Une laborantine
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Une laborantine

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À propos de ce livre

Le jeune Marcel Breschet, professeur de lettres au lycée de Nevers, est un garçon brillant qui, tout en donnant ses cours, travaille a sa these sur le Dieu Janus. Mais des événements vont venir bouleverser sa vie. A peine rentré chez lui, son pere, ancien trésorier payeur général a la retraite, se dépeche de l'entretenir d'affaires de famille. Le grand-pere paternel de Marcel lui demande de l'argent «pour affaire d'honneur». De quoi peut-il bien s'agir? Le pere de Marcel est un fonctionnaire de sens rassis, contrairement a son pere l'agent de change, qui n'hésite pas devant les dangers de la spéculation et de l'industrie. C'est ainsi que le grand-pere du jeune Marcel a déja eu plusieurs fois recours a sa famille, qui cette fois se cabre. Le jeune homme, sous couvert de recherches pour sa these, est donc envoyé dans la capitale afin d'éclaircir cette sombre affaire. Ce sera l'occasion pour lui de découvrir la vie. Et le secret de son grand-pere. Paule Gauthier, la «Laborantine» est-elle une pure jeune fille ou une noire manipulatrice? Et quel est exactement le rÎle de son frere, que le vieux Breschet protege?
Un roman, un brin moraliste, que certains préfereront lire au second degré.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635259267

Chapitre 1

Marcel Breschet, professeur de Seconde au lycĂ©e de Nevers, sortait de sa classe en discutant avec son collĂšgue de PremiĂšre, Émile Chardon. L’un et l’autre se lamentaient sur la dĂ©cadence des Ă©tudes classiques.
– Pas un de mes Ă©lĂšves qui soit capable de me traduire une page de latin Ă  livre ouvert, disait Breschet.
– Et pas un des miens, rĂ©pondait son ami, qui sache composer un thĂšme sans solĂ©cisme. C’est Ă  dĂ©sespĂ©rer de notre mĂ©tier si l’on continue Ă  nous inonder de Primaires.
– Quand je lis les copies des laurĂ©ats de l’ancien concours gĂ©nĂ©ral, reprit Breschet, je vois ce que valaient les humanitĂ©s d’autrefois. Quels devoirs que ceux d’un Sainte-Beuve, d’un Taine, d’un Michelet, pour ne citer que trois noms entre des centaines !
– Aussi ai-je dĂ©cidĂ©, fit l’autre, de quitter l’Alma mater. Mon annĂ©e finie, j’entre dans la presse. Un de mes premiers articles sera sur ton Janus, si tu persĂ©vĂšres dans ton idĂ©e de cette thĂšse. Car oĂč te mĂšnera-t-elle ?
– À une chaire de facultĂ©, rĂ©pondit Breschet. C’est toute l’ambition de mon pĂšre. Pense donc, il est fonctionnaire dans le sang, par rĂ©action contre les Ă -coups de l’existence de mon grand-pĂšre, l’industriel. Il ne m’a laissĂ© entrer dans l’UniversitĂ© qu’à la condition que j’y ferais ma carriĂšre. Il veut que je finisse recteur comme il a fini trĂ©sorier-payeur gĂ©nĂ©ral Ă  Auxerre
 Mais voilĂ  qui est prodigieux, s’écria-t-il en s’arrĂȘtant, lui ici ! Pourvu qu’il ne soit rien arrivĂ© Ă  maman !

Il venait d’apercevoir Ă  l’extrĂ©mitĂ© de la rue Saint-Étienne, qui jouxte le lycĂ©e, la silhouette de son pĂšre, immobile et l’attendant. Le fonctionnaire retraitĂ© se dĂ©plaçait si rarement que sa seule prĂ©sence indiquait un Ă©vĂ©nement d’autant plus extraordinaire qu’il n’avait mĂȘme pas annoncĂ© sa venue Ă  son fils. Il habitait prĂšs d’Avallon, Ă  Montigny, petit village qui domine la Cure, retirĂ© lĂ  sur un domaine appartenant Ă  sa femme. Il avait dĂ», pour ĂȘtre Ă  Nevers Ă  l’heure de la sortie des classes, prendre le premier train du matin.
– Ta mùre est donc malade ? interrogea Chardon.
– Elle ne l’était pas hier.
– Si elle l’était aujourd’hui, ton pĂšre t’aurait averti par tĂ©lĂ©phone.
– Il a l’air tellement prĂ©occupĂ© ! Mais il nous a vus. Adieu, Émile.
– Fais-moi tenir des nouvelles, rĂ©pondit l’autre. Tire simplement ton mouchoir de ta poche, s’il n’y a rien de ce que tu crains et que tu te sois fait, comme Ă  ton habitude, « un cachot en Espagne », style Chamfort.
– Quel ami !
 rĂ©pondit Breschet en serrant la main de son collĂšgue auquel, deux minutes plus tard, il adressait le signe promis. À sa question : « Ma mĂšre ne va pas plus mal ? » son pĂšre avait rĂ©pondu aussitĂŽt :
– PlutĂŽt mieux. Son cƓur bat toujours un peu la chamade. Ce sont des arythmies purement nerveuses qui n’exigent pas encore la digitale. La spartĂ©ine suffit, mais ayant une dĂ©cision grave Ă  prendre et tout de suite, j’ai pensĂ© qu’il Ă©tait plus sage, pour lui Ă©viter une Ă©motion, d’en causer en tĂȘte Ă  tĂȘte avec toi, d’autant plus que la chose te concerne un peu.
– Moi ? fit Marcel.
– Oui, indirectement. Mais j’aurais scrupule de ne pas t’avoir demandĂ© ton avis
 Tu sais mes relations avec ton grand-pĂšre, ou plutĂŽt mon absence de relations ?
– Il n’est pas malade ? demanda le jeune homme du mĂȘme accent qu’il avait tout Ă  l’heure pour communiquer Ă  Chardon son sursaut d’inquiĂ©tude. Celui-ci avait trop raison d’appliquer Ă  cet inquiet, l’à peu prĂšs Ă©pigrammatique de Chamfort.
– Non. Mais il m’a Ă©crit, pour la premiĂšre fois depuis des annĂ©es. Quand j’ai reconnu l’écriture sur l’enveloppe, j’ai espĂ©rĂ© un mouvement de cƓur qui nous rapprocherait. – Et comme Marcel lui avait pris la main et la lui serrait : – Lis la lettre, continua-t-il, tu constateras que c’est toujours la mĂȘme chose.
Marcel avait pris l’enveloppe que lui tendait son pĂšre. Il put voir Ă  sa dĂ©chirure qu’elle avait Ă©tĂ© ouverte nerveusement, alors que l’ancien trĂ©sorier-payeur gĂ©nĂ©ral appliquait d’habitude aux choses de sa correspondance le soin le plus mĂ©ticuleux, – un des innombrables petits signes de la discipline de son ancien mĂ©tier. – La brouille entre son pĂšre et son grand-pĂšre Ă©tait un des chagrins intimes de Marcel. Ses doigts Ă  lui-mĂȘme tremblaient un peu pour dĂ©plier le feuillet qui contenait seulement quelques lignes. Elles avaient pour lui une signification trop pĂ©nible. Il s’agissait d’une demande d’argent, et c’était la frĂ©quence de pareilles requĂȘtes qui avait irrĂ©vocablement sĂ©parĂ© les deux hommes.
« Mon cher Antoine, » disait cette lettre, « si je m’adresse Ă  toi comme je le fais, malgrĂ© la suppression de tout rapport entre nous depuis quatorze ans, c’est que j’y suis forcĂ© par une nĂ©cessitĂ© trĂšs urgente. Tu as une fortune Ă©tablie et liquide. Je suis en bonne voie de refaire la mienne, mais je ne peux pas disposer d’un capital comme celui dont j’ai besoin immĂ©diatement : cent mille francs. Si tu l’exiges, je t’expliquerai de vive voix le motif de cette lourde dĂ©pense. Fixe-moi un rendez-vous, Ă  la date et Ă  l’endroit qui te conviendront. Mais je te donne dĂšs aujourd’hui ma parole que le service que je te demande touche Ă  mon honneur. Ce service, tu peux me le rendre sans te gĂȘner, et moi, je considĂ©rerai cette avance comme un prĂȘt. Je m’en acquitterai aux Ă©chĂ©ances et j’ajoute, aux intĂ©rĂȘts que tu voudras bien fixer toi-mĂȘme. J’ajoute encore que le malentendu qui nous tient Ă©loignĂ©s l’un de l’autre depuis si longtemps continue Ă  m’ĂȘtre, avec la vieillesse commençante, d’autant plus pĂ©nible qu’il me prive de tout rapport avec toi d’abord, puis avec mon filleul, et je ne cesse pas de vous aimer tous les deux, crois-en ton pĂšre, avec le meilleur de mon cƓur. »
La signature : Marcelin Breschet, tracĂ©e en caractĂšres plus appuyĂ©s que ceux de la lettre, tĂ©moignait d’une Ă©motion d’autant plus impressionnante que cette Ă©trange missive avait Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e Ă©videmment avec le parti pris d’éviter toute effusion sentimentale. Elle dĂ©celait entre les deux hommes un de ces drames familiaux d’autant plus inapaisables que les Ă©vĂ©nements n’y sont qu’une occasion de conflit entre d’irrĂ©ductibles oppositions de caractĂšres. Une partie de ces Ă©vĂ©nements Ă©tait connue du demi-filleul, car le parrainage du grand-pĂšre Marcelin avait Ă©tĂ©, volontairement, mutilĂ© dans le prĂ©nom de Marcel, par la mĂšre qui haĂŻssait son beau-pĂšre, Ă  cause de procĂ©dĂ©s que son mari avait rĂ©sumĂ©s en tendant la lettre, par ces mots si simples, mais chargĂ©s pour lui et pour sa femme d’un sens si pesant : « Toujours la mĂȘme chose. » Il les rĂ©pĂ©ta en reprenant la lettre. Puis il se tut, tandis que son fils et lui contournaient la vieille Ă©glise Saint-Étienne qui a baptisĂ© la rue et dont la structure auvergnate faisait d’ordinaire, quand il passait lĂ , l’objet de ses commentaires. C’est qu’il se souvenait, devant cette merveille du onziĂšme siĂšcle, d’une Ă©glise de la mĂȘme date, celle de Chauriat dans le Puy-de-DĂŽme, associĂ©e Ă  ses premiĂšres impressions d’adolescence. Chauriat est tout voisin de Vertaizon dont les Breschet sont originaires. Disons dĂšs Ă  prĂ©sent que ces Breschet se prĂ©tendaient les descendants du cĂ©lĂšbre chirurgien de ce nom, Gilbert Breschet, fils d’un tailleur du pays, qui fut l’élĂšve de Bonnet, le restaurateur de l’enseignement de la mĂ©decine en Auvergne aprĂšs la RĂ©volution. Gilbert Breschet finit comme professeur Ă  la FacultĂ© de mĂ©decine de Paris, et il remplaça Dupuytren Ă  l’Institut. Cette parentĂ© imaginaire, fondĂ©e sur une similitude de nom, a jouĂ© un rĂŽle trop dĂ©cisif dans l’orientation de cette modeste famille, pour qu’il n’y eĂ»t pas lieu de l’indiquer aussitĂŽt.
– Eh bien ! dit Marcel, en interrompant ce pĂ©nible silence, il me semble que, sous cette forme dont je comprends que la sĂ©cheresse vous ait affectĂ©, il n’y a pas seulement une demande d’un prĂȘt d’argent. Ce mot d’honneur est un rappel Ă  la solidaritĂ© du nom. C’est tout de mĂȘme une tentative de rapprochement entre lui et nous.
– S’il n’y avait pas eu dix fois des demandes d’argent analogues avant notre brouille et rĂ©digĂ©es d’une maniĂšre plus ou moins habile, je penserais comme toi, mais il y a eu ces demandes et toujours Ă  la suite de quelque dĂ©sastre dans une de ces entreprises d’imprudentes affaires qu’il a si audacieusement multipliĂ©es, combien de fois !
– Il faut penser pourtant, rĂ©pondit Marcel, que nous lui devons d’ĂȘtre nous. Mais oui. S’il n’avait pas eu Ă  vingt ans cet esprit d’entreprise qui lui a fait vendre notre petite campagne de Vertaizon pour fonder Ă  Saint-Amand-Tallende une usine de papier, que serions-nous ? De pauvres cultivateurs sans aucune instruction. Avec les premiers gains de cette usine, qui a si bien rĂ©ussi d’abord, il a pu te mettre au lycĂ©e de Clermont. Ensuite il a pris sur ses gains, pourtant diminuĂ©s, de quoi assurer ta prĂ©paration Ă  la Cour des comptes et aux Finances.
– Je n’ai pas dit qu’il manquait de gĂ©nĂ©rositĂ©, mais de prudence. S’il avait su borner cet esprit d’entreprise, il n’aurait pas quittĂ© Saint-Amand oĂč, pour lui, il gagnait trop peu, et le voilĂ  montant cette sociĂ©tĂ© qui devait fournir Ă  Clermont le gaz et l’électricitĂ©, en perçant dans la montagne des galeries souterraines pour dĂ©river les eaux. Il Ă©choue et, voulant se rattraper, il fonde usine sur usine. Dentelles, tulles, lacets, fabrication de vitraux, machines agricoles, coutellerie, quelle est l’industrie familiĂšre Ă  l’Auvergne dont il ne se soit occupĂ©, avec des alternatives de rĂ©ussites et d’avortements, et des procĂšs, et des procĂšs ! Le tout pour aboutir Ă  cette installation Ă  Paris, oĂč il s’est occupĂ© d’affaires de Bourse et d’automobiles. Et m’a-t-il assez souvent reprochĂ© Ă  moi la mĂ©diocritĂ© de ma vie de fonctionnaire ! Mais ĂȘtre fonctionnaire, je te l’ai dit quand je t’ai conseillĂ© d’entrer dans l’UniversitĂ©, c’est le traitement assurĂ© Ă  la fin du mois, l’aide quand on est malade, la retraite dans la vieillesse, sans compter cette honorabilitĂ© qui permet l’entrĂ©e par le mariage dans une famille bien Ă©tablie. Ainsi le mien, car enfin, c’est par ta mĂšre que nous avons ce domaine du Morvan oĂč je compte bien achever mes jours, oĂč M. le recteur Marcel Breschet achĂšvera Ă©galement les siens. Quel contraste entre ma destinĂ©e et celle de ton grand-pĂšre dont je ne conteste pas les supĂ©rioritĂ©s en intelligence et en initiative !
Puis, montrant la lettre qu’il tenait encore à la main :
– Et voilĂ  le rĂ©sultat : cent mille francs Ă  emprunter, ce qui prouve que cette nouvelle entreprise de constructions, oĂč j’ai su par mon banquier qu’il s’est engagĂ©, pourrait bien finir par la faillite. Quel est le sens de ce mot d’honneur, soulignĂ© ? Cent mille francs ! Je lui en ai avancĂ© dĂ©jĂ  tout autant, j’ai fait le compte, depuis que mon mariage m’a mis Ă  l’aise. Il faut lui rendre cette justice, qu’il s’est toujours acquittĂ© de sa dette. Puis comme les demandes se multipliaient, j’ai, d’accord avec ta mĂšre, coupĂ© court Ă  ces avances, avec l’espoir de l’assagir. C’est alors qu’il s’est brouillĂ© avec nous, sous le prĂ©texte que nous n’avions pas de cƓur. Pas de cƓur ! Quand je n’ai pensĂ© qu’à son intĂ©rĂȘt ! Encore aujourd’hui, pourquoi ai-je voulu te voir et te communiquer tout de suite cette lettre que ta mĂšre ignore ? Ce mot d’honneur, l’énormitĂ© du chiffre du prĂȘt, l’idĂ©e d’une catastrophe possible, – je n’ai pas cru pouvoir, dans une circonstance aussi Ă©nigmatique, m’abstenir de te parler Ă  toi. Tu es l’hĂ©ritier du nom et de la fortune. Que penses-tu ?
