Un Homme d'Affaires
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Ce court roman ou cette longue nouvelle, précede de deux ans l'Etape. Contrairement a ce que le titre pourrait laisser penser, il ne s'agit nullement ici d'examiner le monde des affaires comme, par exemple, dans l'Argent de Zola. C'est encore une histoire de cour, mais, cette fois un peu corsée. La vengeance du banquier parvenu, trompé assidument et dans la fidélité a l'amant, par la fille du couple adultere est un sujet certainement original.
(extrait d'un commentaire lu sur le site internet d'André Bourgeois)

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635259472

Partie 1
UN HOMME D'AFFAIRES

Chapitre 1 UN PROBLÈME

A Henri Ribot 

Parmi les personnages notoires qui composent aujourd'hui Ă  Paris le bataillon ­ bien mĂȘlĂ© depuis trente ans - de ce que l'on appelait autrefois la haute finance, aucun peut-ĂȘtre ne reprĂ©sente d'une façon plus complĂšte que M. Firmin Nortier, l'heureux prĂ©sident du Grand Comptoir, quelques-uns des traits singuliers du spĂ©culateur ultra-moderne. Il incarne en lui, Ă  un degrĂ© supĂ©rieur, le paradoxe sur lequel pose l'existence de tant d'hommes d'affaires de notre Ă©poque, qui veulent et savent Ă  la fois conquĂ©rir et fixer la fortune par un acharnĂ© labeur de professionnel, et jouir de cet argent si Ăąprement gagnĂ© comme les plus Ă©lĂ©gants et les plus raffinĂ©s des oisifs. Vous trouverez Nortier le matin Ă  son bureau, Ă©tudiant, avec une luciditĂ© proverbiale sur la place, des dossiers d'oĂč sortira une dĂ©cision destinĂ©e Ă  transformer un coin tout entier du monde. Des centaines de kilomĂštres dans l’AmĂ©rique du Sud, la mise en Ɠuvre d'immenses gisements d'or et de diamants au cƓur de l'Afrique, un port Ă  construire sur la cĂŽte de l'extrĂȘme Asie, - voilĂ  l'objet des calculs de ce Parisien de haute vie, qui, Ă  cinq heures, sera en visite chez une femme Ă  la mode, Ă  huit dĂźnera en ville, pour finir sa soirĂ©e dans une loge de thĂ©Ăątre, puis au cercle. Le pavĂ© de la Bourse ne lui est pas plus familier que le parquet du foyer de la ComĂ©die française. Hier, il a signĂ© une convention qui va mettre en mouvement tous les marchĂ©s du globe, et demain vous le rencontrerez, suivant, sur un irlandais bien choisi, un Ă©quipage dont il a le bouton. AprĂšs-demain, embusquĂ© dans une des allĂ©es d'une chasse qui lui coĂ»te la bagatelle de cinquante mille francs par an, rien qu'en Ɠufs de fourmi, il fusillera des faisans en compagnie d'un prince hĂ©ritier, Ă  moins que ce ne soit le jour des hommes politiques et qu'il ne fasse les honneurs de ses tirĂ©s Ă  un ministre, grĂące auquel les cinquante mille francs susdits finiront par avoir Ă©tĂ© placĂ©s Ă  cinq cents pour cent. C'est l'aristocrate de la dĂ©mocratie, cet homme d'affaires, et qui se carre dans les maisons, les habitudes et les vices des anciens nobles avec autant d'arrogance qu'eux. Celui-ci occupe Ă  Paris, en plein faubourg Saint-Germain, l'hĂŽtel d'un des derniers connĂ©tables de France, - cherchez. Il s'est payĂ© l'autre annĂ©e le luxe du chĂąteau de Malenoue, qui fut aux Guise. Il a pour maĂźtresse la jolie Camille Favier, la cĂ©lĂšbre comĂ©dienne de la rue de Richelieu, comme Maurice de Saxe avait Mlle Lecouvreur. Ces tirĂ©s qui lui servent de piĂšges Ă  politiciens Ă©taient, au siĂšcle passĂ©, ceux d'un duc et pair, lequel n'avait certes pas Ă  prĂ©lever sur ses vassaux des droits supĂ©rieurs aux dĂźmes que recueillent sur le naĂŻf Gallo-Romain, cet Ă©ternel administrĂ©, et Ă  propos de chaque admission d'une valeur nouvelle, les innombrables chefs du bureau du Grand Comptoir, ces intendants du tout-puissant financier. Était-ce la peine de rĂ©unir les États en 89, de prendre la Bastille, de massacrer les innocents Foullon et Berthier, de multiplier crimes sur crimes, d'assassiner le plus dĂ©bonnaire des rois et la plus gracieuse des reines, AndrĂ© ChĂ©nier, Lavoisier, Malesherbes, de mettre l'Europe Ă  feu et Ă  sang, de gagner les cinquante batailles inscrites sur l'Arc-de-Triomphe, pour installer cette aristocratie Ă  la place de l'autre? En admettant, avec les misanthropes, qu'elles se valent, le coĂ»t du virement a Ă©tĂ© un peu cher.
Ce qui constitue une des originalitĂ©s de Nortier, dans la catĂ©gorie sociale dont il est le type le plus rĂ©ussi, c'est que, n'appartenant ni de prĂšs ni de loin Ă  la race sĂ©mitique, ses origines sont plus aisĂ©ment discernables, et plus Ă©videntes les Ă©tapes de son histoire morale. Il y a toujours de l'Oriental dans le Juif. Sa prodigieuse puissance d'assimilation dĂ©rive de lĂ , et ce don du prestige que possĂ©dait dĂ©jĂ , aux Ăąges bibliques, Joseph, l'explicateur de songes. Cette souplesse permet Ă  l'IsraĂ©lite, quand il est vraiment un self-made man, de dissimuler presque magiquement l'humilitĂ© de son point de dĂ©part. A la seconde gĂ©nĂ©ration, le grand seigneur est fait, - et souvent bien fait. Firmin Nortier, lui, a beau avoir adoptĂ© la morgue des authentiques gentilshommes avec lesquels il fraie, il a beau avoir copiĂ© d'eux, avec un scrupule qui ne commet pas une faute d'orthographe, sa livrĂ©e et ses attelages, sa tenue personnelle et celle de sa maison, observez-le, et vous dĂ©mĂȘlerez en lui aussitĂŽt le paysan de Beauce, matois et dĂ©fiant, avide jusqu'Ă  l'usure, prudent jusqu'Ă  la ruse. Étudiez dans cette face, immobile et comme figĂ©e par une froideur voulue, le luisant tout animal de l'Ɠil. Son pĂšre, le marchand de biens, - c'est ainsi que les Nortier ont passĂ© de la blouse Ă  la redingote, - devait envelopper de ce regard le propriĂ©taire endettĂ© qu'il se proposait de dĂ©pouiller, en lui prĂȘtant sur hypothĂšque une somme que l'autre ne pourrait jamais rendre. Ce manieur de millions a, dans ses prunelles couleur de cuivre, une ĂąpretĂ© de grippe-sou. Il marche, et, malgrĂ© le frac de soirĂ©e coupĂ© par Poole, la carrure des Ă©paules hautes, la charpente lourde des gros os, la forte pesĂ©e du pied sur le sol, tout, dans ce que l'Ă©ducation ne peut pas changer d'un ĂȘtre, rĂ©vĂšle l'hĂ©rĂ©ditĂ© rurale, une longue suite d'ascendants terriens. Mais la fermetĂ© du profil, la soliditĂ© du menton avancĂ©, l'Ă©clair du front, corrigent ce qu'il y aurait de commun dans ces premiers caractĂšres. Cette physionomie, oĂč un caricaturiste dĂ©mĂȘlerait une Ă©trange ressemblance avec la tĂȘte d'un brochet de proie, donne l’idĂ©e d'un si implacable gĂ©nie de prise que ce parvenu a vraiment l'air de ce qu'il est : un MaĂźtre. D'ailleurs, Ă©tudiez-le davantage, et vous constaterez, Ă  vingt signes, que cet esprit de conquĂȘte financiĂšre et sociale se double, dans ce grand corps rĂąblĂ©, de la plus vigoureuse physiologie. Nortier a des muscles et une poigne de portefaix, une circulation admirable du sang qui ne connaĂźt pas la migraine, un estomac Ă  qui l'heure des repas est aussi indiffĂ©rente Ă  cinquante-cinq ans qu'elle a pu l'ĂȘtre Ă  dix-huit, l'acuitĂ© de vision d un vieux trappeur, et ce fonds de santĂ© plĂ©bĂ©ienne a Ă©tĂ© entretenu par une hygiĂšne continĂ»ment observĂ©e, Ă  travers une existence en apparence brĂ»lĂ©e. Ce fastueux amphitryon, qui tient Ă  honneur d avoir une table royalement servie, ne touche jamais qu'Ă  deux plats. Il ne boit pas de liqueur. Il ne fume pas. Ses goĂ»ts de sport, adoptĂ©s par vanitĂ©, lui ont tenu lieu de cet exercice quotidien, recommandĂ© par la mĂ©decine, et dont personne Ă  Paris n'a le loisir. Aussi, monte-t-il Ă  cheval, quoiqu'il ait commencĂ© tard, fort convenablement. Il mĂšne bien. Il est devenu ce que les chasseurs appellent un