Souvenirs entomologiques - Livre III
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Souvenirs entomologiques - Livre III

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Souvenirs entomologiques - Livre III

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À propos de ce livre

Souvenirs entomologiques - Livre III was written in the year 1886 by Jean-Henri Fabre. This book is one of the most popular novels of Jean-Henri Fabre, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635245857

Chapitre 1 LES SCOLIES

Si la force devait primer les autres attributs zoologiques, au premier rang, dans l’ordre des HymĂ©noptĂšres, domineraient les Scolies. Quelques-unes, pour les dimensions, peuvent ĂȘtre comparĂ©es avec l’oisillon du Nord, Ă  couronne orangĂ©e, le roitelet, qui vient chez nous visiter les bourgeons vĂ©reux Ă  l’époque des premiĂšres brumes automnales. Les plus gros, les plus imposants de nos porte-aiguillons, le Xylocope, le Bourdon, le Frelon, font pauvre figure Ă  cĂŽtĂ© de certaines Scolies. Parmi ce groupe de gĂ©ants, ma rĂ©gion possĂšde la Scolie des jardins (Scolia hortorum, Vander Lind.), qui dĂ©passe quatre centimĂštres de longueur et en mesure dix d’un bout Ă  l’autre des ailes Ă©tendues : la Scolie hĂ©morrhoĂŻdale (Scolia hemorrhoĂŻdalis, Vander Lind) qui rivalise pour la taille avec celle des jardins et s’en distingue surtout par la brosse de poils roux hĂ©rissant le bout du ventre.
LivrĂ©e noire avec larges plaques jaunes ; ailes coriaces, ambrĂ©es ainsi qu’une pellicule d’oignon, et diaprĂ©es de reflets pourpres ; pattes grossiĂšres, noueuses, hĂ©rissĂ©es d’aprĂšs cils ; charpente massive ; tĂȘte robuste, casquĂ©e d’un crĂąne dur ; dĂ©marche gauche, sans souplesse ; vol de peu d’essor, court et silencieux, voilĂ  l’aspect sommaire de la femelle, fortement outillĂ©e pour sa rude besogne. En amoureux oisif, le mĂąle est plus Ă©lĂ©gamment encornĂ©, plus finement vĂȘtu, plus gracieux de tournure, sans perdre tout Ă  fait ce caractĂšre de robusticitĂ© qui est le trait dominant de sa compagne.
Ce n’est pas sans apprĂ©hension que le collectionneur d’insectes se trouve pour la premiĂšre fois en prĂ©sence de la Scolie des jardins. Comment capturer l’imposante bĂȘte, comment se prĂ©server de son aiguillon ? Si l’effet du dard est proportionnel Ă  la taille de l’hymĂ©noptĂšre, la piqĂ»re de la Scolie doit ĂȘtre redoutable. Le Frelon, pour une seule fois qu’il dĂ©gaine, nous endolorit atrocement.
Que sera-ce si l’on est poignardĂ© par le colosse ? La perspective d’une tumeur de la grosseur du poing, et douloureuse comme si le fer rouge y avait passĂ©, vous traverse l’esprit au moment de donner le coup de filet. Et l’on s’abstient, on fait retraite, trĂšs heureux de ne pas Ă©veiller l’attention du dangereux animal.
Oui, je confesse avoir reculĂ© devant les premiĂšres Scolies, si dĂ©sireux que je fusse d’enrichir de ce superbe insecte ma collection naissante. De cuisants souvenirs laissĂ©s par la GuĂȘpe et le Frelon n’étaient pas Ă©trangers Ă  cet excĂšs de prudence. Je dis excĂšs, car aujourd’hui, instruit par une longue pratique, je suis bien revenu de mes craintes d’autrefois ; et si je vois une Scolie se reposant sur une tĂȘte de chardon, je ne me fais aucun scrupule de la saisir du bout des doigts, sans prĂ©caution aucune, si grosse, si menaçante d’aspect qu’elle soit. Mon audace n’est qu’apparente, j’en instruis volontiers le novice chasseur d’hymĂ©noptĂšres. Les Scolies sont trĂšs pacifiques. Leur dard est outil de travail bien plus que stylet de guerre ; elles en usent pour paralyser la proie destinĂ©e Ă  leur famille ; et ce n’est qu’à la derniĂšre extrĂ©mitĂ© qu’elles le font servir Ă  leur propre dĂ©fense.