– Je pense qu’en effet, il y a lĂ  une Ă©nigme et qu’il faut savoir la vĂ©ritĂ©. Ne pouvez-vous pas aller Ă  Paris et vous informer ?
– Comment expliquer mon voyage Ă  ta mĂšre ? Dans son Ă©tat de santĂ©, je n’ose pas lui montrer cette lettre, et alors

Un nouveau silence tomba entre eux.
– Mais toi ? fit Antoine Breschet, ne pourrais-tu pas y aller, à Paris, et voir ton grand-pùre ?
– Voir mon grand-pĂšre ? balbutia Marcel, que l’étonnement arrĂȘta dans sa marche.
– Oui. Je ne suis venu à Nevers que pour te demander cela.
– Alors je devrai lui porter votre rĂ©ponse, et quelle sera-t-elle ? Un refus, d’aprĂšs les sentiments que vous m’avez exprimĂ©s sur sa lettre.
– Tu reconnais toi-mĂȘme qu’il y a lĂ  une Ă©nigme, et par consĂ©quent qu’une enquĂȘte est nĂ©cessaire.
– Et vous voulez me charger de cette enquĂȘte ?
– Oui, rĂ©pondit le pĂšre. J’ai vu ton proviseur ce matin, dĂšs mon arrivĂ©e. Je lui ai dit qu’une affaire de famille trĂšs urgente exigeait ta prĂ©sence Ă  Paris. Il est si content de ton service qu’il est prĂȘt Ă  t’accorder un congĂ©. Il veut seulement causer avec toi avant de tĂ©lĂ©phoner au recteur, pour en fixer la durĂ©e d’aprĂšs les besoins de ta classe. Ah ! lui encore, c’est un fonctionnaire, Ă  la fois strict et humain. Naturellement je n’ai pu rien conclure de dĂ©finitif sans avoir causĂ© avec toi. Mais tu ne me feras pas cela, de me refuser une dĂ©marche dont je t’expliquerai la nature, quand tu auras acceptĂ© cette mission, car c’en est une, et que ton pĂšre te demande d’accepter.
Il passait dans l’accent d’ordinaire un peu solennel de l’ancien trĂ©sorier-payeur gĂ©nĂ©ral une Ă©motion contenue, d’autant plus touchante pour son fils qu’il avait depuis longtemps devinĂ© cette sensibilitĂ© secrĂšte. Si pĂ©nible que lui fĂ»t cette dĂ©marche inattendue auprĂšs de son grand-pĂšre, il n’eut pas la force d’opposer un refus Ă  une demande exprimĂ©e avec cette voix, avec ce regard, et il s’entendit prononcer la phrase d’acceptation :
– Je ferai ce que tu dĂ©sires, mon pĂšre.
– Merci, rĂ©pondit Antoine Breschet. Tu es un bon fils, Marcel. Mais il n’y a pas de temps Ă  perdre. D’aprĂšs ce que m’a dit le proviseur, le maximum de ton absence doit ĂȘtre de quinze jours. Nous sommes aujourd’hui mercredi. Tu devras donc ĂȘtre rentrĂ© Ă  Nevers pour l’autre jeudi et il ne s’agit pas seulement de voir ton grand-pĂšre. L’enquĂȘte dont tu vas te charger suppose des recherches de renseignements assez compliquĂ©es. Mais monte tout de suite chez le proviseur. Moi, je prends Ă  une heure le train pour Avallon. Je vais Ă  la gare. Tu me retrouveras lĂ , oĂč nous dĂ©jeunerons. À ton hĂŽtel, nous ne pourrions pas causer assez librement, et il faut que je te parle de choses plus graves encore que cette lettre de ton grand-pĂšre, et qui doivent rester confidentielles.
