Si la force devait primer les autres attributs zoologiques, au premier rang, dans lâordre des HymĂ©noptĂšres, domineraient les Scolies. Quelques-unes, pour les dimensions, peuvent ĂȘtre comparĂ©es avec lâoisillon du Nord, Ă couronne orangĂ©e, le roitelet, qui vient chez nous visiter les bourgeons vĂ©reux Ă lâĂ©poque des premiĂšres brumes automnales. Les plus gros, les plus imposants de nos porte-aiguillons, le Xylocope, le Bourdon, le Frelon, font pauvre figure Ă cĂŽtĂ© de certaines Scolies. Parmi ce groupe de gĂ©ants, ma rĂ©gion possĂšde la Scolie des jardins (Scolia hortorum, Vander Lind.), qui dĂ©passe quatre centimĂštres de longueur et en mesure dix dâun bout Ă lâautre des ailes Ă©tendues : la Scolie hĂ©morrhoĂŻdale (Scolia hemorrhoĂŻdalis, Vander Lind) qui rivalise pour la taille avec celle des jardins et sâen distingue surtout par la brosse de poils roux hĂ©rissant le bout du ventre.
LivrĂ©e noire avec larges plaques jaunes ; ailes coriaces, ambrĂ©es ainsi quâune pellicule dâoignon, et diaprĂ©es de reflets pourpres ; pattes grossiĂšres, noueuses, hĂ©rissĂ©es dâaprĂšs cils ; charpente massive ; tĂȘte robuste, casquĂ©e dâun crĂąne dur ; dĂ©marche gauche, sans souplesse ; vol de peu dâessor, court et silencieux, voilĂ lâaspect sommaire de la femelle, fortement outillĂ©e pour sa rude besogne. En amoureux oisif, le mĂąle est plus Ă©lĂ©gamment encornĂ©, plus finement vĂȘtu, plus gracieux de tournure, sans perdre tout Ă fait ce caractĂšre de robusticitĂ© qui est le trait dominant de sa compagne.
Ce nâest pas sans apprĂ©hension que le collectionneur dâinsectes se trouve pour la premiĂšre fois en prĂ©sence de la Scolie des jardins. Comment capturer lâimposante bĂȘte, comment se prĂ©server de son aiguillon ? Si lâeffet du dard est proportionnel Ă la taille de lâhymĂ©noptĂšre, la piqĂ»re de la Scolie doit ĂȘtre redoutable. Le Frelon, pour une seule fois quâil dĂ©gaine, nous endolorit atrocement.
Que sera-ce si lâon est poignardĂ© par le colosse ? La perspective dâune tumeur de la grosseur du poing, et douloureuse comme si le fer rouge y avait passĂ©, vous traverse lâesprit au moment de donner le coup de filet. Et lâon sâabstient, on fait retraite, trĂšs heureux de ne pas Ă©veiller lâattention du dangereux animal.
Oui, je confesse avoir reculĂ© devant les premiĂšres Scolies, si dĂ©sireux que je fusse dâenrichir de ce superbe insecte ma collection naissante. De cuisants souvenirs laissĂ©s par la GuĂȘpe et le Frelon nâĂ©taient pas Ă©trangers Ă cet excĂšs de prudence. Je dis excĂšs, car aujourdâhui, instruit par une longue pratique, je suis bien revenu de mes craintes dâautrefois ; et si je vois une Scolie se reposant sur une tĂȘte de chardon, je ne me fais aucun scrupule de la saisir du bout des doigts, sans prĂ©caution aucune, si grosse, si menaçante dâaspect quâelle soit. Mon audace nâest quâapparente, jâen instruis volontiers le novice chasseur dâhymĂ©noptĂšres. Les Scolies sont trĂšs pacifiques. Leur dard est outil de travail bien plus que stylet de guerre ; elles en usent pour paralyser la proie destinĂ©e Ă leur famille ; et ce nâest quâĂ la derniĂšre extrĂ©mitĂ© quâelles le font servir Ă leur propre dĂ©fense.
En outre, leur manque de souplesse dans les mouvements permet presque toujours dâĂ©viter lâaiguillon ; et puis, serait-on atteint, la douleur de la piqĂ»re est presque insignifiante. Ce dĂ©faut de cuisante ĂącretĂ© dans le venin est un fait Ă peu prĂšs constant, chez les hymĂ©noptĂšres giboyeurs, dont lâarme est une lancette chirurgicale destinĂ©e aux plus fines opĂ©rations physiologiques.
Parmi les autres Scolies de ma région, je mentionnerai la Scolie à deux bandes (Scolia bifasciata, Vander Lind), que je vois, chaque année, au mois de septembre, exploiter les amas de terreau de feuilles mortes, disposés, à son intention, dans un coin de mon enclos ; et la Scolie interrompue (Scolia interrupta, Latr,), hÎte du terrain sablonneux à la base des collines voisines. Bien moindres que les deux premiÚres, mais aussi bien plus fréquentes, condition nécessaire pour des observations suivies, elles me fourniront les principaux éléments de ce travail sur les Scolies.
Jâouvre mes vieilles notes, et je me revois, le 6 aoĂ»t 1857, au bois des Issards, ce fameux taillis voisin dâAvignon que jâai cĂ©lĂ©brĂ© dans mon Ă©tude sur les Bembex. Je me retrouve la tĂȘte bourrĂ©e de projets entomologiques, au dĂ©but des vacances qui, deux mois durant, vont me permettre la compagnie de lâinsecte. Foin ! du vase de Mariotte et du tube de Torricelli ! Voici lâĂ©poque bĂ©nie, oĂč de maĂźtre je deviens Ă©colier, lâĂ©colier passionnĂ© de la bĂȘte. Comme un arracheur de garance qui va faire sa journĂ©e, je suis parti avec un solide outil de fouille sur lâĂ©paule, le luchet du pays ; et sur le dos, la gibeciĂšre avec boites, flacons, houlette, tubes de verre, pinces, loupes et autres engins. Un ample parapluie est ma sauvegarde contre lâinsolation. Câest lâheure la plus ardente de la Canicule. ĂnervĂ©es par la chaleur, les Cigales se taisent. Les Taons, aux yeux bronzĂ©s, cherchent refuge contre lâimplacable soleil, au plafond de mon abri de soie ; dâautres gros diptĂšres, les sombres Pangonies, se jettent Ă©tourdiment Ă mon visage.
Le point oĂč je me suis installĂ© est une clairiĂšre sablonneuse que jâavais reconnue lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente comme un emplacement aimĂ© des Scolies. ĂĂ et lĂ sont semĂ©s des buissons de chĂȘne vert, dont lâĂ©pais fourrĂ© garde un matelas de feuilles mortes avec maigre couche de terreau. Mes souvenirs mâont bien servi. Voici quâen effet, la chaleur un peu calmĂ©e, apparaissent, venues je ne sais dâoĂč, quelques Scolies Ă deux bandes. Le nombre sâen accroĂźt, et je ne tarde pas Ă en voir, autour de moi, Ă portĂ©e dâobservation, bien prĂšs dâune douzaine.
Ă leur taille moindre, Ă leur essor plus lĂ©ger, il est aisĂ© de les reconnaĂźtre pour des mĂąles. Rasant presque le sol, ils volent mollement, vont et reviennent, passent et repassent suivant toutes les directions. De loin en loin, quelquâun met pied Ă terre, palpe le sable avec les antennes et paraĂźt sâinformer de ce qui se passe dans les profondeurs ; puis il reprend son vol alternatif dâaller et de retour.
Quâattendent-ils ; que cherchent-ils ainsi dans leurs Ă©volutions cent et cent fois recommencĂ©es ? De la nourriture ?
Non, car tout Ă cĂŽtĂ© se dressent quelques pieds de panicaut, dont les robustes capitules sont lâhabituelle ressource de lâhymĂ©noptĂšre Ă cette Ă©poque de vĂ©gĂ©tation grillĂ©e par le soleil, et aucun ne sây pose, aucun ne paraĂźt se soucier de leurs exsudations sucrĂ©es. Lâattention est ailleurs. Câest le sol, câest la nappe sablonneuse quâils explorent avec tant dâassiduitĂ© ; ce quâils attendent, câest la sortie de quelques femelles qui, le cocon rompu, peut apparaĂźtre dâun moment Ă lâautre, Ă©merger de terre, toute poudreuse. Sans lui donner le temps de sâĂ©pousseter, de se laver les yeux, ils seront aussitĂŽt lĂ trois, quatre et plus, ardents Ă se la disputer. Je connais trop ces Ă©bats amoureux chez la gent hymĂ©noptĂšre pour mây laisser tromper. Il est de rĂšgle que les mĂąles, plus prĂ©coces, font bonne garde autour du lieu natal et surveillent la sortie des femelles, quâils harcĂšlent de leurs poursuites aussitĂŽt venues au jour. Tel est le motif de lâinterminable ballet de mes Scolies. Prenons patience ; peut-ĂȘtre assisterons-nous Ă la noce.
