Naufrage des isles flottantes - Basiliade du célèbre Pilpai
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Naufrage des isles flottantes - Basiliade du célèbre Pilpai

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Le «Naufrage des îles flottantes ou Basiliade du célèbre Pilpai» s'inscrit dans la tradition utopique de Thomas More: il expose une organisation communiste de la société dont la théorie est faite dans le «Code de la nature ou le Véritable Esprit de ses lois», qui inspira Babeuf, Cabet et les socialistes utopistes du XIXe siècle.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635247257

CHANT II.

Quoique chez ces Peuples regnât l’équilibre d’une parfaite égalité [30], cependant le Fils reconnoissant dans son Pere l’auteur de sa naissance & le conservateur de ses tendres années, se sentant redevable du développement de sa raison, aux sages préceptes de ce bienfaiteur, payoit ces tendres soins d’un amour respectueux. L’Épouse, soumise à l’adorateur de ses charmes, ne croyoit point s’aquiter, même par les caresses les plus vives, par des égards empressés envers l’artisan de son bonheur. Celui-là, entre les Concitoyens, étoit le plus considéré qui ouvroit un meilleur avis sur les moyens de procurer à la Nation les commodités de la vie, & dont le génie fertile en inventoit les expédiens les plus prompts. Bref, les bienfaits étoient les seuls titres de noblesse ; la reconnoissance, l’amitié, l’admiration, le respect & l’estime, étoient les dégrés d’hommage que l’on rendoit à cette véritable grandeur.
Néanmoins le premier rang étoit déféré dans ces Contrées, à une ancienne famille qui avoit conservé sur toutes les autres une autorité paternelle : c’étoit d’elle qu’étoit sorti ce Peuple nombreux : les branches de cette tige féconde respectoient l’antiquité de leur tronc, non par le ridicule préjugé qui fait respecter aux autres Peuples l’obscurité fabuleuse d’une longue suite de siécles, mais parce que toute la Nation étoit aussi redevable à cette famille de quantité de génies industrieux, inventeurs des usages les plus utiles à la Société.
Ce n’étoit donc, ni par les droits chimériques de la naissance, ni par une prétendue possession non interrompue, que cette Race autorisoit sa prééminence ; la qualité seule de bienfaitrice, sa sagesse, sa prudence, l’amour des peuples, étoient les fondemens inébranlables de son pouvoir suprême ; c’étoient ces aimables qualités, dont elle s’étoit toujours montrée jalouse, qui faisoient tout son lustre ; & l’art de captiver les cœurs faisoit toute sa politique.
Les Héros de ce sang se transmettoient de pere en fils, les secrets séduisans de cet art enchanteur, & ajoutoient aux découvertes de leurs ancêtres, celles de leur propre expérience : ils ne regardoient point leurs Peuples comme l’héritage d’une multitude d’Esclaves, échus un seul maître, pour servir humblement ses orgueilleux caprices ; ils se croyoient, au contraire, l’héritage de leurs Peuples. Le Prince se nommoit le pere immortel de la Patrie : en effet, les liens du sang n’ont rien de plus fort que l’affection qui lioit les Sujets & le Monarque. Cet heureux préjugé avoit dans leurs cœurs des racines aussi profondes que l’amour paternel & filial. Le Prince étoit donc, non par une vaine ostentation, ni par le mouvement machinal d’une bienveillance passagére, mais par principe & par habitude presque innée, le plus accessible & le plus humain de tous les mortels. Ses soins, ses attentions, ses faveurs, ne se bornoient pas à quelques centaines de vils adulateurs : il auroit cru ne regner qu’à demi, si un seul membre de la famille dont il étoit Chef, n’eût pas ressenti des effets de ses bontés. Il n’avoit pas besoin, pour se faire respecter, de faire marcher devant soi la pompe éblouissante & tumultueuse des autres Rois de la terre, ni de cacher des foiblesses ou des vices dans la solitude de ces spacieux tombeaux qu’on nomme Palais : Il n’étoit point nécessaire qu’il fît inculquer, ou par crainte, ou par les sophistiques maximes d’une morale tirannique, que les Princes sont les images d’une Divinité terrible & redoutable, plutôt que bienfaisante. Ses ordres, pour être exécutés avec empressement, n’étoient conçus qu’en ces termes : Il vous est utile, chers enfans de mes Ancêtres & les miens. Il n’étoit pas nécessaire d’employer la violence, où le crime étoit inconnu, & où l’obéissance étoit l’accomplissement d’un désir excité par le zéle.