En outre, leur manque de souplesse dans les mouvements permet presque toujours d’éviter l’aiguillon ; et puis, serait-on atteint, la douleur de la piqĂ»re est presque insignifiante. Ce dĂ©faut de cuisante ĂącretĂ© dans le venin est un fait Ă  peu prĂšs constant, chez les hymĂ©noptĂšres giboyeurs, dont l’arme est une lancette chirurgicale destinĂ©e aux plus fines opĂ©rations physiologiques.
Parmi les autres Scolies de ma région, je mentionnerai la Scolie à deux bandes (Scolia bifasciata, Vander Lind), que je vois, chaque année, au mois de septembre, exploiter les amas de terreau de feuilles mortes, disposés, à son intention, dans un coin de mon enclos ; et la Scolie interrompue (Scolia interrupta, Latr,), hÎte du terrain sablonneux à la base des collines voisines. Bien moindres que les deux premiÚres, mais aussi bien plus fréquentes, condition nécessaire pour des observations suivies, elles me fourniront les principaux éléments de ce travail sur les Scolies.
J’ouvre mes vieilles notes, et je me revois, le 6 aoĂ»t 1857, au bois des Issards, ce fameux taillis voisin d’Avignon que j’ai cĂ©lĂ©brĂ© dans mon Ă©tude sur les Bembex. Je me retrouve la tĂȘte bourrĂ©e de projets entomologiques, au dĂ©but des vacances qui, deux mois durant, vont me permettre la compagnie de l’insecte. Foin ! du vase de Mariotte et du tube de Torricelli ! Voici l’époque bĂ©nie, oĂč de maĂźtre je deviens Ă©colier, l’écolier passionnĂ© de la bĂȘte. Comme un arracheur de garance qui va faire sa journĂ©e, je suis parti avec un solide outil de fouille sur l’épaule, le luchet du pays ; et sur le dos, la gibeciĂšre avec boites, flacons, houlette, tubes de verre, pinces, loupes et autres engins. Un ample parapluie est ma sauvegarde contre l’insolation. C’est l’heure la plus ardente de la Canicule. ÉnervĂ©es par la chaleur, les Cigales se taisent. Les Taons, aux yeux bronzĂ©s, cherchent refuge contre l’implacable soleil, au plafond de mon abri de soie ; d’autres gros diptĂšres, les sombres Pangonies, se jettent Ă©tourdiment Ă  mon visage.
Le point oĂč je me suis installĂ© est une clairiĂšre sablonneuse que j’avais reconnue l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente comme un emplacement aimĂ© des Scolies. Çà et lĂ  sont semĂ©s des buissons de chĂȘne vert, dont l’épais fourrĂ© garde un matelas de feuilles mortes avec maigre couche de terreau. Mes souvenirs m’ont bien servi. Voici qu’en effet, la chaleur un peu calmĂ©e, apparaissent, venues je ne sais d’oĂč, quelques Scolies Ă  deux bandes. Le nombre s’en accroĂźt, et je ne tarde pas Ă  en voir, autour de moi, Ă  portĂ©e d’observation, bien prĂšs d’une douzaine.
À leur taille moindre, Ă  leur essor plus lĂ©ger, il est aisĂ© de les reconnaĂźtre pour des mĂąles. Rasant presque le sol, ils volent mollement, vont et reviennent, passent et repassent suivant toutes les directions. De loin en loin, quelqu’un met pied Ă  terre, palpe le sable avec les antennes et paraĂźt s’informer de ce qui se passe dans les profondeurs ; puis il reprend son vol alternatif d’aller et de retour.
