Souvenirs entomologiques - Livre X
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Souvenirs entomologiques - Livre X

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À propos de ce livre

Souvenirs entomologiques - Livre X was written in the year 1907 by Jean-Henri Fabre. This book is one of the most popular novels of Jean-Henri Fabre, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635245925

Chapitre 1 LE MINOTAURE TYPHÉE. LE TERRIER

Pour dĂ©signer l’insecte objet de ce chapitre, la nomenclature savante associe deux noms redoutables : celui de Minotaure, le taureau de Minos nourri de chair humaine dans les cryptes du labyrinthe de CrĂšte, et celui de TyphĂ©e, l’un des gĂ©ants, fils de la Terre, qui tentĂšrent d’escalader le ciel. À la faveur de la pelote de fil que lui donna Ariane, fille de Minos, l’AthĂ©nien ThĂ©sĂ©e parvint au Minotaure, le tua et sortit sain et sauf, ayant dĂ©livrĂ© pour toujours sa patrie de l’horrible tribut destinĂ© Ă  la nourriture du monstre. TyphĂ©e, foudroyĂ© par son entassement de montagnes, fut prĂ©cipitĂ© dans les flancs de l’Etna.
Il y est encore. Son haleine est la fumĂ©e du volcan. S’il tousse, il expectore des coulĂ©es de lave ; s’il change d’épaule pour se reposer sur l’autre, il met en Ă©moi la Sicile : il la secoue d’un tremblement de terre.
Il ne dĂ©plaĂźt pas de trouver un souvenir de ces vieux contes dans l’histoire des bĂȘtes. Sonores, respectueuses de l’oreille, les dĂ©nominations mythologiques n’entraĂźnent pas de contradictions avec le rĂ©el, dĂ©faut que n’évitent pas toujours des termes fabriquĂ©s de toutes piĂšces avec les donnĂ©es du lexique. Si de vagues analogies relient en outre le fabuleux et l’historique, noms et prĂ©noms sont des plus heureux. Tel est le cas de Minotaure TyphĂ©e (Minotaurus TyphƓus Lin.).
On appelle de la sorte un colĂ©optĂšre noir, de taille assez avantageuse, Ă©troitement apparentĂ© avec les troueurs de terre, les GĂ©otrupes. C’est un pacifique, un inoffensif, mais il est encornĂ© mieux que le taureau de Minos. Nul, parmi nos insectes amateurs de panoplies, ne porte armure aussi menaçante. Le mĂąle a sur le corselet un faisceau de trois Ă©pieux acĂ©rĂ©s, parallĂšles et dirigĂ©s en avant. Supposons-lui la taille d’un taureau, et ThĂ©sĂ©e lui-mĂȘme, le rencontrant dans la campagne, n’oserait affronter son terrible trident.
Le TyphĂ©e de la Fable eut l’ambition de saccager la demeure des dieux en dressant une pile de montagnes arrachĂ©es de leur base ; le TyphĂ©e des naturalistes ne monte pas, il descend ; il perfore le sol Ă  des profondeurs Ă©normes. Le premier, d’un coup d’épaule, met une province en trĂ©pidation ; le second, d’une poussĂ©e de l’échine, fait trembler sa taupinĂ©e, comme tremble l’Etna lorsque son enseveli remue.
Tel est l’insecte que je me propose d’étudier aujourd’hui, en pĂ©nĂ©trant dans l’intimitĂ© de ses actes autant que faire se peut. Les quelques donnĂ©es acquises dĂ©jĂ , depuis si longtemps que je le frĂ©quente, me font soupçonner des mƓurs dignes d’une histoire dĂ©veloppĂ©e.
Mais Ă  quoi bon cette histoire, Ă  quoi bon ces minutieuses recherches ? Cela, je le sais bien, n’amĂšnera pas un rabais sur le poivre, un renchĂ©rissement sur les barils de choux pourris et autres graves Ă©vĂ©nements de ce genre, qui font Ă©quiper des flottes et mettent en prĂ©sence des gens rĂ©solus Ă  s’exterminer. L’insecte n’aspire pas Ă  tant de gloire. Il se borne Ă  nous montrer la vie dans l’inĂ©puisable variĂ©tĂ© de ses manifestations ; il nous aide Ă  dĂ©chiffrer un peu le livre le plus obscur de tous, le livre de nous-mĂȘmes.