Les fonctions de la Monarchie étoient d’indiquer, & les tems, & ce qu’il étoit à propos de faire pour le bien commun ; il ne s’agissoit que de régler les mouvemens d’une unanimité toujours constante. Ces Peuples connoissoient l’importance de cette vérité : tous les membres d’un même corps s’entre-aiment ; mais lorsqu’il est question de s’entre-secourir, quand ils pourroient agir sans les directions du Chef, ils ne pourroient le faire, ni utilement, ni à propos : la main se remueroit, lorsque ce seroit au pied à faire cette fonction ; & l’œil se fermeroit, lorsqu’il faudroit éclairer la main. Nul équilibre, nul accord, nul ordre dans les fonctions animales. Il en seroit ainsi, disoient-ils, d’un Peuple sans Chef.
De même donc qu’à la voix d’un sage Pilote, on voit, comme par enchantement, mouvoir les manœuvres d’un Vaisseau ; de même à la voix du Prince, ce corps si sagement organisé, animé du même esprit, travailloit avec un concert admirable au bien commun. Falloit-il recueillir une abondante moisson, cultiver, ou ensemencer telle campagne ? Étoit-il saison d’amasser certains fruits ; de mettre en usage quelque nouveau moyen d’adoucir & de faciliter ce que ces opérations ont de pénible, de régler le nombre de ceux qui devoient être destinés à chaque occupation ? Les décisions du Prince étoient religieusement observées ; & ses ordres respectés étoient portés de bouches en bouches jusqu’aux extrémités de son Empire. Comme il étoit l’ame de tout économie, de tout ordre, de tout embellissement, il étoit aussi de tous jeux, de toutes réjouissances, de tous plaisirs : il marquoit les tems de leur célébrité, de leur durée ; il prescrivoit ce que leur ordonnance devoit avoir d’agréable, d’ingénieux & de divertissant par la variété & la pompe du spectacle.
Quelqu’un avoit-il un avis utile à proposer ? Il étoit écouté avec bonté : les louanges & l’approbation du Prince, en présence de la Nation, étoient d’un prix inestimable pour celui qui en étoit honoré ; cette faveur étoit d’autant plus singuliére, qu’elle n’étoit jamais accordée qu’à juste titre ; & elle animoit les spectateurs à s’en rendre dignes pax leur zéle pour le bien public.
Ces Rois heureux n’étoient point environnés d’une foule d’esclaves, ni de flatteurs importuns : les soucis, les noirs chagrins, causés par les continuels efforts d’une puissance qui ne se fait obéir & respecter que par contrainte ; la gêne d’une grandeur qui semble vouloir tout ôter aux penchans naturels de l’humanité ; la crainte d’un fer conduit, ou d’un poison versé par une main scélérate, ne troubla jamais la sérénité de leur front ; leur personne chérie n’étoit point escortée d’une garde nombreuse, qui n’empêche point la mort de renverser les trônes.
Celui qui regnoit alors, faisoit les délices de son Peuple. À la majesté de sa personne se joignoient les plus éminentes & les plus aimables qualités d’un Prince né pour le bonheur de sa Nation. Ses occupations les plus douces, étoient de perfectionner tout ce qui pouvoit rendre la vie heureuse. Ses sujets étoient redevables à son industrie, à se recherches, aux soins qu’il prenoit de faire exécuter de bons conseils, de quantité d’usages très-commodes : il leur avoit appris à apprivoiser certains animaux pour en tirer des secours ; il leur avoit montré l’utilité de quantité de plantes, auparavant négligées ou inconnues ; il leur avoit enseigné à les cultiver, à les embellir, à les multiplier, aussi-bien que l’art d’en préparer, ou les fruits, ou les sucs. Exact observateur des saisons, il leur marquoit les instans propres à procurer l’abondance, & à recueillir ses libéralités, pour en conserver les provisions. Sa profonde connoissance de mille secrets de la Nature, le faisoit admirer. Cette aimable mere de l’Univers sembloit avoir épuisé sur la personne de ce Prince, ses dons les plus rares, & lui dévoiler ses mistéres, pour le rendre digne de regner sur un Peuple qu’elle préféroit à toutes les Nations, & sur lequel elle avoit pour toujours établi son empire : c’étoit elle qui lui avoit fait concevoir de la Divinité, une idée telle que la capacité de l’esprit humain peut la comprendre.
Ces Peuples, auparavant grossiers, se figuroient souvent quelque chose de Divin, dans les objets sensibles de leurs plaisirs, de leurs inclinations, de leurs goûts ; & ne suivant que les premieres impressions, ils prenoient un effet agréable pour la cause bienfaisante. Ce sage Prince par des maximes, par des raisonnemens proportionnés à la portée des génies les plus pénétrans, comme des plus foibles, avoit, par des discours pleins de dignité & de sens, réuni les esprits ; il leur avoit appris à reconnoître, non la Divinité dans ses dons, mais les effets d’une cause infiniment bonne, qui ne veut être connue de ses créatures, au moins en cette vie, que par l’évidence pénétrante des plus douces impressions.
[31]Princes & Législateurs, vous vous dites les Juges & les Pacificateurs de vos Peuples ; dites plutôt que vos Loix mal conçues, mal digérées, productions sistématiques de vos propres rêveries, font naître une multitude prodigieuse d’intérêts, de préjugés divers, éternels sujets de discorde & de crimes auparavant inouis. Vous êtes obligés de calmer des disputes, des querelles, des plaintes, & de réprimer mille injustices excitées par les leçons qu’en donnent vos propres réglemens ; vous êtes, à chaque instant, contraints d’abroger ceux-ci par d’autres contradictoires. Mauvais Architectes, vous replâtrez un bâtiment qui croule. Les mœurs de vos Sujets, semblables à ces liqueurs que trop de ferment agite, se débordent de tems en tems ; vous ne pouvez les contenir qu’en opposant de foibles digues : cet échafaudage mal construit, loin de produire l’effet que vous en espériez, sert de retraite à quelque monstre nouveau qui le mine, le renverse, & ouvre le passage à une foule de désordres : vous ne pouvez plus suffire pour les arrêter. Vous êtes accablés du poids de vos emplois, dont vous avez vous-mêmes appesanti le fardeau ; il faut que vous vous en déchargiez sur de vils esclaves. Vous livrez vos Sujets aux caprices tiranniques de ces insensés ; c’est avec justice alors qu’on vous accuse des maux qu’ils leur font. Votre excuse, que les détails immenses du gouvernement d’un État sont au-dessous de la dignité du Monarque, est frivole ; votre mauvaise économie, votre fausse politique, les ont multipliés ; ces détails minucieux & embarrassans, & les opinions bizarres de vos Ministres, de ceux dont vous prenez conseil, les multiplient encore : quand leur probité seroit intégre & reconnue, opiniâtrement attachés à des préjugés qui leur sont communs avec vous, peuvent-ils éviter de tomber dans l’erreur ? Vous prétendez réformer la Nature, lui prescrire des régles ; vous la rendez furieuse en l’assujettissant à d’inutiles devoirs. Ses loix sont courtes, précises, énergiques, uniformes & constantes ; le cœur humain en suivra toujours avec plaisir les sages directions, si rien d’étranger ne vient ternir la beauté de ces tables divines. L’évidence de leurs décisions n’a pas besoin de nouvelles lumiéres : ô Monarques ! n’en soyez point les interprétes, mais les conservateurs.
Tels étoient les Princes de ces heureuses Contrées ; tel étoit celui qui regnoit pour lors, vraiement l’ornement de ces tems fortunés : ses Peuples, suivant leur coutume de désigner les personnes par leurs qualités les plus aimables, le nommoient Alsmanzein [32]. Comme jamais cette furie, qui sous le nom d’Équité, dépéce par lambeaux les élémens mêmes pour donner à chacun le sien, n’excita d’inimitiés, de jalousies, ni de querelles chez ces Peuples : leurs Princes n’étoient point leurs Juges, mais les Présidens de leurs plaisirs, & des occupations qui en faisoient continuellement les préparatifs. Le méchanisme de cette admirable société se regloit sans efforts, sans peine, & presqu’au premier signal, tant étoit parfait l’arrangement de tous ses ressorts.
Le Ciel, pour récompenser la sagesse des Sujets & de leur Chef, avoit donné à celui-ci, avec un long regne, ce qu’il accorde de plus précieux aux Rois qu’il favorise, un ami, nommé Adel [33] pour la droiture de son cœur, & un successeur digne de lui. Son fils, au sortir de l’enfance, sembloit être formé par les mains de l’Amour même ; mais son extrême beauté n’étoit qu’un léger extérieur d’une ame, dont les charmes naissans faisoient concevoir de ce jeune Prince les plus hautes espérances ; elles le rendoient digne du nom de Zeinzemin [34], qu’il portoit, & qu’il mérita.
L’affection tendre & respectueuse des peuples pour le Pere, alloit jusqu’à la passion pour cet aimable Fils. Paroissoit-il en Public ? Les transports de leur joie & de leur admiration étoient excessifs : femmes, enfans, vieillards, faisoient retentir l’air de leurs acclamations : par-tout où il portoit ses pas, ils couroient rassasier leurs avides regards ; ils jonchoient la terre de fleurs ; ils lui présentoient leurs plus beaux fruits ; ils le nommoient leurs délices, l’aurore d’un beau jour, l’astre levant de leur félicité. De si doux épanchemens de cœur faisoient verser de larmes de joie à ce Pere fortuné ; & prenant quelquefois son Fils entre ses bras : Que tu es heureux, lui disoit-il, d’exciter, par ta présence, de si agréables délires ! Puisses-tu mériter d’en voir croître les transports ! Et vous, Peuple chéri, puissiez-vous le compter pour le meilleur de vos Peres !
L’éducation de ce jeune Prince étoit confiée aux soins de cet Ami, sans les conseils duquel le Monarque n’entreprenoit rien ; son grand âge même ne lui permettoit plus d’agir que par ce fidéle second : enfin, se sentant prêt à payer tribut à la Nature, il appelle Adel : Je sens, lui dit-il, cher compagnon de tout ce que j’ai fait de bien en cette vie, que je vais te quitter ; le sommeil appesantit mes yeux : j’ai long-tems joui de tout ce qui peut abreuver le cœur humain de délices ; le mien, comme rassasié des faveurs du Ciel, n’en peut plus gouter ici-bas ; il est comblé ; il faut que le repos vienne élargir ses bornes, étendre sa capacité pour lui faire éprouver d’autres biens ; je sors du festin, prens soin de celui qui va tenir ma place ; continue-lui la tendre amitié qui nous a toujours si intimement unis. Toi, mon fils, ajouta-t’il en l’embrassant, c’est par les soins officieux de cet autre Pere que ton ame a reçu les premiéres impressions de la sagesse ; c’est par ses prudens avis que ta raison développée va jouir de toutes ses prérogatives : apprens de lui l’art de regner sur les cœurs par des moyens plus efficaces que les impressions d’un extérieur aimable. C’est peu de chose que la pénétration & la vivacité d’esprit sans expérience : celle-ci ne s’acquiert souvent que par bien des erreurs, le tems ne l’améne qu’à pas lents & tardifs, quand on la cherche sans guide ; celle de mon Ami vient au-devant de toi ; suis-en les directions : sa tendresse t’est assurée comme la mienne ; mérite-la ; perpétue envers lui celle que tu me portes ; consulte-le comme moi-même. Adieu. Un doux soupir sembable à ceux de la joie, enleva ces derniéres paroles.