bon second fusil. Un des traits de cette nature est un amour-propre toujours Ă©veillĂ©, qui n'entreprend rien sans le rĂ©ussir, et qui s'est interdit toute prĂ©tention non justifiĂ©e. Dans cet avatar, si souvent maladroit, d'un financier en train de jouer au gentilhomme, Nortier peut avoir mĂ©ritĂ© bien des reproches : celui du plus fĂ©roce Ă©goĂŻsme envers ses parents pauvres ou ses camarades ruinĂ©s, celui de la plus immorale absence de scrupules dans le choix de ses moyens de fortune, celui de l'utilitarisme le plus brutal en matiĂšre de relations. Il n'a jamais Ă©tĂ© ridicule.
Cet « homme fort » - dans la plĂ©nitude du sens que donnaient Ă  ce terme, aujourd'hui dĂ©modĂ©, les comĂ©dies de mƓurs de 1855 - a pourtant dans sa vie intime un point de faiblesse, soyons plus exact, d'inexplicable illogisme. Tous ceux qui, l'ayant connu, soit comme rivaux d'affaires, soit comme compagnons de plaisir, ont pu apprĂ©cier la sĂ»retĂ© de son coup d’Ɠil, l'intransigeance de son orgueil, l'Ă©nergie et la nettetĂ© de ses partis pris, en sont encore Ă  chercher le mot de cette Ă©nigme : - comment et pourquoi un personnage de cette allure morale et physique supporte-t-il de jouer le rĂŽle de mari trompĂ© dans le mĂ©nage Ă  trois le plus officiel qui soit dans ce Paris Ă©lĂ©gant, oĂč ils abondent? Les liaisons les plus affichĂ©es sont discrĂštes Ă  cĂŽtĂ© de celle de Mme Nortier avec M. de San Giobbe, le « clubman » le plus en vue, Ă  cause de sa prodigieuse adresse Ă  l'escrime, de toute la colonie Italienne, il y a vingt ans, et voici vingt ans en effet que cette liaison dure. Vous n'avez jamais dinĂ© en ville, depuis ces vingt ans, Ă  une table oĂč la jolie et blonde Mme Nortier asseyait sa beautĂ© fraĂźche, oĂč la moins jolie, mais encore plus blonde Mme Nortier assied sa beautĂ© fanĂ©e, sans que l'Italien ne fĂ»t au nombre des convives, ou ne parĂ»t aprĂšs le diner. Inviter l un sans l'autre serait une Ă©norme gaffe, et aucune maĂźtresse de maison ne la commettrait, dans cette province de Paris, qui va du parc Monceau Ă  l'avenue du Bois et du boulevard Haussmann aux rues encore habitables du faubourg Saint-Germain, et qui pourrait se dĂ©nommer le tenderloin, le morceau tendre, le filet, Ă  plus juste titre que le quartier galant de New-York, tant elle est propice aux grands adultĂšres. Vous n'ĂȘtes jamais allĂ© Ă  un Mardi des Français, ou Ă  un Vendredi de l'OpĂ©ra, sans que, sur le fond rouge de la loge au-devant de laquelle s'Ă©talaient les blanches Ă©paules de Mme Nortier, vous n'ayez vu se dessiner le profil de portrait de San Giobbe. Mme Nortier part-elle pour les eaux? San Giobbe arrive dans les huit jours. Assiste-t-elle aux courses de Deauville? Il est lĂ . Il est lĂ  quand elle va l'hiver Ă  Cannes ou Ă  Pau. Fait-elle une visite en Écosse, Ă  l'Ă©poque de la chasse? Il passe la Manche et va chasser le grouse et le saumon dans la lodge oĂč elle a Ă©tĂ© priĂ©e. Enfin, c'est le patito classique, risquons cette autre formule, plus dĂ©modĂ©e encore que celle d’« homme fort », puisqu'il s'agit d'un des plus aimables Parisiens que nous ait jamais envoyĂ©s l'Italie, de don Antonio, comme on continue Ă  l'appeler Ă  Bergame, sa patrie. - On entend marquer par
là qu'il appartient au plus pur patriciat local, celui de l'époque consulaire, avant l'invasion des césars allemands et la création des comtes.