D’acquisition facile, d’entretien non onĂ©reux, d’examen organique non rĂ©pugnant, il se prĂȘte bien mieux que les animaux supĂ©rieurs aux investigations de notre curiositĂ©. D’ailleurs, ces derniers, nos proches voisins, ne font que rĂ©pĂ©ter un thĂšme assez monotone. Lui, d’une richesse inouĂŻe en instincts, mƓurs et structure, nous rĂ©vĂšle un monde nouveau, comme si nous avions colloque avec les naturels d’une autre planĂšte. Tel est le motif qui me fait tenir l’insecte en haute estime et renouveler avec lui des relations jamais lassĂ©es.
Le Minotaure TyphĂ©e affectionne les lieux dĂ©couverts, sablonneux, oĂč, se rendant au pĂąturage, les troupeaux de moutons sĂšment leurs traĂźnĂ©es de noires pilules. C’est lĂ , pour lui, rĂ©glementaire provende. À leur dĂ©faut, il accepte aussi les menus produits du lapin, de cueillette aisĂ©e, car le timide rongeur, crainte peut-ĂȘtre de se trahir par des tĂ©moins trop rĂ©pandus, vient toujours crotter au point accoutumĂ©, entre quelques touffes de thym.
Ce sont lĂ , pour le Minotaure, des vivres de qualitĂ© infĂ©rieure, utilisĂ©s faute de mieux en sa propre rĂ©fection, mais non servis Ă  sa famille ; il leur prĂ©fĂšre ceux que fournit le troupeau. S’il fallait le dĂ©nommer d’aprĂšs ses goĂ»ts, il faudrait l’appeler le fervent collecteur de crottins de mouton. Cette prĂ©dilection pastorale n’avait pas Ă©chappĂ© aux anciens observateurs. L’un d’eux appelle l’insecte le ScarabĂ©e des moutons, ScarabƓus ovinus. Les terriers, reconnaissables Ă  la taupinĂ©e qui les surmonte, commencent Ă  se montrer frĂ©quents en automne, lorsque des pluies sont enfin venues humecter le sol calcinĂ© par les torriditĂ©s estivales. Alors, de dessous terre, les jeunes de l’annĂ©e doucement Ă©mergent et viennent pour la premiĂšre fois aux rĂ©jouissances de la lumiĂšre ; alors, en des chalets provisoires, on festoie quelques semaines ; puis on thĂ©saurise en vue de l’hiver.
Visitons la demeure, maintenant travail aisĂ© auquel suffit une simple houlette de poche. Le manoir de l’arriĂšre-saison est un puits du calibre du doigt et de la profondeur d’un empan environ. Pas de chambre spĂ©ciale, mais un trou de sonde, vertical autant que le permettent les accidents du terrain. TantĂŽt d’un sexe, tantĂŽt de l’autre, le propriĂ©taire est au fond, toujours isolĂ©. L’heure de se mettre en mĂ©nage et d’établir la famille n’étant pas encore venue, chacun vit en ermite et ne s’occupe que de son bien-ĂȘtre. Au-dessus du reclus, une colonne de crottins de mouton encombre le logis. Il y en a parfois de quoi remplir le creux de la main.
Comment le Minotaure a-t-il acquis tant de richesses ? Il amasse aisĂ©ment, affranchi qu’il est du tracas des recherches, car il a toujours soin de s’établir Ă  proximitĂ© d’une copieuse Ă©mission. Il fait cueillette sur le seuil mĂȘme de sa porte. Lorsque bon lui semble, de nuit surtout, il choisit dans l’amas de pilules une piĂšce Ă  sa convenance. De son chaperon comme levier, il l’ébranle en dessous ; d’un doux roulis, il l’amĂšne Ă  l’orifice du puits, oĂč le butin s’engouffre. Suivent d’autres olives, une par une, toutes de manƓuvre aisĂ©e Ă  cause de leur forme. Ainsi roulent des fĂ»ts sous la poussĂ©e du tonnelier.