Après que l’amitié sincére & la tendresse filiale eurent honoré quelque tems cet éternel adieu de leurs larmes & de leurs regrets, l’Ami généreux prenant la parole, consola en ces termes le jeune Prince : Cessez de vous attrister sur un sort qui n’a rien de fâcheux pour la personne qui le subit ; ou c’est un néant insensible à la joie comme à la tristesse, ou c’est un passage à un état meilleur que celui que nous quittons : dans cette supposition qui est la plus vraisemblable & la plus conforme aux idées que nous avons des bontés infinies de l’Etre suprême, après avoir satisfait aux mouvemens de notre cœur, qui gémit de l’absence de ce qui lui est cher, il faut que la raison le délivre d’une douleur dont la durée deviendroit importune sans réparer notre perte, & paroîtroit faire injure à la personne que nous croyons dans un état heureux. Céder aux premiéres impressions de la nature qui se sent affligée, est un bien, c’est faire effort pour sortir d’une situation violente ; s’obstiner dans l’affliction, ce n’est plus vouloir se délivrer d’un mal, c’est en accumuler les tourmens. Pour distraire & calmer votre douleur, tournez-vous vers des objets qui vont toucher bien agréablement un cœur comme le vôtre ; vos Peuples vont s’empresser de transmettre au Fils un amour, éternel monument de la gloire du Pere & des Ayeux.
Tandis que ce discours, dicté par la plus douce persuasion, sembable aux rayons du soleil qui dissipent les nuages, raméne le calme & la sérénité dans le cœur du jeune Prince, les Sujets rendent les derniers devoirs à leur Monarque. Sa pompe funébre n’est point accompagnée de lugubres gémissemens : porté sur les épaules des plus respectables d’entre le Peuple ; étendu sur un lit de fleurs, il étoit suivi d’une foule qui chantoit des himnes en son honneur. Nous te regretterions, disoient les uns, Prince aimable, s’il n’y avoit pas de l’ingratitude de n’aimer nos bienfaiteurs que pour nous-mêmes, & d’être fâché qu’après avoir travaillé à nous rendre heureux, ils nous quittassent pour l’être eux-mêmes : Non, tu ne nous quittes pas ; ton ame généreuse n’est, sans doute, sortie de ce corps que pour s’unir plus intimement à ce qui lui est cher ; elle respire dans ton heureux Fils. Voyez, disoient d’autres, la même sérénité brille encore sur son front sacré ; pendant le sommeil il conserve toujours cet air qui répandoit l’allégresse dans nos cœurs, cet air qui nous encourageoit dans nos travaux, qui animoit & soutenoit notre espérance : Oui, il vit encore ; les bons Princes ne meurent jamais.
Après que le Pere eut, par ce triomphe, été conduit au tombeau de ses Ancêtres, le Peuple courut en foule baiser la main du Successeur. Chacun, non par superstition, mais par amour, regarde cet honneur comme un des plus heureux présages : enfin, ils le proclament Pere de la Patrie, & célébrent son avénement par tout ce que la joie a de plus expressif ; ici par des repas abondans & délicats, simboles de la prospérité du nouveau regne ; là de tendres Amans entre les bras de la volupté, semblent inviter de nouvelles créatures à naître dans ce siécle heureux ; dans un autre endroit ce ne sont que danses, que ris, que jeux folâtres, qu’agréables railleries : ceux qui aiment les délices de la bonne chére, badinent ceux qui se livrent aux douces langueurs de l’Amour ; ceux-ci reprochent aux autres qu’ils ne sont heureux qu’à demi.
C’est sous ces heureux auspices que le jeune Monarque commence son regne. Plein du désir de soutenir la haute opinion que ses Peuples avoient conçue de lui, il s’attacha à suivre en tout les sages conseils du respectable Vieillard, que son Pere lui avoit recommandé de prendre pour guide.
