses cailles, tandis que l’autre chasseur, touriste inoffensif, se promenait les mains dans ses poches, admirant le paysage et Ă©tudiant la botanique.
Ce petit chĂąteau, c’est le chĂąteau des FossĂ©s. LĂ  s’éveillĂšrent mes premiĂšres sensations ; de lĂ  datent mes premiers souvenirs. C’est aux FossĂ©s que je vis mon pĂšre sortant de l’eau, d’oĂč, avec l’aide d’Hippolyte, ce nĂšgre intelligent qui, de peur de la gelĂ©e, jetait les fleurs et rentrait les pots, il venait de tirer trois jeunes gens qui se noyaient. L’un des trois, celui qu’avait sauvĂ© mon pĂšre, s’appelait Dupuy ; c’est le seul nom que je me rappelle. Hippolyte, excellent nageur, avait sauvĂ© les deux autres.
LĂ  cohabitaient Moquet, le garde champĂȘtre cauchemardĂ© qui mettait un piĂšge sur sa poitrine pour prendre la mĂšre Durand, et Pierre le jardinier, qui coupait en deux, avec sa bĂȘche, des couleuvres du ventre desquelles sortaient des grenouilles toutes vivantes ; lĂ , enfin, vieillissait majestueusement le vieux Truff, quadrupĂšde non classĂ© par monsieur de Buffon, moitiĂ© chien, moitiĂ© ours, sur le dos duquel on me plaçait Ă  califourchon, et qui me permit de prendre mes premiĂšres leçons de haute Ă©cole.
Maintenant, dans la direction du nord-ouest, voici Haramont, charmant village perdu sous ses pommiers, au milieu d’une clairiĂšre de la forĂȘt, et illustrĂ© par la naissance de l’honnĂȘte Ange Pitou, le neveu de la tante AngĂ©lique, l’élĂšve de l’abbĂ© Fortier, le condisciple du jeune Gilbert, et le compagnon d’armes du patriote Billot. Cette illustration, contestĂ©e par des gens qui prĂ©tendent, avec quelque raison peut-ĂȘtre, que Pitou n’a jamais existĂ© que dans mon imagination, Ă©tant la seule que puisse revendiquer Haramont, continuons notre route jusqu’à cette double mare du chemin de CompiĂšgne et du chemin de ViviĂšres, prĂšs de laquelle je reçus l’hospitalitĂ© de Boudoux, le jour oĂč je m’enfuis de la maison maternelle pour ne pas aller au sĂ©minaire de Soissons, oĂč j’eusse probablement Ă©tĂ© tuĂ© deux ou trois ans...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - AVANT LE RÉCIT
  3. Chapitre 2 - LA MAISON NEUVE DU CHEMIN DE SOISSONS
  4. Chapitre 3 - MATHIEU GOGUELUE
  5. Chapitre 4 - L’OISEAU DE MAUVAIS AUGURE
  6. Chapitre 5 - CATHERINE BLUM
  7. Chapitre 6 - LE PARISIEN
  8. Chapitre 7 - JALOUSIE
  9. Chapitre 8 - LE PÈRE ET LA MÈRE
  10. Chapitre 9 - LE RETOUR
  11. Chapitre 10 - MADEMOISELLE EUPHROSINE RAISIN
  12. Chapitre 11 - RÊVES D’AMOUR
  13. Chapitre 12 - L’ABBÉ GRÉGOIRE
  14. Chapitre 13 - LE PÈRE ET LE FILS
  15. Chapitre 14 - LA FÊTE DE VILLAGE
  16. Chapitre 15 - LE SERPENT
  17. Chapitre 16 - L’OCCASION FAIT LE LARRON
  18. Chapitre 17 - CHEZ LE PÈRE WATRIN
  19. Chapitre 18 - LE REGARD D’UN HONNÊTE HOMME
  20. Chapitre 19 - LES BRISÉES DE MATHIEU
  21. Chapitre 20 - CONCLUSION
  22. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique