Souvenirs entomologiques - Livre VII
eBook - ePub

Souvenirs entomologiques - Livre VII

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Souvenirs entomologiques - Livre VII

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Souvenirs entomologiques - Livre VII was written in the year 1900 by Jean-Henri Fabre. This book is one of the most popular novels of Jean-Henri Fabre, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Souvenirs entomologiques - Livre VII par Jean-Henri Fabre en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Sciences biologiques et Science générale. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635250042

Chapitre 1 LE SCARITE GÉANT

Le métier de la guerre est peu favorable aux talents. Voyez le Carabe, fougueux batailleur parmi la gent insecte. Que sait-il faire ? En industrie, rien ou peu s’en faut. L’inepte massacreur est néanmoins superbe en son justaucorps, de richesse inouïe. Il a l’éclat de la pyrite cuivreuse, de l’or, du bronze florentin. S’il s’habille de noir, il rehausse le sombre costume par un fulgurant ourlet d’améthyste. Sur les élytres, ajustées en cuirasse, il porte chaînettes de bosselures et de points enfoncés.
De belle prestance d’ailleurs, svelte, serré à la taille, le Carabe est la gloire de nos collections, mais pour le regard seul. C’est un frénétique égorgeur, rien de plus. Ne lui demandons pas davantage. La sagesse antique représentait Hercule, le dieu de la force, avec une tête d’idiot. Le mérite n’est pas grand, en effet, s’il se borne à la force brutale. Et c’est le cas du Carabe.
À le voir si richement paré, qui ne désirerait trouver en lui un beau sujet d’étude, digne de l’histoire, comme les humbles nous en prodiguent ? De ce féroce fouilleur d’entrailles n’attendons rien de pareil. Son art est de tuer.
Le voir en sa besogne de forban est sans difficulté. Je l’élève dans une ample volière avec couche de sable frais. Quelques tessons répandus à la surface servent d’abri sous roche ; une touffe de gazon implantée au centre fait bocage et réjouit l’établissement.
Trois espèces composent la population : la triviale Jardinièreou Carabe doré, hôte habituel des jardins ; le Procuste coriace, sombre et puissant explorateur des fourrés herbeux au pied des murailles ; le rare Carabe pourpré, qui ceint de violet métallique l’ébène de ses élytres. Je les nourris avec des escargots dont j’enlève en partie la coquille.
Blottis d’abord pêle-mêle sous les tessons, les Carabes accourent au misérable, qui désespérément sort et rentre ses cornes. Ils sont trois à la fois, ils sont quatre, cinq, à lui dévorer en premier lieu le bourrelet du manteau, tigré d’atomes calcaires. C’est le morceau préféré. De leurs mandibules, solides tenailles, ils happent au milieu de l’écume ; ils tiraillent, ils arrachent un lambeau et se retirent à l’écart pour le déglutir à l’aise.
Cependant les pattes, ruisselantes de viscosité, engluent des grains de sable et se chaussent de lourdes guêtres, fort embarrassantes, auxquelles l’insecte n’accorde attention. Tout alourdi, embourbé, il revient en trébuchant à la proie, prélève un autre morceau. Il songera plus tard à se lustrer les bottes. D’autres ne bougent, se gorgent sur place, tout l’avant du corps noyé dans l’écume. La ripaille dure des heures entières. Les attablés ne quittent la pièce que lorsque le ventre distendu soulève le toit des élytres et montre à découvert les nudités du croupion.
Plus amis des recoins ténébreux, les Procustes font bande à part. Ils entraînent l’escargot dans leur repaire, sous l’abri d’un tesson, et là, paisiblement, en commun, dépècent le mollusque. Ils affectionnent la limace, d’équarrissage plus aisé que le colimaçon, défendu par son test ; ils estiment morceau friand la Testacelle, qui porte tout au bout postérieur de l’échine une écaille calcaire, contournée en bonnet phrygien. La venaison est de chair plus ferme, moins affadie par la bave.
Se repaître en glouton d’un escargot que j’ai moi-même privé de protection en lui brisant la coquille, n’a rien dont puisse se glorifier un belliqueux ; mais voici où se révèle l’audace du Carabe. À la Jardinière, mise en appétit par un jeûne de quelques jours, je présente le Hanneton des pins, dans sa pleine vigueur. C’est un colosse à côté du Carabe doré ; c’est un bœuf en face du loup.