Les heures sâĂ©coulent, les Pangonies et les Taons dĂ©sertent mon parapluie, les Scolies se lassent et peu Ă peu disparaissent. Câest fini. Pour aujourdâhui, je ne verrai plus rien. Ă diverses reprises, lâaccablante expĂ©dition au bois des Issards est recommencĂ©e ; chaque fois, je revois les mĂąles aussi assidus que jamais dans leur essor Ă fleur de terre. Ma persĂ©vĂ©rance mĂ©ritait un succĂšs. Elle lâeut, mais bien incomplet. Exposons-le tel quâil est ; lâavenir comblera les vides. Une femelle Ă©merge du sol sous mes yeux. Elle sâenvole suivie de quelques mĂąles. Avec le luchet, je fouille au point de sortie, et Ă mesure que lâexcavation gagne, je tamise entre les doigts les dĂ©blais sablonneux mĂ©langĂ©s de terreau. Ă la sueur du front, je puis le dire, jâavais bien remuĂ© prĂšs dâun mĂštre cube de matĂ©riaux, quand enfin je fais trouvaille. Câest un cocon rĂ©cemment rompu, sur le flanc duquel adhĂšre une dĂ©pouille Ă©pidermique, ultimes restes du gibier dont sâest nourrie la larve artisan du dit cocon. Vu le bon Ă©tat de son Ă©toffe de soie, celui-ci pourrait avoir appartenu Ă la Scolie qui vient de quitter sous mes yeux sa souterraine demeure. Quant Ă la dĂ©pouille lâaccompagnant, elle est trop ruinĂ©e par la fraĂźcheur du sol et par les radicelles des gramens pour quâil me soit possible dâen dĂ©terminer exactement lâorigine. La calotte crĂąnienne, mieux conservĂ©e, les mandibules et quelques traits de configuration gĂ©nĂ©rale me font cependant soupçonner une larve de lamellicorne.
Il se fait tard. Câest assez pour aujourdâhui. Je suis extĂ©nuĂ© mais amplement dĂ©dommagĂ© de mes fatigues par un cocon en piĂšces et la peau Ă©nigmatique dâun misĂ©rable ver. Jeunes gens qui vous occupez dâhistoire naturelle, voulez-vous savoir si le feu sacrĂ© coule dans vos veines ? Supposez-vous de retour dâune expĂ©dition semblable. Vous avez sur lâĂ©paule le lourd outil du paysan, vos reins sont courbaturĂ©s par une laborieuse fouille que vous venez de pratiquer tout accroupi, la chaleur dâune aprĂšs-midi du mois dâaoĂ»t vous a mis la tĂȘte en Ă©bullition, vos paupiĂšres sont fatiguĂ©es par le prurit dâune ophtalmie que vous a valu la violente illumination de la journĂ©e, la soif vous dĂ©vore, et devant vous sâouvre la poudreuse perspective des kilomĂštres vous sĂ©parant du repos. Cependant quelque chose chante en vous ; oublieux des misĂšres prĂ©sentes, vous ĂȘtes tout heureux de votre course. Pourquoi ? Parce que vous voilĂ possesseur dâun lambeau dâĂ©piderme pourri. Si câest bien ainsi, mes jeunes amis, allez de lâavant, vous ferez quelque chose ; ce qui nâest pas, tant sâen faut, je vous en avertis, le moyen de faire son chemin.
Ce lambeau dâĂ©piderme fut examinĂ© avec tous les soins quâil mĂ©ritait. Mes premiers soupçons se confirmĂšrent : un lamellicorne, un scarabĂ©ien Ă lâĂ©tat de larve est la premiĂšre nourriture de lâhymĂ©noptĂšre dont je venais dâexhumer le cocon. Mais quel est ce scarabĂ©ien ? Et puis, ce cocon, mon riche butin, appartient-il bien Ă la Scolie ? Le problĂšme commence Ă se poser. Pour en essayer la solution, il faut revenir au bois des Issards.