Qu’attendent-ils ; que cherchent-ils ainsi dans leurs Ă©volutions cent et cent fois recommencĂ©es ? De la nourriture ?
Non, car tout Ă  cĂŽtĂ© se dressent quelques pieds de panicaut, dont les robustes capitules sont l’habituelle ressource de l’hymĂ©noptĂšre Ă  cette Ă©poque de vĂ©gĂ©tation grillĂ©e par le soleil, et aucun ne s’y pose, aucun ne paraĂźt se soucier de leurs exsudations sucrĂ©es. L’attention est ailleurs. C’est le sol, c’est la nappe sablonneuse qu’ils explorent avec tant d’assiduitĂ© ; ce qu’ils attendent, c’est la sortie de quelques femelles qui, le cocon rompu, peut apparaĂźtre d’un moment Ă  l’autre, Ă©merger de terre, toute poudreuse. Sans lui donner le temps de s’épousseter, de se laver les yeux, ils seront aussitĂŽt lĂ  trois, quatre et plus, ardents Ă  se la disputer. Je connais trop ces Ă©bats amoureux chez la gent hymĂ©noptĂšre pour m’y laisser tromper. Il est de rĂšgle que les mĂąles, plus prĂ©coces, font bonne garde autour du lieu natal et surveillent la sortie des femelles, qu’ils harcĂšlent de leurs poursuites aussitĂŽt venues au jour. Tel est le motif de l’interminable ballet de mes Scolies. Prenons patience ; peut-ĂȘtre assisterons-nous Ă  la noce.
Les heures s’écoulent, les Pangonies et les Taons dĂ©sertent mon parapluie, les Scolies se lassent et peu Ă  peu disparaissent. C’est fini. Pour aujourd’hui, je ne verrai plus rien. À diverses reprises, l’accablante expĂ©dition au bois des Issards est recommencĂ©e ; chaque fois, je revois les mĂąles aussi assidus que jamais dans leur essor Ă  fleur de terre. Ma persĂ©vĂ©rance mĂ©ritait un succĂšs. Elle l’eut, mais bien incomplet. Exposons-le tel qu’il est ; l’avenir comblera les vides. Une femelle Ă©merge du sol sous mes yeux. Elle s’envole suivie de quelques mĂąles. Avec le luchet, je fouille au point de sortie, et Ă  mesure que l’excavation gagne, je tamise entre les doigts les dĂ©blais sablonneux mĂ©langĂ©s de terreau. À la sueur du front, je puis le dire, j’avais bien remuĂ© prĂšs d’un mĂštre cube de matĂ©riaux, quand enfin je fais trouvaille. C’est un cocon rĂ©cemment rompu, sur le flanc duquel adhĂšre une dĂ©pouille Ă©pidermique, ultimes restes du gibier dont s’est nourrie la larve artisan du dit cocon. Vu le bon Ă©tat de son Ă©toffe de soie, celui-ci pourrait avoir appartenu Ă  la Scolie qui vient de quitter sous mes yeux sa souterraine demeure. Quant Ă  la dĂ©pouille l’accompagnant, elle est trop ruinĂ©e par la fraĂźcheur du sol et par les radicelles des gramens pour qu’il me soit possible d’en dĂ©terminer exactement l’origine. La calotte crĂąnienne, mieux conservĂ©e, les mandibules et quelques traits de configuration gĂ©nĂ©rale me font cependant soupçonner une larve de lamellicorne.