La bête de proie rôde autour du pacifique, choisit son moment. Elle s’élance, recule hésitante, revient à la charge. Voici le géant culbuté. Incontinent l’autre lui ronge, lui fouille le ventre. Si cela se passait dans un monde de titre plus élevé, ce serait un spectacle à donner la chair de poule que celui du Carabe plongeant à demi dans le gros Hanneton et lui extirpant les entrailles.
Je soumets l’éventreur à curée plus difficultueuse. La proie est, cette fois, l’Orycte nasicorne, le robuste Rhinocéros, géant invincible, dirait-on, sous le couvert de son armure. Mais le vénateur connaît le point faible du bardé de corne, la peau fine défendue par les élytres. À force d’assauts, repris par l’agresseur aussitôt que repoussés par l’assailli, le Carabe parvient à soulever un peu la cuirasse et à glisser la tête par-dessous. Du moment que les pinces ont fait entaille dans la peau vulnérable, le Rhinocéros est perdu. Il ne restera bientôt du colosse qu’une lamentable carcasse vide.
Qui désirerait lutte plus atroce, doit la demander au Calosome sycophante, le plus beau de nos insectes carnassiers, le plus majestueux de costume et de taille. Ce prince des Carabes est le bourreau des chenilles. Les plus robustes de croupe ne lui en imposent pas.
Sa prise de corps avec l’énorme chenille du Grand-Paon est à voir une fois ; mais en une séance de pareilles horreurs, on est rebuté. Contorsions de la bête éventrée, qui, d’un brusque coup de reins, soulève le bandit, le laisse retomber, dessus, dessous, sans parvenir à lui faire lâcher prise ; tripailles vertes répandues à terre, pantelantes ; trépignements de l’égorgeur ivre de carnage, s’abreuvant aux sources d’une horrible plaie, voilà les traits sommaires du combat. Si l’entomologie n’avait d’autres scènes à nous montrer, sans le moindre regret je renoncerais à l’insecte.
Au repu offrez le lendemain la Sauterelle verte, le Dectique à front blanc, l’un et l’autre adversaires sérieux, armés de puissantes ganaches. Sur ces pansus, la tuerie va recommencer, aussi ardente que la veille. Elle recommencera plus tard sur le Hanneton des pins, sur l’Orycte nasicorne, avec l’atroce tactique usitée des Carabes. Mieux que ces derniers, le Calosome est au fait du point faible des cuirassés, sous le couvert des élytres. Et cela durera tant qu’on lui fournira des victimes, car ce buveur de sang n’est jamais assouvi.
D’âcres exhalaisons, produits d’un tempérament brûlé, accompagnent cette frénésie de carnage. Les Carabes élaborent des humeurs caustiques ; le Procuste lance à qui le saisit un jet vinaigré ; le Calosome empuantit les doigts d’un relent de droguerie ; certains, tels les Brachines, connaissent les explosifs, et, d’une arquebusade, brûlent la moustache à l’agresseur.
Distillateurs de corrosifs, canonniers au picrate, bombardiers à la dynamite, eux tous, les violents, si bien doués pour la bataille, que savent-ils faire en dehors de la tuerie ? Rien. Nul art, nulle industrie, pas même chez la larve, qui pratique le métier de l’adulte et médite ses mauvais coups en vagabondant sous les pierres. C’est cependant à un de ces ineptes guerroyeurs que je vais aujourd’hui m’adresser de préférence, entraîné par certaine question à résoudre. Voici la chose. Vous venez de surprendre tel ou tel autre insecte, immobile sur un rameau, dans les béatitudes du soleil. Votre main se lève, ouverte, prête à s’abattre et à le saisir. À peine avez-vous fait le geste qu’il se laisse choir. C’est un cuirassé d’élytres, lent à dégager les ailes de leur étui de corne, ou bien un incomplet, dépourvu de membranes alaires. Incapable de prompte fuite, l’insecte surpris se laisse tomber. Vous le cherchez, souvent peine inutile, parmi les herbages. Si vous le trouvez, il est étendu sur le dos, les pattes repliées, ne bougeant plus.
Il fait le mort, dit-on ; il ruse pour se tirer d’affaire. L’homme certainement lui est inconnu ; en son petit monde, nous ne comptons pour rien. Que lui importent nos chasses d’enfant ou de savant ? Il n’a cure du collectionneur et de sa longue épingle ; mais il connaît le danger en général ; il appréhende son naturel ennemi, l’oiseau insectivore, qui le gobe d’un coup de bec. Pour dérouter l’assaillant, il gît sur le dos, contracte les pattes et simule la mort. En cet état, l’oiseau, ou tout autre persécuteur, le dédaignera, et la vie sera sauve.