Lorsqu’il se propose d’aller festoyer sous terre, loin de la mĂȘlĂ©e, le ScarabĂ©e sacrĂ© conglobe en boule sa part de victuailles ; il lui donne la configuration sphĂ©rique, la mieux apte au charroi. Le Minotaure, versĂ© lui aussi dans la mĂ©canique du roulage, est affranchi de ces prĂ©paratifs : le mouton lui moule gratuitement des piĂšces Ă  dĂ©placement aisĂ©. Satisfait de sa rĂ©colte, l’amasseur rentre enfin chez lui.
Que va-t-il faire de son trĂ©sor ? S’en nourrir, cela va de soi, tant que le froid et sa consĂ©quence l’engourdissement ne suspendront pas l’appĂ©tit. Mais la consommation n’est pas tout. En hiver, certaines prĂ©cautions s’imposent dans une retraite de mĂ©diocre profondeur. Aux approches de dĂ©cembre, dĂ©jĂ  se rencontrent quelques taupinĂ©es aussi volumineuses que celles du printemps. Elles correspondent Ă  des terriers descendant Ă  un mĂštre et davantage. En ces profondes cryptes se trouve invariablement une femelle qui, garantie des sĂ©vices du dehors, grignote sobrement de maigres provisions.
Pareilles demeures, Ă  tempĂ©rature constante, sont encore rares. Les plus frĂ©quentes, toujours occupĂ©es par un seul habitant, soit un mĂąle, soit une femelle, n’ont guĂšre qu’un empan de profondeur. Elles sont d’habitude capitonnĂ©es d’un Ă©pais molleton, provenant de pilules arides, Ă©miettĂ©es et rĂ©duites en charpie. Il est Ă  croire que cet amas filamenteux, Ă©minemment favorable Ă  la conservation de la chaleur, n’est pas Ă©tranger au bien-ĂȘtre de l’ermite en des temps rigoureux. Dans l’arriĂšre-saison, le Minotaure thĂ©saurise pour s’entourer d’un matelas de feutre lorsque viendront les froids sĂ©rieux.
Vers les premiers jours de mars, commencent Ă  se rencontrer des couples adonnĂ©s de concert Ă  la nidification. Les deux sexes, jusque-lĂ  isolĂ©s en des terriers superficiels, se trouvent maintenant associĂ©s pour une longue pĂ©riode. En quel lieu se fait la rencontre et se conclut le pacte de collaboration ? Un fait tout d’abord attire mon attention. Dans l’arriĂšre-saison, ainsi qu’en hiver, les femelles abondaient, aussi nombreuses que les mĂąles. Quand arrive mars, je n’en trouve presque plus, Ă  tel point que je dĂ©sespĂšre de peupler convenablement la voliĂšre oĂč je me propose de suivre les mƓurs de l’insecte. Pour une quinzaine de mĂąles, j’exhume trois femelles au plus. Que sont devenues ces derniĂšres, si frĂ©quentes au dĂ©but ?
Je fouille, il est vrai, les terriers les mieux accessibles Ă  ma houlette de poche. Peut-ĂȘtre le secret des absentes est-il au fond de gĂźtes plus pĂ©nibles Ă  visiter. Faisons appel Ă  des bras plus souples et plus vigoureux que les miens ; armons-nous d’une bĂȘche, et profondĂ©ment creusons. Je suis dĂ©dommagĂ© de ma persĂ©vĂ©rance. Des femelles enfin se trouvent, aussi nombreuses que je peux le dĂ©sirer. Elles sont seules, sans vivres, au fond d’une galerie verticale dont la profondeur dĂ©couragerait quiconque n’est pas douĂ© d’une belle patience.