Il se fait tard. C’est assez pour aujourd’hui. Je suis extĂ©nuĂ© mais amplement dĂ©dommagĂ© de mes fatigues par un cocon en piĂšces et la peau Ă©nigmatique d’un misĂ©rable ver. Jeunes gens qui vous occupez d’histoire naturelle, voulez-vous savoir si le feu sacrĂ© coule dans vos veines ? Supposez-vous de retour d’une expĂ©dition semblable. Vous avez sur l’épaule le lourd outil du paysan, vos reins sont courbaturĂ©s par une laborieuse fouille que vous venez de pratiquer tout accroupi, la chaleur d’une aprĂšs-midi du mois d’aoĂ»t vous a mis la tĂȘte en Ă©bullition, vos paupiĂšres sont fatiguĂ©es par le prurit d’une ophtalmie que vous a valu la violente illumination de la journĂ©e, la soif vous dĂ©vore, et devant vous s’ouvre la poudreuse perspective des kilomĂštres vous sĂ©parant du repos. Cependant quelque chose chante en vous ; oublieux des misĂšres prĂ©sentes, vous ĂȘtes tout heureux de votre course. Pourquoi ? Parce que vous voilĂ  possesseur d’un lambeau d’épiderme pourri. Si c’est bien ainsi, mes jeunes amis, allez de l’avant, vous ferez quelque chose ; ce qui n’est pas, tant s’en faut, je vous en avertis, le moyen de faire son chemin.
Ce lambeau d’épiderme fut examinĂ© avec tous les soins qu’il mĂ©ritait. Mes premiers soupçons se confirmĂšrent : un lamellicorne, un scarabĂ©ien Ă  l’état de larve est la premiĂšre nourriture de l’hymĂ©noptĂšre dont je venais d’exhumer le cocon. Mais quel est ce scarabĂ©ien ? Et puis, ce cocon, mon riche butin, appartient-il bien Ă  la Scolie ? Le problĂšme commence Ă  se poser. Pour en essayer la solution, il faut revenir au bois des Issards.
J’y suis revenu, et si souvent que ma patience a fini par se lasser avant que la question des Scolies eut reçu satisfaisante rĂ©ponse. La difficultĂ© n’est pas petite, en effet, dans les conditions oĂč je me trouve. OĂč fouiller dans l’étendue indĂ©finie du terrain sablonneux pour rencontrer un point hantĂ© par les Scolies ? Le luchet plonge au hasard, et presque toujours je ne rencontre rien de ce que je cherche. Les mĂąles, volant Ă  fleur de terre, m’indiquent bien d’abord, avec leur sĂ»retĂ© d’instinct, les emplacements oĂč doivent se trouver des femelles ; mais leurs indications sont fort vagues, Ă  cause de l’amplitude de leurs allĂ©es et venues. Si je voulais visiter le sol qu’un seul mĂąle explore dans son essor Ă  direction toujours changeante, j’aurais Ă  remuer, Ă  un mĂštre de profondeur peut-ĂȘtre, au moins un are de terrain. C’est trop au-dessus de mes forces et de mes loisirs. Puis, la saison s’avançant, les mules disparaissent, et me voilĂ  privĂ© de leurs indications. Pour savoir Ă  peu prĂšs oĂč plonger le luchet, une seule ressource me reste : c’est d’épier les femelles sortant de terre ou bien y pĂ©nĂ©trant. Avec beaucoup de patience et de temps dĂ©pensĂ©, cette aubaine, j’ai fini par l’avoir, rarement il est vrai.
Les Scolies ne creusent pas de terrier comparable Ă  celui des autres hymĂ©noptĂšres giboyeurs ; elles n’ont pas de domicile fixe, avec galerie libre, qui s’ouvre Ă  l’extĂ©rieur et donne accĂšs dans les cellules, demeures des larves. Pour elles, pas de porte d’entrĂ©e et de sortie, pas de corridor pratiquĂ© Ă  l’avance. S’il faut pĂ©nĂ©trer en terre, tout point, non remuĂ© jusque-lĂ , leur est bon pourvu qu’il ne soit pas trop dur Ă  leurs instruments de fouille, d’ailleurs si puissants ; s’il faut en ressortir, le point d’issue leur est non moins indiffĂ©rent. La Scolie ne perfore pas le sol traversĂ© ; elle le fouille, elle le laboure des pattes et du front ; et les matĂ©riaux remuĂ©s restent en place, en arriĂšre, obstruant aussitĂŽt le passage suivi. Quand elle va surgir au dehors, son arrivĂ©e est annoncĂ©e par de la terre fraĂźche qui s’amoncelle comme sous la poussĂ©e du groin de quelque taupe minuscule.