- Que ce patito fĂ»t un amant, il suffisait, quand il avait trente-cinq ans,- c'est l'Ăąge oĂč commencĂšrent ses assiduitĂ©s auprĂšs de Mme Nortier,- de le regarder pour en ĂȘtre sĂ»r, avec sa lĂšvre gourmande, la sensualitĂ© puissante de son visage aux beaux traits, Ă  la fois grands et fins, - et, bien qu'il y ait, pour les maris, des grĂąces d'Ă©tat, comment admettre qu'un routier de toutes les coulisses, tel que Firmin, ait pu constater les indices d'une pareille intimitĂ© entre sa femme et un seigneur tournĂ© de la sorte, sans essayer de savoir ce qu'il y avait par derriĂšre et sans le dĂ©couvrir? Pensez que brusquement, du jour oĂč il a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© Ă  Mme Nortier, aucune femme n'a plus jamais existĂ© pour San Giobbe. Il a eu encore ce trait, des SigisbĂ©es de son pays, d'ĂȘtre fidĂšle Ă  sa maĂźtresse, et il a disparu du demi-monde, oĂč il avait toutes ses habitudes, lentement, prudemment, – il n'est pas pour rien un compatriote de Machiavel, - mais absolument. Pensez qu'il n'est plus retournĂ© Ă  Bergame, oĂč il a son palais, ses terres, et toute sa famille, que juste le temps exigĂ© par ses intĂ©rĂȘts, et qu'il s'est fixĂ© ici, visiblement sans intention de dĂ©part. Pensez surtout que, dans l'annĂ©e qui a suivi cette prĂ©sentation, Mme Nortier a donnĂ© naissance Ă  une fille dont la ressemblance avec le bel Italien serait Ă  elle seule une rĂ©vĂ©lation, et cette rĂ©vĂ©lation est rendue plus indiscutable par une autre ressemblance, celle de sa sƓur aĂźnĂ©e, l'enfant lĂ©gitime, celle-lĂ , avec Nortier! Ajoutez que, par une de ces imprudences comme en ont les femmes trĂšs amoureuses, la mĂšre a osĂ© appeler cette fille, qu'elle a eue de son amant, sans aucune raison de parrainage, du nom de BĂ©atrice, traditionnel dans la famille San Giobbe, au lieu que l'ainĂ©e s'appelle tout simplement Françoise, du nom de la mĂšre de Nortier, le seul ĂȘtre pour qui le financier ait eu un peu de tendresse au cƓur. Cette Françoise, lourde et ramassĂ©e, avec les Ă©paules et la dĂ©marche plĂ©bĂ©iennes, comme son pĂšre, est une forte Beauceronne, nĂ©e pour aider un laboureur au dur travail de la ferme. Elle est cela aussi Ă©videmment que BĂ©atrice, longue et fine, avec ses grands yeux noirs, sa chaude pĂąleur, les
dĂ©licatesses de ses pieds et de ses mains, est une fille noble et une mĂ©ridionale faite pour prendre des sorbets par les chauds aprĂšs-midi d'un Ă©tĂ© lombard dans quelque haute salle dĂ©corĂ©e Ă  fresques par un Moretto ou un Lorenzo Lotto. Dans sa petite enfance, elle dĂ©ployait, dans ses moindres façons, cette espĂšce de grĂące languissante, si nationale, que l'on a dĂ» crĂ©er pour elle, au delĂ  des Alpes, un mot intraduisible. Retz en a donnĂ© un bon joli commentaire quand il a parlĂ© d'une femme qui se regarde dans le miroir de la ruelle, " et elle montra tout ce que la morbidezza des Italiens a de plus tendre, de plus animĂ© et de plus touchant !