Jây suis revenu, et si souvent que ma patience a fini par se lasser avant que la question des Scolies eut reçu satisfaisante rĂ©ponse. La difficultĂ© nâest pas petite, en effet, dans les conditions oĂč je me trouve. OĂč fouiller dans lâĂ©tendue indĂ©finie du terrain sablonneux pour rencontrer un point hantĂ© par les Scolies ? Le luchet plonge au hasard, et presque toujours je ne rencontre rien de ce que je cherche. Les mĂąles, volant Ă fleur de terre, mâindiquent bien dâabord, avec leur sĂ»retĂ© dâinstinct, les emplacements oĂč doivent se trouver des femelles ; mais leurs indications sont fort vagues, Ă cause de lâamplitude de leurs allĂ©es et venues. Si je voulais visiter le sol quâun seul mĂąle explore dans son essor Ă direction toujours changeante, jâaurais Ă remuer, Ă un mĂštre de profondeur peut-ĂȘtre, au moins un are de terrain. Câest trop au-dessus de mes forces et de mes loisirs. Puis, la saison sâavançant, les mules disparaissent, et me voilĂ privĂ© de leurs indications. Pour savoir Ă peu prĂšs oĂč plonger le luchet, une seule ressource me reste : câest dâĂ©pier les femelles sortant de terre ou bien y pĂ©nĂ©trant. Avec beaucoup de patience et de temps dĂ©pensĂ©, cette aubaine, jâai fini par lâavoir, rarement il est vrai.
Les Scolies ne creusent pas de terrier comparable Ă celui des autres hymĂ©noptĂšres giboyeurs ; elles nâont pas de domicile fixe, avec galerie libre, qui sâouvre Ă lâextĂ©rieur et donne accĂšs dans les cellules, demeures des larves. Pour elles, pas de porte dâentrĂ©e et de sortie, pas de corridor pratiquĂ© Ă lâavance. Sâil faut pĂ©nĂ©trer en terre, tout point, non remuĂ© jusque-lĂ , leur est bon pourvu quâil ne soit pas trop dur Ă leurs instruments de fouille, dâailleurs si puissants ; sâil faut en ressortir, le point dâissue leur est non moins indiffĂ©rent. La Scolie ne perfore pas le sol traversĂ© ; elle le fouille, elle le laboure des pattes et du front ; et les matĂ©riaux remuĂ©s restent en place, en arriĂšre, obstruant aussitĂŽt le passage suivi. Quand elle va surgir au dehors, son arrivĂ©e est annoncĂ©e par de la terre fraĂźche qui sâamoncelle comme sous la poussĂ©e du groin de quelque taupe minuscule.
Lâinsecte sort, et la taupinĂ©e sâĂ©boule sur elle-mĂȘme en comblant lâorifice de sortie. Si lâhymĂ©noptĂšre rentre, la fouille, faite en un point arbitraire, donne rapidement une excavation oĂč la Scolie disparaĂźt, sĂ©parĂ©e de la surface par toute la traĂźnĂ©e des matĂ©riaux remuĂ©s.
Je reconnais aisĂ©ment son passage dans lâĂ©paisseur du sol, Ă certains cylindres, longs et tortueux, formĂ©s de matĂ©riaux mobiles au milieu dâune terre tassĂ©e et consistante. Ces cylindres sont nombreux, ils plongent parfois Ă un demi-mĂštre, ils sâallongent dans toutes les directions, assez souvent se croisent. Aucun ne prĂ©sente mĂȘme un simple tronçon de galerie libre. Ce ne sont pas ici, câest Ă©vident, des voies permanentes de communication avec le dehors, mais des pistes de chasse que lâinsecte a suivies une fois sans plus y revenir. Que recherchait lâhymĂ©noptĂšre quand il criblait le sol de ces boyaux maintenant pleins dâĂ©boulis ruisselants ? Sans doute la pĂąture de sa famille, la larve dont je possĂšde la dĂ©pouille, devenue guenille mĂ©connaissable.