L’insecte sort, et la taupinĂ©e s’éboule sur elle-mĂȘme en comblant l’orifice de sortie. Si l’hymĂ©noptĂšre rentre, la fouille, faite en un point arbitraire, donne rapidement une excavation oĂč la Scolie disparaĂźt, sĂ©parĂ©e de la surface par toute la traĂźnĂ©e des matĂ©riaux remuĂ©s.
Je reconnais aisĂ©ment son passage dans l’épaisseur du sol, Ă  certains cylindres, longs et tortueux, formĂ©s de matĂ©riaux mobiles au milieu d’une terre tassĂ©e et consistante. Ces cylindres sont nombreux, ils plongent parfois Ă  un demi-mĂštre, ils s’allongent dans toutes les directions, assez souvent se croisent. Aucun ne prĂ©sente mĂȘme un simple tronçon de galerie libre. Ce ne sont pas ici, c’est Ă©vident, des voies permanentes de communication avec le dehors, mais des pistes de chasse que l’insecte a suivies une fois sans plus y revenir. Que recherchait l’hymĂ©noptĂšre quand il criblait le sol de ces boyaux maintenant pleins d’éboulis ruisselants ? Sans doute la pĂąture de sa famille, la larve dont je possĂšde la dĂ©pouille, devenue guenille mĂ©connaissable.
Le jour se fait un peu : les Scolies sont des laboureurs souterrains. DĂ©jĂ  je le soupçonnais, ayant capturĂ© autrefois des Scolies souillĂ©es de petits encroĂ»tements terreux aux jointures des pattes. L’hymĂ©noptĂšre, lui si soucieux de propretĂ©, lui dont le moindre loisir est mis Ă  profit pour se brosser et se lustrer, ne peut avoir de semblables taches qu’à la condition d’ĂȘtre un fervent remueur de terre. Je soupçonnais leur mĂ©tier, et maintenant je le sais. Elles vivent sous terre, oĂč elles fouillent Ă  la recherche des larves de lamellicorne, de mĂȘme que fouille la taupe Ă  la recherche du ver blanc. Les embrassements des mĂąles reçus, peut-ĂȘtre mĂȘme ne remontent-elles que fort rarement Ă  la surface, absorbĂ©es qu’elles sont par les soins maternels ; et voilĂ  pourquoi, sans doute, ma patience s’épuise Ă  guetter leur entrĂ©e et leur sortie.
C’est dans le sous-sol qu’elles stationnent et qu’elles circulent ; Ă  l’aide de leurs fortes mandibules, de leur crĂąne dur, de leurs robustes pattes Ă©pineuses, elles se fraient aisĂ©ment des voies dans la terre meuble. Ce sont des socs vivants. Sur la fin du mois d’aoĂ»t, la population fĂ©minine est donc, pour la majeure part, sous terre, affairĂ©e au travail de la ponte et de l’approvisionnement. C’est en vain, tout semble me le dire, que j’épierais la venue de quelques femelles au grand jour ; il faut me rĂ©signer Ă  fouiller au hasard.
Le rĂ©sultat ne rĂ©pondit guĂšre Ă  mes laborieuses excavations. Quelques cocons furent trouvĂ©s, presque tous rompus comme celui dont j’étais dĂ©jĂ  possesseur, et portant, comme lui, appliquĂ©e sur le flanc, la peau dĂ©guenillĂ©e d’une larve du mĂȘme scarabĂ©ien. Deux de ces cocons, restĂ©s intacts, renfermaient un hymĂ©noptĂšre adulte et mort. C’était bien la Scolie Ă  deux bandes, prĂ©cieux rĂ©sultat qui de mes soupçons faisait certitude.
