d'après les dessins
de M. Hogarth.
Le célèbre auteur des Memoirs of a woman of pleasure naquit en 1707 ou en 1709. Les biographes, qui ne sont pas d’accord sur ce point, ne peuvent indiquer le lieu où il vit le jour.
Il était fils du colonel Cleland, qui, sous le nom de Will Honeycomb, figure parmi les membres du Spectator Club, imaginé par Steele et Addison.
Bien que laissé sans fortune par la mort de son père, le jeune John Cleland reçut une bonne éducation à l’École de Westminster. Ses études terminées, il fut, après 1722, nommé consul à Smyrne. En 1736, il entra au service de la Compagnie des Indes et résida à Bombay, mais ce ne fut pas pour longtemps, car, à la suite d’une affaire qu’on ignore, il fut destitué et revint en Angleterre.
C’est alors que, sans emploi, il connut la misère, traînant de taverne en taverne, au milieu des débauchés et des prostituées.
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À cette époque, les rues de Londres étaient, le soir, pleines de filous et de filles. La dépravation des Londoniens était à son comble. La jeunesse dorée de la Noblesse et de la Bourgeoisie dissipait de grosses sommes à courir les tavernes, les Bagnios et les Seraglios que l’on venait d’ouvrir à Londres, sur le modèle de ces établissements parisiens que l’on a appelés des Temples d’Amour.
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Les tavernes étaient de diverses sortes. Il y en avait de fort ignobles fréquentées par les misérables et les prostituées de bas étage. Dans d’autres, au contraire, la Noblesse s’enivrait, jurait et faisait tapage de la façon la plus grossière. La plupart des repas fins se donnaient à la taverne. Et si les Anglais goûtaient peu les potages, ils faisaient une honorable exception en faveur de la Soupe à la Tortue. Lorsqu’une taverne en annonçait, il n’était point rare que les consommateurs vinssent faire queue à la porte.
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Cleland ne nous fournit guère de détails sur la chère que faisaient les Anglais de son temps.
Voici la description d’un fin dîner anglais au mois de juin.
Un repas de cette sorte durait généralement plus de quatre heures, et le plus souvent les convives étaient silencieux.
Pour le premier service, d’un côté, la table ronde était chargée d’un jambon rôti, reposant mollement sur des fèves de marais. Un énorme rosbif était de l’autre côté. Un plat de choux-fleurs ornait le milieu de la table, flanqué de deux saucières, l’une de beurre, l’autre d’une sauce au gingembre et aux herbes, aromatiques. Dans une marmite se trouvait du bouilli peu cuit, et, devant elle, un plat dans lequel se pressaient quelques poulets que le beurre surbaignait.
Ensuite, on servait une oie grasse, une tortue, des petits pois sans sauce, cuits, dans l’eau bouillante, à découvert, pour conserver leur couleur verte, et une sorte de tarte croquante bourrée de groseilles à maquereau.
Les convives avaient devant eux des vidrecomes pour le vin commun et des pots d’argent pour la bière, une assiette, une fourchette de fer à deux branches, un couteau en sabre, arrondi par le bout pour servir de cuiller. Les serviettes étaient inconnues,
Après le second service, la nappe enlevée, on servait le dessert : des fraises, du melon, du fromage et cinq ou six sortes de vins. On apportait alors les verres à la française et l’on portait les santés, en commençant par celle du Roi. On continuait par celle des Dames.
On servait ensuite du punch, puis le café et le thé avec des tartines de beurre.
Dans un coin de la salle était le pot à pisser, où chacun se soulageait sans vergogne, et comme l’on tenait le plus souvent les fenêtres fermées, les vapeurs de l’urine, se mêlant aux vapeurs de l’alcool et du vin, rendaient l’atmosphère irrespirable pour d’autres que des Anglais.
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À propos du sans-gêne qu’apportaient les Anglais dans la satisfaction de leurs besoins naturels, il convient de citer un trait rapporté par Casanova, qui visita Londres quelques années après la publication du livre de Cleland :
« Tout à coup, aux environs de Buckingham-House, j’aperçus à ma gauche cinq ou six personnes dans les broussailles qui satisfaisaient un besoin impérieux et qui tournaient le derrière aux passants. Cette position me parut d’une indécence révoltante et j’en témoignai mon dégoût à Martinelli, en lui disant que ces déhontés devraient au moins tourner leur face aux passants.
« — Nullement, s’écria-t-il, car alors on les reconnaîtrait peut-être, et à coup sûr on les regarderait ; tandis qu’en exposant leur postérieur, ils ne courent point le danger d’être connus, et qu’en outre ils forcent les gens tant soit peu délicats à se détourner.
« — J’approuve votre raisonnement, mon cher ami, mais vous trouverez naturel que cela révolte un étranger.
« — Sans doute, car les usages s’enracinent comme des préjugés. Vous aurez pu remarquer qu’un Anglais qui, dans la rue, a besoin de lâcher ses écluses ne va pas, comme chez nous, se cacher dans une allée, se coller contre une porte ou s’abriter contre une borne ?
« — Oui, j’en ai vu qui se tournent vers le milieu de la rue ; mais s’ils évitent ainsi la vue des gens qui passent sur le trottoir ou qui sont dans les boutiques, ils sont vus de ceux qui passent en voiture, et cela n’est pas bien.
« — Qui oblige ceux qui passent commodément en voiture à regarder là ?
« — C’est encore vrai. »
Les repas se passaient le plus souvent en silence, mais ce n’était pas une règle, et, dans les bonnes compagnies, la conversation allait son train. Faut-il ajouter que les hommes ...