Maintenant tout s’explique. DĂšs l’éveil printanier, et mĂȘme parfois Ă  la fin de l’automne, avant d’avoir connu leurs collaborateurs, les vaillantes futures mĂšres se mettent Ă  l’ouvrage, choisissent bonne place et forent un puits qui, s’il n’atteint pas encore la profondeur requise, sera du moins l’amorce de travaux plus considĂ©rables. Aux heures discrĂštes du crĂ©puscule, c’est dans ces galeries plus ou moins avancĂ©es que les prĂ©tendants viennent trouver les travailleuses. Ils sont parfois plusieurs. Il n’est pas rare d’en rencontrer deux ou trois auprĂšs de la mĂȘme nubile. Comme un seul suffĂźt, les autres vident les lieux et vont chercher ailleurs, lorsque le choix de la sollicitĂ©e et peut-ĂȘtre un brin de bataille ont donnĂ© conclusion aux affaires.
Entre ces pacifiques, les rixes doivent ĂȘtre sans gravitĂ©. Quelques enlacements de pattes, dont les brassards dentelĂ©s grincent sur l’armure rigide ; quelques culbutes sous les coups du trident, Ă  cela sans doute se rĂ©duit la querelle. Les surnumĂ©raires partis, la pariade se fait, le mĂ©nage se fonde, et dĂšs lors sont contractĂ©s des liens de remarquable durĂ©e.
Ces liens sont-ils indissolubles ? Les deux conjoints se reconnaissent-ils parmi leurs pareils ? Y a-t-il entre eux mutuelle fidĂ©litĂ© ? Si les occasions de rupture matrimoniale sont trĂšs rares, nulles mĂȘme Ă  l’égard de la mĂšre, qui, de longtemps, ne quitte plus le fond de la demeure, elles sont frĂ©quentes, au contraire, Ă  l’égard du pĂšre, obligĂ©, par ses fonctions, de venir souvent au dehors. Ainsi qu’on le verra bientĂŽt, il est, sa vie durant, le pourvoyeur de vivres, le prĂ©posĂ© au charroi des dĂ©blais. Seul, Ă  diffĂ©rentes heures de la journĂ©e, il expulse au dehors les terres provenant des fouilles de la mĂšre ; seul, il explore de nuit les alentours du domicile, en quĂȘte des pilules dont se pĂ©triront les pains des fils.
Parfois des terriers sont voisins. Le collecteur de victuailles ne peut-il, en rentrant, se tromper de porte et pĂ©nĂ©trer chez autrui ? En ses tournĂ©es, ne lui arrive-t-il pas de rencontrer des promeneuses non encore Ă©tablies, et alors, oublieux de sa premiĂšre compagne, n’est-il pas sujet Ă  divorcer ? La question mĂ©ritait examen. J’ai cherchĂ© Ă  la rĂ©soudre de la maniĂšre suivante.
Deux couples sont extraits de terre en pleine pĂ©riode d’excavation. Des marques, indĂ©lĂ©biles, pratiquĂ©es de la pointe d’une aiguille au bord infĂ©rieur des Ă©lytres, me permettront de les distinguer l’un de l’autre. Les quatre sujets sont distribuĂ©s au hasard, un par un, Ă  la surface d’une aire sablonneuse d’une paire de pans d’épaisseur. Pareil sol sera suffisant aux fouilles d’une nuit. Dans le cas oĂč des vivres seraient nĂ©cessaires, une poignĂ©e de crottins de mouton est servie. Une ample terrine renversĂ©e couvre l’arĂšne, met l’obstacle Ă  l’évasion et fait l’obscuritĂ©, favorable au recueillement.
Le lendemain, rĂ©ponse superbe. Il y a deux terriers dans l’établissement, pas davantage ; les couples se sont reformĂ©s tels qu’ils Ă©taient avant, chaque particulier a retrouvĂ© sa particuliĂšre. Une seconde Ă©preuve faite le jour d’aprĂšs, ensuite une troisiĂšme, ont le mĂȘme succĂšs : les marquĂ©s d’un point sont ensemble, les non marquĂ©s sont ensemble au fond de la galerie.