D’autres cocons furent exhumĂ©s, un peu diffĂ©rents d’aspect, contenant l’habitant adulte et mort oĂč je reconnus la Scolie interrompue. Les restes des vivres consistaient encore dans la dĂ©pouille Ă©pidermique d’une larve Ă©galement de lamellicorne, mais diffĂ©rente de celle que chasse la premiĂšre Scolie. Et ce fut tout. Un peu de ci, un peu de lĂ , je remuai quelques mĂštres cubes de terre, sans parvenir Ă  trouver des provisions fraĂźches avec l’Ɠuf ou la jeune larve. C’était bien cependant l’époque favorable, l’époque de la ponte, car les mĂąles, nombreux au dĂ©but, Ă©taient devenus de jour eu jour plus rares jusqu’à disparaĂźtre totalement. Mon insuccĂšs tenait Ă  l’incertitude des fouilles, que rien ne pouvait guider sur une Ă©tendue illimitĂ©e.
Si je pouvais au moins déterminer les Scarabées dont les larves sont le gibier des deux Scolies, le problÚme serait à demi résolu. Essayons. Je recueille tout ce que déterre le luchet, larves, nymphes et coléoptÚres adultes.
Mon butin consiste en deux lamellicornes : l’Anoxia villosa et l’Euchlora Julii, que je trouve Ă  l’état parfait, le plus souvent morts, quelquefois vivants. J’obtiens leurs nymphes en petit nombre, excellente fortune, car la dĂ©pouille larvaire qui les accompagne me servira de terme de comparaison. Je rencontre en abondance des larves de tout Ăąge. ComparĂ©es Ă  la dĂ©froque abandonnĂ©e par les nymphes, les unes sont reconnues pour appartenir Ă  l’Anoxie, et les autres Ă  l’Euchlore.
Avec ces documents, je constate en complĂšte certitude que la dĂ©pouille accolĂ©e au cocon de la Scolie interrompue appartient Ă  l’Anoxie. Quant Ă  l’Euchlore, elle n’a rien Ă  faire ici ; la larve que chasse la Scolie Ă  deux bandes ne lui appartient pas, non plus que celle de l’Anoxie. À quel scarabĂ©e correspond alors la dĂ©pouille qui me reste inconnue ? Le lamellicorne cherchĂ© doit pourtant se trouver dans le terrain que j’explore, puisque la Scolie Ă  deux bandes s’y est Ă©tablie. Plus tard, oh ! bien plus tard, j’ai reconnu en quoi pĂȘchaient mes fouilles.
Pour Ă©viter sous le luchet le rĂ©seau des racines et rendre le travail d’excavation plus aisĂ©, je fouillais les places dĂ©nudĂ©es, loin des bouquets de chĂȘne-vert ; et c’est dans ces fourrĂ©s, riches en humus, qu’il m’eĂ»t fallu prĂ©cisĂ©ment chercher. LĂ , auprĂšs des vieilles souches, dans le terrain de feuilles mortes et de bois pourri, j’eusse rencontrĂ© certainement la larve tant dĂ©sirĂ©e, ainsi que l’établira ce qui me reste Ă  dire.
LĂ  se borne ce que m’ont appris mes premiĂšres recherches. Il est Ă  croire que le bois des Issards jamais ne m’aurait fourni les donnĂ©es prĂ©cises telles que je les dĂ©sire. L’éloignement des lieux, la fatigue de courses rendues accablantes par la chaleur, l’inconnu des points attaquĂ©s, m’auraient rebutĂ© sans doute avant que le problĂšme eĂ»t fait un pas de plus. Pour de semblables Ă©tudes, il faut le loisir et l’assiduitĂ© du chez soi ; il faut la demeure au village. Alors chaque point de votre enclos et des environs vous est familier, et l’on procĂšde Ă  coup sĂ»r.