À ce qu’on assure, ainsi raisonnerait l’insecte brusquement surpris. Cette ruse est depuis longtemps célèbre. Autrefois deux compagnons, à bout de ressources, vendirent la peau de l’ours avant d’avoir mis l’animal à terre. La rencontre tourne mal ; il faut fuir à la hâte. L’un d’eux bronche, tombe, retient le souffle et fait le mort. L’ours arrive, tourne et retourne l’homme, l’explore de la patte et des naseaux, le flaire au visage. « Il sent déjà mauvais, » dit-il, et sans plus s’en retourne. Cet ours était un naïf.
L’oiseau ne serait pas dupe de ce grossier stratagème. En ce bienheureux temps où la découverte d’un nid est un événement majeur, à nul autre pareil, je n’ai jamais vu mes moineaux, mes verdiers, refuser un criquet parce qu’il ne remuait plus, une mouche parce qu’elle était morte. Toute becquée qui ne se démène pas est très bien acceptée, pourvu qu’elle soit fraîche et de bon goût.
S’il compte, en effet, sur les apparences de la mort, l’insecte me semble donc mal inspiré. Mieux avisé que l’ours de la fable, l’oiseau, de sa prunelle perspicace, à l’instant reconnaîtra la supercherie et passera outre. Si d’ailleurs l’objet était réellement un défunt, frais encore, le coup de bec n’en serait pas moins donné.
Des doutes me viennent, plus pressants, si je considère à quelles graves confidences conduirait l’astuce de l’insecte. Il fait le mort, dit le langage populaire, peu soucieux de peser la valeur de ses termes ; il fait le mort, répète le langage savant, heureux de trouver là certaines éclaircies de raison chez la bête. Qu’y a-t-il de vrai dans ce dire unanime, trop peu réfléchi d’un côté, et de l’autre trop enclin aux lubies théoriques ?
Les arguments de la logique ici ne suffiraient pas. Il est indispensable de faire parler l’expérience, qui seule peut fournir valide réponse. Mais, parmi les insectes, à qui s’adresser tout d’abord ?
Un souvenir me vient, remontant à une quarantaine d’années. Tout heureux de mon récent triomphe universitaire, je faisais halte à Cette, à mon retour de Toulouse où je venais de passer mon examen de licence ès sciences naturelles. L’occasion était belle de voir encore une fois la flore des bords de la mer, qui, peu d’années avant, faisait mes délices autour du merveilleux golfe d’Ajaccio. C’eût été sottise que de ne pas en profiter. Un grade ne confère pas le droit de ne plus étudier. Si l’on a vraiment un peu de feu sacré dans les veines, on reste écolier toute sa vie, non des livres, pauvre ressource, mais de la grande, de l’inépuisable école des choses.
Un jour donc, en juillet, dans le frais silence de l’aube, j’herborisais sur la plage de Cette. Pour la première fois, je récoltais le Liseron soldanelle, qui traîne, sur la limite des embruns, ses cordons à feuilles d’un vert lustré et ses grandes clochettes roses. Retiré dans sa coquille blanche, aplatie, fortement carénée, un curieux colimaçon, l’Hélix explanata, sommeillait, par groupes, sur les gramens.
Les sables secs et mouvants montraient çà et là de longues séries d’empreintes, rappelant, en petit et sous une autre forme, les traces des oisillons sur la neige, cause de doux émois en mes jeunes années. Que signifient ces empreintes ?
Je les suis, chasseur à la piste d’un nouveau genre. Chaque fois, à leur point terminal, j’exhume, en fouillant à peu de profondeur, un superbe carabique, dont le nom seul m’était à peu près connu. C’est le Scarite géant (Scarites gigas, Fab).
Je le fais marcher sur le sable. Il reproduit exactement les traces qui m’ont donné l’éveil. C’est bien lui qui, en quête de gibier, la nuit, a, de ses doigts, marqué la piste. Avant le jour, il est rentré dans son repaire, et nul maintenant ne se montre à découvert.