Cet héroïque Personnage ne portoit d’autres marques de son grand âge, que des cheveux blancs : sa gravité douce & affable, la majesté de son port, la vivacité de ses yeux annonçoient quelque chose de divin, ainsi que la douceur de ses discours, qui portoit dans les esprits une persuasion toujours victorieuse. Son illustre Éléve ne se lassoit point de l’entendre. Un jour qu’il le pressoit obligeamment de l’instruire des devoirs d’un Roi : J’ai toujours cru, grand Prince, lui répondit-il, que le Ciel favorable aux humains, ne leur donnoit pour chef que des ames sublimes, que la Divinité forme avec complaisance ; elles naissent ce que les autres hommes deviennent par beaucoup de travail. Les rares qualités dont je vous vois orné, sont un brillant exemple de cette vérité. Je ne vous tiendrois point ce discours flatteur, s’il n’étoit dicté par la réalité de votre mérite, & si je ne connoissois qu’il allume dans votre cœur une nouvelle ardeur de vous signaler. Mais puisque votre amitié exige de mon zéle des avis que vous pouvez prendre de vous-même, l’Histoire de la Nation que vous gouvernez, vous apprendra mieux que moi la façon de la régir : daignez, Prince, en écouter le récit.
On dit qu’autrefois cette Terre fut infestée d’une multitude de Monstres, qui après en avoir séduit les malheureux Habitans, les retenoient opprimés sous le poids des chaînes dont il s’étoient chargés eux-mêmes, ou qu’ils s’étoient laissé imposer. Un déluge de maux & de crimes, dont, graces au Ciel, vous ignorez le nom même, & dont il ne s’est conservé parmi nous qu’un souvenir confus ; ces maux, dis-je, ravageoient ces tristes climats. La Vérité & la Nature firent de vains efforts pour engager ces Peuples à s’affranchir de la domination de ces maîtres furieux : ils furent sourds à la voix salutaire de leurs libératrices. Nulle liaison entre les membres de cette Société confuse, prête à se dissoudre ; chaque particulier n’est plus retenu dans les devoirs de l’humanité, que parce qu’il ne se sent pas assez fort pour pouvoir seul écraser le reste des hommes ; son cœur cruel verroit avec joie périr le monde entier, s’il en pouvoit seul recueillir les dépouilles. Le désir d’obtenir des autres, par de feintes caresses, ce que leur avidité ne peut impunément ravir, empêche ceux-ci de s’entre-dévorer ; elle cache sa violence sous de faux égards & de perfides ménagemens chez ceux dont une lâche timidité fait l’innocence ; ceux-là, au contraire, n’ont de l’intrépidité que pour commettre le crime ; le plus vil intérêt les aveugle sur les dangers ; il arme leurs bras de poisons, de fer, ou de feux, pour établir leur bonheur sur les ruines de toute humanité.
La Vérité, indignée de tant d’horreurs, abandonne ces Mortels furieux ; la Nature, privée de cette tendre mere, languit bientôt sans force & sans vigueur ; elle fuit éperdue dans les bras de sa mere : C’en est fait, lui dit cette puissante protectrice, tu vas être vengée.
À ces mots le Ciel s’obscurcit d’épais nuages, l’air gronde, d’horribles mugissemens se font entendre dans les entrailles de la terre, mill...

Table des matières

  1. Titre
  2. ÉPÎTRE DÉDICATOIRE À LA SULTANE REINE.
  3. LETTRE À LA MÊME
  4. ARGUMENT DU CHANT I.
  5. CHANT I.
  6. ARGUMENT DU CHANT II.
  7. CHANT II.
  8. ARGUMENT DU CHANT III.
  9. CHANT III.
  10. ARGUMENT DU CHANT IV.
  11. CHANT IV.
  12. ARGUMENT DU CHANT V.
  13. CHANT V.
  14. ARGUMENT DU CHANT VI.
  15. CHANT VI.
  16. À propos de cette édition électronique
  17. Notes de bas de page