" Ces faits Ă©tant donnĂ©s, et cent autres pareils, Ă  quels motifs attribuer l'attitude de Nortier, qui a tolĂ©rĂ© les assiduitĂ©s de San Giobbe, sans que jamais une parole, un silence, un geste, ait trahi ce qu’il en pensait, - qui n'a jamais marquĂ© une diffĂ©rence de traitement aux deux jeunes filles, - qui continue Ă  gagner des millions aprĂšs des millions, avec la certitude qu'en vertu du fameux axiome : Is pater est quem nuptiƓ
 toute une part de cette Ă©norme fortune servira Ă  payer le luxe et le bonheur de l'enfant d'un autre? On comprendra que la curiositĂ© du cercle d'oisifs oĂč le financier maintient son rang avec une telle suite dans la ligne de son ambition mondaine ait considĂ©rĂ© avec un intĂ©rĂȘt passionnĂ© cette anomalie d'un caractĂšre si parfaitement un dans sa teneur. Ce n'est donc pas une fois, ce n'est pas dix fois, c'est cent, c'est mille que les invitĂ©s de ses chasses ont analysĂ© le cas Nortier-San Giobbe, dans le train spĂ©cial qui les ramenait Ă  travers les plaines du dĂ©partement de Seine-et-Marne. Les propos que voici et qui s'Ă©changeaient par un soir de l'automne de 1897, entre six ou sept des habituĂ©s de Malenoue, rĂ©sument Ă  peu prĂšs toutes les hypothĂšses qu'amis et ennemis essayaient depuis des annĂ©es sur la situation de leurs hĂŽtes, comme des diplomates essayent des grilles sur un cryptogramme. Une circonstance particuliĂšre rendait, on le verra, plus intĂ©ressante encore Ă  ces curieux la solution du problĂšme :
- « Est-ce que vous n'avez pas remarquĂ© que le petit Clamand Ă©tait bien empressĂ© auprĂšs de BĂ©atrice? » avait demandĂ© tout d'un coup, aprĂšs les premiers et nĂ©cessaires discours sur la battue, Maxime de Portille, un de ces Ă©tourdis futĂ©s qui, se prĂ©parant Ă  un riche mariage Ă  travers la fĂȘte, ont toujours l'Ɠil sur les hĂ©ritiĂšres, n'eussent-ils pas d'intentions actuelles et prĂ©sentes. - On ne sait jamais.
- « C'est vrai, " avait rĂ©pondu un autre des chasseurs, un bonhomme, celui-lĂ , le gros La Bratesche, qui a la digestion optimiste ; et, tout en allumant un cigare : « Quel joli petit mĂ©nage ça ferait! C'est un si brave garçon que Clamand, et de l'avenir ! Le papa Clamand finira commandant de corps d'armĂ©e, vous verrez cela, et Gabriel est sorti de Saint-Cyr dans les tout premiers. Saviez-vous cela?
 Il sera le plus jeune colonel de l'armĂ©e avant dix ans, comme il en est le plus jeune capitaine. Et avec la fortune de Mlle Nortier, ça lui ferait une vie magnifique. »
- « Il faut que San Giobbe consente, » fit venimeusement Crucé, l'envieux. « Vous oubliez ce petit détail. »
- « En attendant, Clamand est en grande faveur auprĂšs de Mme Nortier, » reprit Portille, « la preuve, c'est qu'il fait un sĂ©jour
 »
- « Il est en garnison à Melun, » dit le baron Desforges, qui était assis en face de Crucé. A soixante-quinze ans qu'il vient d'avoir, l'ancien viveur n'a pas baissé, grùce aux étonnantes précautions qu'il prend pour sa
santé, et il est toujours l'observateur qui aime à philosopher sur la vie, avec une ironie indulgemment cynique :
- « Et Nortier qui va doter cette fille comme une princesse, et qui sait qu'elle n'est pas de lui!