Un autre trait de mœurs s’impose à mon attention. Tracassé un moment, puis mis à terre sur le dos, de longtemps il ne remue. Nul encore parmi les autres insectes, objets d’ailleurs d’un superficiel examen sous ce rapport, ne m’avait montré pareille persistance dans l’immobilité. Ce détail se grave si bien dans ma mémoire que, quarante ans après, désireux d’expérimenter les insectes experts dans l’art de simuler la mort, je songe immédiatement au Scarite.
Un ami m’en fait parvenir une douzaine de Cette, de la plage même où jadis j’avais passé délicieuse matinée en compagnie de cet habile mime des morts. Ils m’arrivent en parfait état, pêle-mêle avec des Pimélies (Pimelia bipunctata, Fab.), leurs compatriotes des sables maritimes. De celles-ci, troupeau lamentable, beaucoup sont éventrées, vidées à fond ; d’autres n’ont plus que des moignons de pattes ; quelques-unes, rares, sont sans blessures.
Il fallait s’y attendre avec ces carabiques, giboyeurs effrénés. De tragiques événements se sont passés dans la boîte pendant le trajet de Cette à Sérignan. Les Scarites ont fait bombance, à ventre que veux-tu, des paisibles Pimélies.
Leurs traces que je suivais autrefois sur les lieux mêmes étaient le témoignage de leurs rondes nocturnes, apparemment à la recherche de la proie, la Pimélie pansue, dont toute la défense consiste en une forte armure d’élytres soudées. Mais que peut telle cuirasse contre les atroces tenailles du forban !
C’est, en effet, un rude chasseur, que ce Nemrod du littoral. Tout noir et brillant, ainsi qu’un bijou de jais, il a le corps coupé en deux par un fort étranglement de la taille. Son arme d’attaque consiste en deux pinces d’extraordinaire vigueur. Nul de nos insectes ne l’égale en puissance de mandibules. Il faut en excepter le Cerf-volant, bien mieux outillé, ou pour mieux dire décoré, car les pinces en ramure de cerf de l’hôte des chênes sont des atours de la parure masculine, et non une panoplie de bataille.
Le brutal carabique, éventreur de Pimélies, connaît sa force. Si je le harcèle un peu sur la table, il se met aussitôt en posture de défense. Bien cambré sur ses courtes pattes, celles d’avant surtout, dentelées en râteaux de fouille ; il se disloque en deux pièces, pour ainsi dire, à la faveur de l’étranglement qui le scinde après le corselet ; il relève fièrement la moitié antérieure du corps, son large thorax taillé en cœur, sa tête massive, ouvrant en plein les menaçantes tenailles. Il en impose alors. Il fait davantage : il a l’audace de courir sus au doigt qui vient de le toucher. Voilà certes un sujet d’intimidation non facile. J’y regarde à deux fois avant de le manier.
Je loge mes étrangers partie sous cloche en toile métallique, partie dans des bocaux, tous avec couche de sable. Sans tarder, chacun se creuse un terrier. L’insecte infléchit fortement sa tête, et de la pointe des mandibules, rassemblées en un pic, rudement pioche, laboure, excave. Les pattes d’avant, dilatées et armées de crocs, cueillent les déblais poudreux en une brassée qui se refoule au dehors à reculons. Ainsi s’élève une taupinée sur le seuil du clapier. La demeure rapidement s’approfondit et par une douce pente atteint le fond du bocal.
Arrêté dans le sens de la profondeur, le Scarite travaille alors contre la paroi de verre et continue son ouvrage dans le sens horizontal jusqu’à lui donner près de trois décimètres de développement en totalité.
Cette disposition de la galerie, presque en entier sous le couvert immédiat du verre, m’est très utile pour suivre l’insecte dans l’intimité du chez soi. Si je veux assister à ses manœuvres souterraines, il me suffit de soulever le manchon opaque dont j’ai soin d’envelopper le bocal, afin d’éviter à la bête l’importunité de la lumière.
Lorsque le logis est jugé de longueur suffisante, le Scarite revient à l’entrée, qu’il travaille avec plus de soin que le reste. Il en fait un entonnoir, un gouffre à déclivité mouvante. C’est en grand, et de façon plus rustique, le cratère du Fourmi-Lion. Cette embouchure se continue par un plan incliné, entretenu libre de tout éboulis. Au bas de la pente est le vestibule de la galerie horizontale. Là, d’habitude, se tient le vénateur, immobile, les tenailles à demi ouvertes. Il attend.