Le jour se fait un peu : les Scolies sont des laboureurs souterrains. DĂ©jĂ je le soupçonnais, ayant capturĂ© autrefois des Scolies souillĂ©es de petits encroĂ»tements terreux aux jointures des pattes. LâhymĂ©noptĂšre, lui si soucieux de propretĂ©, lui dont le moindre loisir est mis Ă profit pour se brosser et se lustrer, ne peut avoir de semblables taches quâĂ la condition dâĂȘtre un fervent remueur de terre. Je soupçonnais leur mĂ©tier, et maintenant je le sais. Elles vivent sous terre, oĂč elles fouillent Ă la recherche des larves de lamellicorne, de mĂȘme que fouille la taupe Ă la recherche du ver blanc. Les embrassements des mĂąles reçus, peut-ĂȘtre mĂȘme ne remontent-elles que fort rarement Ă la surface, absorbĂ©es quâelles sont par les soins maternels ; et voilĂ pourquoi, sans doute, ma patience sâĂ©puise Ă guetter leur entrĂ©e et leur sortie.
Câest dans le sous-sol quâelles stationnent et quâelles circulent ; Ă lâaide de leurs fortes mandibules, de leur crĂąne dur, de leurs robustes pattes Ă©pineuses, elles se fraient aisĂ©ment des voies dans la terre meuble. Ce sont des socs vivants. Sur la fin du mois dâaoĂ»t, la population fĂ©minine est donc, pour la majeure part, sous terre, affairĂ©e au travail de la ponte et de lâapprovisionnement. Câest en vain, tout semble me le dire, que jâĂ©pierais la venue de quelques femelles au grand jour ; il faut me rĂ©signer Ă fouiller au hasard.
Le rĂ©sultat ne rĂ©pondit guĂšre Ă mes laborieuses excavations. Quelques cocons furent trouvĂ©s, presque tous rompus comme celui dont jâĂ©tais dĂ©jĂ possesseur, et portant, comme lui, appliquĂ©e sur le flanc, la peau dĂ©guenillĂ©e dâune larve du mĂȘme scarabĂ©ien. Deux de ces cocons, restĂ©s intacts, renfermaient un hymĂ©noptĂšre adulte et mort. CâĂ©tait bien la Scolie Ă deux bandes, prĂ©cieux rĂ©sultat qui de mes soupçons faisait certitude.
Dâautres cocons furent exhumĂ©s, un peu diffĂ©rents dâaspect, contenant lâhabitant adulte et mort oĂč je reconnus la Scolie interrompue. Les restes des vivres consistaient encore dans la dĂ©pouille Ă©pidermique dâune larve Ă©galement de lamellicorne, mais diffĂ©rente de celle que chasse la premiĂšre Scolie. Et ce fut tout. Un peu de ci, un peu de lĂ , je remuai quelques mĂštres cubes de terre, sans parvenir Ă trouver des provisions fraĂźches avec lâĆuf ou la jeune larve. CâĂ©tait bien cependant lâĂ©poque favorable, lâĂ©poque de la ponte, car les mĂąles, nombreux au dĂ©but, Ă©taient devenus de jour eu jour plus rares jusquâĂ disparaĂźtre totalement. Mon insuccĂšs tenait Ă lâincertitude des fouilles, que rien ne pouvait guider sur une Ă©tendue illimitĂ©e.
Si je pouvais au moins déterminer les Scarabées dont les larves sont le gibier des deux Scolies, le problÚme serait à demi résolu. Essayons. Je recueille tout ce que déterre le luchet, larves, nymphes et coléoptÚres adultes.
Mon butin consiste en deux lamellicornes : lâAnoxia villosa et lâEuchlora Julii, que je trouve Ă lâĂ©tat parfait, le plus souvent morts, quelquefois vivants. Jâobtiens leurs nymphes en petit nombre, excellente fortune, car la dĂ©pouille larvaire qui les accompagne me servira de terme de comparaison. Je rencontre en abondance des larves de tout Ăąge. ComparĂ©es Ă la dĂ©froque abandonnĂ©e par les nymphes, les unes sont reconnues pour appartenir Ă lâAnoxie, et les autres Ă lâEuchlore.
Avec ces documents, je constate en complĂšte certitude que la dĂ©pouille accolĂ©e au cocon de la Scolie interrompue appartient Ă lâAnoxie. Quant Ă lâEuchlore, elle nâa rien Ă faire ici ; la larve que chasse la Scolie Ă deux bandes ne lui appartient pas, non plus que celle de lâAnoxie. Ă quel scarabĂ©e correspond alors la dĂ©pouille qui me reste inconnue ? Le lamellicorne cherchĂ© doit pourtant se trouver dans le terrain que jâexplore, puisque la Scolie Ă deux bandes sây est Ă©tablie. Plus tard, oh ! bien plus tard, jâai reconnu en quoi pĂȘchaient mes fouilles.