 Il ne peut pas ne pas le savoir, et il a comblĂ© la mĂšre. - Vous voyez ses toilettes et ses chevaux! - Et il comble San Giobbe, qui vit Ă  mĂȘme ce luxe tout le long de l'annĂ©e, - et il comble la fille!!
 Ce n'est pourtant pas le « petit smoking bleu » que notre ami? S'il ne voit rien, c'est extraordinaire. S'il voit quelque chose, ce n'est pas moins extraordinaire qu'il le supporte, car, enfin, il n'est pas commode. »
- « Il a eu peur d'un coup d'Ă©pĂ©e de San Giobbe, tout simplement, » fit Machault, l'escrimeur, en se mĂȘlant Ă  son tour Ă  la conversation, « ce n'est pas brillant, mais si vous aviez tirĂ© avec don Antonio, comme disait Pini, vous l'excuseriez. Ah ! le mĂątin, qu'il Ă©tait vite ! Et un Ă -propos ! »
- « Oui, » interrompit CrucĂ©, « mais, comme San Giobbe a depuis deux ans une maladie du cƓur, et qu'il ne peut plus tenir un fleuret, votre raison a cessĂ© d'ĂȘtre valable. On est toujours Ă  temps de se fĂącher en certaines circonstances. Alors?
 Voulez-vous que je vous dise pourquoi Nortier ne se fĂąche pas et ce dont il a eu peur, plus simplement? Il a eu peur de ses domestiques
 Mais oui, mais oui!
 On ne sait pas le rĂŽle que cette crainte-lĂ  joue dans les complaisances conjugales ! Quand un monsieur est l'amant d'une dame, c'est qu'il a l’habitude de venir dans la maison, et, pour qu'il n'y vienne plus, si ce n'est pas de plein grĂ© qu'il se laisse congĂ©dier, il faut donner l'ordre au portier de ne plus le recevoir, au maĂźtre d'hĂŽtel, au valet de pied
 C'est bĂȘte comme tout, cette petite dĂ©marche
 Il y a neuf maris sur dix qui n'arrivent pas Ă  la faire
 »
- « Ils ne sont pas Nortier, » reprit Desforges. « Non. Vous serez plus dans le vrai en disant qu'il a tout supportĂ© Ă  cause de sa maison. Il a le goĂ»t de recevoir, pis que le goĂ»t, la passion. C'est trop naturel. On ne gagne pas des millions pour les manger tout seul. Or, pourquoi avait-il Ă©pousĂ© sa femme, qui n avait pas un fifrelin, mais qui Ă©tait nĂ©e de BrĂšves, sinon pour avoir les de BrĂšves et leurs alliĂ©s et amis dans son salon ? Chasser la femme, c'Ă©tait rompre avec le cousinage, se condamner Ă  Ă©lever ses perdreaux et Ă  dĂ©canter son cos d'Estournel pour des boscards. Il a gardĂ© la femme, et il a bien fait »  « Tout de mĂȘme, » ajouta-t-il, « avec son orgueil et sa tĂȘte, qu'il n'ait pas trouvĂ© une autre solution, j'avoue que cela continue Ă  m'Ă©tonner. »
- « Il aime sa vraie fille, voilĂ  tout ! » fit l'excellent La Bratesche. « Vous avez vu comme il l'a mariĂ©e. Elle est dans le Gotha tout bonnement comme comtesse d'Arcole, en attendant qu'elle soit duchesse : avec un scandale, c'Ă©tait impossible
 Le monde n'est pas si mauvais que vous le pensez. Que de pĂšres font ainsi le sacrifice de la juste vengeance qu'ils auraient le droit d'exercer sur une femme qui les trompe, pour Ă©pargner Ă  un premier enfant le chagrin d'avoir quelque jou...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Partie 1 - UN HOMME D'AFFAIRES
  3. Partie 2 - DUALITÉ
  4. Partie 3 - UN RÉVEILLON
  5. Partie 4 - L'OUTRAGÉ