Vingt-trois annĂ©es s’écoulent, et me voici Ă  SĂ©rignan, devenu paysan qui tour Ă  tour laboure son carrĂ© de papier et son carrĂ© de navets. Le 14 aoĂ»t 1880, Favier dĂ©mĂ©nage un tas de terreau provenant de dĂ©tritus d’herbages et de feuilles amoncelĂ©s dans un recoin, contre le mur d’enceinte. Le dĂ©mĂ©nagement a Ă©tĂ© jugĂ© nĂ©cessaire parce que Bull, quand arrive la lune des passions orageuses, profite du monticule pour gagner le faĂźte de la muraille et de lĂ  se rendre Ă  la noce canine dont les effluves de l’air lui ont apportĂ© la nouvelle. Le pĂšlerinage accompli, il revient, la mine dĂ©confite et l’oreille fendue ; mais toujours prĂȘt, une fois repu, Ă  recommencer l’escapade. Pour couper court Ă  ce dĂ©vergondage, qui lui vaut tant de boutonniĂšres Ă  la peau, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de transporter ailleurs l’amas de terre qui lui sert d’échelle d’évasion.
Au milieu de son travail de pelle et de brouette, soudain Favier m’appelle : « Trouvaille, Monsieur ; riche trouvaille ! Venez voir. » – J’accours. La trouvaille est somptueuse, en effet, et de nature Ă  me combler de joie en Ă©veillant tous mes vieux souvenirs du bois des Issards. De nombreuses femelles de la Scolie Ă  deux bandes, troublĂ©es dans leur travail, Ă©mergent çà et lĂ  du sein du terreau. Abondent aussi les cocons, chacun juxtaposĂ© Ă  la peau de la piĂšce de gibier dont s’est nourrie la larve. Tous sont ouverts, mais frais encore : ils datent de la gĂ©nĂ©ration prĂ©sente ; les Scolies que j’exhume les ont quittĂ©s depuis peu. J’ai appris plus tard, effectivement, que l’éclosion a lieu dans le courant de juillet.
Dans le mĂȘme terreau grouille une population de scarabĂ©iens, sous forme de larves, de nymphes et d’insectes adultes. Il y a lĂ  le plus gros de nos colĂ©optĂšres, le vulgaire RhinocĂ©ros, ou l’Orycte nasicorne. J’en rencontre de rĂ©cemment libĂ©rĂ©s, dont les Ă©lytres, d’un marron luisant, voient pour la premiĂšre fois le soleil ; j’en rencontre d’autres renfermĂ©s dans leur coque de terre, presque aussi grosse qu’un Ɠuf de dinde. Plus commune est sa larve puissante, Ă  lourde bedaine, recourbĂ©e en crochet. Je relĂšve la prĂ©sence d’un second porteur de corne sur le nez, de l’Orycte SilĂšne, bien moindre que son congĂ©nĂšre ; et d’un scarabĂ©e ravageur de mes laitues, le Pentodon punctatus.
Mais la population dominante consiste en Cétoines, la plupart incluses dans leurs coques ovoïdes, à parois de terreau et de crottins incrustés....

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - LES SCOLIES
  3. Chapitre 2 - UNE CONSOMMATION PÉRILLEUSE
  4. Chapitre 3 - LA LARVE DE CÉTOINE
  5. Chapitre 4 - LE PROBLÈME DES SCOLIES
  6. Chapitre 5 - LES PARASITES
  7. Chapitre 6 - LA THÉORIE DU PARASITISME
  8. Chapitre 7 - LES TRIBULATIONS DE LA MAÇONNE
  9. Chapitre 8 - LES ANTHRAX
  10. Chapitre 9 - LES LEUCOSPIS
  11. Chapitre 10 - AUTRE SONDEUR
  12. Chapitre 11 - LE DIMORPHISME LARVAIRE
  13. Chapitre 12 - LES TACHYTES
  14. Chapitre 13 - CÉROCOMES, MYLABRES ET ZONITIS
  15. Chapitre 14 - CHANGEMENT DE RÉGIME
  16. Chapitre 15 - UNE PIQURE AU TRANSFORMISME
  17. Chapitre 16 - LA RATION SUIVANT LE SEXE
  18. Chapitre 17 - LES OSMIES
  19. Chapitre 18 - RÉPARTITION DES SEXES
  20. Chapitre 19 - LE SEXE DE L’ƒUF À LA DISPOSITION DE LA MÈRE.
  21. Chapitre 20 - PERMUTATION DE LA PONTE
  22. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  23. Notes de bas de page