Quelque chose bruit là-haut. C’est un gibier que je viens d’introduire, une Cigale, somptueux morceau. Le somnolent trappeur aussitôt se réveille ; il agite les palpes, qui frémissent de convoitise. Avec prudence, pas à pas, il remonte son plan incliné. Un coup d’œil est jeté au dehors. La Cigale est vue.
Le Scarite s’élance de son puits, accourt, la saisit et l’entraîne à reculons. La lutte est brève avec le traquenard de l’entrée, qui bâille en entonnoir pour recevoir une proie même volumineuse et qui se rétrécit en un précipice croulant où toute résistance est paralysée. La pente est fatale : qui en franchit le seuil ne peut plus éviter l’égorgeoir.
Tête première, la Cigale plonge dans le gouffre, ou par saccades l’entraîne le ravisseur. Elle est introduite dans le tunnel surbaissé. Là, faute d’espace, cesse tout trémoussement des ailes. Elle arrive dans la salle d’équarrissage, à l’extrémité du couloir. Quelque temps, alors, le Scarite la travaille de ses pinces pour l’immobiliser à fond, crainte d’une fuite ; puis il remonte à l’embouchure du charnier.
Ce n’est pas tout que de posséder venaison copieuse ; il s’agit maintenant de la consommer en paix. La porte est donc fermée aux importuns, c’est-à-dire que l’insecte comble l’entrée du souterrain avec sa taupinée de déblais. Ces précautions prises, il redescend et s’attable. Il ne rouvrira sa cachette et ne refera le gouffre de l’entrée que plus tard, lorsque la Cigale sera digérée et que reviendra la faim. Laissons le goinfre à sa curée.
La courte matinée passée avec lui, en son lieu d’origine, ne m’a pas permis de l’observer en chasse, sur les sables de la plage ; mais les faits recueillis en captivité suffisent à nous renseigner. Ils nous montrent, dans le Scarite, un audacieux que n’intimident ni la taille ni la vigueur de l’adversaire.
Nous venons de le voir remonter de dessous terre, courir sus aux passants, les saisir à distance et les entraîner violemment dans son coupe-gorge. La Cétoine dorée, le Hanneton vulgaire, sont pour lui médiocre butin. Il ose s’attaquer à la Cigale, il ose porter ses crocs sur le corpulent Hanneton des pins. C’est un téméraire, prêt à tous les mauvais coups.
Dans les conditions naturelles, il ne doit pas déployer moins d’audace. Au contraire, les lieux familiers, les mouvements libres, l’espace sans limites, l’atmosphère salée chère à ses habitudes, exaltent le belliqueux.
Il s’est creusé dans le sable une retraite à large embouchure croulante. Ce n’est pas, à l’exemple du Fourmi-Lion, pour attendre, au fond de son entonnoir, le passage d’un...

Table des matières

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - LE SCARITE GÉANT
  3. Chapitre 2 - LA SIMULATION DE LA MORT
  4. Chapitre 3 - L’HYPNOSE. – LE SUICIDE
  5. Chapitre 4 - LES VIEUX CHARANÇONS
  6. Chapitre 5 - LE LARIN MACULÉ
  7. Chapitre 6 - LE LARIN OURS
  8. Chapitre 7 - L’INSTINCT BOTANIQUE
  9. Chapitre 8 - LE BALANIN ÉLÉPHANT
  10. Chapitre 9 - LE BALANIN DES NOISETTES
  11. Chapitre 10 - LE RHYNCHITE DU PEUPLIER
  12. Chapitre 11 - LE RHYNCHITE DE LA VIGNE
  13. Chapitre 12 - AUTRES ROULEURS DE FEUILLES
  14. Chapitre 13 - LE RHYNCHITE DU PRUNELLIER
  15. Chapitre 14 - LES CRIOCÈRES
  16. Chapitre 15 - LES CRIOCÈRES (SUITE)
  17. Chapitre 16 - LA CICADELLE ÉCUMEUSE
  18. Chapitre 17 - LES CLYTHRES
  19. Chapitre 18 - LES CLYTHRES (L’ŒUF)
  20. Chapitre 19 - LA MARE
  21. Chapitre 20 - LA PHRYGANE
  22. Chapitre 21 - LES PSYCHÉS (LA PONTE)
  23. Chapitre 22 - LES PSYCHÉS (LE FOURREAU)
  24. Chapitre 23 - LE GRAND-PAON
  25. Chapitre 24 - LE MINIME À BANDE
  26. Chapitre 25 - L’ODORAT
  27. À propos de cette édition électronique
  28. Notes de bas de page