Cinq fois encore je fais, chaque jour, recommencer la mise en mĂ©nage. Les choses maintenant se gĂątent. TantĂŽt chacun des quatre Ă©prouvĂ©s s’établit Ă  part ; tantĂŽt dans le mĂȘme terrier sont inclus les deux mĂąles ou les deux femelles ; tantĂŽt la mĂȘme crypte reçoit les deux sexes, mais associĂ©s autrement qu’ils ne l’étaient au dĂ©but. J’ai abusĂ© de la rĂ©pĂ©tition. DĂ©sormais c’est le dĂ©sordre. Mes bouleversements quotidiens ont dĂ©moralisĂ© les fouisseurs ; une demeure croulante, toujours Ă  recommencer, a mis fin aux associations lĂ©gitimes. Le mĂ©nage correct n’est plus possible du moment que la maison s’effondre chaque jour.
N’importe : les trois premiĂšres Ă©preuves, alors que des apeurements coup sur coup rĂ©pĂ©tĂ©s n’avaient pas encore brouillĂ© le dĂ©licat fil d’attache, semblent affirmer certaine constance dans le mĂ©nage du Minotaure. Elle et lui se reconnaissent, se retrouvent dans le tumulte des Ă©vĂ©nements que mes malices leur imposent ; ils se gardent mutuellement fidĂ©litĂ©, qualitĂ© bien extraordinaire dans la classe des insectes, si vite oublieux des obligations matrimoniales.
Comment se reconnaissent-ils ? Nous nous reconnaissons aux traits du visage, si variables de l’un Ă  l’autre en leur commune uniformitĂ©. Eux, Ă  vrai dire, n’ont pas de visage ; ils sont dĂ©pourvus de physionomie sous leur masque rigide. D’ailleurs les faits se passent dans une obscuritĂ© profonde. La vue n’est donc ici pour rien.
Nous nous reconnaissons Ă  la parole, au timbre, aux inflexions de la voix. Eux sont des muets, privĂ©s de tout moyen d’appel. Reste le flair. Le Minotaure retrouvant sa compagne me fait songer Ă  l’ami Tom, le chien de la maison, qui, Ă  l’époque de ses lunes, lĂšve le nez en l’air, hume l’air du vent et saute par-dessus les murs de l’enclos, empressĂ© d’obĂ©ir Ă  la magique et lointaine convocation ; il me remet en mĂ©moire le Grand-Paon, accouru de plusieurs kilomĂštres pour prĂ©senter ses hommages Ă  la nubile rĂ©cemment Ă©close.
La comparaison cependant laisse beaucoup Ă  dĂ©sirer. Chien et gros papillon sont avertis de la noce sans connaĂźtre encore la mariĂ©e. Au contraire, le Minotaure, inexpert dans les grands pĂšlerinages, se dirige, en une brĂšve ronde, vers celle qu’il a dĂ©jĂ  frĂ©quentĂ©e ; il la reconnaĂźt, il la distingue des autres Ă  certaines Ă©manations, certaines senteurs individuelles inapprĂ©ciables pour tout autre que l’énamourĂ©. En quoi consistent ces effluves ? L’insecte ne me l’a pas dit. C’est dommage. Il nous eĂ»t appris de belles choses sur les prouesses de son flair.
Or, comment, dans ce mĂ©nage, se rĂ©partit le travail ? Le savoir n’est pas entreprise commode, Ă  laquelle suffira la pointe d’un couteau. Qui se propose de visiter l’insecte fouisseur chez lui doit recourir Ă  des sapes extĂ©nuantes. Ce n’est pas ici la chambre du ScarabĂ©e, du Copris et des autres, mise Ă  dĂ©couvert sans fatigue avec une simple houlette de poche ; c’est un puits dont on n’atteindra le fond qu’avec une solide bĂȘche, vaillamment manƓuvrĂ©e des heures entiĂšres. Pour peu que le soleil soit vif, on reviendra de la corvĂ©e tout perclus.
Ah ! mes pauvres articulations rouillĂ©es par l’ñge ! Soupçonner un beau problĂšme sous terre, et ne pouvoir fouiller ! L’ardeur persiste, aussi chaleureuse qu’au temps oĂč j’abattais les talus spongieux aimĂ©s des Anthophores ; l’amour des recherches n’a pas dĂ©failli, mais les forces manquent. Heureusement j’ai un aide. C’est mon fils Paul, qui me prĂȘte la vigueur de ses poignets et la souplesse de ses reins. Je suis la tĂȘte, il est le bras.