Pour Ă©viter sous le luchet le rĂ©seau des racines et rendre le travail dâexcavation plus aisĂ©, je fouillais les places dĂ©nudĂ©es, loin des bouquets de chĂȘne-vert ; et câest dans ces fourrĂ©s, riches en humus, quâil mâeĂ»t fallu prĂ©cisĂ©ment chercher. LĂ , auprĂšs des vieilles souches, dans le terrain de feuilles mortes et de bois pourri, jâeusse rencontrĂ© certainement la larve tant dĂ©sirĂ©e, ainsi que lâĂ©tablira ce qui me reste Ă dire.
LĂ se borne ce que mâont appris mes premiĂšres recherches. Il est Ă croire que le bois des Issards jamais ne mâaurait fourni les donnĂ©es prĂ©cises telles que je les dĂ©sire. LâĂ©loignement des lieux, la fatigue de courses rendues accablantes par la chaleur, lâinconnu des points attaquĂ©s, mâauraient rebutĂ© sans doute avant que le problĂšme eĂ»t fait un pas de plus. Pour de semblables Ă©tudes, il faut le loisir et lâassiduitĂ© du chez soi ; il faut la demeure au village. Alors chaque point de votre enclos et des environs vous est familier, et lâon procĂšde Ă coup sĂ»r.
Vingt-trois annĂ©es sâĂ©coulent, et me voici Ă SĂ©rignan, devenu paysan qui tour Ă tour laboure son carrĂ© de papier et son carrĂ© de navets. Le 14 aoĂ»t 1880, Favier dĂ©mĂ©nage un tas de terreau provenant de dĂ©tritus dâherbages et de feuilles amoncelĂ©s dans un recoin, contre le mur dâenceinte. Le dĂ©mĂ©nagement a Ă©tĂ© jugĂ© nĂ©cessaire parce que Bull, quand arrive la lune des passions orageuses, profite du monticule pour gagner le faĂźte de la muraille et de lĂ se rendre Ă la noce canine dont les effluves de lâair lui ont apportĂ© la nouvelle. Le pĂšlerinage accompli, il revient, la mine dĂ©confite et lâoreille fendue ; mais toujours prĂȘt, une fois repu, Ă recommencer lâescapade. Pour couper court Ă ce dĂ©vergondage, qui lui vaut tant de boutonniĂšres Ă la peau, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de transporter ailleurs lâamas de terre qui lui sert dâĂ©chelle dâĂ©vasion.
Au milieu de son travail de pelle et de brouette, soudain Favier mâappelle : « Trouvaille, Monsieur ; riche trouvaille ! Venez voir. » â Jâaccours. La trouvaille est somptueuse, en effet, et de nature Ă me combler de joie en Ă©veillant tous mes vieux souvenirs du bois des Issards. De nombreuses femelles de la Scolie Ă deux bandes, troublĂ©es dans leur travail, Ă©mergent çà et lĂ du sein du terreau. Abondent aussi les cocons, chacun juxtaposĂ© Ă la peau de la piĂšce de gibier dont sâest nourrie la larve. Tous sont ouverts, mais frais encore : ils datent de la gĂ©nĂ©ration prĂ©sente ; les Scolies que jâexhume les ont quittĂ©s depuis peu. Jâai appris plus tard, effectivement, que lâĂ©closion a lieu dans le courant de juillet.
Dans le mĂȘme terreau grouille une population de scarabĂ©iens, sous forme de larves, de nymphes et dâinsectes adultes. Il y a lĂ le plus gros de nos colĂ©optĂšres, le vulgaire RhinocĂ©ros, ou lâOrycte nasicorne. Jâen rencontre de rĂ©cemment libĂ©rĂ©s, dont les Ă©lytres, dâun marron luisant, voient pour la premiĂšre fois le soleil ; jâen rencontre dâautres renfermĂ©s dans leur coque de terre, presque aussi grosse quâun Ćuf de dinde. Plus commune est sa larve puissante, Ă lourde bedaine, recourbĂ©e en crochet. Je relĂšve la prĂ©sence dâun second porteur de corne sur le nez, de lâOrycte SilĂšne, bien moindre que son congĂ©nĂšre ; et dâun scarabĂ©e ravageur de mes laitues, le Pentodon punctatus.
Mais la population dominante consiste en Cétoines, la plupart incluses dans leurs coques ovoïdes, à parois de terreau et de crottins incrustés....