« Des choses graves et qui doivent rester confidentielles ? » se disait le jeune homme une heure plus tard, aprĂšs sa visite chez le proviseur, homme excellent et qui lui avait, tout en lui accordant le congĂ© demandĂ©, conseillĂ© d’utiliser son sĂ©jour Ă  Paris pour faire quelques recherches profitables Ă  la BibliothĂšque nationale en vue de sa thĂšse sur Janus, tant il s’intĂ©ressait aux travaux et Ă  l’avenir de son jeune professeur. Le temps de passer chez son ami Chardon, pour lui annoncer ce subit voyage, et il marchait vite, le long de la rue du Rempart, impatient de rejoindre son pĂšre et d’apprendre le mystĂšre auquel celui-ci avait fait allusion. Marcel avait toujours eu l’idĂ©e que la brouille entre le correct fonctionnaire et l’aventureux industriel supposait quelques motifs secrets, Ă©trangers Ă  des questions pĂ©cuniaires, toujours correctement rĂ©glĂ©es, le fonctionnaire l’avouait lui-mĂȘme. Les convictions religieuses de sa femme avaient dĂ» la trouver plus implacable pour des Ă©carts de conduite privĂ©e que le veuvage du grand-pĂšre justifiait aux yeux du monde, mais non pas pour une dĂ©vote sincĂšre comme Ă©tait Mme Breschet.
Il ne se trompait pas, et, Ă  peine assis en tĂȘte Ă  tĂȘte, dans un coin retirĂ© du buffet, le pĂšre commença sur un ton embarrassĂ© :
– Ta mission, Marcel, est double. Elle se complique, je te rĂ©pĂšte le mot, d’une enquĂȘte dont j’aurais scrupule Ă  te charger, s’il ne s’agissait pas, comme le dit lui-mĂȘme ton grand-pĂšre, de notre honneur. Posons d’abord les faits : tu arrives chez lui sans l’avoir prĂ©venu. Il croit que tu lui apportes ma rĂ©ponse Ă  sa lettre. Il veut aussitĂŽt savoir si elle est favorable, Ă  moins que

– Et si je lui dis aussitît qu’elle ne l’est pas

– Tu lui cites les termes mĂȘmes de sa lettre et sa promesse de s’expliquer de vive voix sur le motif de sa demande.
– Oui, mais à vous.
– Tu me reprĂ©sentes. Mais je le connais. Il est probable qu’il n’a pas cherchĂ© auprĂšs de moi seul ces cent mille francs, et dans les quarante-huit heures Ă©coulĂ©es entre l’envoi de sa lettre et ta venue, il les aura demandĂ©s, trouvĂ©s peut-ĂȘtre ailleurs. Auquel cas il te laissera parler le premier sans t’interroger, d’autant plus qu il aurait sans doute quelque honte Ă  te donner certaines explications. Tu dois bien penser que notre rupture officielle ne m’empĂȘche pas de recueillir les moindres dĂ©tails qui peuvent m’initier Ă  son existence. Je ne dois le faire qu’avec une discrĂ©tion qui ne me permet pas d’obtenir des renseignements trĂšs prĂ©cis. J’ai su cependant qu’il n’a pas toujours vĂ©cu comme son Ăąge et sa situation de chef de famille, – il le reste malgrĂ© tout, – lui en faisaient un devoir. Or, il m’est revenu, ces temps derniers, qu’il passait pour s’intĂ©resser beaucoup Ă  une jeune fille, une Mlle Paule Gauthier qui exerce une profession dont le nom t’étonnera comme il m’a Ă©tonnĂ©. C’est une « Laborantine ».
– En ma qualitĂ© d’universitaire, dit Marcel, j’en sais le sens, moi, de ce mot, d’ailleurs trĂšs rĂ©cent. Il est officiel et s’applique aux infirmiĂšres, particuliĂšrement instruites en chimie ou en bact...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Chapitre 1
  3. Chapitre 2
  4. Chapitre 3
  5. Chapitre 4
  6. Chapitre 5
  7. Chapitre 6
  8. Chapitre 7
  9. Chapitre 8
  10. Chapitre 9
  11. Chapitre 10
  12. Chapitre 11
  13. Chapitre 12