Le reste de la famille, la mĂšre comprise et non de moindre zĂšle, d’habitude nous accompagne. Les yeux ne sont pas de trop lorsque, la fosse devenue profonde, il faut surveiller Ă  distance les menus documents exhumĂ©s par la bĂȘche. Ce que l’un ne voit pas, un autre l’aperçoit. Huber, devenu aveugle, Ă©tudiait les abeilles par l’intermĂ©diaire d’un serviteur clairvoyant et dĂ©vouĂ©. Je suis mieux avantagĂ© que le grand naturaliste de la Suisse. À ma vue, assez bonne encore quoique bien fatiguĂ©e, vient en aide la perspicace prunelle de tous les miens. Si je suis en Ă©tat de poursuivre mes recherches, c’est Ă  eux que je le dois : grĂąces leur en soient rendues.
De bon matin, nous voici sur les lieux. Un terrier est trouvĂ© avec taupinĂ©e volumineuse, formĂ©e de tampons cylindriques, expulsĂ©s tout d’une piĂšce Ă  coups de refouloir. Sous le monticule dĂ©blayĂ© s’ouvre un puits. Un beau jonc, cueilli en chemin, est introduit dans le gouffre. EngagĂ© plus avant Ă  mesure que le haut se dĂ©nude, il nous servira de guide.
Le sol est trĂšs meuble, sans mĂ©lange de cailloux, odieux Ă  l’insecte fouisseur ami de la direction verticale, odieux surtout au tranchant de la bĂȘche exploratrice. Il se compose uniquement de sable cimentĂ© par un peu d’argile. La fouille serait donc aisĂ©e s’il ne fallait atteindre des profondeurs oĂč le maniement des outils devient fort difficile, Ă  moins de bouleverser le terrain. La mĂ©thode que voici donne de bons rĂ©sultats, sans exagĂ©rer les masses remuĂ©es, ce que le propriĂ©taire des lieux pourrait trouver mauvais.
Une aire d’un mĂštre environ de rayon est attaquĂ©e autour du puits. À mesure que le jonc conducteur se dĂ©nude, on l’enfonce davantage. Il plongeait d’abord d’un empan, il plonge maintenant d’une coudĂ©e. BientĂŽt l’extraction des terres devient impraticable avec la pelle, que gĂȘne le manque de large. Il faut se mettre Ă  genoux, rassembler des deux mains les dĂ©blais et les rejeter Ă  belles poignĂ©es. La cuve s’approfondit d’autant, ce qui augmente la difficultĂ© dĂ©jĂ  si grande. Un moment arrive oĂč, pour continuer, il est nĂ©cessaire de se coucher Ă  plat ventre et de plonger l’avant du corps dans le trou, autant que le permet la souplesse des reins. Chaque plongeon amĂšne au dehors le plein creux d’une main. Et le jonc descend toujours, sans indication d’un prochain arrĂȘt.
Impossible Ă  mon fils de continuer de la sorte, malgrĂ© son Ă©lasticitĂ© juvĂ©nile. Pour se rapprocher du fond de la dĂ©sespĂ©rante cuve, il abaisse le niveau de la base d’appui. À l’extrĂ©mitĂ© de la ronde fosse une entaille est faite, oĂč il y a tout juste place pour les deux genoux. C’est un degrĂ©, un gradin que l’on approfondira Ă  mesure. Le travail reprend, plus actif cette fois ; mais le jonc consultĂ© descend encore, et de beaucoup.
Nouvel abaissement de l’escalier d’appui et nouveaux coups de bĂȘche. Les dĂ©blais enlevĂ©s, l’excavation mesure au-delĂ  d’un mĂštre. Y sommes-nous enfin ? Point : le terrible jonc continue de plonger. Approfondissons l’escalier et continuons. Le succĂšs est aux persĂ©vĂ©rants. À un mĂštre et demi de profondeur, le jonc rencontre un obstacle ; il cesse de glisser, Victoire ! C’est fini ; nous venons d’atteindre la chambre du Minotaure.
La houlette de poche dĂ©nude avec prudence, et l’on voit apparaĂźtre les maĂźtres de cĂ©ans, le mĂąle d’abord, un peu plus bas la femelle. Le couple enlevĂ©, se montre une tache circulaire et sombre : c’est la terminaison de la colonne de victuailles. Attention maintenant, et fouillons en douceur. Il s’agit de cerner au fond de la cuve la motte centrale, de l’isoler des terres environnantes, puis, faisant levier de la houlette insinuĂ©e dessous, d’extraire le bloc tout d’une piĂšce. Crac ! c’est fait. Nous voici possesseurs du couple et de son nid. Une matinĂ©e d’extĂ©nuantes fouilles nous a valu ces richesses. Le dos fumant de Paul pourrait nous dire au prix de quels efforts.
Cette profondeur d’un mĂštre et demi n’est pas et ne saurait ĂȘtre constante ; bien des causes la font varier, telles que le degrĂ© de fraĂźcheur et de consistance du milieu traversĂ©, la fougue au travail de l’insecte et le loisir disponible, suivant l’époque plus ou moins rapprochĂ©e de la ponte. J’ai vu des terriers descendre un peu plus bas ; j’en ai vu d’autres n’atteignant pas tout Ă  fait un mĂštre. Dans tous les cas, pour Ă©tablir sa famille, il faut au Minotaure un logis de profondeur outrĂ©e, comme n’en excave de pareils aucun fouisseur Ă  ma connaissance. Nous aurons tantĂŽt Ă  nous demander quels impĂ©rieux besoins obligent le collecteur de crottins de mouton Ă  se domicilier si bas.
Avant de quitter les lieux, notons un fait dont le tĂ©moignage aura plus tard sa valeur. La femelle s’est trouvĂ©e tout au fond du terrier ; au-dessus, Ă  quelque distance, Ă©tait le mĂąle, l’un et l’autre immobilisĂ©s par la frayeur dans une occupation qu’il n’est guĂšre possible de prĂ©ciser encore. Ce dĂ©tail, vu et revu dans les divers terriers fouillĂ©s,...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - LE MINOTAURE TYPHÉE. LE TERRIER
  3. Chapitre 2 - LE MINOTAURE TYPHÉE. PREMIER APPAREIL D’OBSERVATION
  4. Chapitre 3 - LE MINOTAURE TYPHÉE. SECOND APPAREIL D’OBSERVATION
  5. Chapitre 4 - LE MINOTAURE TYPHÉE. LA MORALE
  6. Chapitre 5 - LE CIONE
  7. Chapitre 6 - L’ERGATE. LE COSSUS
  8. Chapitre 7 - L’ONTHOPHAGE TAUREAU. LA CELLULE
  9. Chapitre 8 - L’ONTHOPHAGE TAUREAU. LA LARVE, LA NYMPHE
  10. Chapitre 9 - LE HANNETON DES PINS
  11. Chapitre 10 - LE CHARANÇON DE L’IRIS DES MARAIS
  12. Chapitre 11 - LES INSECTES VÉGÉTARIENS
  13. Chapitre 12 - LES NAINS
  14. Chapitre 13 - LES ANOMALIES
  15. Chapitre 14 - LE CARABE DORÉ. L’ALIMENTATION
  16. Chapitre 15 - LE CARABE DORÉ. MƒURS NUPTIALES
  17. Chapitre 16 - LA MOUCHE BLEUE DE LA VIANDE. LA PONTE
  18. Chapitre 17 - LA MOUCHE BLEUE DE LA VIANDE. LE VER
  19. Chapitre 18 - UN PARASITE DE L’ASTICOT
  20. Chapitre 19 - SOUVENIRS D’ENFANCE
  21. Chapitre 20 - INSECTES ET CHAMPIGNONS
  22. Chapitre 21 - MÉMORABLE LEÇON
  23. Chapitre 22 - LA CHIMIE INDUSTRIELLE
  24. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  25. Notes de bas de page